403. RUSSIE:SyntheÌ - Collège Saint Pierre

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Titre deux : LA REVOLUTION RUSSE (1905-1924) . D 31, D 81.
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Section I : LES ORIGINES.
I. Les problèmes de l’Ancien Régime
A. Géographie.
Superficie. L'Empire russe est un Etat immense : près de 22,5 millions de km2, soit 42 fois la France
- sans compter la Mandchourie et autres pays mongols ou turcs sous la dépendance de l'Empire.
Population au début du XXe siècle : près de 129 millions d'habitants.
Ethnies. C'est un Etat multinational (comme tout Empire) : environ 200 nationalités. D'après le
premier recensement (1897), la moitié de la population de l'Empire n'est pas russe.
B. Politique.
1. Souveraineté (pouvoir suprême).
Le régime en vigueur est la monarchie absolue (autocratie *), aux mains de l'empereur (tsar *).
Celui-ci appartient (depuis 1762) à la Maison de Holstein-Gottorp, issue de la dynastie des Romanov (au
pouvoir de 1613 à 1917). Vu l'absolutisme, le régime dépend fortement de la personnalité du chef de l'Etat.
Nicolas II (1894-1917) est faible et influençable (notamment par son épouse, Alice de Hesse-Darmstadt, elle
même sous la coupe d'un illuminé pseudo-mystique, Raspoutine), mais intraitable quant à son pouvoir absolu
et volontiers partisan du recours à la force.
2. Caractères du régime.
a) Deux traits hérités de Constantinople (avec l'aigle bicéphale et l'alphabet cyrillique).
1/ Etat centralisé, basé sur la puissance de l'armée , de l'Eglise et de la noblesse .
2/ Césaro-papisme.
L'Eglise orthodoxe de Russie, qui se considère comme l'héritière de Constantinople (dont le
patriarche, depuis 1453, vit sous la domination du sultan), a son siège à Moscou dès 1328 ; c'est une Eglise
nationale (et nationaliste), liée aux princes de Moscou. Le Patriarcat de Moscou (créé dès 1589 avec l'accord
forcé de celui de Constantinople) pose en protecteur de tous les Slaves orthodoxes. Mais il a été mis sous la
coupe du tsar quand il fut remplacé (Pierre le Grand, 1721) par un Saint-Synode sous le contrôle de l'Etat. Ce
régime de césaro-papisme * sera officialisé en 1837 par Nicolas Ier, qui prit le titre de chef de l'Eglise
orthodoxe de Russie.
b) Idéologie officielle.
Un nationalisme officiel, à la fois ethnique et religieux, se fonde sur la prépondérance imposée
de l'élément slave - dominant en Russie d'Europe, la partie la plus avancée de l'Empire - et plus
particulièrement russe, au détriment des nombreuses nations soumises (appelées allogènes ), qui sont
russifiées de façon autoritaire par un Etat centralisateur. D'où de fortes oppositions nationalistes, notamment
dans les provinces occidentales (le Grand-Duché de Finlande, les pays baltes,les dix gouvernements formant
la Pologne russe, et l'Ukraine).
c) Régime autoritaire et policier.
L'absolutisme persiste en dépit de réformes importantes (à la suite des despotes éclairés du
XVIIIe siècle) et de la modernisation récente du pays. Il est vrai que ces réformes sont souvent mal
organisées, compensées par des hésitations, voire des retours en arrière, et freinées par la résistance des
privilégiés très influents. L'opposition révolutionnaire est matée avec la dernière rigueur (Décembristes* en
1825).
Ex.: - abolition du servage1 (1861) ; les serfs affranchis sont endettés.
- création des zemstvos (1864), assemblées locales où toutes les classes sont
représentées ; les statuts, révisés en 1890, rendent à la noblesse sa prépondérance.
- réforme de la justice (1864).
