Normes relatives aux Bonnes Pratiques Cliniques dans l’Union européenne - 1

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“Qu’est-ce que vertu ?
Bienfaisance envers le prochain”
Normes relatives
aux Bonnes Pratiques Cliniques
dans l’Union européenne - 1 partie
Voltaire – Dictionnaire philosophique
re
J.P. Demarez*, J.M. Husson**
RÉSUMÉ. Un projet de directive européenne vise à intégrer dans le droit communautaire les “Bonnes Pratiques Cliniques dans la réalisation
des essais cliniques de médicaments à usage humain”. L’existence de ces Bonnes Pratiques constitue, en soi, un progrès pour le développement
et la diffusion des futurs médicaments. Elles représentent également un élément de la protection des personnes impliquées dans les essais
cliniques. Ce n’est toutefois pas sans ambiguïtés, “non-dits” et confusions de genres. Le caractère de ces textes normatifs peut être éclairé par
certains rappels sur leurs origines. Ils font apparaître la nature et les motifs des contradictions rendant hétéroclites tant les Bonnes Pratiques
Cliniques que le projet de directive dont elles sont l’objet.
L’existence de ces textes ne saurait faire oublier au médecin investigateur les principes de sa déontologie professionnelle.
Mots-clés : Bonnes Pratiques Cliniques - Éthique - Droit communautaire.
U
n projet de directive européenne se propose de donner force juridique aux “Bonnes Pratiques Cli niques dans la réalisation des essais cliniques de
médicaments à usage humain”.
Il s’agit là d’une directive, c’est-à-dire :
– D'un texte “liant tout État membre destinataire quant au
résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la
compétence quant à la forme et aux moyens (1)”.
– D’un texte que chaque État membre aura à transposer[1] dans
son droit interne. En droit français, en général par un texte de
loi et non par des dispositions de nature réglementaire[2].
– D’un texte adressé aux seuls États membres. Les particuliers
ne peuvent pas se prévaloir d’une directive dans leurs contentieux, mais seulement des mesures nationales d’application.
– D’un texte normalement dépourvu d’applicabilité directe, à
l’exception des invocations de nature à permettre au citoyen de
faire valoir un droit à l’égard de l’État.
– Le vocabulaire technique dont il fera usage, au moyen d’un
glossaire et de mots-clés.
– Le but qu’il revendique : la protection des personnes impliquées dans la recherche.
– Les éléments conduisant (selon les concepteurs) à cette protection : rôle d’un “Comité d’éthique”, connaissances scientifiques nécessaires en préalable à l’essai, modalités de l’intervention des autorités administratives, déclaration des
événements indésirables survenant en cours d’essai, garantie
des produits soumis à l’essai, procédures d’inspection.
– Les simplifications estimées utiles : standardisation de la
documentation à soumettre aux autorités et aux comités
d’éthique, harmonisation des procédures d’avis ou d’autorisation.
Ainsi qu’on peut le constater, il y a là des préoccupations
diverses, des problématiques de degré et de caractère différents
dont la solution, au niveau des États membres, peut ressortir de
compétences différentes.
Ce projet de directive précise :
– Son champ d’application : les essais cliniques de médicaments, tels que définis par l’article 1 de la directive 65/65 EEC
du 26 janvier 1965.
[1]
À moins que des dispositions existent déjà en droit interne, exemple : la directive européenne (n° 95/46/CE du 24 octobre 1995) concernant le traitement automatisé de données, qui reprend en fait les dispositions de la loi française
(n° 78-17 du 6 janvier 1978) dite Informatique et Libertés.
*Unité de pharmacologie clinique, Hôpital Saint-Antoine, Paris.
** International Federation of the Associations of Pharmaceutical Physicians.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
[2]
Excepté lorsque l'exécution de l'obligation peut découler de l'existence de
principes généraux.
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Cette directive vise l’essai clinique, situation complexe faite
d’enjeux discordants, voire contradictoires, où se rencontrent
un instant des acteurs aux intérêts normalement divergents, où
s’affrontent des systèmes de valeurs opposés mais artificiellement rendus compatibles, ainsi que nous l’allons démontrer.
Des recommandations éthiques faites au chercheur
La situation du médecin chercheur est ambivalente. D’une part,
il est soignant, d’autre part et corrélativement, il est spécialiste
de la connaissance du normal et du pathologique de l’être
humain.
Il ne nous appartient pas de juger du bien-fondé ou du nonfondé de l’apparition de cette directive dans le paysage communautaire. Il est, en revanche, intéressant de la replacer dans
son contexte et d’en définir les intérêts et les limites.
Depuis le milieu du XXe siècle, la médecine occidentale
contemporaine a bouleversé ses connaissances (2), ses moyens
d’investigation et ses outils thérapeutiques par la pratique de
l’expérimentation, et tout particulièrement de l’expérimentation humaine réalisée sur des groupes d’individus avec le
recours aux biostatistiques.
D’une part il est médecin, c’est-à-dire qu’il a à prendre en
charge la demande d’un patient dans l’intérêt exclusif de celuici. C’est le sens de la morale hippocratique et des règles juridiques organisant la profession de médecin. La fonction du
médecin est de soigner des individus. Il est possible, au cours
des soins, d’acquérir des connaissances utiles au progrès de la
médecine. Mais l’acquisition de ces connaissances utiles ne
doit pas être la seule finalité, ni même la finalité première, de
l’intervention du médecin sur le corps d’autrui. Les règles gouvernant l’exercice de la médecine sont centrées sur la seule personne soignée précisément pour défendre celle-ci contre les
tentations de faire passer d’autres intérêts avant ou au détriment des siens propres.
Il n’est plus admis qu’un moyen diagnostique ou thérapeutique
soit proposé aux professionnels comme au public sans qu’il ait
fait l’objet précédemment d’une abondante expérimentation
humaine. Cette démonstration de l’existence d’une efficacité
et de l’absence de nocivité est considérée comme une assurance
de sécurité pour les futurs consommateurs et usagers.
D’autre part, le médecin est chercheur. Parmi les patients qu’il
soigne, il sélectionne les sujets propres à la réalisation de son
protocole de recherche, dans la perspective d’intérêts autres
que celui de ces sujets, avec l’éventualité d’un bénéfice possible pour ces derniers, l’hypothèse de risques et l’existence de
contraintes spécifiques.
Parallèlement, le médicament est sorti de l’artisanat pour devenir une spécialité pharmaceutique dont le développement est
l’œuvre de sociétés commerciales. Les firmes pharmaceutiques
organisent et financent les expérimentations dont elles se constituent promoteurs, et qui leur permettront d’enregistrer et de
vendre leurs spécialités sur des marchés transnationaux. Des
médecins mandatés par les firmes effectuent et surveillent ces
essais comme investigateurs, ce qui leur procure quatre choses
appréciables : expérience professionnelle, matière à communications scientifiques, subsides et honoraires. Les patients participent aux essais, ce qui peut leur permettre de profiter avant
les autres du progrès thérapeutique et leur donner la satisfaction d’aider la science à progresser. Cette relation trinitaire associant firmes, médecins et patients est maintenant larg e m e n t
apparente et admise. De nos jours, l’exposition d’un homme à
une situation expérimentale ne choque plus, à la condition toutefois qu’il y ait librement consenti.
Le traitement expérimental a longtemps été considéré comme
une modalité particulière de la thérapeutique, et l’acte expérimental s’est conjugué à l’acte de soins, la recherche clinique
n’était acceptée ou tolérée qu’à cette condition, ce jusqu’en
1947. À partir de considérations émises par les juges du tribunal américain des procès médicaux de Nuremberg[3], des organisations médicales (notamment l’Association médicale mondiale, le Conseil des organisations internationales des Sciences
médicales, l’American Medical Association) ont produit des
textes[4] destinés à guider les médecins lorsque leur activité
devenait une recherche biomédicale, individualisant ainsi la
situation de recherche biomédicale en tant qu’activité autonome.
