MISE AU POINT La place des inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR dans les cancers bronchiques non à petites cellules avancés The role of EGFR tyrosine kinase inhibitors in non-small-cell lung cancer I. Elghissassi*, H. Inrhaoun*, H. M’rabti*, H. Errihani* L * Service d’oncologie médicale, Institut national d’oncologie, Rabat, Maroc. e cancer du poumon est un problème de santé publique dans le monde. Il se situe au quatrième rang des cancers les plus fréquents en France avec une estimation d’environ 35 000 nouveaux cas par an. C’est la première cause de mortalité par cancer chez l’homme dans le monde et en France : 18,3 % de l’ensemble des décès par cancer (1). Le type histologique non à petites cellules représente 85 % des cas de cancer pulmonaire, et approximativement 65 % des patients se présentent d’emblée à un stade avancé (2-4). Le traitement habituellement proposé à ces patients dont l’état général est préservé est un doublet de chimiothérapie à base de cisplatine. Cependant, au fil des années, ces cytotoxiques conventionnels ont atteint un plafond thérapeutique avec une médiane de survie ne dépassant pas 9 mois (5, 6). Récemment, la recherche sur le plan moléculaire sur les stades les plus avancés du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) a ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques avec l’arrivée de nouvelles stratégies et de nouvelles molécules. Le récepteur du facteur de croissance épidermique (Epidermal Growth Factor Receptor [EGFR]) est un récepteur transmembranaire de la famille des récepteurs à activité tyrosine kinase. Cette glycoprotéine de 170 kDa comporte un domaine extracellulaire riche en cystéine où se fixe le ligand, un domaine transmembranaire et un domaine intracellulaire à activité tyrosine kinase. La suractivation de ce récepteur est impliquée dans la stimulation et le maintien de la croissance cellulaire, l’angiogenèse et l’accroissement du pouvoir métastatique (7). Les inhibiteurs des tyrosine kinases (ITK) de l’EGFR sont de petites molécules qui entrent en compétition avec l’adénosine triphosphate (ATP) pour la liaison au niveau du récepteur kinase, bloquant ainsi l’activation du récepteur (8). Une surexpression de l’EGFR est observée chez plus de 60 % des patients atteints d’un CBNPC métastatique et est corrélée à un mauvais pronostic (9). Deux inhibiteurs sélectifs et réversibles de l’activité tyrosine kinase de l’EGFR ont été largement testés et développés dans le CBNPC avancé : le géfitinib et l’erlotinib. D’autres molécules, comme l’icotinib ou l’afatinib, sont actuellement en cours d’étude, et les résultats préliminaires sont très encourageants. Nous allons détailler, à travers une revue de la littérature, les différents essais qui ont testé les ITK de l’EGFR dans le CBNPC avancé ainsi que les perspectives qu’offrent ces molécules ciblées. Inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR au-delà de la première ligne Initialement, les monothérapies par ITK de l’EGFR ont été développées dans le CBNPC avancé après échec d’une chimiothérapie standard à base de platine. 604 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-2011.indd 604 13/12/11 15:02 Résumé Mots-clés Le pronostic du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) s’est considérablement amélioré ces dernières années, notamment grâce à la découverte à l’échelle moléculaire de certaines mutations qui engendrent une sensibilité particulière aux inhibiteurs des tyrosine kinases (ITK) de l’EGFR. L’utilisation de ces derniers, selon des critères biocliniques bien définis, a affiné la prise en charge thérapeutique des CBNPC, qui, désormais, ne repose plus seulement sur le type histologique et le stade de la tumeur. Les ITK de l’EGFR ont également dessiné leur place dans la stratégie de maintenance et dans le traitement des sujets fragiles ne supportant pas une chimiothérapie classique. Nous présentons ici les résultats des principaux essais ayant évalué ces molécules, leurs indications ainsi que les perspectives d’avenir. L’essai IDEAL 1 (10), mené au Japon, et l’essai IDEAL 2 (11), mené en Europe et aux États-Unis, sont des études de phase II randomisées comparant 250 et 500 mg/j de géfitinib, en monothérapie en deuxième, troisième ou quatrième ligne de traitement après échec d’une chimiothérapie à base de platine et/ou de docétaxel. Cinquante pour cent des patients ont tiré un bénéfice clinique du traitement (réponse partielle ou stabilisation). Un tiers des patients étaient en vie 1 an après le début du traitement par géfitinib. En revanche, dans l’essai de phase III randomisé ISEL (12) comparant le géfitinib au placebo chez 1 692 patients atteints de CBNPC en échec après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie, le taux de réponse était de 8 % pour le géfitinib versus 1 % pour le placebo, mais ni la survie médiane (5,6 versus 5,1 mois ; p = 0,089) ni la survie à 1 an (27 versus 21 mois) n’étaient significativement améliorées. Les résultats de cet essai n’ont pas fait retenir le géfitinib, initialement approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) en mai 2003, dans cette indication. Dans l’essai canadien BR.21 (13) portant sur 730 patients atteints de CBNPC de stade avancé, l’erlotinib à la dose de 150 mg/j a été comparé au placebo. Les patients avaient reçu une première, une deuxième ou une troisième