L'autocratie intégrale est restaurée en 1881 par Alexandre III (1881-1894), qui, il est vrai,
1 Le nombre de serfs s'élevait alors à 47 millions en Russie.
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
2
succède à son père Alexandre II assassiné. Répression impitoyable, censure des journaux et de la littérature ;
création (1881) d'une police politique, l'Okhrana , qui utilise des agents provocateurs. La pratique de la
déportation systématique des prisonniers politiques en Sibérie, inaugurée dès 1710 par Pierre Ier le Grand, se
poursuit. Ex.: le grand écrivain Dostoïevski, accusé d'avoir participé à un complot, fera quatre ans de bagne
au milieu du XIXe siècle.
3. Au plan externe : tendances impérialistes fondées sur le panslavisme *.
C. Economie.
Avec les deux derniers grands hommes d'Etat de la Russie d'Ancien Régime, les ministres comte
Witte (1893-1906) et Stolypine (1906-1911), le pays va rattraper son retard et connaître un puissant essor
économique, appuyé par une politique de réformes (qui déplaisent à droite comme à gauche, d'où l'assassinat
de Stolypine) et sur des emprunts massifs à l'étranger (France et Grande-Bretagne surtout).
1. Secteur primaire prépondérant.
La majorité des terres appartient à de grands propriétaires (famille impériale, Eglise, noblesse). La
noblesse absentéiste se soucie peu de modernisation ; les techniques restent arriérées et les rendements
médiocres.
2. Industrialisation en plein essor à partir des années 1880.
La révolution industrielle et le capitalisme (sous la dépendance de capitaux étrangers, notamment
français) amènent l'établissement d'une industrie lourde qui concentre dans les grandes villes ou des
complexes la main-d'oeuvre provenant de l'exode rural.
3. Secteur tertiaire peu développé, malgré l'extraordinaire essor des chemins de fer (y compris le
Transsibérien , achevé en 1903) et du réseau fluvial. Les villes prospèrent, mais des régions entières restent
inexploitées et arriérées.
D. Société.
1. La noblesse reste prépondérante, à la campagne comme à la Cour.
2. La paysannerie (80 % de la population) est globalement pauvre, à l'exception des koulaks*,
minoritaires. Un quart est composé de paysans sans terre, souvent endettés ou très pauvres, les moujiks. Les
paysans restent ignorants, superstitieux, sans conscience ni organisation politique, vivant cloisonnés dans
leur domaine, et sont restés sous la dépendance des nobles, malgré l'abolition du servage. Ils sont néanmoins
soudés dans la communauté de village (mir).
3. La classe ouvrière née de la révolution industrielle et de l'exode rural forme un prolétariat
misérable, aux conditions de travail et de vie lamentables (plus que partout ailleurs en Europe). Cette maind'oeuvre est peu nombreuse (2 % de la population), mais concentrée dans quelques villes et de grands
complexes industriels (évolution accélérée par le récent essor industriel).
4. La bourgeoisie.
Egalement peu nombreuse encore suite au retard de l'industrialisation, elle souhaite du
changement, mais son opposition est disparate (cf. infra les principaux courants d'opposition). Dès le XIXe
siècle (vers 1830/1848), deux camps principaux (pas homogènes d'ailleurs) s'affrontent : d'une part les
Slavophiles, attachés à des solutions spécifiquement russes, fondées sur la religion, les valeurs morales et
traditionnelles, le sens communautaire (mir), dans une perspective un peu nostalgique et romantique, voire
mystique, et d'autre part les Occidentalistes , plus réalistes et admirateurs du libéralisme à l'occidentale. Plus
tard s'ajouta le socialisme, agraire ou ouvrier.
L'intelligentzia* est d'autant plus impuissante qu'elle se sent coincée entre l'autocratie qu'elle
voudrait combattre et la classe ouvrière qu'elle craint.
II. Les principaux mouvements d’opposition.
A. Tableau des principaux courants d'opposition.
B. Synthèse sur le socialisme.
- Communisme : D 49 ; S 4.
Section II : LES FAITS.
