Adaptation d’une aquarelle de Paul Klee (1922) I N F O R M A T I O N S Insuffisance cardiaque : une épidémie du XXIe siècle ? EurΩconférence de l’Institut Pasteur L‘ insuffisance cardiaque fut le thème d’une réunion internationale qui s’est tenue les 26 et 27 juin 2000 et qui s’inscrit dans une série prestigieuse de conférences organisées par l’Institut Pasteur, les EurΩconférences. Cela souligne la reconnaissance accordée par la communauté scientifique à cette pathologie en termes de santé publique, mais aussi d’avancées dans la compréhension de ses mécanismes, et donc de potentiel thérapeutique. Pendant deux jours, les conférenciers se sont succédé pour faire le point sur divers aspects de l’insuffisance cardiaque donnant une large part aux fondamentalistes, mais dans un souci constant d’interface avec l’aspect thérapeutique. Au vu du nombre et de la densité des exposés, qui étaient eux-mêmes souvent déjà des synthèses, ce rapport sera parcellaire, volontiers centré sur les aspects les plus novateurs et les perspectives thérapeutiques. ÉPIDÉMIOLOGIE Les données épidémiologiques, justifiant l’intitulé de cette réunion, furent précisées par F. Zannad (Nancy). Le manque de définition univoque et la fréquence des formes asymptomatiques compliquent l’analyse épidémiologique. Néanmoins, son incidence et sa prévalence croissent et sont actuellement estimées à 1-5 ‰ et 1,5-4 % respectivement, faisant de l’insuffisance cardiaque la première cause d’hospitalisation après 60 ans et lui conférant un énorme impact économique (15-30 billions de dollars/an aux États-Unis). Son pronostic reste sombre, avec une mortalité à un an variant actuellement de 10 % (études récentes incluant des patients en stade II-III de la NYHA) à 22 % (étude RALES incluant des patients en stade III-IV), voire 35 % (étude EPICAL étudiant des patients en stade IV). ANTAGONISME NEUROHORMONAL : PIERRE ANGULAIRE DU TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE P. Lechat (Paris) rappela la stratégie thérapeutique actuelle dans l’insuffisance cardiaque chronique (diurétique, IEC, bêtabloquant et antialdostérone). L’essentiel de cette stratégie, incluant les développements en cours de l’industrie pharmaceutique, cible un antagonisme maximal des systèmes neurohormonaux dont la stimulation au cours de l’insuffisance cardiaque s’avère néfaste, notamment sur le remodelage (tableau). * Hôpital Beaujon, Clichy. 6 ● D. Logeart* Tableau. Stratégies thérapeutiques (médicamenteuses) actuelles et en développement dans l’insuffisance cardiaque chronique. Traitement actuel En cours de développement (court terme) ✔ Diurétiques ✔ IEC ✔ Bêtabloquants ✔ Antialdostérone ✔ Digitaliques ✔ Antagonistes des récepteurs à l’angiotensine II ✔ Antagonistes des récepteurs de l’endothéline ✔ Inhibiteurs de l’endopeptidase neutre M. Clozel (Allschwil, Suisse) justifia et développa la thérapie antiendothéline. Un antagonisme combiné des récepteurs ETA et ETB (bosentan) serait préférable car les ETB, d’importance négligeable chez le sujet normal, sont “up-régulés” dans l’insuffisance cardiaque. L’étude pilote REACH-1 a montré une amélioration clinique sous bosentan, qui n’apparaissait qu’après le troisième mois, suggérant bien un effet pas seulement hémodynamique. L’action néfaste sur les transaminases justifie une autre étude en cours à plus faible dose. Une forme intraveineuse, le tezosentan, montre un effet hémodynamique aigu bénéfique particulièrement marqué, et est donc à l’essai dans les formes aiguës (OAP...). CIRCUITS CELLULAIRES ET MOLÉCULAIRES ET REMODELAGE (MYOCYTAIRE) DU VENTRICULE La dissection de cette signalisation intracellulaire représente un challenge important pour les chercheurs car elle est le lien entre les signaux externes ou internes (augmentation des contraintes, neurohormones...) et les modifications de l’expression de certains gènes. Sa modulation est étroitement liée à l’hypertrophie et à la balance survie-apoptose des myocytes, qui préludent à l’insuffisance cardiaque et l’accompagnent. La connaissance dans ce domaine est récente mais déjà “touffue” et, finalement, cette euroconférence lui fut consacrée en grande partie. En effet, c’est de cette recherche que pourrait naître le développement des futurs