REMISE EN PERSPECTIVE DE LA DIRECTIVE
L’opinion publique européenne n’aura pas “d’état d’âme”
devant une directive intégrant promoteur, investigateur et sujet
d’expérimentation dans un même texte visant à réglementer la
situation d’essai.
Mais jusqu’à cette dernière décennie, chacun de ces acteurs
étant considéré séparément en fonction de sa situation “catégorielle”, les activités normatives se sont adressées successivement d’abord au médecin expérimentateur, puis à la firme
pharmaceutique promoteur, la personne sur qui était pratiqué
l’essai étant, du moins en Europe, notoirement peu informée
sinon consentante.
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Ces textes fixent des devoirs et recommandent les attitudes permettant, dans la pratique, la bonne observance de ces devoirs.
Il s’agit d’éclairer la conscience du chercheur, de façon purement individuelle. Les organisations représentatives fixent unilatéralement le contenu des règles à l’usage des membres de la
profession médicale entreprenant des recherches cliniques,
règles qui ont la particularité de n’avoir pas de force contraignante (d’opposabilité juridique) et de ne pas créer corrélativement de droits au bénéfice du sujet de recherche (qui ne peut
par conséquent pas s’en prévaloir directement). C’est au médecin que le propos s’adresse puisque c’est lui qui pratique la
[3]
United States of America versus Karl Brandt, Nuremberg 1947.
[4]
En premier lieu un texte dit "Code de Nuremberg" qui, en dépit de cette appellation, n'a pas de nature juridique.
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recherche sur “ses” malades. Le modèle est celui du chercheur
travaillant en individuel, hérité du XIXe siècle.
Le caractère impératif des devoirs est absolu, mais le chercheur
est à la fois acteur et évaluateur de son action. Le caractère
impératif est, par conséquent, tempéré par les conditions d’application, la conjoncture, les circonstances, le niveau de
conscience morale du chercheur, son degré d’adhésion aux
règles, la rigueur qu’il entend mettre dans l’observance du
devoir et l’absence de sanction en cas d’irrespect des règles.
Il s’agit là de règles éthiques, et il faut ici préciser les différences fondamentales existant entre une règle éthique, une règle
déontologique et une règle juridique générale[5]. Une règle
éthique fixe des préceptes permettant d’agir bien et d’éviter de
faire le mal, que l’individu décide de suivre ou de ne pas suivre,
la règle déontologique permet au corps professionnel de sanctionner un de ses membres qui ne respecte pas le code de moralité de sa profession, la règle juridique organise des rapports
entre individus d’une même société (3), s’imposant à tous,
ouvrant notamment des droits aux victimes de la méconnaissance de cette règle et la possibilité de contentieux. Le droit
n’existe qu’à partir du moment où la règle dont il s’agit est susceptible de sanction de la part des autorités, au nom de la volonté
générale. Ce qui importe, pour qu’il y ait droit, ce n’est pas que
le respect de la règle soit obtenu, c’est “qu’il existe un pou voir coercitif pour contraindre également tous les hommes à
l’exécution de leurs obligations” (4).
L’irrespect d’une règle éthique engendre le trouble de
conscience, l’irrespect d’une règle déontologique est soumis
au jugement des pairs, éventuellement constitués en instance
disciplinaire, l’irrespect d’une règle de droit relève des juridictions civiles ou pénales.
Éthique et droit ne s’opposent pas mais se placent en des
espaces différents, la conscience morale étant par définition une
zone hors droit, où chaque individu définit pour lui et lui seul
ses propres règles. La règle éthique n’a donc, par définition,
aucune opposabilité à autrui.
La déclaration d’Helsinki est une règle éthique.
De ses cinq versions successives[6], soulignons tout particulièrement :
La pre m i è re (1964) qui prévoit, parallèlement aux
recherches “combined with professional care” l’existence de
“non therapeutic clinical re s e a rch” dont la pratique va à
l’encontre de la morale médicale traditionnelle, et le fait que,
dans l’une ou l’autre situation que “the doctor should obtain
the patient’s freely given consent after full explanation”.
La seconde (1975) qui fait apparaître, dans l’énoncé des
principes de base, le devoir de consulter, préalablement à la
mise en place de la recherche, “a specially appointed inde pendent committee for consideration, comment and guidance”
et précise en matière de consentement, “The doctor should then
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(after providing an adequately information) obtain the subject’s
given informed consent, preferably in writing”.
La déclaration d’Helsinki consacre dès l’origine comme un
devoir du chercheur l’obtention du “freely given consent after
the patient has been given a full explanation”. Ce consentement manifeste l’acceptation d’être exposé aux hasards et aux
contraintes d’une situation expérimentale, et est distinct du
consentement à recevoir des soins[7].
Ce concept éthique du consentement[8] est à différencier de la
règle juridique énoncée au cours des procès médicaux de
Nuremberg[9], où la notion de consentement était utilisée pour
définir à qui l’on pouvait proposer de participer à une
recherche : la personne juridiquement apte à manifester sa libre
volonté. La règle juridique permettait ainsi de qualifier le crime
commis par les médecins jugés, leurs expérimentations ayant
été pratiquées sur des prisonniers de guerre ou des civils déportés, par conséquent dans l’impossibilité de manifester leur libre
volonté.
Si la règle éthique et la règle juridique utilisent le même mot,
les conséquences diffèrent ; l’une montre au chercheur où est
son devoir, l’autre assure des droits au sujet et ouvre la possibilité de sanctions.
Les difficultés d’interprétation rencontrées proviennent de la
confusion entre des règles de conduite proposées à l’individu
[5]
J.L. Bergel, Théorie Générale du Droit, Paris Dalloz, 1989 ; 49 : “Si l’on ajoute
(au droit) la morale et la religion, on constate que toutes ces règles répondent
à des phénomènes de psychologie sociale, résultant d’une pluralité de systèmes
normatifs au sein d’une société, dont les uns se produisent dans l’espace social
et les autres s’installent dans la conscience individuelle”.
[6]
Helsinki (1964) ; Tokyo (1975) ; Venise (1983) ; Hong Kong (1989) ; So m e rset
West (1996).
[7]
Consentement à recevoir des soins souvent implicite et découlant du fait que
le malade consulte. Le médecin ne peut intervenir sur le corps de son patient
qu’avec l’accord de ce dernier, ce qui suppose une information préalable suffisante.
[8]
American Medical Association, 10 décembre 1946 “In order to conform to the
ethics of the AMA, the voluntary consent of the person on whom the experiment is to be performed must be obtained”. Supplementary report of the
Judicial Council, JAMA 1946 ; 132 : 1090.
[9]
Le Tribunal militaire énonce les "basic principles [that] must be observed in
order to satisfy moral, ethical and legal concepts [in] the practice of human
experimentation. Thus, principle 1 :
– The voluntary consent of the human subject is absolutely essential.
– This means that the person involved should have legal capacity to give consent;
should be so situated as to be able to exercise free power of choice, without the
intervention of any element of force, fraud, deceit, duress, ov e r-reaching, or other
ulterior form of constraint or coercion; and should have sufficient knowledge
and comprehension of the elements of the subject matter involved as to enable
him to make an understanding and enlightened decision. This latter element
requires that before the acceptance of an affirmative decision by the experimental subject there should be made known to him the nature, duration, and
purpose of the experiment; the method and means by which it is to be conducted; all inconveniences and hazards reasonably to be expected; and the effects
upon his health or person which may possible come from his participation in
the experiment.