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
3
I. La révolution libérale de 1905 .
A. Les causes.
1. Crise économique à partir de 1901. Entre 1900 et 1903, environ 3 000 entreprises ont fermé leurs
portes : l'industrialisation, alimentée par des capitaux étrangers (français surtout), a connu un coup d'arrêt
brutal, car les investissements se sont taris (la hausse des taux d'intérêt en 1899 a entraîné une vague de
fermeture d'entreprises en Europe occidentale). Dès lors, les entreprises russes restreignent leur production et
licencient leurs ouvriers.
2. Défaite face au Japon (guerre russo-japonaise 1904-1905), auquel la Russie avait déclaré la guerre.
3. Misères engendrées dans la population par :
- l'alourdissement des impôts ;
- les difficultés alimentaires ;
- la paralysie des transports (liée à l'effort de guerre).
4. Le massacre du Dimanche rouge* (22 janvier 1905), d'où grèves et manifestations dans tout le
pays.
B. Les raisons de l'échec.
1. Eclatement de l'opposition suite aux concessions du tsar (Manifeste d'Octobre* 1905, octroyant
les libertés fondamentales et promettant l'élection d'une assemblée d'Empire, la Douma) : les libéraux,
satisfaits, laissent le pouvoir écraser les mouvements socialistes qui, dans les grandes villes, poursuivaient
l'agitation sociale. Par la suite, le tsar, avec Stolypine, se sentira assez fort pour annihiler les concessions
faites aux libéraux.
2. Manque d'organisation et de discipline des socialistes , dont le mouvement est profondément
divisé (menchéviks, bolcheviks, socialistes révolutionnaires). L'extrémisme de Lénine a fait craindre à la
bourgeoisie une révolution populaire radicale et contribué à retourner vers le tsarisme toutes les forces
modérées.
3. L'armée , composée surtout de paysans, est demeurée fidèle au tsar malgré quelques séditions
isolées.
4. La petite paysannerie , opposée avant tout aux propriétaires fonciers (Eglise, noblesse), hésite à se
dresser contre le tsar et reste passive.
II. Les révolutions de 1917.
A. La seconde révolution libérale, dite Révolution de Février (12 au 16 mars 1917).
1. Les facteurs.
a) Echec des réformes promises en 1905 : renvoi des Doumas progressistes et révision du
système électoral afin d'obtenir des assemblées conservatrices ; gouvernement autoritaire de Stolypine
(ministre qui a succédé, en 1906, au comte Witte, et donna au pays un formidable essor économique, jusqu'à
son assassinat en 1911).
b) La guerre mondiale, qui avait d'ailleurs été perçue par les révolutionnaires (notamment les
bolcheviks) comme l'occasion rêvée (absence du tsar parti prendre la tête de ses troupes, désorganisation du
pays) d'effacer l'échec de la révolution de 1905. Les échecs militaires se succèdent et le gouvernement, très
impopulaire (la tsarine, princesse allemande, sous la coupe de Raspoutine), se détache du peuple.
c) Un hiver rigoureux (1916/17) provoque la disette, d'où des émeutes de la faim (8 mars), ainsi
que des grèves (9 mars).
d) Des mutineries éclatent (à partir du 12 mars), ce qui va amener le mouvement de révolte à
s'étendre par l'armée, et à transformer les émeutes en révolution.
e) La réactivation des Soviets* (le 12 mars à Petrograd) diffuse le mouvement à travers le pays.
2. Les faits.
Installation d'un gouvernement provisoire (15 mars) par l'alliance du Comité de la Douma
(élément légal) et de 14 chefs du Soviet (élément révolutionnaire). D'où l'abdication du tsar (le jour même).
N.B. Trois éléments décisifs qui distinguent cette révolution de celle de 1905 :
- alliance entre tous les partis révolutionnaires ;
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
4
- ralliement de l'armée aux ouvriers révoltés ;
- pouvoir arraché au tsar au profit d'un gouvernement provisoire.
B. Le coup d'Etat des Bolcheviks, dit Révolution d'Octobre (24-25 ; alias 7-8 novembre).
1. Les facteurs et causes.
a) La propagande et les troubles activement orchestrés par les Bolcheviks, dirigés par Lénine (de
retour à Petrograd le 16 avril 1917 - Thèses d'avril *), qui repartira en juillet pour revenir le 20 octobre. Le
rôle personnel joué par Lénine dans la conduite des événements a été, aux dires de Trotsky2 lui-même (dont
l'action a également été déterminante), tout à fait décisif.