médicaments de l’insuffisance cardiaque. L’équipe de E.N. Olson avait publié il y a deux ans un travail expérimental princeps montrant le rôle central de la calcineurine dans la réponse hypertrophique ventriculaire, travail qui fit couler beaucoup d’encre, car La Lettre du Cardiologue - n° 338 - novembre 2000 I cela pouvait représenter un bel exemple de ces nouvelles cibles thérapeutiques. Néanmoins, l’absence d’effet de la ciclosporine (inhibiteur de la calcineurine) chez l’homme vis-à-vis de l’HVG calma les ardeurs, suggérant que la calcineurine, bien que suffisante pour médier une réponse hypertrophique, n’était peut-être pas toujours nécessaire. E.N. Olson (Dallas, États-Unis) présenta ainsi un nouveau travail (PNAS, avril 2000) dans lequel la réponse hypertrophique des myocytes est médiée par une autre voie également “suffisante”, une calcium-calmoduline kinase régulant l’activité de MEF2, qui contrôle l’expression de gènes musculaires notamment (figure 1). N F O R M A T I O N S étaient jusque-là parfaitement inconnus des cardiologues. En fait, des souris transgéniques n’exprimant plus ce récepteur au niveau cardiaque grandissent normalement, mais développent à l’âge adulte des cardiomyopathies dilatées très sensibles au moindre stress surajouté. Ce récepteur constituerait donc un circuit nécessaire au maintien de la survie du myocyte adulte. L’existence d’une fine balance entre processus pro- et antiapoptotiques fut abordée par J.J. Mercadier (Paris), qui montra des résultats où un effet protecteur contre l’induction d’apoptose est obtenu avec de faibles concentrations de catécholamines, contrastant avec l’effet délétère de fortes concentrations. Enfin, le calcium et sa signalisation occupent une place primordiale dans la plupart des processus cellulaires du myocyte. Or, s’il est bien connu que de nombreux modèles d’insuffisance cardiaque exhibent une dysrégulation de l’homéostasie calcique via un dysfonctionnement du réticulum sarcoplasmique, ce n’est que récemment que des éléments expérimentaux ont montré qu’une action directe sur le réticulum sarcoplasmique pourrait prévenir l’insuffisance cardiaque, comme par exemple l’inhibition de l’interaction Serca2-phospholamban (le phospholamban non phosphorylé inhibe la CaATPase, et donc le recaptage du calcium). I. Berrebi-Bertrand (SmithKline Beecham, Saint-Grégoire) a identifié et précisé les protéines impliquées dans le processus de phosphorylation-déphosphorylation du phospholamban. REMODELAGE DE LA MATRICE EXTRACELLULAIRE, MÉTALLOPROTÉINASES DE LA MATRICE ET ACTIVATEURS DU PLASMINOGÈNE Figure 1. Voies de signalisation de l’hypertrophie cardiaque liée à la calmoduline. S. Izumo (Boston, États-Unis) montra les avantages d’une utilisation extensive des souris transgéniques dans la dissection de ces voies, mais sans doute aussi l’importance d’une large ouverture sur les résultats obtenus dans d’autres domaines : exemple de la dernière voie étudiée par cette équipe, la PI3K, mise en évidence par des spécialistes du développement de la drosophile, et dont la surexpression constitutive ou mutée dans le cœur de souris transgéniques montra son rôle pivot dans le contrôle de la taille du cœur. Une autre voie de signalisation issue d’échanges interdisciplinaires fut rapportée par S.J. Stewart (San Francisco, États-Unis) : un large essai clinique a récemment montré l’efficacité de l’herceptin (anticorps dirigé contre le récepteur membranaire HER2, de la famille des human epidermal growth factor receptor, et impliqué dans des processus tumoraux) comme traitement adjuvant du cancer du sein métastasé, mais avec un taux d’insuffisance cardiaque inaugurale de 11% (!), atteignant 27 % en cas de traitement préalable par anthracyclines. Ces récepteurs HER2 La Lettre du Cardiologue - n° 338 - novembre 2000 Ce remodelage a un rôle essentiel qui n’a été complètement reconnu que récemment, à la lumière des effets bénéfiques exercés par les IEC, bêtabloquants ou antialdostérones. À noter également des formes familiales de cardiomyopathie dilatée liées à des anomalies de gènes codant pour des protéines-liens entre la matrice extracellulaire et le cytosquelette du myocyte. Les métalloprotéinases de la matrice (MMP) et les activateurs du