Les ignames cultivées (Dioscorea spp., Dioscoreaceae)

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Les ignames cultivées (Dioscorea spp., Dioscoreaceae) de Madagascar :
diversité, distribution, usages, croyances et importance pour le
développement durable à Madagascar
Mamy Tiana Rajaonah*, Lisy Razafinimpiasa*, Hary Misa Rakotozafy*, et Vololoniaina
Jeannoda*
*Département de Biologie et Ecologie Végétales, Faculté des Sciences, BP 906,
Antananarivo, Madagascar
Correspondance à : [email protected]
Résumé : Plusieurs formes d’ignames cultivées se rencontrent à Madagascar si l’on se réfère
aux nombreux noms vernaculaires et aux différentes morphologies que l’on observe sur
l’appareil végétatif. Ces formes se rencontrent au niveau de toutes les zones agroécologiques
de l’île, mais l’importance de leur culture y est variable. Les usages des ignames cultivées
sont aussi bien alimentaires, médicinales que culturelles. De nombreuses croyances sont à
rattacher à l’igname cultivées à Madagascar témoignant de la place qu’elles occupaient
auparavant dans l’alimentation et la tradition malgache. Cette ressource qui était tombée en
désuétude devant le développement de la culture du riz ou d’autres tubercules comme le
manioc a pu être valorisée lors du projet CORUS 6020 par des actions diverses auprès des
communautés locales.
Mots clés : Dioscorea spp., igname cultivée, nom vernaculaire, morphologie, usage,
conservation, Madagascar.
I - Introduction:
Les ignames sont des Monocotylédones du genre Dioscorea qui fait partie avec trois autres
genres (Tacca, Stenomeris et Trichopus) de la famille des Dioscoreaceae, de l’ordre des
Dioscoreales et de la sous-classe des Liliidae.
Cette famille qui compte dans le monde environ 400 espèces se rencontre surtout dans les
zones tropicales. Beaucoup d’espèces de Dioscorea présentent des tubercules comestibles
(Coursey, 1967). C’est le cas par exemple des ignames sauvages endémiques de Madagascar
qui sont au nombre d’une quarantaine et dont la garde majorité est consommée dans les zones
rurales (Jeannoda et al., 2003, Jeannoda et al., 2007). Certaines espèces malgaches sont même
actuellement menacées et des mesures de conservation doivent être prises à leur sujet (H aigh
et al., 2005 ; Wilkin et al., 2008a, 2008B, 2009a, 2009b)
D’autre part, il existe dans le monde huit espèces d’ignames cultivées, provenant de
domestication d’espèces sauvages, dont trois espèces sont les plus courantes : il s’agit de
Dioscorea alata L., du complexe D. cayenensis Lam. / D. rotundata Poir. et de D. esculenta
(Lour.) Burkill.
Dans divers pays tropicaux, ces ignames domestiques occupent une place privilégiée au point
de vue alimentaire et sont utilisées aussi bien dans l’agroalimentaire que dans l’industrie
pharmaceutique. Les ignames figurent même parmi les principaux produits de l’agriculture
dans certains pays africains, notamment en Afrique de l’Ouest, des Caraïbes ou du Pacifique.
A Madagascar, les ignames cultivées, qui ont été introduites avec la banane par les premiers
migrants, sont actuellement des plantes négligées et leur culture a périclité aux dépens du riz
ou d’autres tubercules plus faciles à cultiver et pourtant moins intéressants au point de vue
nutritionnel comme le manioc ou la patate douce (Raison, 1992).