In :“Fifty years later : the signifiance of the Nuremberg Code”. E. Shuster. N Engl
J Med 1997 ; 337, 20 : 1436-40.
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pour lui permettre de bien agir (les règles éthiques) et des règles
générales et impersonnelles destinées à assurer le fonctionnement équilibré de la société et le respect des droits de ses
membres (les règles juridiques).
Mais il arrive que les règles éthiques soient utilisées en guise
de règles juridiques. En effet, les autorités nord-américaines
(5), en précisant les conditions d’acceptabilité d’études cliniques réalisées à l’étranger en dehors d’une procédure fédérale (IND)[10] et présentées pour un enregistrement sur leur territoire, ont hissé la déclaration d’Helsinki à un niveau quasi
réglementaire et donné au modèle anglo-saxon un caractère
dominant en matière d’utilisation de l’éthique :
“That it is in the interest of the public health, whenever pos sible, to have access to and to consider detailed information
resulting from those studies performed abroad which are wellconceived, well-controlled, performed by qualified experts, and
conducted in accordance with ethical principles acceptable to
the world community... The investigator has conducted the stu dies in conformance with the Declaration of Helsinki or the
laws and regulations of the country in which the research is
conducted, wichever represents the greater protection of the
individual. If the standards of the country are used, differences
from those of the Declaration of Helsinki which reads as fol lows, shall be stated in detail.”
Le raisonnement suivi par les autorités fédérales est clair.
L’Agence fédérale ne refuse pas a priori, et sous réserve d’examen, les données scientifiques d’origine étrangère proposées
pour soutenir la demande de commercialisation d’un médicament aux États-Unis, provenant d’essais n’ayant, par conséquent, pas suivi les procédures technico-administratives américaines. Mais le proposant doit garantir, a priori, que ces
données n’ont pas été obtenues au détriment du droit des personnes. Les principes dégagés par la déclaration d’Helsinki
représentent alors le niveau minimal de garantie du respect de
ces droits. La sanction de ce préalable est qu’à défaut de la
garantie du respect des droits, les résultats ne sont pas pris en
considération, quels que soient leur qualité scientifique et leur
caractère démonstratif. Les autorités nord-américaines fixent
ainsi les premières, de façon réglementaire, dans la réalisation
d’essais cliniques destinés à garantir la sécurité des futurs usagers d’un nouveau médicament ; il importe de protéger également les sujets soumis à expérimentation. Une commission
nationale[11] a d’ailleurs été chargée de réfléchir sur ces conditions de protection et a dégagé trois principes présidant à une
recherche “éthique” : principe du respect de la personne (manifesté par l’exigence du consentement préalable) ; principe de
bienfaisance (existence d’un ratio risque/bénéfice favorable à
l’individu) ; principe de justice (distinction entre risques comparables à ceux de la vie courante et risques sérieux, les sujets
vulnérables ne pouvant être exposés qu’aux premiers, les
deuxièmes ne pouvant être tentés que sous contrôle strict chez
des volontaires adultes très informés).
L’exigence du consentement (6) des sujets de recherche est
depuis 1962 (Kefauwer Harris amendment) un préalable dans
le développement des spécialités pharmaceutiques, “except
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when investigator decided it infeasable or contrary to the best
interests of the patient”. Il s’agit bien là d’un consentement
spécifique à être exposé à une situation expérimentale après
information sur ses modalités, ses risques, son caractère aléatoire, ses avantages et ses inconvénients, distinct du consentement à être soigné.
Pour les autorités nord-américaines, ce consentement n’est pas
un simple prérequis administratif, une formalité parmi d’autres
(7) : “The concept of informed consent is not a narrow or tech nical concept, limited in application to this or that particular
kind of research on human subject. Rather, the concept has a
broad sweep, and like the concepts of “due process of law” and
“equal protection of the laws”. It reflects fundamental social
value judgments about how people should be treated”.
Au fil des textes, les précisions apportées sur les modalités de
recueil de ce consentement vont se développer jusqu’à prendre
un aspect très procédural. Les dispositions du Federal Register
concernant le consentement ouvrent des droits à la personne
découvrant qu’elle a participé à son insu à une recherche. Mais,
dans le cas d’une étude réalisée à l’étranger, la probabilité
qu’elle fasse valoir ces droits devant une juridiction américaine
est nulle.
Le recours à l’approbation préalable du protocole de recherche
par un “review committee” est préconisé dès avril 1975 par le
Federal Register[12, 13]. La notion de “comité indépendant” apparaît dans la déclaration d’Helsinki, lors de l’Assemblée de l’Association médicale mondiale de Tokyo (octobre 1975). Il y a,
à n’en pas douter, des concordances entre l’administration nordaméricaine et la direction de l’Assemblée médicale mondiale.
À partir de 1981, l’examen par un comité indépendant (8)
s’ajoute aux conditions de protection attendues dans les études
réalisées à l’étranger et présentées aux autorités américaines.
L’obligation de justifier la réglementation locale au regard de
[10]
Investigational Exemption for a New Drug.
[11]
National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical
and Behavioral Research 1974-1978. Rapport Belmont.
[12]
Fed. Register 1975 ; 40.69 : 16053-7. "If the investigator's study was conducted on institutionalized subjects, or was conducted on non institutionalized
subjects through an institution which assumed responsability for the study,
either the study has been reviewed for scientific and ethical considerations and
approved by a review committee prior to initiation of the study or the study
has been conducted in conformance with the laws regulations, and scientific
and ethical standards of clinical research of the country in which the research
was conducted. A review committee composed of individuals who are scientists and, where practicable, individuals who are otherwise qualified; in this
regard, the addition of other health professionals or laymen to the committee
is not required but is desirable."
[13]
Le premier comité indépendant appelé à émettre un avis, préalablement à
la mise en place d’une recherche, dont il est fait mention dans la littérature
scientifique, est ce comité constitué par le gouverneur de l’Illinois pour se prononcer sur les essais impliquant des prisonniers, et comportant des remises de
peine. JAMA 1948 ; 136 (7) : 457-8.
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la déclaration d’Helsinki passe désormais de l’investigateur au
promoteur. Les règles éthiques[14] internationalement recommandées à la conscience des chercheurs deviennent également
un minimum réglementairement opposé aux firmes pharmaceutiques étrangères souhaitant commercialiser un médicament
aux États-Unis, si leur réglementation nationale n’est pas aussi
protectrice des sujets de recherche que la déclaration d’Helsinki.
Des règles de fonctionnement pour le promoteur
Dans la réalisation d’expérimentations des médicaments, le
modèle du chercheur autonome n’est plus valide. L’investigateur ne travaille pas seul et son promoteur est, dans la grande
majorité des cas, une firme pharmaceutique. Les règles
éthiques, si elles peuvent s’imposer au chercheur en raison de
son appartenance à la communauté scientifique ou de son haut
degré de conscience morale, n’ont pas pour objet direct l’entreprise commanditaire.
La conscience morale est, en effet, l’apanage de l’être humain
et n’est pas attribuée par les philosophes aux firmes ou aux
États. Certes, les chercheurs collaborateurs d’une entreprise
sont pourvus d’une conscience morale, et peuvent être sensibles
aux interrogations pour lesquelles la déclaration d’Helsinki formule des recommandations.
Mais, d’une part, ce ne sont pas eux qui sont en situation de
pratiquer les actes sur les sujets d’expérimentation et, d’autre
part, les pratiques d’une entreprise ne sont pas la conséquence
du sens moral de ses salariés.