plasminogène (PA) semblent jouer un rôle important dans ce processus de remodelage. S. Heymans, de l’équipe de P. Carmeliet (Louvain, Belgique), illustra ce rôle avec les résultats obtenus à partir d’un modèle d’infarctus chez la souris. L’activateur du plasminogène u-PA, produit en abondance par les leucocytes présents dans tout infarctus aigu, y joue un rôle pivot et ambivalent dans le temps (figure 2, p. 8). Par définition, il active la transformation du plasminogène en plasmine qui dégrade des protéines essentielles de la matrice au niveau de l’infarctus, telles la laminine, la fibrinonectine et la fibrine, favorisant ainsi le risque de rupture ventriculaire. Par ailleurs, la plasmine active les MMP également produites par les leucocytes, qui dégradent alors les protéines de la matrice, collagène, élastine et autres glycoprotéines, qui forment la cicatrice “post-infarctus” ; l’u-PA y inhibe alors la cicatrisation, favorisant l’ischémie résiduelle et l’insuffisance cardiaque. Cela est très intéressant, car les possibilités pharmacologiques d’inhiber ces systèmes existent, et il semblerait ainsi qu’une inhibition du système u-PA/MMP préviendrait le risque précoce de rupture mais, ensuite, favoriserait ischémie et insuffisance cardiaque. 7 I N F O R M A T I O N S chez l’insuffisant cardiaque avéré, de même que les accidents emboliques grèvent leur morbidité. Néanmoins, le plus grand flou thérapeutique règne, comme en témoigne l’absence de toute recommandation des sociétés savantes. La première raison est qu’aucune étude n’a montré de bénéfice de l’aspirine à long terme dans le post-infarctus. De plus certaines études, telle SOLVD, ont suggéré une interférence négative de l’aspirine avec les IEC. Les AVK n’induisent pas ce genre d’interférence et tendent à améliorer le pronostic, mais exposent aux complications hémorragiques. La récente étude WASH, d’effectif assez limité, confortait encore cette impression selon laquelle les AVK seuls sembleraient bénéfiques. Cela justifie la nécessité de larges études spécifiquement conçues pour répondre à cette question, telle l’étude WATCH. ASPECTS GÉNÉTIQUES : COMPLEXITÉ CROISSANTE, RÔLE DE GÈNES DE SUSCEPTIBILITÉ, PHARMACOGÉNÉTIQUE Figure 2. Rôle pivot et ambivalent de l’activateur du plasminogène (u-PA) et des métalloprotéases de la matrice (MMP) dans le remodelage ventriculaire (modèle du post-infarctus). THÉRAPIES ANTICYTOKINES L’accumulation de preuves quant au rôle délétère de certaines cytokines pro-inflammatoires (TNF, IL6...) dans la progression de l’insuffisance cardiaque et le développement parallèle de thérapeutiques spécifiques anticytokines stimulent la réalisation d’essais thérapeutiques. D.L. Mann (Houston, États-Unis) a rapporté ses résultats obtenus avec un anticorps soluble dirigé contre le récepteur au TNF (etanercept), et notamment ceux d’une étude de phase III, incluant un petit groupe de patients sévèrement atteints en classe III/IV avec fraction d’éjection basse. Une amélioration fonctionnelle et du remodelage était rapportée, motivant des études à grande échelle (études RENAISSANCE et RECOVER). STRATÉGIES ANTITHROMBOTIQUES AU COURS DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE Ce point thérapeutique particulièrement pratique fut abordé par J.G.F. Cleland (Hull, Royaume-Uni). L’occlusion d’une coronaire est la cause la plus fréquente d’insuffisance cardiaque, mais pourrait être aussi la cause d’un grand nombre de morts subites 8 Une complexité croissante prévaut dans le démembrement des anomalies génétiques liées à l’insuffisance cardiaque (K. Schwartz, Paris). Si neuf gènes, porteurs de mutations, ont déjà été identifiés comme responsables de formes familiales de cardiomyopathie hypertrophique (CMH), il existe a posteriori une cohérence physiopathologique, car il s’agit toujours de gènes codant pour des protéines (anormales) du sarcomère causant une dysfonction contractile avec hypertrophie compensatrice. Dans les formes familiales de cardiomyopathie dilatée, d’étude plus récente, une grande hétérogénéité semble prévaloir avec des gènes malades codant pour des protéines du sarcolemme et du sarcomère, mais aussi pour l’enveloppe nucléaire et les filaments intermédiaires. Enfin, un rôle majeur pour