é d i t o r i a l Recommandations de la Haute Autorité de santé 2005 pour la prise en charge de l’hypertension artérielle : une mouture fine et (presque) utilisable Recommendations of the French Health Authority for the treatment of hypertension: precise and (almost) usable ■ J. Julien* Mots-clés : Pression artérielle Hypertension - Recommandations. Keywords: Blood pressure Hypertension - Recommendations. D e nouvelles recommandations pour la prise en charge de l’hypertension artérielle (HTA) ont été proposées par les services de la Haute Autorité de santé (HAS) en septembre 2005. Elle sont consultables sur son site : www.anaes.fr ou www.has.fr. Le contenu de ces recommandations a changé par rapport à la précédente mouture. Elles sont plus courtes, plus synthétiques (fiche de synthèse téléchargeable) et plus faciles à utiliser. Elles intègrent des données importantes concernant les principaux essais de l’hypertension artérielle publiés au cours des cinq dernières années. Principales nouveautés Le diagnostic de l’hypertension artérielle ne repose plus sur les mesures du médecin, mais sur celles du patient. L’HTA est définie à la consultation par des valeurs de pression artérielle (PA) supérieures à 140/90 mmHg (à plusieurs reprises sur plusieurs mois, en cas d’HTA légère). Ces mesures ne suffisent pas pour confirmer le diagnostic d’HTA. Dans cette nouvelle version des recommandations, il est conseillé, pour les niveaux d’HTA légère, de s’aider de l’automesure tensionnelle (AMT) ou de la mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) pour éviter les erreurs de diagnostic par excès, et de s’assurer de la permanence de l’HTA. C’est la grande innovation de ces recommandations que de ne plus faire confiance aux mesures du médecin pour le diagnostic positif de l’HTA. Utiliser la MAPA ou l’AMT a l’avantage d’évaluer objectivement le niveau tensionnel et de prendre la meilleure décision pour la mise en route du traitement. De plus, l’AMT a un rôle éducatif notable qui peut être mis en avant pour la motivation des hypertendus dans leur surveillance ultérieure. Donner aux médecins la possibilité de confier aux patients la gestion de leur HTA était audacieux. Ceux qui ne voudront pas se déposséder de l’acte diagnostique préféreront organiser des MAPA à des AMT. Ils comprendront un jour que mesurer sa PA est aussi facile que mesurer sa température… à condition toutefois d’utiliser une protocole standardisé (appareil d’automesure validé, trois mesures consécutives matin et soir, trois jours de suite au minimum). Un écueil soigneusement évité par les recommandations est l’abord du problème de l’HTA masquée et le coût de mise en œuvre de la MAPA et de l’AMT. L’HTA masquée est définie par une HTA détectée en dehors du cabinet médical, la pression artérielle étant normale au cabi● * Service d’hypertension artérielle, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006 39 é d i t o r i a l net. La détection des HTA masquées n’est pas évoquée. Faut-il envisager une mesure systématique annuelle à domicile à partir d’un certain âge ? Si les appareils de MAPA sont régulièrement achetés par les cardiologues, qui doit investir dans l’achat d’appareils d’AMT ? Patients ou médecins ? Faut-il en imposer le coût aux patients (les thermomètres ne sont pas non plus remboursés par l’assurance-maladie) ou aux médecins ? On proposerait volontiers qu’un patient en ALD 30 (affections de longue durée) pour diabète, HTA compliquée ou insuffisance rénale puisse se voir rembourser un tel achat. Investir dans l’automesure tensionnelle, c’est également investir dans le temps passé à former le patient à la technique, à récupérer les données, les interpréter et faire connaître au patient la décision éventuelle d’un traitement. Rappelons enfin que l’“acte éducatif” tournant autour de l’AMT n’existe pas encore dans la classification commune des actes médicaux version 2 (CCAM-V2)… Un moyen mnémotechnique simple pour se souvenir des seuils : si le seuil de 140/90 mmHg définit l’HTA de consultation, on peut retenir celui de 135/85 mmHg comme seuil commun pour définir l’HTA en dehors du cabinet, en automesure et en moyenne diurne de MAPA. On peut mettre de côté les valeurs de MAPA nocturnes et de MAPA 24 heures (tableau I). ● Le bilan de l’hypertendu Le bilan proposé reste stable et limité aux éléments de base. N’espérons pas y voir introduire d’innovations telles que la mesure de l’épaisseur intima-media ou d’autres marqueurs intermédiaires du risque (microalbuminurie ou dosage ultrasensible de la protéine C réactive (CRP). Les considérations de coût dépassent toujours celles de l’intérêt scientifique. L’évaluation du risque cardiovasculaire (RCV) a été simplifiée dans cette nouvelle mouture des recommandations (tableau II). C’était souhaitable, car la quantification du RCV est toujours délicate, nécessitant d’avoir sous la main sa réglette, son calculateur ou le tableau de synthèse des recommandations. Ce dernier est simplifié et permet de se souvenir plus facilement des indications du traitement médicamenteux : en cas de risque faible, quand la PA est supérieure à 140/90 mmHg, dès lors que l’on est un homme de plus de 50 ans ou une femme de plus de 60 ans (= un facteur de risque ; les autres facteurs de risque classiques s’ajoutent à l’effet