On se s’adresse pas à une entreprise[15] par des recommandations de l’ordre de la moralité mais par des obligations juridiques ou réglementaires. Les entreprises commerciales sont
également tenues à “des guides de bonne conduite”, usages supplétifs aux usages de droit, dont la valeur juridique est incertaine (parfois preater legem[16], voire contra legem) mais dont
la violation peut être considérée comme fautive. Ces “pseudonormes” ne sont applicables qu’entre professionnels du
domaine considéré, seuls susceptibles de les connaître et de les
appliquer dans leur activité.
Il est attendu des entreprises pharmaceutiques qu’elles assurent la qualité et l’authenticité des données scientifiques qu’elles
présentent pour l’enregistrement des médicaments qu’elles
entendent commercialiser : “If a study is not performed in
accordance with the good clinical practice or the data cannot
be verified, then the study will not be accepted as part of a regu latory submission (9)”.
Il est également demandé non seulement que ces entreprises
tiennent compte des principes dont s’inspire le chercheur, pour
le respect des personnes impliquées dans les essais, mais encore
qu’elles mettent en place les dispositions nécessaires à la garantie de ce respect, notamment par la répartition des rôles et tâches
de chacun, et l’exercice de contrôles réguliers “Will the good
clinical practice requirements help us to obtain better treat ments ? They probably will, but on two conditions : the trial
regulations should not interfere induly with the doctor patient
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
relationship, and progress must not be made at the expense of
the integrity and welfare of existing patients (10)”.
Ces deux considérations sont ici complémentaires. Les Bonnes
Pratiques Cliniques ont donc constitué, à partir de 1987, sous
forme de projets dans la Communauté européenne, un ensemble
de recommandations s’adressant aux firmes[17], à charge pour
elles d’en assurer la connaissance et le respect par les investigateurs, sous l’invocation rituelle de la déclaration d’Helsinki,
et la référence aux Directives européennes relatives à l’enregistrement des spécialités pharmaceutiques.
Les Bonnes Pratiques Cliniques comportent deux types de dispositions, les unes définissant les différentes opérations techniques à organiser lors de la mise en place, la conduite et l’analyse d’un essai (Chap. II, III, IV, V), et assurant le partage des
tâches entre l’investigateur et les personnels du promoteur, les
autres précisant les modalités du recueil du consentement des
sujets de recherche (Chap. I 1.8 à 1.15), l’intervention d’un
comité indépendant (Chap. I 1.3 à 1.7), et la nécessité de protection de la vie privée des sujets de recherche (Chap. II 5.9).
Ces dernières considérations concordent avec les recommandations de la déclaration d’Helsinki dans sa version la plus
récente.
Il est aisé de retrouver, sous cette articulation, les chapitres 50,
56 et 312 du tome 21 du Code of Federal Regulation ( c h apitre 50 ou Protection of Human Subjects, Informed Consent,
chapitre 56 ou Institutional Review Boards, et le chapitre 312
ou Investigational New Drug Application), couramment rassemblés, à l’intention de leurs personnels et des investigateurs
par certaines firmes pharmaceutiques, en un petit fascicule sous
le titre général “Good Clinical Practice”, et distribués dans le
monde industrialisé.
Mais à la différence des principes d’éthique présidant ou devant
présider aux activités des chercheurs, ces recommandations
s’adressant au promoteur ne sont pas conçues et autoproclamées par les professionnels de l’industrie pour les professionnels de l’industrie. Elles ont été rédigées par les autorités d’enregistrement, en concertation avec des représentants ou des
experts des firmes pharmaceutiques, en premier lieu selon des
initiatives nationales (11), puis au niveau du Comité des spécialités pharmaceutiques de la Communauté européenne (12)
enfin dans le mouvement de la Conférence internationale d’har[14]
Selon The Oxford Dictionary of Current English, Clarendon Press (1964) :
Ethic : relating to moral ; Moral : concerned with the distinction between right
and wrong.
[15]
Dont l’appellation juridique est paradoxalement “personne morale”, ainsi
nommée comme entité distincte des personnes physiques qui la composent.
[16]
Expression signifiant “au-delà de la loi”, utilisée pour caractériser un usage
qui s’établit, à défaut de texte pour combler une lacune de la loi écrite.
[17]
Avant-propos, note explicative du groupe de travail du Comité européen
des spécialités pharmaceutiques sur l'efficacité des médicaments, juillet 1990 :
“Ces principes concernent essentiellement l’industrie pharmaceutique, mais
aussi toutes les parties qui contribuent à produire des données cliniques en
vue de l’enregistrement des médicaments. De plus elles peuvent être appliquées plus largement par toute personne entreprenant des études expérimentales chez l’homme”.
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monisation[18] regroupant des représentants des autorités de santé
nord-américaines, japonaises et européennes et les représentants de l’industrie pharmaceutique de ces trois entités politiques. Le but de cette conférence est d’émettre des recommandations permettant une harmonisation des pratiques
professionnelles et des exigences administratives en matière
d’enregistrement des médicaments ; ce pour “a more econo mical use of human, animal (13) and material resources and
the elimination of unnecessary delay in the global development
and availability of new medicines whilst maintaining safe guards on quality, safety and efficacy and regulatory obliga tions to protect public health (14).”
Le texte des Bonnes Pratiques Cliniques issu du processus ICH
(15) manifeste dès son introduction un caractère hétéroclite. Il
se présente comme un document établissant “an international
ethical and scientific quality standard for designing, conduc ting, recording and reporting trials that involve the participa tion of human subjects. This standard has its origin in the Declaration of Helsinki : compliance with this standard provides
public assurance that the rights well being and confidentiality
of trial subjects are protected and that the clinical trial data
are credible”.
L’objectif est de faire en sorte que l’adoption de standards communs facilite l’acceptation mutuelle de ces données cliniques
par les différentes autorités dans leur sphère de compétence,
ces recommandations devant être observées dans la réalisation
des essais cliniques soumis à l’examen de chacune de ces autorités (pour l’enregistrement d’un médicament). Les principes
établis dans ces recommandations peuvent être également
observés dans toutes les autres recherches biomédicales susceptibles d’avoir un impact sur la sécurité et le bien-être des
personnes soumises à des essais.
Caractère hétéroclite, parce qu’en effet, ce texte de nature
conventionnelle, à propos d’usages professionnels :
émet des règles dites “éthiques” en direction des industriels
et par leur truchement vers les investigateurs (voire même de
façon accessoire à quiconque fera des recherches sur l’homme)
pour organiser les conditions de leurs interventions sur les sujets
de recherche ;
définit des modalités de réalisation et de contrôle d’une activité technico-scientifique : la constitution d’un dossier d’enregistrement de médicament ;
prend des positions de principe sur des domaines relevant
soit du pouvoir législatif, soit de l’exécutif en matière de protection des personnes et d’organisation sociale, notamment en
ce qui concerne vie privée et confidentialité ;
proclame la protection des “rights, safety, and wellbeing of
all trial subjects” qui constitue “the most important conside rations and should prevail over interests of science and society”
tout en étant, par essence inopérant pour assurer effectivement
ce qu’il se propose de faire (qui devrait conduire à ouvrir des
droits aux personnes exposées aux recherches, ou constituer
une possibilité de sanction pour les chercheurs) ; les BPC n’organisent pas des rapports entre les chercheurs et les sujets de
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recherche considérés comme personnes, mais des modalités
d’intervention où le sujet de recherche est objet de règles et non
titulaire de droits ;
se présente comme un accord international semblant lier les
autorités de santé des états concernés et rendre opposable le
contenu du texte aux firmes pharmaceutiques, et ce, en dehors
de tout caractère législatif ou réglementaire.