Il était donc intéressant, dans le cadre de la valorisation de l’agrobiodiversité malgache et
dans le cadre d’une diversification des produits d’alimentation dans un pays où le riz constitue
pratiquement le seul aliment de base, de se pencher sur la diversité des ignames cultivées, de
les inventorier afin d’en déterminer les différentes formes, variétés ou cultivars, de les décrire,
d’en déterminer la distribution, les usages. Il était aussi intéressant de voir dans quelle mesure
les ignames qui sont appelées « plantes des ancêtres » (Jeannoda, 2010) ont une importance
dans la société malgache et donc de connaître les éléments culturels ou les croyances qui leur
sont associés. Enfin, il fallait trouver des pistes pour permettre de faire redécouvrir les
ignames par les malgaches afin qu’ils puissent les intégrer dans leur régime alimentaire
actuel.
II - Milieux d’étude (figure 1) :
Des enquêtes ethnobotaniques et des récoltes ont été
effectuées dans diverses régions de Madagascar,
représentatives des différents milieux agroécologiques du
pays.
Pour la partie orientale, les études ont été entreprises, en
allant du Nord au Sud, dans les régions de Antalaha,
Vavatenina, Fenerive Est, Foulpointe, axe MoramangaToamasina dont Brickaville, Vatomandry, Manakara,
Vohipeno, Farafangana.
Sur les hauts plateaux, les investigations ont été menées
le long de l’axe menant d’Antananarivo à Fianarantsoa,
dans le Parc National de Ranomafana et dans le corridor
Fandriana-Vondrozo.
Enfin pour la partie occidentale, les régions de Toliara, du
Menabe, du Parc National d’Ankarafantsika et
d’Antsiranana ont été prospectées.
III - Méthodes d’étude :
La méthodologie utilisée pour inventorier les différentes
formes d’ignames cultivées de Madagascar repose sur des
Figure 1 : Zones d’étude
enquêtes effectuées auprès des paysans, des responsables
administratifs (maires, chef de fokontany) et de personnes ressources travaillant dans des
ONG de développement. Ces enquêtes sont effectuées sous forme d’entretien non dirigé et ont
pour objectifs d’obtenir les noms donnés aux différentes formes d’ignames par les populations
locales, les critères utilisés pour les distinguer, les modes d’utilisation, les lieux et les
méthodes de culture, les croyances ou dictons qui y sont associés. Les enquêtes sont ensuite
suivies de descente dans les champs d’ignames ou dans les divers milieux où elles poussent
sous la conduite de guides. Des échantillons de chaque forme sont mis en herbier, des feuilles
sont récoltées pour les études moléculaires ainsi que des tubercules pour les analyses
nutritionnelles et toxicologiques. La morphologie de chaque forme rencontrée est observée
(caractères de la tige et des feuilles, structure et couleur des tubercules, présence et forme des
bulbilles…) et des photos sont prises pour alimenter la photothèque du projet.
IV – Résultats :
A - Les noms des ignames cultivées de Madagascar :
Deux espèces d’ignames sont cultivées à Madagascar : D. esculenta qui est cantonnée à la
côte est du pays et D. alata que l’on rencontre dans toutes les régions étudiées. Si D.
esculenta n’est connue que par deux appellations « mavondro » partout sur la côte est qui est
la plus courante et « oviampasika ou ovi-pasy » ou igname des sables dans le sud-est de
Madagascar, les noms vernaculaires données à D. alata sont légion et reflètent la grande
variété morphologique de l’espèce, mais aussi la grande étendue de sa distribution.
D. alata a été inventoriée dans toutes les régions qui ont été prospectées. Elle se rencontre
dans de véritables champs de culture, dans les jachères, dans le baiboho ou terres alluviales,
mélangée à d’autres cultures ou enfin dans les jardins de case sous forme généralement de un
ou quelques pieds isolés. Les noms des diverses formes de D. alata, à quelques exceptions
près, sont formés du terme « ovy » qui est le nom générique des ignames en malgache et qui
vient de l’indonésien « uwi » ou « ubi », suivi d’un qualificatif qui se rapporte généralement à
une caractéristique du tubercule (forme, couleur, etc…). Les divers noms vernaculaires au
niveau des différentes zones d’étude sont donnés au tableau I. Dans certaines régions,
plusieurs noms vernaculaires sont utilisés pour désigner une même forme d’igname. Ailleurs,
ces mêmes noms peuvent correspondre à des formes différentes. Seules, les analyses
génétiques et moléculaires effectuées sur plus de 300 accessions d’ignames cultivées récoltées
dans les différentes zones d’étude permettront de trancher sur le fait que les différentes formes
observées correspondent ou non à de véritables cultivars.