N.B. Néanmoins, lors du premier congrès panrusse des soviets (juin 1917), les délégués
bolcheviques n'étaient que 105, contre contre 248 Menchéviks et 285 socialistes révolutionnaires.
b) L'échec du gouvernement provisoire (dirigé par Alexandre Kerensky à partir du 8 juillet).
Il est dû à plusieurs facteurs :
- poursuite de la guerre, de plus en plus impopulaire ;
- refus de procéder au partage des terres ;
- report de l'élection d'une assemblée constituante ;
- réaction trop tardive (6 novembre) aux manoeuvres révolutionnaires des Bolcheviks.
c) En juillet, retentissant échec militaire dans la dernière grande offensive russe (des milliers de
prisonniers) ; le gouvernement provisoire est discrédité.
d) En septembre, putsch manqué du général Kornilov (créature du gouvernement provisoire, à la
tête de l'armée depuis le 31 juillet), qui voulait écraser les forces révolutionnaires (bolcheviks surtout) et
avait cherché à supplanter Kerensky à la tête d'un gouvernement épuré en marchant sur la capitale (où il
voulait réprimer les manifestations ouvrières). Kerensky, effrayé, l'avait révoqué, mais il avait refusé de se
soumettre. L'échec de ce coup d'Etat et la victoire des forces gouvernementales, due principalement à
l'appoint de la Garde rouge (milice d'ouvriers, composée surtout de Bolcheviks, et qui avait été constituée
par le Soviet dès le mois d'avril), vont achever de discréditer le gouvernement provisoire et provoquer dans
tout le pays un mouvement vers la gauche qui accroît la popularité des Bolcheviks (ceux-ci assurent la
direction du Soviet de Petrograd dès le 22 septembre).
N.B. Si les partisans d'une nouvelle révolution augmentent, ils sont cependant très loin de se
rallier majoritairement au programme bolchevique !
e) L'action concertée et méthodique d'un commando bolchevique.
Le 22 octobre (deux jours après le retour de Lénine), mise sur pied d'un Comité militaire
révolutionnaire du Soviet de Petrograd, contrôlant les soldats fidèles à celui-ci (direction par Trotsky ; siège
à l'institut Smolny3). Préparation du coup d'Etat. Parallèlement, poursuite du travail de propagande pour
rallier un maximum de militaires à l'insurrection (les marins de Kronstadt4 dès le 26 octobre et, dès le 31
octobre, la quasi totalité des troupes de Petrograd, qui étaient déjà depuis longtemps en pleine anarchie et
craignaient d'être envoyées au front par le gouvernement).
2. Les faits.
A l'aube du 6 novembre (23 octobre, c.j.), la police essaie de fermer l'imprimerie de l'organe
bolchevique Rabotchi Pout (qui remplaçait alors la Pravda ) ; les Bolcheviks ont alors beau jeu de dénoncer
les mesures prises (enfin) contre eux par le gouvernement comme une attaque des forces contrerévolutionnaires - pour justifier aux yeux du peuple le coup de force qu'ils préparent. Dans la soirée, les
Bolcheviks, par la persuasion ou par la menace, ont obtenu le retrait de tous les postes de garde établis dans
l'après-midi par le gouvernement auprès de ponts de la ville. C'est dans la nuit du 6 au 7 qu'un commando
bolchevique parfaitement informé et organisé passe à l'action : entre 2 et 5 h du matin, il prend possession
des points névralgiques de la capitale (poste, central téléphonique, gares, châteaux d'eau, forteresse Pierre-etPaul5, les palais Marie et de Tauride. Quant au palais d'Hiver, siège du gouvernement, il ne sera pris que la
2 Selon lui, la révolution, sans Lénine, n'aurait tout simplement pas eu lieu (Journal de l'année 1935 , publié en anglais
en 1958).