de l’âge), le traitement médicamenteux est indiqué après mise en pratique de mesures hygiéno-diététiques durant 3 à 6 mois. Dans toutes les autres situations, c’est-à-dire en cas de risque moyen ou élevé car les facteurs de risque sont plus nombreux, de détection d’un retentissement sur organes-cibles ou d’une maladie cardiovasculaire ou rénale présente, le traitement médicamenteux est Tableau I. Valeurs de référence pour la pression artérielle (mmHg) selon la méthode de mesure (HAS, recommandations 2005). indiqué. Finalement, l’évaluation du RCV est résumée à sa Consultation Automesure tensionnelle MAPA plus simple expression, et c’est Consultation < 140/90 mmHg < 135/85 mmHg tant mieux. Moyenne 24 heures < 130/80 mmHg Le choix du traitement antihyMoyenne jour < 135/85 mmHg pertenseur de première intention Moyenne nuit < 120/70 mmHg et la stratégie d’adaptation du Tableau II. Stratification des niveaux de risque cardiovasculaire. traitement médicamenteux restent complexes. Aucune classe PA PA PA 140-159/90-99 mmHg 160-179/100-109 mmHg ≥ 180/110 mmHg pharmacologique n’est privilégiée 0 facteur de risque associé Risque faible en première intention ; en Risque moyen 1 à 2 facteurs de risque associés Risque moyen revanche, on insiste sur la néces≥ 3 facteurs de risque et/ou Risque élevé sité fréquente d’employer des atteinte des organes-cibles polythérapies et sur la façon d’obRisque élevé Risque élevé et/ou diabète tenir rapidement (à juste titre ?) le Maladie cardiovasculaire/rénale contrôle tensionnel. On est loin 40 Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006 des recommandations nord-américaines pragmatiques qui prônent l’emploi en première intention des diurétiques de type thiazidique. Ceux-ci sont proposés en première intention dans des associations faiblement dosées, ou en deuxième et troisième intention en cas d’insuffisance du traitement. Les alphabloquants et les antihypertenseurs centraux ne font plus partie des médicaments indiqués en première intention. ● Le sujet âgé L’HTA du sujet âgé pose problème : de plus en plus de sujets âgés nous entourent, de plus en plus souvent hypertendus et candidats aux accidents vasculaires. Leur RCV est, par définition, élevé ou très élevé. Ils mériteraient donc toute notre attention. Il est fréquent d’avoir à prendre en charge des hypertendus de plus de 80 ans. C’est pourtant dans cette tranche d’âge que les bénéfices du traitement antihypertenseur sont le moins bien démontrés. Dans cette version des recommandations, le pied a été levé sur le traitement de l’HTA des sujets âgés : il est ainsi conseillé de démarrer le traitement par une monothérapie à faible dose, de ne pas proposer de restriction sodée, d’organiser une baisse de PA progressive, d’être prudent sur les bloqueurs du système rénine-angiotensine, de ne pas dépasser une trithérapie au-delà de 80 ans, de se contenter de la baisse tensionnelle obtenue, et, enfin, d’assurer une surveillance clinique et biologique régulière. Là encore, on pourra s’aider de l’automesure tensionnelle. En première intention sont recommandés les diurétiques thiazidiques et les dihydropyridines (DHP) de longue durée d’action. Le risque d’interaction avec les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) est soulevé. Dans cette partie des recommandations, on sent les auteurs guidés par les gériatres, les néphrologues ou les orthopédistes, sensibilisés par le risque iatrogène des antihypertenseurs. ● Quel antihypertenseur pour quel patient ? Les résultats des grands essais thérapeutiques récents de l’HTA ont été analysés et intégrés dans ces recommandations. Il en ressort les indications privilégiées pour certaines familles d’antihypertenseurs, chez le diabétique, le coronarien, l’insuffisant rénal, le diabétique et le patient en post-AVC. Ont également été intégrés les résultats concernant la prise en charge des dyslipidémies associées. Enfin, pour agrémenter le versant pratique de ces recommandations, le mini-mental state examination (MMSE version Greco) et une table de richesse en sel des aliments ont été introduits en annexe. En conclusion, rappelons les points forts de cette nouvelle version des recommandations pour la prise en charge de l’HTA : – la mise en avant des alternatives à la mesure faite en consultation, avec la confirmation de l’indication diagnostique de l’automesure tensionnelle et de la mesure ambulatoire de PA, avec les conséquences pratiques non négligeables pour les médecins qui intégreraient ces recommandations dans leur exercice quotidien (on regrettera l’absence d’objectif tensionnel défini sur l’automesure) ; – la simplification de l’appréciation du risque cardiovasculaire ; – le maintien d’un bilan simple et peu coûteux à proposer systématiquement à tous les patients présentant une hypertension supposée essentielle ; – le maintien d’un choix large et coûteux d’antihypertenseurs en première intention ; – l’accent mis sur les problèmes de tolérance éventuels, surtout chez le sujet âgé. Ces recommandations devraient se montrer utiles, car plus simples d’emploi. Il reste à les intégrer à la pratique médicale quotidienne et à faire accepter par les praticiens l’augmentation de leur charge de travail. Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. IV - n° 2 - avril-mai-juin 2006 41