Tableau I : Les divers noms vernaculaires de D. alata dans les zones d’étude Zones d’étude
Noms vernaculaires de D. alata
Antalaha
Ovibe, Majôla, Antibavy mavônka,
Tangôlina fotsy, Tangôlina mena, Ovy mena
Vavatenina, Fenerive Est, Toamasina
Ovibe, Ovy lohandambo, Ovy lava, Ovy
lalaina ou Ovy mena
Brickaville
Ovibe, Ovy lalaina ou Ovy ble, Ovy lava, Ovy lohandambo, Ovy voay, Ovy vazaha ou
Ovy mena, Ovy Masanivolo, Ovy tanga ,Ovy
rindrina, Ovy rozia, Ovy bonganomby
Vatomandry
Ovy lalaina, Ovy vazaha, Ovy fotsy, Ovy
voay, Ovy poipoy
Parc National de Ranomafana, Région du
Sud-est
Ovy tanty, Ovy lava, Ovy voay, Ovy, Oviala,
Ovy mamy, Ovy gasy, Ovy tranga, Ovy
bory, Ovy saonjo ou Bodoa saonjo ou Ovy
bory ou Ovy loatry, Ovy rindrina, Bodoa
fotsy ou Bemako fotsy, Bodoa mena ou
Bemako mena, Bodoa fotsy, Ovy katso, Ovy
ble, Bodoa, Bodoa mena taho
Axe Tana-Fianarantsoa/Ambalavao, Corridor Ovy tanty, Ovy toko, Ovy soroka, Ovibe,
Fandriana-Vondrozo
Ovy randromiendaka, Ovy tranga, Ovy lava
Toliara
Ovy soroka, Bemako, Revoroke, Ovy toko
Menabe
Ovy, Bemako, Bodoa
Parc National Ankarafantsika
Ovy, Oviala, Ovy fantaka, Ovy be
Antsiranana
Majôla, Majôla maroanaka, Majôla be
ravina, Mâjola kely ravina, Ovy fotsy, Ovy
lava
Si Ovy est le nom générique utilisé pour désigner généralement parler de D. alata, d’autres
termes sont utilisés dans certaines régions : Mâjola pour le Nord du pays, Bodoa pour le sudest, Bemako pour le sud-ouest.
D’autre part, les noms vernaculaires des différentes formes de D. alata peuvent être classés en
plusieurs catégories :
•
ceux qui se rapportent à la forme et /ou au nombre de tubercule. C’est le cas de Ovibe
(gros tubercule), Ovy lava (tubercule allongé), Ovy lohandambo (tubercule ayant la
forme d’une tête de sanglier), Ovy bory (tubercule court), Ovy toko (tubercules
nombreux se présentant comme un tas), Majôla maroanaka (tubercules nombreux),
Bodoa saonjo (tubercule qui ressemble à celui du taro), Ovy masanivolo (tubercule
entouré de radicelles ressemblant à des rayons de soleil), Ovy bonganomby (tubercule
ressemblant à un testcule de zébu)…
•
ceux qui décrivent la couleur du tubercule, principalement la chair : Ovy ble
(tubercule bleu), Ovy fotsy ou bodoa fotsy (blanc), Ovy mena ou Bodoa mena
(tubercule rouge), ovy lalaina ou ovy rozia (tubercule violet)
Figures 2 et 3: Tubercule de Ovy vazaha ou Ovy rozia •
certains noms décrivent d’autres caractères comme la peau du tubercule (Ovy
randromiendaka où le tubercule a la forme d’une jambe dont la peau se désquame), les
feuilles de la plante (Majôla be ravina ou igname à grande feuilles et Majôla keliravina
à petites feuilles), la tige de la plante (Bodoa mena taho à tige rougeâtre).