En outre, puisqu’il s’agit d’une harmonisation et que le droit
interne ou les dispositions réglementaires des États concernés
peuvent déjà comporter des dispositions ayant force juridique
sur les domaines en cause, les Bonnes Pratiques Cliniques ICH
comportent des propositions alternatives, l’usage de l’impératif conditionnel, la marque du compromis et le renvoi “in accor dance with the applicable regulatory requirement”[19]. Il est à
noter, à cet égard, que l’Agence européenne pour l’évaluation
des médicaments a publié une note destinée à identifier les différences existant entre le texte retenu par son groupe d’experts
et celui publié au Federal Register (9 mai 1997) : “This ver sion is not identical with the ICH Step 4 document (16). Most
changes are without any impact for the users and do not change
any of the concepts as discussed and agreed upon within the
ICH process. Listed hereunder is changed wording that may
have impact and lead to questions from the part of industry”.
Mais l’origine et la construction de ces GCP-ICH concrétise
une rupture. Car, en près de cinquante ans (1947-1997), l’apparente immuabilité de la situation de l’essai clinique masque
en fait de profonds changements.
Alors que la tradition médicale et les constructions déontologiques et juridiques réglant l’exercice de la profession n’acceptent la situation expérimentale qu’à la condition de présenter un intérêt pour la santé de la personne qui y est exposée,
paraissent puis s’installent des “non clinical biomedical
research”.
[18]
International Conference on Harmonisation of Technical Requirements for
Registration of Pharmaceuticals for Human Use (ICH).
[19]
Ceci est particulièrement net lorsqu'il s'agit des "Independent Ethics
Committee" Glossary 1.27 et les "Institutional Review Board (IRB)" Glossary
1.31 et la fonction de ces institutions ch. 3.
1.27. Independent Ethics Committee (IEC). An independent body (a review
board or a committee, institutional, regional, national, or supranational),
constituted of medical professionals and non-medical members, whose responsibility it is to ensure the protection of the rights, safety and well-being of
human subjects involved in a trial and to provide public assurance of that protection, by, among other things, reviewing and approving / providing favourable opinion on the trial protocol, the suitability of the investigator(s), facilities, and the methods and material to be used in obtaining and documenting
informed consent of the trial subjects. The legal status, composition, function,
operations and regulatory requirements pertaining to Independent Ethics
Committees may differ among countries, but should allow the Independent
Ethics Committee to act in agreement with GCP as described in this guideline
1.31. Institutional Review Board (IRB).
1.32. An independent body constituted of medical, scientific and non-scientific
members, whose responsibility is to ensure the protection of the rights, safety
and well-being of human subjects involved in a trial by, among other things,
reviewing, approving, and providing continuing review of trial protocol and
amendments and of the methods and material to be used in obtaining and documenting informed consent of the trial subjects.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
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Alors que le consentement implicite à être soigné emportait
l’hypothèse de l’être par un moyen encore expérimental, il est
nécessaire de rechercher le consentement explicite (voire même
écrit) de la personne à participer à une recherche.
Alors qu’était confié à la conscience et à l’habileté du seul
médecin le soin de veiller aux intérêts de son patient en situation de recherche, ainsi qu’il le fait en situation d’exercice médical, apparaissent progressivement un comité indépendant, puis
le contrôle d’une firme pharmaceutique. Ce comité indépendant, dont la fonction dans l’esprit des rédacteurs de la déclaration d’Helsinki (version 1975) était essentiellement “de
garantir, pour toute étude chez l’homme, l’adhésion d’un
groupe, ce qui est une protection assez efficace contre les pro jets inavouables (17)”, a vu se modifier sensiblement son rôle
jusqu’à détenir dans certains pays un pouvoir de contrôle de
l’activité des investigateurs, complétant celui du promoteur.
Le promoteur a maintenant la responsabilité essentielle dans la
conduite de l’essai. Que ce soit pour assurer le respect de la
dignité des sujets d’expérimentation ou pour garantir l’authenticité des résultats obtenus, c’est à lui que le discours
s’adresse. La sanction la plus importante pèse sur lui, sous
forme de rejet d’un dossier suspect du point de vue des résultats plus souvent que sur le motif d’atteintes au respect des personnes.
Les devoirs dits éthiques se transformant en obligations de
nature réglementaire, et les textes les énonçant n’étant plus ni
éthiques, ni déontologiques, la mention de la déclaration d’Helsinki est devenue manifestement incantatoire. Ce, afin de mettre
en face de la morale hippocratique, d’essence individualiste,
une autre morale à finalité collective, tout aussi sacrée mais
prédominante lorsqu’il s’agit de recherches.
Quoi qu’il en soit, la conscience morale du chercheur n’est plus
le facteur essentiel de la protection des personnes impliquées
dans les recherches cliniques. Il lui est substitué un guide de
bonne conduite auquel est soumise la firme pharmaceutique,
devenant ainsi garante de la crédibilité des données issues de
la recherche (pour la protection des futurs usagers du médicament) et de l’usage le plus convenable possible des ressources
humaines mobilisées pour les essais (passant notamment mais
pas uniquement par la protection des sujets exposés aux
recherches).
Toutes ces recommandations restent toutefois indiscutablement
imprégnées du postulat énoncé par Kant : “Agis de telle sorte
que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans
la personne de tout autre toujours en même temps comme une
fin et jamais simplement comme un moyen (18).” La philosophie d’Emmanuel Kant perdure de nos jours, essentiellement
au registre de la “bioéthique”.
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un objet de sollicitude, mais n’est pas partie au débat. Elle ne
peut nullement se prévaloir des dispositions ci-dessus résumées
pour, par exemple, faire annuler un dossier d’enregistrement
comportant des données la concernant recueillies à son insu,
ou demander réparation au promoteur ou à l’investigateur.
Plus et mieux que la déclaration d’Helsinki ou les Bonnes Pratiques Cliniques, l’adhésion des États de la Communauté européenne au pacte international des Droits civils et politiques,
dont l’article 7[20] prohibe les recherches médicales pratiquées
en dehors du consentement des sujets, conduira ces États à formuler dans leur droit interne les dispositions juridiques nécessaires à la défense des personnes participant aux essais[21].
DIFFÉRENTES LÉGISLATIONS EUROPÉENNES
C’est un lieu commun de rappeler que d’un État à l’autre de la
Communauté européenne existent des différences du point de
vue du fonctionnement politique, des structures administratives, de l’organisation judiciaire, des sphères de compétence,
voire même des techniques de rédaction des textes juridiques
ou réglementaires, de même que d’une société à l’autre composant l’Union Européenne existent des différences de cultures
et de pratiques.
Initialement, des pratiques coutumières
Dans les pays constituant la Communauté européenne des
années 1970-1980, la recherche biomédicale s’effectue dans
des conditions susceptibles d’être résumées ainsi :
Le médecin-chercheur connaît généralement l’existence de la
déclaration d’Helsinki, mais peu son contenu dans le détail. Du
point de vue de l’obligation du consentement préalable, il se
contente du consentement implicite “aux soins” sans rechercher le consentement explicite “à la situation expérimentale”,
l’un emportant l’autre. L’information donnée à la personne est
“allusive”, le consentement totalement informé étant ressenti
comme une pratique certes en usage aux États-Unis, tant pour
les soins courants que pour les actes de recherche biomédicale,
mais totalement inadaptée aux malades européens (19), de
même que la manifestation par écrit d’un consentement (la
déclaration d’Helsinki la recommande sans en faire obligation).
L’invocation de la déclaration d’Helsinki recouvre de fait des
pratiques contraires à ses recommandations. Les firmes phar-
[20]
Décret 81.76 du 29 janvier 1981 portant publication (au Journal officiel de la
République française) du pacte international relatif aux droits civils et politiques
ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966 : Art. 7 : “Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains, ou dégradants.
En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.”