3 Ancien pensionnat de jeunes filles.
4 Ville portuaire située sur l'île de Kotlin, à 30 km de Saint-Petersbourg ; principale base navale de la flotte russe en
mer Baltique depuis 1885.
5 Celle-ci, de même que l'Arsenal, était déjà depuis 24 h entre les mains de troupes ralliées au Soviet, de telle sorte
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
5
nuit suivante.6 Dès le matin du 7 novembre, les troupes du Comité militaire révolutionnaire sont maîtresses
de la ville et y font régner un calme qui surprend tous les correspondants de presse étrangers.
Section III : L'ETABLISSEMENT DU NOUVEAU REGIME.
I. Les faits : instauration du totalitarisme (dictature du prolétariat et du parti unique) et du collectivisme .
Au deuxième congrès panrusse des Soviets, réuni le 9 novembre (26 octobre c.j.) :
- création d'un gouvernement de commissaires du Peuple (= ministres) ;
- décrets sur la fin des hostilités (mais on se garde de préciser à quel prix) et sur l'expropriation sans
indemnités des grands propriétaires fonciers (mais on ne précise par selon quelles modalités la terre sera
redistribuée).
Ayant reproché au gouvernement provisoire de retarder la réunion d'une assemblée constituante, les
Bolcheviks vainqueurs ont été bien obligés de le faire eux-mêmes, et l'élection eut lieu dès décembre 1917,
au suffrage universel. Devant la victoire écrasante des S.R. (parti socialiste révolutionnaire paysan, mais non
marxiste), le gouvernement prend trois mesures :
- dissolution de l'assemblée ;
- restriction de la compétence des soviets ;
- interdiction de tous les autres partis.
Un appareil d'Etat de plus en plus bureaucratique, asservi au parti unique, va se constituer.
On assiste ainsi, par la volonté inébranlable de Lénine, à la mise en place d'un régime totalitaire.7 Dès le
20 décembre 1917 est créée une police politique, la Tchéka8, ayant pour mission de traquer et de neutraliser
tous les opposants, soit en dehors du parti (dissidents), soit en son propre sein (déviationnistes ou
gauchistes 9). La répression prendra toutes sortes de formes : contrôle policier, lavage de cerveau, torture,
parodies de procès, liquidations plus ou moins discrètes, déportation dans des camps de concentration, de
travail et de rééducation (le goulag *, réseau de camps qui totalisera en 1939 près de 6 millions de détenus,
est une création de Lénine, que Staline, encore une fois, ne fera qu'amplifier et systématiser). L'idéologie
officielle étant foncièrement athée, les persécutions concerneront également l'Eglise : en 1922, Lénine
ordonne la destruction des églises, et des milliers de prêtres et religieux seront exécutés.
* Totalitarisme . Régime politique apparu au XXe siècle (léninisme, fascisme, national-socialisme,
stalinisme) et reconnaissable aux traits suivants :
1/ fondé sur une idéologie officielle, càd. un ensemble de principes qui s’impose à toute la nation et
aux individus comme le seul vrai, le seul valable, le seul admis : une raison d’Etat à laquelle sont
systématiquement subordonnés les droits et devoirs de la personne ;
2/ animé et contrôlé à tous les échelons de pouvoir et dans tous les secteurs par un parti unique et
que celui-ci était largement pourvu en armes et en munitions.
6 En l'absence de Kerensky parti chercher sur le front des troupes fidèles, le gouvernement n'était défendu que par
environ 1 300 militaires (cosaques, élèves-officiers et volontaires féminines), mais les forces bolcheviques, bien que
supérieures en nombre, n'osèrent pas donner l'assaut. Ce sont les ministres qui se sont rendus (à 2 h 10, après que le
croiseur Aurora eût tiré en direction du palais une trentaine d'obus), et ils furent arrêtés, tandis que les défenseurs du
palais, également arrêtés, furent aussitôt libérés sans violences. En conséquence, le soi-disant assaut du palais
d'hiver célébré ultérieurement par la peinture relève de la pure propagande.