•
Enfin certaines des qualificatifs utilisés désignent des ignames malgaches (Ovy gasy)
ou des ignames étrangères (Ovy vazaha). Le termes vazaha désigne généralement des
plantes dont certaines parties sont plus développées ou sont meilleures à consommer
que celles des ignames « gasy ». En fait le Ovy vazaha ou Ovy rozia est une igname à
chair violacée très appréciée par les paysans (figures 2 et 3).
B – La morphologie générale des ignames cultivées (figures 4 à 8)
Les ignames cultivées sont des plantes formant des tubercules en nombre variable et de forme
diverse. La tige est une liane plus ou moins ramifiée portant des feuilles simples à nervation
palmée avec un nombre de nervure variable. Le limbe des feuilles présentent une pointe plus
ou moins marquée ou acumen et la base est échancrée formant un sinus plus ou moins
profond et plus ou moins large conduisant à la formation de deux lobes inférieurs ou
auricules.. Enfin les fleurs de sexe séparé apparaissent sur des pieds distincts.
D. esculenta pousse dans les sols sableux des régions côtières orientales et présente une tige
épineuse dextrogyre (tournant dans le sens des aiguilles d’une montre) de section circulaire,
avec des feuilles cordiformes dont les auricules se recouvrent les unes sur les autres. Les
tubercules de couleur blanche sont très nombreux, de forme allongée ou arrondie et
apparaissent chacun à l’extrémité de rhizomes. Ils sont entourés d’un réseau de racines
densément épineuses qui jouent un rôle contre les prédateurs.
D. alata peut se développer sur tous les types de sols. La tige est une tige anguleuse,
généralement quadrangulaire et présentation des expansions ailées au niveau de chaque angle.
Certaines formes peuvent présenter des épines à la base de la tige qui est aussi dextrogyre. Les
feuilles sont globalement cordiformes avec un sinus bien marqué. Ce dernier cependant peut
être très peu développé et donner alors des formes où les feuilles ont une base aplatie.
Certaines formes de D. alata portent sur les tiges des tubercules aériens appelés bulbilles,
organes de multiplication végétative qui en tombant sur le sol peuvent redonner de nouveaux
pieds. Lors de nos observations, nous avons surtout observé la présence de fleurs femelles sur
les individus observés qui ne donnent pas naissance à des fruits. Ceci nous amène à nous
poser la question de savoir si les formes introduites à Madagascar étaient toutes femelles.
Figure 4 : pied de D.esculenta Figure 5 : tubercules de D. esculenta Figure 6 : tige ailée de D. alata Figure 7 : feuille de D. alata ovibe Figure 7 : bulbille de D. alata ovy lalaina Figure 8 : racines épineuses de D. esculenta C – Les usages des ignames cultivées
1) Usage alimentaire
Toutes les ignames cultivées sont utilisées comme aliment. Elles peuvent servir d’aliment de
base, remplaçant le riz dans le Sud-est de Madagascar, mais dans la plupart des cas et des
régions, elles servent de supplément au riz ou d’en-cas ou peuvent remplacer le riz en période
de soudure. Les populations qui connaissent les ignames s’entendent toutes pour dire que les
ignames ont meilleur goût que les autres tubercules, en particulier le manioc, qu’elles ont la
qualité de mieux rassasier et donc d’être plus intéressante pour s’attaquer aux travaux des
champs. Enfin, au niveau de l’appréciation de leur goût, les populations hiérarchisent les
ignames de telle sorte que c’est le mavondro (D. esculenta) qui est le plus apprécié, du moins
dans les zones où il se rencontre, puis les ignames à chair violette ou rougeâtre (ovy lalaina,
ovy ble, ovy mena) et les ignames à chair blanche et à peau fine (ovy lava, ovy fotsy). De
toutes les ignames cultivées c’est la forme Ovibe qui est la moins appréciée bien que ce soit
celle qui soit la plus cultivée et la plus abondante.