[21]
Des droits pour la personne participant aux essais
Les recommandations éthiques ou les règles de fonctionnement
n’ouvrent jamais à la personne incluse dans les essais de droits
particuliers. Elle est traitée comme un objet, et même comme
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
Rappelons qu’“une norme créée dans l'ordre juridique international est d'applicabilité directe lorsqu'elle fait directement naître dans l'ordre interne des droits
au bénéfice des personnes privées, physiques ou morales”. P. M. Dupuy, Droit
International Public (406), Précis Dalloz 1992.
Dans la totalité des pays européens s'applique ce principe ainsi énoncé par la
Constitution française du 4 octobre 1958 : “Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont dès leur publication une autorité supérieure à la loi.”
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maceutiques n’ont pas à intervenir dans la relation médecininvestigateur/malade-sujet d’expérimentation, sinon avec tact
si l’essai est destiné à un dossier américain, pour que soit formalisée une manifestation du consentement selon les dispositions du Federal Register. Le patient est estimé peu apte à se
déterminer, de par sa maladie et sa méconnaissance des choses
de la médecine : “C’est à l’homme de science de juger objec tivement la possibilité d’un essai thérapeutique, de mesurer la
marge tolérable ou non du risque thérapeutique, et de confron ter ensuite le malade avec les données exactes du problème...
La valeur du consentement est toujours relative. La déclara tion d’Helsinki prévoit d’ailleurs que le malade doit être
informé dans la mesure du possible et compte tenu de sa psy chologie (20)”.
Des comités d’éthique se sont créés, soit à l’instigation d’institutions, soit du fait d’initiatives individuelles, le plus souvent
conçus sous forme de “comités des pairs” où les médecins figurent en écrasante majorité. Les essais sans bénéfice thérapeutique sont pratiqués de façon plus ou moins officielle mais déontologiquement et juridiquement sanctionnable. La protection
des personnes dans les essais pourrait être assurée par le recours
aux dispositions du droit commun de la responsabilité, sur le
motif de la “faute contre l’humanisme médical”, le plus souvent allégable lorsque l’information fait défaut ou que le
consentement est entaché d’erreur. Le défaut d’information
constituerait cependant l’obstacle essentiel à un tel recours et
l’ambivalence de l’amalgame soins-recherche mettrait les juges
dans l’embarras.
À partir de ce constat, le législatif ou l’exécutif des différents
États va construire leur système propre.
Trois exemples (Allemagne, Espagne, France) permettent
de mettre en évidence trois façons de résoudre la question
de la protection des personnes en matière de recherches
biomédicales.
La loi allemande : une loi sur le médicament
Le texte initial de la loi fédérale du 24 août 1976 relatif à la
mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques, modifié
en 1986, comporte un chapitre énonçant les mesures de “protection des personnes durant un essai clinique”. Les dispositions initiales concernent les conditions de légitimité d’un essai,
les droits de la personne dont les points essentiels sont le
consentement écrit, apprécié sous l’angle de la capacité juridique, et un alinéa consacré à la réparation d’éventuels dommages au moyen d’une assurance particulière.
Un amendement apporté en 1994 (21) dans le but d’adapter la
réglementation allemande des essais cliniques aux Bonnes Pratiques Cliniques de l’Union européenne conduit à des modifications significatives : intervention d’un comité d’éthique dont
l’accord préalable est nécessaire à la mise en place d’un essai,
procédure de recours en cas de refus de ce comité, modalités
d’indemnisation des victimes d’une recherche, définition des
responsabilités et répartition des tâches vis-à-vis des conditions
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préalables à l’essai et de sa réalisation entre les différents acteurs
de la recherche, déclaration relative aux événements graves
observés en cours d’essai, notamment au comité d’éthique.
Le texte de loi est bref, concis et renvoie aux différents Lander
le pouvoir d’organiser, de constituer et de contrôler les comités d’éthique qui doivent toutefois être déclarés aux autorités
fédérales de santé.
La réglementation espagnole : un règlement sur le médicament
Un décret détermine les conditions minimales impératives à
respecter dans les essais cliniques réalisés en Espagne.
Il le fait en référence à la loi de 1986 relative à l’autorisation
de mise sur le marché des médicaments, à la directive 91.507
CEE prévoyant les normes de Bonnes Pratiques Cliniques et
sous l’invocation de la déclaration d’Helsinki : “Les essais cli niques seront effectués dans des conditions de respect des droits
essentiels de la personne humaine et des postulats éthiques qui
ont trait à la recherche biomédicale sur des êtres humains”.
Ces principes éthiques sont ainsi énoncés :
Les données précliniques relatives au produit à l’étude sont
raisonnablement suffisantes pour garantir que les risques pour
le sujet sur lequel se réalise l’essai sont admissibles.
L’étude se fonde sur les connaissances actuelles disponibles,
l’information recherchée implique hypothétiquement un progrès des connaissances scientifiques sur l’être humain ou une
amélioration de son état de santé, et le protocole de l’essai minimise les risques pour les sujets participant à l’essai.
L’importance de l’information recherchée justifie le risque
auquel s’exposent les sujets participant à l’essai.
Le décret décrit de façon très détaillée les éléments de pharmacologie, de méthodologie, et le vocabulaire technique nécessaires à la compréhension de la problématique du développement d’un médicament, caractérise les différentes catégories
de personnes susceptibles de participer à des essais avec ou
sans but thérapeutique, et les précautions particulières que
nécessitent l’une ou l’autre de ces catégories, énumère (en introduisant dans cette partie des passages entiers du texte des
Bonnes Pratiques Cliniques européennes) les fonctions et responsabilités du promoteur, du moniteur, de l’investigateur, les
modalités opératoires relatives aux lots de médicaments, à la
documentation de l’essai, à l’expression de ses résultats, à l’organisation des relations contractuelles entre participants.
Tout ceci constituant les “ normes de bonnes pratiques cliniques,
selon lesquelles les essais cliniques sont conçus, réalisés, et
exprimés en termes de résultats, de façon à s’assurer que les
données sont fiables, que les droits et l’intégrité des sujets sont
protégés en préservant la confidentialité sur les données
recueillies (22).
La protection des personnes est organisée selon les dispositions
ci-après :
Régime de l’autorisation préalable sur présentation par le promoteur du dossier de l’essai à l’autorité compétente.
Obligation d’un consentement de préférence écrit lors de la
participation à un essai comportant une hypothèse de bénéfice
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
thérapeutique, nécessairement par écrit dans le cas contraire.
Des dispositions particulières sont définies pour les personnes
juridiquement incapables et les mineurs, information étant faite
au ministère public.
Interdiction d’accès aux données susceptibles de dévoiler
l’intimité personnelle ou familiale aux personnes non autorisées (cette disposition ne s’accompagnant toutefois pas d’une
définition des conditions d’autorisation et des sanctions éventuelles).
Obligation d’une assurance spéciale et d’une possibilité de
coresponsabilité promoteur-investigateur-hôpital ou institution.
Organisation d’un mode spécial de la responsabilité civile,
selon le régime de la faute présumée)[22] si le préjudice survient
dans l’année suivant la fin de l’essai, selon le régime de la responsabilité fautive classique[23] ensuite (des règles d’exonération prenant en compte un éventuel état antérieur et le retentissement de la pathologie traitée dans l’essai).
Déclaration immédiate par le promoteur au comité d’éthique
et à la Direction de la pharmacie des événements “graves et
imprévus susceptibles d’être dus à l’essai”.
Information par le promoteur à la Direction de la pharmacie
et pour certains postes (notamment les honoraires versés aux
investigateurs et la rémunération des sujets) au comité d’éthique
sur le financement de l’essai.
Existence de comités d’éthique, accrédités par l’administration centrale et organisés au niveau provincial. Leur mission
est (23) : “L’évaluation des aspects méthodologiques éthiques
et juridiques du protocole ainsi que l’estimation du ratio
risques/avantages de l’essai”. Ils assurent le “suivi de l’essai
clinique, du moment de sa mise en place au dépôt de son rap port”, et contrôlent la conformité du protocole sur lequel ils
ont émis un avis à celui adressé à l’administration pour obtention de l’autorisation de recherche.
