cas clinique c as clinique Myasthénie et atrophie de la langue ● ● M. Hervieu*, A. Fromont*, P. Labauge**, T. Moreau* L’ atrophie musculaire localisée dans la myasthénie est un fait rare (1). Elle concerne essentiellement la langue. Elle se rencontre surtout dans les myasthénies séronégatives avec anticorps anti-MuSK (MuSK-MG) mais affecte également les myasthénies séropositives (AChR-MG). Le but de cet article est de présenter deux cas cliniques de patients atteints d’une myasthénie et présentant une atrophie linguale, l’un concernant une MuSK-MG, l’autre une AChR-MG, et d’en discuter les différences. Une IRM encéphalique, centrée sur la filière pharyngo-laryngée, montre une diminution globale de la taille du muscle lingual dans sa portion mobile (figure 1). oBsERVAtIon n° 1 Un patient d’origine turque de 29 ans, sans antécédents, consulte en août 1998 pour un ptosis de l’œil gauche, des troubles phonatoires et des difficultés de mastication. La réponse à la prostigmine est positive. L’électromyogramme (EMG) retrouve un décrément significatif sur le trapèze après stimulations répétitives du nerf spinal. Biologiquement, les anticorps anti-RACh sont positifs à 2 nmol/l (norme : 0,5 nmol/l). Le scanner thoracique met en évidence une tumeur thymique qui s’avère être un thymome malin. Un traitement par anticholinestérasiques est instauré, qui permet une amélioration des symptômes pendant quelques mois. Parallèlement, le patient bénéficie d’un traitement du thymome malin comprenant une chirurgie d’exérèse associée à une radiothérapie. Les crises myasthéniques sont fréquentes (environ une par an). Elles s’expriment par une dysphonie, une dysarthrie et des troubles de la déglutition, parfois compliqué de détresse respiratoire aiguë nécessitant une intubation oro-trachéale. Elles sont traitées par cure d’immunoglobulines i.v. ou plasmaphérèse. Le traitement de fond associe une corticothérapie par cure, un immunosuppresseur (mycophénolate mofétil) et des anticholinestérasiques. En novembre 2004, lors d’une décompensation myasthénique, le patient se plaint d’une difficulté à la mobilisation de la langue. L’examen clinique retrouve une langue atrophique et parétique. Il existe parallèlement une faiblesse permanente des muscles cervicaux prédominants sur les extenseurs et une faiblesse dans le territoire facial inférieur, mais sans amyotrophie évidente à l’inspection. * Service de neurologie, hôpital général, CHU de Dijon. ** Service de neurologie, hôpital Caremeau, CHU de Nîmes. 26 Langue du patient IRM du patient IRM d’un sujet sain Figure 1. oBsERVAtIon n° 2 Un patient âgé de 29 ans au début des troubles, d’origine maghrébine, sans antécédents, consulte au printemps 2005 pour un ptosis bilatéral. Le tableau se complète sur une période d’un an par une ophtalmoplégie bilatérale et une dysphagie fluctuante aggravées par l’effort. La première EMG, réalisée en janvier 2006, ne constate pas de décrément significatif, mais une EMG de fibre unique retrouve un jitter positif. Le traitement d’épreuve par anticholinestérasiques est inefficace. Biologiquement, les antiLa Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 corps anti-RACh sont absents, le résultat de la recherche d’une cytopathie mitochondriale par analyse de l’ADN mitochondrial est négatif. En revanche, le dosage des anticorps anti-MuSK est positif. Le scanner thoracique retrouve un thymus volumineux correspondant à une hyperplasie thymique. L’évolution est marquée par une efficacité incomplète des anticholinestérasiques associés à des cures mensuelles d’immunoglobulines i.v. et un immunosuppresseur (mycophénolate mofétil). En effet, une dysphonie, une dysarthrie et une ophtalmoplégie deviennent permanentes. En mars 2007, un traitement par corticoïdes est initié. Chez ce patient, l’atteinte linguale est retrouvée très précocement, dès avril 2006, soit un an après le début des troubles et avant toute introduction d’un traitement par corticoïdes. Il s’agit d’une amyotrophie prononcée de toute la portion mobile de la langue (figure 2). Cliniquement, l’atteinte linguale de la myasthénie comporte quelques caractéristiques. Le classique triple furrowed aspect de la langue (celle-ci est striée par trois grosses rides profondes), dû à une atteinte privilégiée de fibres musculaires de type II, est retrouvé dans les deux types (MuSK-MG et AChR-MG) (3). Seuls les muscles intrinsèques de la langue semblent être atteints (4). La nature de l’atrophie retrouvée dans la myasthénie semble d’origine myogène et non neurogène (5). Cette atrophie serait liée à la réduction du calibre et du nombre des fibres musculaires. Plusieurs équipes, A. Evoli et al. (6), D.B. Sanders et al. (7), W. Ishii et al. (8), ont réalisé des biopsies musculaires chez des patients MuSK-MG et ont retrouvé à chaque fois une atrophie des fibres musculaires. Les différences de l’atteinte linguale entre les deux types de myasthénies portent sur le délai d’apparition, la fréquence et la sévérité de la maladie (tableau). L’atrophie de la langue concerne entre 5 et 10 % des AChR-MG (9). Les études réalisées sur le sujet par J.L. De Assis et al. (10), H. Oosterhuis et al. (11) et J. Burch et al. (12) ont retrouvé une corrélation entre la présence d’une atrophie linguale et la sévérité de la maladie. L’atrophie linguale se rencontre dans les AChR-MG sévères après