É d i t o r i a l D Édito rial

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Éditorial
Éditorial
Résultats de
l’enquête
nationale de la
CNAM sur
“l’HTA sévère”.
Faut-il laisser la
CNAM mener
ce type
d’enquête ?
Jacques Julien*
* Paris.
ans le cadre du programme national de santé publique concernant l’HTA, la
CNAM a mené une enquête dont les résultats ont été diffusés récemment.
Il existe plusieurs rapports : l’un a été communiqué aux médecins libéraux
début septembre 2000 ; il s’agit d’un résumé des résultats de l’enquête de
quelques pages ; l’autre est présenté in extenso sur le site Internet de la CNAM
(www.cnamts.fr) et comprend une centaine de pages. Les résultats régionaux
ont été adressés aux médecins dans chaque région.
Le rapport résumé présente les résultats nationaux du programme national de santé
publique concernant l’hypertension artérielle sévère exonérée. Il s’agit de l’“enquête de
l’Assurance maladie sur la prise en charge médicale des malades”.
D
Quels en sont les messages importants ?
– il existe un décalage entre les recommandations et les pratiques de terrain ; par exemple,
dans la technique de mesure de pression artérielle et la manière d’exprimer les valeurs de
pression artérielle (chiffres arrondis au zéro contre valeurs millimétriques). Pour être plus
faciles à accepter, les recommandations devraient en tenir compte ;
– quatre malades sur 10 ont une pression artérielle strictement normalisée (< 140/90 mmHg).
Seulement 27 % des plus de 60 ans sont normalisés. Cette situation préoccupante intéresse
encore plus les patients diabétiques (objectif < 130/85 mmHg) et insuffisants rénaux
(objectif < 125/75 mmHg) ;
– parmi les spécialités les plus prescrites, on retrouve deux antagonistes calciques, trois
bêtabloquants, deux diurétiques, un antihypertenseur central, un antagoniste de l'angiotensine II et une combinaison d'antagoniste de l'angiotensine II et de diurétique ;
– la majorité des patients reçoivent une trithérapie (34 %) ou une quadrithérapie (18 %) ;
35 % reçoivent une bithérapie et seulement 13 % sont traités en monothérapie ;
– les résultats sont globalement satisfaisants pour ce qui concerne le choix des classes thérapeutiques, mais certains traitements pourraient être améliorés (prescriptions contre-indiquées
du fait de pathologies associées, sous-prescription des IEC chez les diabétiques hypertendus) ;
– les mesures hygiéno-diététiques sont sous-utilisées ;
– le coût annuel de traitement de ces patients est de 150 millions de francs. Neuf millions
d’économie auraient pu être générés par la prescription de “spécialités moins chères du
même groupe équivalent thérapeutique”.
Les objectifs de l’enquête de la CNAM dépassent en fait les simples constatations énumérées ci-dessus. La lecture du rapport dans sa version intégrale le montre. Ces objectifs
étaient multiples : tout d’abord mieux connaître les caractéristiques de la population candidate à l’ALD, puis mettre en place une communication entre les médecins conseils et les
praticiens en leur rendant visite pour récupérer les données sensibles intégrées dans l’enquête, et enfin analyser l’impact des recommandations de l’ANAES en deux temps, avant
et après sensibilisation des praticiens.
Les critères d’exonération définissant “l’HTA sévère” pour l’entrée dans l’ALD sont appréciés
par le médecin conseil : ce sont les critères manométriques des chiffres tensionnels et les critères
liés au retentissement associé à l’HTA : cérébral, vasculaire, cardiaque, rénal ou oculaire. Cette
sélection permet d’analyser un échantillon à risque cardiovasculaire particulièrement élevé. La
discussion du rapport reprend les thèmes résumés ci-dessus : insuffisance du contrôle tensionnel, en général et dans les populations spéciales (diabétiques, insuffisants rénaux), insuffisance
des mesures hygiéno-diététiques, insuffisance de la prise en charge globale de ces patients.
Plusieurs remarques viennent à l’esprit :
– la population étudiée ne reflète pas la population des hypertendus sévères vivant en
France. Il s’agit d’une population de 10 000 patients étudiés en 1999 pour lesquels une
demande de mise en ALD a été effectuée par les médecins praticiens. La mise en ALD a
Act. Méd. Int. - Hypertension (13), n° 3, mars 2001
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nationale de la
CNAM sur
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des conséquences économiques immédiates pour les patients (prise en charge du coût des
traitements, des examens complémentaires et des hospitalisations en rapport) qui peuvent
transformer la prise en charge de l’HTA. L’origine socio-économique des patients aurait
pu être prise en compte dans la description de la population. Cet aspect n’est pas évoqué
dans le rapport ;
– l’échantillon étudié est pour le moins hétérogène : si une majorité des patients reçoit une
polythérapie, on note que 13 % des sujets reçoivent une monothérapie, ce qui cadre mal
avec la possibilité d’une HTA manométrique sévère. On note également que parmi les dix
antihypertenseurs les plus prescrits à cette population, on ne trouve pas d’inhibiteur de
l’enzyme de conversion, alors qu’un antihypertenseur central est en deuxième position,
après un antagoniste calcique de type dihydropyridine, ces 2 médicaments n’ayant jusqu’à
maintenant pas fait la preuve de leur efficacité dans une étude de prévention cardiovasculaire chez l’hypertendu ;
– les auteurs de l’enquête ont tenté de faire “coller” les recommandations de l’ANAES à
cette population. En fait, les recommandations de l’ANAES de1997 ne concernent pas seulement l’HTA sévère (au sens de la CNAM), mais toutes les formes d’HTA et avant tout
l’HTA légère, la plus fréquente. Le terme d’HTA sévère n’est pas utilisé dans ces recommandations. Il l’est dans les recommandations OMS de 1999 (HTA sévère = grade 3 : PAS
≥ 180 et PAD ≥ 110 mmHg) (1). Il ne s’agit alors que d’une définition manométrique et
non d’une appréciation du retentissement associé. Il était donc illogique de vouloir analyser les données recueillies sur une population à haut risque, à partir d’un référentiel établi pour une population différente.