des gènes de “susceptibilité” émerge actuellement et pourrait expliquer l’hétérogénéité clinique des formes familiales (exemple des porteurs “sains”...), mais aussi des formes non familiales de cardiomyopathie dilatée (par exemple dilatation ventriculaire très variable d’un individu à l’autre...) : exemple de variants pour les gènes codant pour le récepteur ß2-adrénergique ou l’enzyme de conversion de l’angiotensine associés à un plus mauvais pronostic. Le syndrome du QT long congénital résulte aussi de différentes anomalies génétiques, puisque des mutations ont été identifiées sur au moins quatre gènes différents, avec également une certaine cohérence, puisqu’il s’agit toujours de courants ioniques. Dans cette pathologie, les progrès de la “génétique réverse” (du gène à la physiologie) non seulement ont permis de mieux en saisir les subtilités physiopathologiques comme pour la CMH, mais pourraient permettre d’aller plus loin, vers une thérapeutique spécifique adaptée à l’anomalie génique en cause (S. Priori, Pavie, Italie) : ainsi les patients LQT3 (mutation causant un excès de courant sodique entrant) pourraient bénéficier préférentiellement de bloqueurs des canaux sodiques plutôt que du classique traitement bêtabloquant, alors que les patients LQT2 (dysfonction d’un courant potassique s’améliorant par augmentation du potassium extracellulaire) pourraient bénéficier d’une supplémentation potassique. L’identification et la compréhension la plus large possible des variants géniques impliqués dans les pathologies cardiovasculaires devraient ainsi être la source de progrès thérapeutiques. La Lettre du Cardiologue - n° 338 - novembre 2000 I meront ou surexprimeront une protéine susceptible de modifier un processus physiopathologique. Divers obstacles méthodologiques importants ont été rappelés (problème des vecteurs, de la modulation in vivo de l’expression du transgène...). Une approche originale de cette pharmacogénétique fut proposée par la société pharmaceutique Artemis (Tübingen, Allemagne), qui vise à identifier tous les gènes importants impliqués dans le système cardiovasculaire du poisson-zèbre et à obtenir un grand nombre de mutants. L’intérêt de ce petit poisson est multiple : élevage aisé avec obtention rapide de mutants, système cardiovasculaire rudimentaire mais nombreuses similitudes avec les mammifères, transparence permettant son analyse morphologique et fonctionnelle directement in vivo. Après clonage et identification des gènes mutés causant des anomalies cardiaques jugées pertinentes, de nouvelles cibles thérapeutiques sont espérées. R. Crystal (Boston, États-Unis) a aussi montré certains résultats encourageants obtenus par son équipe dans le champ de l’angiogenèse thérapeutique. Cette stratégie fait actuellement l’objet d’investigations largement médiatisées, et ayant déjà quitté le laboratoire pour des essais cliniques de phase II dans le cadre de l’angor réfractaire non revascularisable ; de façon moins attendue, une amélioration de différents paramètres fonctionnels ventriculaires était obtenue après injection intramyocardique d’adénovirus codant pour le VEGF 121 dans un modèle d’insuffisance cardiaque “non ischémique” obtenue par stimulation cardiaque rapide. ■ THÉRAPIE GÉNIQUE À côté de cette pharmacogénétique, la thérapie génique vise à injecter dans l’organisme la partie codante de gènes qui expri- A B O N N E N F O R M A T I O N S Z - V O U S ✁ ! À découper ou à photocopier Tarif 2000 Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. à l’attention de .............................................................................. FRANCE / DOM-TOM / Europe ÉTRANGER (autre qu’Europe) ❐ 580 F collectivités (88,42 €) ❐ 700 F collectivités (127 $) Dr, M., Mme, Mlle ........................................................................... ❐ 460 F particuliers (70,12 €) ❐ 580 F particuliers (105 $) Prénom .......................................................................................... ❐ 290 F étudiants (44,21 €) ❐ 410 F étudiants ❏ Particulier ou étudiant (75 $) joindre la photocopie de la carte Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale ❏ autre.......................... 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