Le système juridique français : une loi pour la protection des
personnes, un règlement sur le médicament
La Constitution de 1958 dispose (art. 34) que “la loi fixe les
règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés
publiques... la détermination des crimes et délits et des peines
qui leur sont applicables...”, les matières autres que celles qui
sont du domaine de la loi ayant un caractère réglementaire (art. 37).
Il résulte de ces deux articles que les différents chapitres des
Bonnes Pratiques Cliniques rappelées plus haut :“Des règles
de fonctionnement pour le promoteur”, vont être abordés par
le droit français dans deux domaines de compétence distincts,
soit sous forme de lois, soit sous forme de réglementation
(décrets ou arrêtés).
La législation énonce d’une part les dispositions relatives à la
protection des personnes participant à des recherches biomédicales (concept entendu très largement et non limité aux seuls
essais pour enregistrement de médicament), et, d’autre part, les
mesures à prendre en considération lors d’expérimentations
portant sur des médicaments. Elle énonce du même coup dans
quelles circonstances le promoteur et l’investigateur ne sont
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
pas punissables, et les conditions à respecter lors d’atteinte au
corps d’autrui en dehors de l’acte de soins.
La législation individualise l’activité de “recherche biomédicale”, et la différencie de l’acte de soins. Alors qu’antérieurement un médecin ne pouvait attenter à l’intégrité corporelle
d’un individu qu’à la seule condition de poursuivre en même
temps une finalité thérapeutique, il devient licite de le faire sans
avoir cette intention[24]. Cela permet, en particulier, la réalisation des essais de toxicité humaine et de pharmacocinétique
prévus par la directive CEE 75/318 (20 mai 1975) sur le rapprochement des normes et protocoles en matière d’essais de
médicaments, antérieurement punissables par la loi pénale française mais prévus par l’arrêté du 16 décembre 1975 relatif à
l’autorisation de mise sur le marché des médicaments.
Mais la protection des personnes et l’enregistrement des médicaments sont organisés de façon indépendante.
La plupart des dispositions protectrices (24) figurent dans la
première partie du Code de la Santé publique (Livre II bis)[25].
La loi relative à la protection des personnes dans les recherches
biomédicales organise cette protection mais n’organise pas les
conditions et modalités des recherches.
Les définitions des différents types de recherche (avec ou sans
bénéfice individuel direct), du promoteur (personne physique
ou morale prenant l’initiative de la recherche) et de l’investigateur (médecin justifiant d’une expérience appropriée) précèdent l’énoncé des conditions rendant une recherche licite :
– Prérequis scientifiques et appréciation du ratio intérêt collectif / coût individuel.
– Conditions de sécurité et de rigueur scientifique.
– Appréciation du ratio bénéfice individuel / risque individuel
au regard de différentes situations de vulnérabilité particulière.
– Modalités d’indemnisation par le promoteur des conséquences dommageables de la recherche, selon le régime de la
responsabilité sans faute pour les essais sans bénéfice individuel, selon le régime de la présomption de faute pour les
recherches comportant ce bénéfice. Une assurance spéciale doit
être contractée par le promoteur.
– Description des caractéristiques et des modalités de l’information et du consentement de la personne, obligation préalable
[22]
Faute présumée : la faute est réputée accomplie sauf si le promoteur démontre
ne pas avoir commis de faute.
[23]
Faute classique : la faute doit être prouvée par la victime.
[24]
Tandis que les règles éthiques définissent comment le chercheur vertueux
doit s’y prendre pour protéger les sujets sur lesquels s’ e ffectuent ses recherches,
la loi définit les conditions devant être respectées pour que l’acte de recherche
soit licite.
[25]
Livre I : Protection générale de la santé publique. Livre II : Action sanitaire et
médico-sociale en faveur de la famille, de l’enfance et de la jeunesse. Livre II
bis : Protection des personnes dans la recherche biomédicale. Livre III : Lutte
contre les fléaux sociaux. Livre IV : Professions médicales et auxiliaires médicaux. Livre V : Pharmacie. Livre VI : Don et utilisation des éléments et produits
du corps humain.
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faite aux organisateurs plus qu’échange de volonté de type
contractuel du participant.
– O rganisation d’une autorité administrative indépendante à
compétence régionale (le Comité Consultatif de Protection des
Personnes dans les Recherches Biomédicales ou CCPPRB) qui,
saisi par l’investigateur, a mission de donner un avis préalable
sur la concordance entre le projet de recherche et la loi. Le
CCPPRB peut, à sa demande, recevoir au cours de la recherche,
par le truchement de l’investigateur, des informations complémentaires. L’avis défavorable d’un CCPPRB est transmis à l’autorité administrative compétente. Dans un tel cas, le promoteur
doit surseoir à la mise en place de l’essai pendant un délai de
deux mois. Il peut ensuite passer à l’acte si l’autorité n’a pas
interdit la recherche.
– Dispositions particulières aux recherches “sans finalité thérapeutique directe” comportant l’existence d’une autorisation
administrative de fonctionnement, et l’existence d’un fichier
national destiné à limiter dans le temps les participations à des
recherches.
– Énumération des sanctions pénales relatives à cette législation particulière.
– Détermination de la juridiction compétente en matière de
dommages résultant d’une recherche.
Le promoteur prend l’initiative de la recherche, en déclare le
projet à l’autorité administrative, de même qu’il lui déclare
“tout événement grave susceptible d’être dû à une recherche
biomédicale”. L’investigateur mandaté par le promoteur “dirige
et surveille” la recherche.
D’autres dispositions législatives organisent la protection des
personnes relative au traitement automatisé de données nominatives, et notamment des données de santé. (Loi n° 78-17 du
6 janvier 1978, loi n° 94-548 du 1er juillet 1994).
Le Code pénal de 1994 décrit également des infractions susceptibles d’être commises par les acteurs d’une recherche biomédicale, notamment la réalisation d’une recherche en
l’absence de consentement (art. 223-8), le non-respect du secret
professionnel (art. 226-13), les atteintes aux droits de la
personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques
(art. 226-16).
Le Code civil rappelle à cet égard (art. 9) que “chacun a droit
au respect de sa vie privée”, principe susceptible d’être malmené ou bafoué lors des situations de recherche et ouvrant droit
à réparation.
Des décrets déterminent les conditions de création d’organisation et de fonctionnement des comités indépendants (CCPPRB),
d’autorisation des lieux de recherche sans bénéfice individuel,
le contenu des informations dues par l’investigateur au
CCPPRB, par le promoteur au ministre de la Santé en préalable
à la réalisation de la recherche, le ministre ayant pouvoir de
l’interdire ou de la suspendre, dès lors qu’elle représente un
danger pour la santé publique ou la sécurité des personnes.
Parallèlement à ces mesures relatives aux recherches, d’autres
concernent plus spécifiquement l’expérimentation des médicaments, au regard de la loi relative à l’autorisation de mise sur
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le marché des spécialités pharmaceutiques (art. L 601 - CSP ;
art. R. 5105 et suivants - CSP).
En particulier, l’article R. 5118 dispose que “un arrêté du
ministre de la Santé fixe, sur proposition du directeur général
de l’Agence du Médicament, les normes et méthodes applicables à l’expérimentation de médicaments”. Les essais doivent être réalisés en conformité avec les Bonnes Pratiques de
Laboratoire et les Bonnes Pratiques Cliniques, dont les principes sont fixés par arrêtés du ministère de la Santé sur proposition du directeur général de l’Agence du Médicament[26].