La préparation des ignames cultivées nécessite qu’elles soient d’abord épluchées, puis cuites
dans de l’eau en morceaux plus ou moins gros (en morceaux de 3 à 4cm avec beaucoup d’eau
pour donner le « kadaka », ou en morceaux plus gros de 5 à 10cm avec moins d’eau pour
obtenir le « batabata », fig.9). Ces préparations peuvent ensuite être mangées seules ou avec
des accompagnements comme du poisson, de la viande, du miel, du jus de coco ou du sucre.
Figure 9: Batabata de Ovy lalaina Les ignames sont consommées fraîches. Il n’existe traditionnellement pas de séchage des
tubercules et donc de transformation en cossettes. Le seul mode de conservation utilisée pour
les ignames est d’enterrer les tubercules frais dans une fosse et de les couvrir de terre, auquel
cas, l’igname peut se conserver une à deux semaines sans altération majeure.
En dehors des tubercules, les feuilles sont aussi comestibles ainsi que l’ont indiqué des
paysans du Parc National d’Ankarafantsika. Mais ceci est un fait rare car la formation du
tubercule que les gens jugent plus important et plus intéressant en matière nutritionnel est
fonction de la présence des feuilles sur la plante.
2) Usages médicinales
Les enquêtes effectuées dans la partie ouest de Madagascar (Menabe et Ankarafantsika) ont
permis de trouver que les ignames cultivées (D. alata) de ces régions peuvent être utilisées en
médecine traditionnelle. C’est ainsi que les jeunes feuilles violacées sont écrasées et étalées
sur les brûlures de la peau pour les soigner. Les feuilles pilées peuvent de la même manière
servir au soin des furoncles. Les feuilles sèches tombées naturellement au pied de la plante
sont utilisées en décoction pour traiter la fièvre et le paludisme. Enfin, les feuilles d’igname
mélangées à d’autres plantes peuvent diminuer les trop grandes hémorragies pendant la
menstruation.
Dans le sud-est de Madagascar, les feuilles de bodoa (D. alata) servent à soigner une maladie
de la volaille appelée « barika » et qui peut entraîner la mort de toute la basse-cour. Les
feuilles sont pilées, puis pressées pour en extraire le jus que l’on fait boire chaque jous à
l’animal malade pendant trois jours.
D – Valeur culturelle des ignames cultivées
Il existe des éléments de la culture malgache qui montre que les ignames cultivées sont des
plantes qui sont bien à associer à un passé déjà lointain, voire même l’arrivée des premiers
malgaches à Madagascar, d’où le nom de « voli-drazana » ou plantes des ancêtres qui leur est
donné dans de nombreuses régions de l’île.
Le premier fait qui vient étayer ce constat est l’existence dans l’est de Madagascar (qui
semble-t-il est un des premiers lieux colonisés par les premiers migrants) d’un « dina » ou
pacte social où celui qui déterre une igname doit tout de suite re-enterrer la tête du tubercule
récolté. Ce « dina » punit celui qui ne le fait pas selon des règles déjà bien établies. De plus
les paysans croient que celui qui manque à cette obligation apportera le malheur sur toutes ses
autres cultures et même sur toute sa famille.
Dans le Betsileo, les tubercules de D. alata sont utilisés dans une cérémonie appelée
« alasakana » (ce qui veut littéralement surmonter les difficultés). Elle consiste à faire respirer
la vapeur d’igname en train de bouillir et ensuite à faire manger un morceau de tubercule aux
personnes âgées atteinte de sénilité ou aux jeunes adolescents difficiles à élever. Cette
pratique aurait comme conséquence de diminuer les problèmes conséquents à la sénilité ou à
l’adolescence. C’est l’existence de cette pratique qui explique d’ailleurs la présence de un à
deux pieds d’ignames cultivés dans les jardins des maisons du Betsileo.