Cela suggère pour l’avenir de proposer :
– d’harmoniser les termes utilisés pour définir l’HTA sévère par la CNAM et ceux des
recommandations, afin que tout le monde parle de la même chose ;
– d’organiser une étude d’intervention en utilisant les recommandations adaptées à la
population sélectionnée pour l’étude.
En fait, la question la plus importante est de savoir quel doit être le rôle de la CNAM dans
la prise en charge par les médecins libéraux de l’HTA, du diabète et autres pathologies fréquentes. Est-ce à la CNAM de diffuser l’information sur les recommandations (et non aux
Sociétés savantes et aux organismes de formation continue) ? Est-ce à la CNAM d’organiser des enquêtes souffrant de limites méthodologiques, alors que certains organismes
spécialisés, l’ANAES en tête, ont la même mission ? À ce propos, on se reportera avec intérêt à l’excellent rapport récent du CREDES sur la prévalence et la prise en charge de l’HTA
en France (2).
Le rapport de la CNAM sur l’HTA sévère met en évidence le manque d’application des
recommandations publiées à l’intention des médecins praticiens. Pourquoi les recommandations sont-elles mal ou peu appliquées ?
La présence des recommandations écrites pour la prise en charge de l’hypertension artérielle
est utile, car elle constitue un cadre strict dans lequel chaque médecin libéral peut retrouver
son chemin. Malheureusement, elles sont difficiles à mettre en œuvre dans la pratique quotidienne. Une enquête préliminaire auprès des médecins libéraux pourrait montrer :
– qu’elles sont trop complexes donc difficiles à mémoriser : la lecture des recommandations de l’OMS de 1999 sur la prise en charge de l’HTA montre que la décision de traiter
repose sur la quantification du risque cardiovasculaire. Mieux vaut avoir le document sous
les yeux pour ne pas se tromper…
– qu’elles sont inadaptées à la pratique quotidienne ; exemple, exprimer la PA en mmHg
quand la majorité des praticiens l’exprime en cmHg ;
– qu’elles sont donc mal connues, soulignant l’insuffisance de la formation médicale continue ;
– et enfin qu’elles sont trop fermes : imposer en consultation une PA < 130/85 chez le dia-
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bétique et < 125/75 mmHg chez l’insuffisant rénal relève du rêve éveillé. L’âge avancé et
la rigidité vasculaire fréquemment associés dans ces conditions pathologiques sont deux
paramètres qui vont augmenter la PA de consultation à des niveaux supérieurs à ceux
recommandés.
La diffusion large des recommandations par la CNAM aux médecins libéraux semble inefficace. Les documents reçus rejoignent les autres recommandations dans la fameuse pile
des articles et revues “à lire”, à droite du bureau. Peut-on en vouloir aux médecins libéraux de ne pas connaître par cœur les algorithmes de prise en charge de l’HTA ou du diabète (recommandations de l’ANAES), qui doivent également connaître sur le bout des
doigts les 24 autres Recommandations et Références professionnelles (publiées en février
2000) qui balayent des thèmes très variés ?
Peut-on préconiser une autre solution, telle qu’une “aide en ligne” qui viendrait, au fur et
à mesure que les informations sont apportées au logiciel de gestion du dossier patient, guider les pas du praticien dans la prise en charge de chaque pathologie relevant d’un référentiel publié ? En son absence, ce sera comme aujourd’hui le soin au petit bonheur la
chance, avec le risque de voir la CNAM pointer ses gros yeux sur l’insuffisance des soins
prodigués aux hypertendus et aux diabétiques. Voici poindre un nouveau (?) paradoxe :
trop de consultations (38 millions de consultations pour HTA en 1996) (2), trop de coûts
de santé, et malgré cela une mauvaise qualité de soins…
Références bibliographiques
1. Guidelines Subcommittee. 1999 World Health Organization – International Society of
Hypertension Guidelines for the management of Hypertension. J Hypertens 1999 ; 127 : 151-83.
2. Frérot L, Le Fur P, Le Pape A, Sermet C. L’hypertension artérielle en France : prévalence et prise
en charge thérapeutique. Septembre 1999.
Avant-propos
Premières
pages pour le
3e millénaire
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Claudie Damour-Terrasson,
directeur de la publication
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