Divers chemins pour un même but
Les rappels des législations en vigueur dans trois États de
l’Union européenne en matière de recherches biomédicales
confirment que l’organisation politique et administrative d’un
pays n’est pas sans retentissement sur sa façon d’organiser les
Bonnes Pratiques Cliniques.
Protège-t-on mieux en France qu’en Espagne ou qu’en Allemagne, au Royaume-Uni qu’en Italie ? En tout état de cause,
on protège différemment.
Il apparaît que l’usage de mots semblables (à la traduction près)
conduit à des dispositifs très différents, différences n’étant pas
que détails, en termes de responsabilité, de contrôles, d’avis et
de déclaration, de sanctions, d’assurances, de garanties relatives au respect de la vie privée. Il apparaît également que les
techniques juridiques utilisées différant d’un État à l’autre, l’intégration du texte des Bonnes Pratiques Cliniques dans la législation interne va être fonction de ces différences plus que de
similitudes.
Il apparaît enfin que l’énoncé des “Bonnes Pratiques Cliniques”
aborde pêle-mêle des objectifs nécessitant des traitements séparés. Ce mélange des genres est très nettement visible lorsque
l’on compare, à titre d’exemple, les Bonnes Pratiques Cliniques
européennes et le dispositif législatif français.
Celui-ci situe au premier plan la protection des personnes impliquées dans toute activité de recherche, qu’il s’agisse ou non
d’un essai réalisé dans la perspective d’enregistrement d’une
spécialité pharmaceutique. Le législateur met en place les éléments jugés essentiels dans les pays développés, le volontariat
manifesté des participants, un mode spécifique d’indemnisation des dommages éventuels (où le promoteur, nettement au
premier plan, prend en charge les conséquences de l’action de
l’investigateur), des protections particulières pour les sujets
jugés plus vulnérables, un comité indépendant chargé de se prononcer sur la prise en considération de la loi par les promoteurs
et investigateurs, ceux-ci répondant de leurs initiatives en
matière de recherche, que ce soit par l’exercice des droits qu’ouvriraient leur(s) comportement(s) fautif(s) aux volontaires participants, ou par les sanctions punissant les auteurs d’infractions, qu’elles soient énoncées par la loi relative aux recherches
biomédicales ou ressortissent de dispositions générales.
[26]
À signaler qu’en mars 1998 cet arrêté n’est toujours pas publié.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
Nous ne sommes plus dans le modèle unilatéral des règles
éthiques énoncées par la déclaration d’Helsinki, mais dans le
système général et impersonnel de la loi. Nous ne sommes pas
dans une proclamation de principe “comme quoi les acteurs de
la recherche s’engagent à respecter la personne humaine dans
leur activité scientifique”, mais dans la mise en place d’un
système organisant la réparation des éventuels dommages, la
sanction des fautes, les compétences juridictionnelles.
Le législateur tient compte du fait que la recherche, si elle présente un intérêt scientifique (condition préalable la rendant
licite), s’exerce au détriment d’individus. Il y a donc une contradiction entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, entre les
intérêts des organisateurs de la recherche et l’intérêt des personnes exposées à la situation de recherche biomédicale, qu’il
considère chacune individuellement (protection de la p e rsonne).
La loi réalise une transaction faite au nom du progrès, constitue un équilibre estimé acceptable au regard des Droits de
l’Homme, et définit les moyens de résoudre les conflits susceptibles de surgir entre intérêts contradictoires, ce qui est sa
fonction sociale.
Au second plan figurent différentes prescriptions réglementaires de différents niveaux, du décret à l’arrêté, pour régler les
modalités d’exécution et les procédures. À la différence de ce
qui précède, ces textes ont pour but d’organiser les recherches,
selon le pouvoir des règlements. Il s’agit d’une démarche de
type “assurance de qualité” visant à réduire les défauts de fonctionnement d’un système de production.
Les Bonnes Pratiques Cliniques constituent alors la définition
des modalités d’exécution de recherche sur l’homme, dont on
devrait par conséquent exclure tout ce qui est d’une autre nature
et d’un niveau juridique supérieur. Une faute contre la technique n’est pas comparable à une atteinte aux droits de la personne ; l’une est un acte malencontreux susceptible d’altérer la
qualité des résultats de l’essai, l’autre est une infraction pas-
sible de sanctions pénales ou conduisant à la réparation d’un
préjudice.
Il est à remarquer que, pas un seul instant, le dispositif français
ne fait référence à l’éthique[27], poussant le soin jusqu’à éviter
d’utiliser ce terme pour dénommer le comité indépendant
chargé d’émettre un avis sur le projet de recherche. Il n’y a là
ni hasard, ni erreur, ni omission, mais la prise en considération
des différences existant entre ces deux activités normatives que
sont l’éthique et le droit.
Ce comité indépendant participe (25), à titre préventif, à une
véritable police spéciale dont l’exercice ne lui est toutefois pas
délégué (à l’inverse du modèle américain ou espagnol), ce pouvoir restant dévolu à l’autorité administrative responsable sous
contrôle de la légalité de son intervention.
Ce comité indépendant n’est pas un “comité d’éthique” ni un
comité scientifique, mais une instance chargée de s’assurer du
respect de la loi dans les projets de recherche. Son pouvoir d’avis
(résultant de la dénomination même de “comité consultatif” et
de l’emploi par les textes du terme “avis”) s’adresse au promoteur, mais également à l’autorité administrative qu’il éclaire pour
l’exercice de compétences de police administrative vis-à-vis des
recherches biomédicales. Il ne s’agit pas de l’autorisation préalable susceptible de recours du modèle allemand.
On sait qu’une activité de police administrative, qui permet en
général de limiter les initiatives et libertés individuelles ou collectives au nom d’un ordre public à préserver (ici la sécurité
des personnes et la santé publique), comporte nécessairement
des garanties pour les particuliers qui en font l’objet. Les recours
s’exercent contre les décisions de l’autorité administrative et
non contre l’avis qui ne constitue qu’une mesure préparatoire,
et ne produit pas d’effet juridique direct propre.
Le comité n’a ni pouvoir de contrôle des conditions de réalisation de l’essai, ni mission d’en suivre l’évolution (ce qui
conduirait à lui déléguer des prérogatives appartenant à l’administration).
Les autorités françaises précisent in : "Bonnes Pratiques Cliniques", avis aux
promoteurs et aux investigateurs pour les essais cliniques de médicaments, BO
87.32 1987, que “Le terme comité d'éthique a été retenu (dans le texte référencé
ici) en raison de son emploi dans le langage courant et dans la littérature ; il ne
saurait préjuger de leur nature administrative, ni de l'étendue de leurs compétences".
Les modèles américain ou espagnol sont constitués différemment, dotent le comité d’un pouvoir d’autorisation et d’inspection et organisent par conséquent des voies de recours contre
les décisions du comité. Mais nous sommes ici dans le domaine
du droit administratif et non plus dans la dimension de l’éthique,
dans le domaine de l’autorisation (approval) et non dans celui
de
Lal’avis
suite (opinion).
de cet article paraîtra dans le prochain numéro
A. Laquelle de ces propositions est la plus fausse :
B. Laquelle de ces propositions est la plus exacte :
[27]
1. la déclaration d’Helsinki est une réglementation américaine
2. la déclaration d’Helsinki est une réglementation internationale
3. la déclaration d’Helsinki est un texte sans opposabilité juridique
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 3 - mars 1998
1. les Bonnes Pratiques Cliniques constituent un cadre conventionnel
entre promoteurs et investigateurs
2. les Bonnes Pratiques Cliniques constituent un cadre réglementaire
international
3. les Bonnes Pratiques Cliniques constituent un cadre éthique pour les
essais cliniques
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