Point de vue La crise agricole et ses conséquences

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par André Neveu
Tout au long de l’année 2015, et au-delà des conséquences de la sécheresse estivale, les difficultés se sont
multipliées dans l’agriculture française : c’est évidemment le cas pour les productions laitières, porcines ou de
volailles. Mais les prix des céréales et du sucre restent plutôt médiocres, nos productions de fruits et légumes sont
en permanence concurrencées par l’étranger proche ou lointain tandis que les éleveurs bovins ou ovins ne survivent
que grâce aux aides communautaires. Seuls les viticulteurs semblent encore bénéficier d’un environnement
favorable.
Dans ces conditions, peut-on encore parler de crise
conjoncturelle ? Ne s’agit-il pas plutôt de
phénomènes structurels dont nos agriculteurs n’ont
peut-être pas mesuré à temps la gravité ?
Certes, ces difficultés ne sont pas propres à la France, car
l’ensemble des agriculteurs européens et même du
monde est soumis au même contexte de prix bas et
volatils. En l’absence d’un redressement spectaculaire qui
semble peu probable à court terme et de la possibilité de
modifier rapidement et profondément la Politique agricole
commune (PAC), il convient d’étudier les différents
aspects que prend cette crise, avant d’envisager les
moyens encore à la disposition des agriculteurs pour y
faire face.
Rappelons tout d’abord la place déterminante que tiennent les marchés internationaux de produits agricoles. Car on
sait que tout incident climatique majeur dans le monde, toute modification notable de la demande chinoise, tout
phénomène spéculatif à Chicago ou ailleurs, auront des conséquences qui peuvent s’avérer dramatiques pour les
agriculteurs partout dans le monde. Et les agriculteurs français ne peuvent l’ignorer maintenant que la PAC ne joue
plus le rôle essentiel qui était le sien dans le passé, de soutien des marchés et de protection contre la volatilité des
prix internationaux.
Les agriculteurs savent aussi qu’ils sont chaque jour un peu plus dépendant des grandes structures industrielles et
commerciales qui sont leurs fournisseurs ou leurs clients et qui leur imposent leurs règles de fonctionnement. Mais
sur ce plan, les avantages des grandes exploitations restent incontestables dans la mesure où elles conservent une
relative capacité de négociation avec leurs fournisseurs ou leurs clients, capacité dont ne disposent pas les petits ou
moyens agriculteurs.
Enfin une nouvelle localisation des productions agricoles se dessine peu à peu. Certes, les différences entre régions
ont toujours existé, mais elles s’accentuent. Outre le relief, le sol ou le climat, l’éloignement des centres de
consommation, la qualité des réseaux de transport, la présence ou non d’entreprises agro-industrielles et le
dynamisme des hommes, jouent un rôle essentiel dans le devenir des régions. Les gagnantes seront celles qui, à la
suite de ces transformations, possèderont suffisamment d’atouts, alors que les autres se marginaliseront peu à peu.
Car à l’occasion de ces évolutions, on observe de plus en plus souvent une remise en cause des spécialisations
régionales, même très anciennes et bien établies. Ainsi la suppression des quotas laitiers et la baisse des prix de
marché ne risquent-t-elles pas d’être fatales aux régions éloignées des grandes zones à vocation laitière
indiscutables? L’absence d’équipements d’irrigation ne risque-t-elle pas de condamner une bonne partie de la sole
de maïs ? Quel avenir peut-on encore garantir à nos multiples petits bassins spécialisés dans les cultures fruitières
ou maraichères ? Est-on même assuré que le choix de la Bretagne d’accorder une place centrale dans son
développement agricole aux élevages hors sol de porcs et de volailles pourra se perpétuer encore longtemps ?
Dans ce contexte difficile et très évolutif, et au-delà des mesures gouvernementales possibles, la recherche
de solutions passe aussi par une multitude d’initiatives et d’adaptations individuelles.
La lettre de l’Académie de l’agriculture n° 31
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Même si les systèmes de polyculture-élevage ont souvent été abandonnés, beaucoup d’exploitations ont
heureusement conservé une assez grande variété de productions ou peuvent facilement en développer de nouvelles.
C’est un atout car elles possèdent ainsi une bonne capacité d’adaptation à une modification de leur environnement
économique, et peut-être un jour pas très lointain, climatique.
Beaucoup d’agriculteurs, et quelle que soit la taille de leur
exploitation, ont aussi cherché à compléter leurs revenus
agricoles par des activités non agricoles, parfois les plus
diverses. La transformation des produits à la ferme, la vente
directe, le tourisme rural, les services aux collectivités, le
conseil en entreprise… sont autant de métiers nouveaux, au
moins pour certains d’entre eux, qui améliorent et sécurisent
une activité de production agricole aux revenus incertains
ou insuffisants.
Cette adaptation à un contexte difficile et cette capacité d’innovation constituent une force pour l’agriculture française
et dans une certaine mesure européenne. Car le fermier américain ou australien, sur sa gigantesque entreprise
vouée à la monoproduction, est sans doute plus fragile que bien des producteurs français sur des exploitations plus
modestes. Les bonnes années, il peut gagner beaucoup d’argent. Mais si son prix de vente est inférieur à ses coûts
de production, il peut aussi en perdre énormément et se retrouver en faillite. Sa fragilité financière est donc souvent
plus grande que celle de son homologue français.
Ne pouvant intervenir sur les prix et les marchés, les responsables politiques doivent, chacun à son niveau, mettre
tout en œuvre pour faciliter ces multiples initiatives individuelles. Il y va de la survie de beaucoup de nos petites ou
moyennes exploitations qui sinon seraient bien en peine de résister à une baisse prolongée de leurs prix de vente.
Plus que la course à l’agrandissement permanent que cependant l’on n’évitera pas, c’est cette capacité
d’innovations de chacun de nos 450 000 chefs d’exploitations qui constitue la réponse la plus efficace aux
difficultés actuelles et futures de notre agriculture.
La lettre de l’Académie de l’agriculture n° 31
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