7 Lénine ne s'en cache absolument pas. Il prône une dictature reposant directement sur la force, que rien ne limite, qui
n'est restreinte par aucune loi (10 octobre 1920). C'est ce qui l'amènera à mater impitoyablement, en mars 1921, la
révolte des marins de Kronstadt (" Les Soviets sans les Bolcheviks ! "), jusque-là ardents révolutionnaires, mais qui
avaient compris que le pouvoir était de plus en plus confisqué au peuple.
8 Abréviation des mots russes signifiant Commission extraordinaire . Dirigée par Félix Dzerjinski, qui déclenchera dès
septembre 1918 la terreur rouge en instituant ses propres tribunaux, elle sera remplacée le 7 février 1922 par la
Guépéou (Administration politique d'Etat). Celle-ci sera absorbée en 1934 par le NKVD (Commissarizat du Peuple
aux Affaires intérieures). En 1941, l'essentiel des pouvoirs de ce dernier passera au NKGB (Commissariat du Peuple
à la Sécurité d'Etat ), et enfin, en 1954, au KGB (Comité de Sécurité de l'Etat).
9 Lénine traitera de gauchistes ceux qui prônent la mise en place immédiate d'institutions démocratiques. Pour lui, ce
sont des gens qui ne savent pas penser ou qui n'ont pas eu l'occasion de méditer ce problème (LENINE, La Maladie
infantile du communisme, le Gauchisme, Moscou, avril 1920).
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
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strictement hiérarchisé, conduit par une oligarchie ou par un dictateur, et qui est censé représenter
l’ensemble de la Nation (souveraineté du peuple ) considérée comme un corps unanime dont il se
veut l’avant-garde, l’élite et le guide ;
3/ absolutisme* en dépit d'une apparente séparation des pouvoirs ;
4/ visant à mobiliser toutes les forces vives de la Nation (richesses, énergies, talents), en régentant la
totalité des activités humaines (d’où l’appellation), et cela principalement par l’organisation d’un
encadrement très strict des individus (mouvements de jeunesse, enseignement, propagande, culture,
associations), avec un contrôle policier permanent et omniprésent assorti d’un système pénal
impitoyable et sans aucune garantie pour les accusés. - Au nom d'une idéologie (de droite ou de
gauche) érigée en dogme, et dans l'intérêt supposé de la Nation tout entière, un parti politique qui
s'est arrogé tous les pouvoirs (voire tous les droits) impose dans tous les domaines une ligne de
conduite uniforme, au sein d'un Etat-providence.
N.B. Ce dernier trait, le plus essentiel, revient à une instrumentalisation de toutes les activités
humaines, mais aussi des groupes (Eglises, mouvements de jeunesse, académies, universités, écoles,
cercles intellectuels ou sportifs, syndicats, associations) et même des individus, au service de la seule
cause (idéologie officielle) qui a la priorité absolue. Instrumentaliser, c'est réduire à l'état
d'instrument, d'outil, et donc d'objet. Or un objet est par définition inanimé, c'est-à-dire dépourvu
d'âme, de conscience, de libre arbitre, de liberté. Sa seule raison d'être est d'être utile à la cause qu'il
a pour fonction de servir. Il faudra donc l'y contraindre, le contrôler étroitement et le mettre hors
d'état de nuire à cette cause, au besoin en le supprimant. D'où le caractère profondément inhumain
d'un tel régime.
II. Les justifications.
Pourquoi avoir imposé à la Russie une dictature (qui sera de plus en plus bureaucratique et totalitaire),
alors que la toute grosse majorité de ses habitants attendait la démocratie ?
Lénine connaît bien l'histoire russe (échecs de 1825, 1905) et européenne (révolution française et
révolutions du XIXe siècle), ainsi que la pensée de Marx (qu'il est persuadé d'être le seul à avoir comprise) et
d'autres penseurs révolutionnaires. Il professe une foi inébranlable dans la pensée de Marx , même s'il va
lui-même prendre de grandes libertés avec celle-ci au niveau des modalités d'application, car il doit prendre
en compte la situation réelle de son pays et surtout il se méfie des masses populaires. Sa grande hantise est
un retour en arrière , ce qui explique sa politique : propagande inlassable auprès des masses, refus de toute
concession au modèle démocratique occidental et lutte systématique contre toute forme d'opposition.