plusieurs années d’atteinte de la sphère bulbaire. Les MuSK-MG présentent quant à elle fréquemment une faiblesse et une atrophie marquée des muscles à innervation bulbaire (en particulier de la langue), considérées comme un critère classique du phénotype de ces myasthénies par A. Evoli et al. (6). D’après M.E. Farrugia et al. (4), au niveau macroscopique, l’atrophie linguale se retrouve aussi bien parmi les patients MuSK-MG que AChR-MG, mais en IRM elle n’apparaît significative, par rapport à un groupe contrôle sain, que dans le groupe des MuSK-MG. cas clinique c as clinique tableau. Atrophie linguale au cours de la myasthénie. Langue du patient Figure 2. dIscussIon Plusieurs muscles participent à la formation de la langue. Les muscles extrinsèques de la langue prennent naissance à l’extérieur de celle-ci et s’insèrent sur elle. Les quatre paires de muscles extrinsèques servent à sa protrusion, à sa rétraction, à sa dépression et à son élévation (muscles génioglosse, hyoglosse, styloglosse et palatoglosse). Les muscles intrinsèques comprennent le muscle longitudinal supérieur (impair), les muscles longitudinaux inférieurs, les muscles verticaux et les muscles transverses. La langue est constituée de fibres musculaires de type I et de type II. Celles-ci sont réparties de façon hétérogène : la partie antérieure est composée de fibres de type II, plus adaptées pour les mouvements rapides utiles dans l’articulation, et la partie postérieure de fibres de type I, destinées aux fonctions de déglutition et de respiration (2). La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008 MuSK-MG AChR-MG Délai d’apparition Précoce Tardif Fréquence Élevée 5 à 10 % des cas Indifférente Sévère Gravité de l’atteinte Plusieurs hypothèses physiopathologiques sont proposées. F.L. Mastaglia (13) a montré que les corticoïdes induisaient une atrophie musculaire essentiellement sur les fibres musculaires de type II. La corticothérapie pourrait donc contribuer à l’apparition et à l’importance de l’atrophie dans les MuSK-MG, puisque ce sont des myasthénies souvent sévères et résistantes, nécessitant de fortes doses de corticoïdes. D’ailleurs, M.E. Farrugia et al. (4) retrouvent une corrélation entre les atrophies faciale et linguale et la durée d’administration d’une corticothérapie. Mais les atrophies faciale et linguale sont souvent présentes dans les MuSK-MG avant la mise en route d’un traitement, comme c’est le cas ici chez le deuxième patient. 27 cas clinique c as clinique O. Beneviste et al. (14) ont aussi montré que les anticorps antiMuSK pouvaient en eux-mêmes induire une atrophie musculaire. Cette atrophie est un phénomène actif qui nécessite l’induction de plusieurs gènes. L’un d’entre eux, appelé MuRF-1 (muscle ring finger protein 1), est induit dans plusieurs modèles in vivo et in vitro d’atrophie musculaire. Ces auteurs ont donc étudié l’effet des anticorps anti-MuSK et de la dexaméthasone sur l’expression de MuRF1 dans des cultures de cellules C2C12 et dans des cultures de muscles de souris. Des IgG purifiées à partir du plasma de patients MuSK-MG présentant une atrophie faciale sévère augmentent l’expression de MuRF1 dans les cultures de cellules C2C12 et dans les muscles masséters de souris, alors qu’elles n’ont aucun effet sur un muscle du membre inférieur de la souris. La dexaméthasone a des effets plus marqués sur l’expression de MuRF1 dans les cellules C2C12 mais ne la modifie pas dans les muscles masséters de souris. Ces résultats montrent que les anticorps anti-MuSK pourraient influencer l’expression d’une protéine impliquée dans les processus d’atrophie et cela, de façon privilégiée dans un muscle facial (le muscle masséter). concLusIon L’atrophie de la langue diffère selon le type sérologique de la myasthénie en cause. Dans les MuSK-MG, elle est fréquente, sévère et précoce, mais elle est également moins souvent présente dans les AChR-MG sévères avec atteinte bulbaire préférentielle. Elle pourrait être considérée comme un marqueur de gravité, puisque les MuSK-MG sont des formes graves de myasthénie et que sa présence dans les AChR-MG est corrélée à la sévérité de l’atteinte. >>> MODULES COLLECTIVITÉS Cède en 2008 144,83 579,30 289,65 Cabinet de neurologie à Senlis 1 082,39 541,20 90 mm L x 125 mm H * Abonnés particuliers : profitez d’une deuxième insertion gratuite. * Collectivités : dégressif à partir de deux insertions, nous consulter. * Quadri offerte. ÉTUDIANTS ABONNEZ-VOUS : VOS ANNONCES SERONT GRATUITES 28 60 • OISE PARTICULIERS 90 mm L x 58 mm H 43 mm L x 125 mm H 1/4 de page Pathol Res Pract 1987;182:87-97. 2. Stal P, Marklund S, Thornell LE, De Paul R, Eriksson PO. Fibre composition of human intrinsic tongue muscles. Cells Tissues Organs 2003;173:147-61. 3. Kinnier Wilson SA. Neurology, vol.II. London: Edward Arnold, 1949. 4. Farrugia ME, Robson MD, Clover L et al. 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Petites annonces Ta r i f s P e t i t e s A n n o n c e s 1/16 de page RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES en SCM (rhumatologie), forte activité libérale et EMG (pop. 80 000 habitants minimum) Locaux spacieux, centre hospitalier et cliniques proches, plateau technique Medistory Tél./Fax : 03 44 63 67 02/03 Courriel : [email protected] La Lettre du Neurologue - Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février 2008