A Vavatenina, le début de la germination des ignames cultivées est un marqueur écologique et
correspond pour les paysans où ils doivent préparer leur champ pour effectuer le « tavy » ou
la culture sur brûlis. C’est à ce moment que les paysans commencent à couper la végétation
afin de la brûler plus tard une fois sèche.
Beaucoup de dictons ou de proverbes ont recours aux ignames cultivées, mais aussi aux
ignames sauvages. S’agissant par exemple du Ovy fotsy ou Ovy lava dont le tubercule est
profondément enterré dans le sol, un dicton Betsimisaraka (est de Madagascar) dit « Raha roa
lahy miady Ovy fotsy, ny iraiky mandry ny iraiky mangarona ». Littéralement, le dicton dit
que déterrer un Ovy lava nécessite l’intervention de 2 personnes, et le nécessité que l’un se
repose pendant que l’autre creuse étant donné l’effort qu’il faudra fournir pour le déterrer. Ce
dicton serait un peu l’équivalent du proverbe français qui dit que « qui veut aller loin préserve
sa monture ».
Enfin, preuve de ce que les ignames sont actuellement des aliments négligés, la culture et la
consommation d’ignames cultivées sont considérées comme un signe de pauvreté et ont été
abandonnées dans beaucoup de régions. De ce fait, la pression s’est maintenant reportée sur
les ignames sauvages dont la diversité est très riche (une quarantaine d’espèces endémiques),
entraînant leur surexploitation et la menace de leur disparition.
V - Conclusion
La diversité des ignames cultivées malgaches est très importante et mérite d’être mieux
connue et d’être redécouverte. Leur répartition dans tout Madagascar, leur diversité, les
croyances y rattachées montre bien qu’il s’agit là d’une ressource qui représentait un des
piliers de l’agriculture malgache aux temps jadis.
C’est la raison pour laquelle l’équipe du Projet Ignames CORUS 6020 a travaillé tout au long
du projet en collaboration avec le Programme SAHA d’Intercoopération Suisse pour faire
connaître les différentes formes d’ignames, pour en faire la promotion par des concours
culinaires, par des participations à des foires agricoles, aux Journées de l’Alimentation, par
des formations à la productions de semences et à la culture d’igname. Cette collaboration
s’est aussi étendue avec le programme Feedback Madagascar du Royal Botanical Garden de
Kew à Londres qui intervient maintenant dans la culture d’igname au sein du corridor
forestier Fandriana-Vondrozo. Enfin, grâce aux campagnes de sensibilisation entreprises par
l’équipe Faculté des Sciences / Programme SAHA sur l’intérêt au point de vue nutritif des
ignames, intérêt qui a fait également l’objet de recherche au sein du Projet, La FAO et Care
International se sont aussi lancés dans la culture des ignames dans les zones qui ne sont celles
où interviennent les autres programmes.
Nous osons espérer que les ignames perdront bientôt le statut de plante ignorée, négligée et
que cette plante fera bientôt partie du régime alimentaire du malgache du 21ème siècle.
Remerciements : Les auteurs tiennent à exprimer leur gratitude au Programme CORUS 2 qui
a financé toutes les études effectuées dans le cadre du projet ignames 6020 « Contribution à la
valorisation de l’agrobiodiversité des ignames malgaches » et se sont penchées sur les aspects
ethnobotaniques, morphologiques et moléculaires des ignames cultivées, sur leur
phytopathologie, le système de culture y relié, la recherche des facteurs nutritionnels et
antinutritionnels ainsi que la toxicologie des ignames cultivées et leurs propriétés
organoleptiques. Le programme a également financé une partie des dépenses occasionnées par
les campagnes de sensibilisation en collaboration avec les divers ONG partenaires.
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