N.B. Staline ne fera qu'accentuer cette tendance, avec une brutalité inouïe, aboutissant à l'établissement
d'un régime foncièrement conservateur, incapable de se réformer car prisonnier de sa logique interne, rendant
ainsi impossible l'avènement de la troisième phase de la dialectique marxiste.
A. Arguments idéologiques.
Si l'on se réfère à Marx, la démocratie véritable ne peut être que le communisme , troisième et
ultime étape de la dialectique pendulaire : une société sans Etat, sans classes ni contraintes, réglée selon la
formule " De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ", où règnent l'égalité et la justice. Mais
il y a une étape obligée pour y parvenir : la dictature du prolétariat , régime totalitaire indispensable pour
éradiquer le totalitarisme antérieur, c'est-à-dire la dictature de la bourgeoisie capitaliste.
N.B. Pour Lénine, les démocraties libérales de l'Occident sont des leurres, puisqu'y subsiste la
dictature de la bourgeoisie capitaliste, qui exclut toute égalité véritable.10 L'objectif est d'établir une
démocratie entièrement nouvelle, inspirée de Marx.
B. Arguments historiques ou conjoncturels.
Non seulement la dictature est indispensable dans un premier temps, mais elle doit être totale et
surtout prolongée (au-delà de la période dite du communisme de guerre) compte tenu de la réalité russe de
10 Dans les des démocraties occidentales, selon Lénine, la liberté est réservée de fait à une minorité de possédants ;
c'est une liberté pour les propriétaires d'esclaves, comme dans la Grèce antique .
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
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1917/18. En effet :
1. Le retard du pays dans le domaine économique et social
a pour corollaire une classe ouvrière
(théoriquement acteur principal du changement) trop peu nombreuse, et d'autre part une paysannerie
majoritaire mais insuffisamment politisée et consciente de ses véritables intérêts. Le peuple doit donc être
pris en charge par une avant-garde du prolétariat, un parti unique aux pouvoirs illimités exercés au nom et
dans l'intérêt du peuple (démocratie, au sens le plus large). Ceci s'apparente au paternalisme ou au
despotisme éclairé.
2. Le nouveau régime, à peine établi, est déjà menacé de mort , à la fois de l'intérieur (nombreux
foyers d'opposition et armée blanche fidèle à l'Ancien Régime) et de l'extérieur (appui étranger - français,
britannique et américain - aux forces d'opposition). Ceci s'apparente à la situation de la France
révolutionnaire en 1793, qui avait amené la mise en place d'un terrorisme d'Etat (la Terreur, 1793-1794).
III. Les deux principaux meneurs de la révolution : Lénine et Trotski.
A. Lénine.
Le personnage est d'une grande simplicité et d'un désintéressement absolu. Il n'a jamais cherché à
conquérir le pouvoir pour lui-même, mais seulement dans l'intérêt supposé du prolétariat, qui n'était pas
encore en mesure de prendre sa destinée en mains. C'est avec une sorte de foi mystique, intransigeante et
même fanatique qu'il croit à la fois dans la doctrine de Marx et dans sa propre mission historique, convaincu
d'oeuvrer non seulement pour la Nation, mais pour toute l'humanité11, pour l'Histoire dans ses exigences
invincibles. C'est d'ailleurs cette mission de salut public qui fonde à ses yeux la véritable légitimité du
régime qu'il met en place. Compte tenu de l'immensité de l'enjeu, l'impératif d'aboutir à ses objectifs devra à
ses yeux justifier tous les sacrifices et commander une adhésion inconditionnelle.
B. Trotski.
De son vrai nom Leiba, dit Lev [Léon] Davidovitch Bronstein (famille de moyenne bourgeoisie
juive). Trotski est le nom que portait son faux passeport quand il arriva en Grande-Bretagne en 1902 après
son évasion d'exil en Sibérie.
Compagnon de Lénine et de Plekhanov (fondateur en 1898 du Parti Ouvrier Social-Démocrate russe)
dès avant la révolution de 1905, il adopta longtemps une politique de médiation entre Bolcheviks et
Menchéviks. Ce n'est qu'en juillet 1917 qu'il se ralliera définitivement au camp bolchevique et deviendra
membre du Comité central.
Relégué dans l'opposition à cause de ses idées (révolution permanente, révolution universelle) et de
son refus d'une dictature de plus en plus totalitaire et bureaucratique12, Trotski se fera destituer, écarter du
pouvoir (1926), déporter (1928), expulser de Russie (1929), et enfin assassiner (Mexico, 21 août 1940) par
un agent de Staline. Il avait continué ses attaques contre le régime et fondé (1937) la IVe Internationale, qui
défendait ses idées.
Dès cette époque, il se signale par trois idées dominantes :
1. La révolution socialiste d'emblée, sans transition libérale.
Selon cette option, opposée au révisionnisme (au sens de réformisme, mais tout de même
révisionniste par rapport à la doctrine de Marx), Trotski soutenait que la Russie, bien qu'arriérée
économiquement et socialement (masses paysannes inertes), pouvait se passer de l'étape transitoire d'une
révolution libérale bourgeoise pour organiser sans plus attendre la révolution socialiste, dont le seul moteur
serait la classe ouvrière, le reste de la société devant se rallier (avec plus ou moins de violence…) par la
suite. Pour lui, le rapide développement industriel des années 1900-1910 fournissait les ingrédients
nécessaires et suffisants d'une révolution socialiste, sur base d'un prolétariat concentré et déjà acquis à
l'action violente.
Ce point de vue de Trotski, auquel Lénine finit par se rallier, devait être vérifié par les
événements de 1917.
11 Cette notion de mission universelle, déjà présente dans les guerres de la révolution française, se retrouve dans
l'hymne révolutionnaire L'Internationale (1871) : " L'Internationale sera le genre humain." (hymne national de
l'Union soviétique jusque 1941). L'idée sera plus forte encore chez Trotski, et elle s'opposera frontalement à la
perspective étroitement nationaliste des régimes fascistes.
12 Rosa Luxemburg était d'accord avec lui sur ce point.
E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
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2. La révolution permanente .
Le changement de la société par des moyens radicaux doit s'opérer en adaptant constamment le
régime, et même le système (institutions), à l'évolution des événements et de la société, afin d'accélérer
l'avènement de l'objectif final (le communisme). Face au risque d'instabilité, voire de retour en arrière, que
présentait cette perspective, Lénine, et plus encore Staline, s'opposera toujours à cette notion de révolution
permanente .
3. La mission révolutionnaire universelle.
En accord, dans un premier temps, avec Lénine, Trotski souligne (avant même la révolution) la
nécessité de lier la révolution russe au mouvement ouvrier européen. La révolution, une fois réussie en
Russie en octobre 1917, ne devait être à ses yeux qu'une première étape vers la révolution mondiale, où le
prolétariat des pays plus avancés d'Occident jouerait cette fois un rôle actif.
Malgré l'échec des mouvements révolutionnaires communistes en Allemagne, en Autriche et en
Hongrie (1920-1921), Trotski resta fidèle à cette idée alors que Lénine ne se faisait plus d'illusion quant à la
puissance de la bourgeoisie dans ces pays. Cette option idéaliste devait bientôt le reléguer dans l'opposition.
Déjà Lénine, beaucoup plus réaliste, s'attachera (avec la NEP, nouvelle politique économique, 1921-1927)
avant tout à consolider le socialisme dans son pays, pour éviter un retour en arrière, et Staline ira encore
beaucoup plus loin en instaurant une dictature bureaucratique - même s'il travaillait parallèlement à répandre
le socialisme à travers le monde (par le biais des ambassades et de l'espionnage notamment).
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E. de CRAYENCOUR, La Révolution russe (1905-1924).
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