ligne de chimiothérapie (avec du cisplatine dans plus de 90 % des cas). L’objectif principal était la survie globale (SG). Le taux de réponse était de 9 % avec l’erlotinib (1 % de réponse complète et 8 % de réponse partielle). La survie médiane était de 6,7 versus 4,7 mois et la survie à 1 an, de 31 versus 22 %. Ces différences étaient statistiquement significatives (p = 0,0001) et à l’origine de l’approbation de l’erlotinib aux ÉtatsUnis et en Europe dans le CBNPC après échec d’une première ligne de chimiothérapie. Par ailleurs, les études précédentes ont montré une efficacité des ITK de l’EGFR plus importante chez les patients d’origine asiatique, de sexe féminin ou non fumeurs et lorsque la tumeur était de types histologiques adénocarcinome et bronchiolo-alvéolaire. La survenue d’un rash cutané chez les patients au cours du traitement par les ITK, qui sont généralement bien tolérés, la survenue d’une diarrhée et ou d’une toxicité cutanée (principalement) ainsi que la présence d’un grand nombre de copies de l’EGFR étaient des facteurs prédictifs de la réponse et de la survie (13, 14). Association d’inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR et de chimiothérapie en première ligne Après que les ITK de l’EGFR eurent prouvé une certaine efficacité en deuxième ligne thérapeutique dans le CBNPC avancé, il était logique de conduire des études évaluant la combinaison de ces molécules à une chimiothérapie standard en première ligne de traitement. Cependant, aucun des 4 essais de phase III réalisés n’a pu montrer un bénéfice en termes de survie à associer un ITK à la chimio thérapie de première ligne ; au contraire, cette association augmente la toxicité (tableau I) [15-18]. L’essai de phase II, présenté par P.A. Janne et al. à l’ASCO® 2010 (American Society of Clinical Oncology), a randomisé 181 patients peu ou non fumeurs entre un traitement combinant erlotinib et chimiothérapie par paclitaxelcarboplatine, d’une part, et une monothérapie par erlotinib, d’autre part. Il n’y avait aucun bénéfice du triplet par rapport à l’erlotinib seul en termes de survie sans progression (SSP) : 6,6 et 6,7 mois respectivement [19]. Actuellement, l’association des ITK et de la chimiothérapie est contre-indiquée dans le traitement des CBNPC avancés ou métastatiques. Récepteur du facteur de croissance épidermique Inhibiteurs des tyrosine kinases Cancer bronchique non à petites cellules Summary The prognosis of non-smallcell lung cancer (NSCLC) has improved considerably in the past years, particularly through the discovery at the molecular level of some mutations that cause a particular sensitivity to EGFR tyrosine kinase inhibitors (TKI). The use of these, according to bioclinical criteria, refined the management of NSCLC, which is now no longer based solely on the histological type and stage of the tumor. The EGFR TKI have also their place in the maintenance strategy and in treatment of patients that do not support conventional chemotherapy. We will develop in this work the results of major trials that evaluated these molecules, their indications and future prospects. Keywords Epidermal growth factor receptor Tyrosine kinase inhibitor Non-small-cell lung cancer Tableau I. Essais de phase III évaluant l’ajout des inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR à la chimiothérapie en première ligne thérapeutique dans le CBNPC. Étude Molécule Médiane de survie (mois) Survie à 1 an (%) p INTACT1 (15) Géfitinib 250-500 mg Placebo 9,9 11,7 41-43 45 NS INTACT2 (16) Géfitinib 250-500 mg Placebo 8,7-9,8 9,9 37-41 42 NS TALENT (17) Erlotinib 150 mg Placebo 9,9 10,1 41 42,1 NS TRIBUTE (18) Erlotinib 150 mg Placebo 10,6 10,5 45,9 43,9 NS NS : non significatif. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 | LK12-2011.indd 605 605 13/12/11 15:02 MISE AU POINT La place des inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR dans les cancers bronchiques non à petites cellules avancés Inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR et mutations de l’EGFR : une ère nouvelle s’installe Les critères de sélection étaient cliniques ; la population était constituée de patients exclusivement asiatiques, majoritairement des femmes, anciens fumeurs légers (moins de 10 paquets-années) ou non fumeurs et porteurs d’un adénocarcinome. Cet essai a montré la non-infériorité du géfitinib par rapport à la bithérapie (médiane de SSP : 5,7 versus 5,8 mois). Cependant, l’analyse des courbes montre qu’elles se croisent, ce qui signifie que l’étude avait enrôlé 2 populations, ce que les auteurs avaient anticipé en prévoyant une analyse pré-spécifiée de la population avec mutations d’EGFR. L’analyse a montré que, chez les patients EGFR positifs (EGFR+), les taux de réponse et de SSP étaient largement meilleurs pour les patients traités par géfitinib que ceux des patients EGFR négatifs (EGFR−). La deuxième étude fondée sur des critères de sélection cliniques est FIRST SIGNAL (27). Cet essai, dont l’effectif est moins important, a également démontré la supériorité du géfitinib sur une chimiothérapie à base de gemcitabine + cisplatine chez la population EGFR+, en termes de réponse objective et de SSP. Les études OPTIMAL, NEJ002 et WJTOG3405 (28-30) ont pris comme critère de sélection la mutation de l’EGFR. La comparaison entre ITK de l’EGFR (erlotinib et géfitinib) et chimiothérapie, chez ces patients tous porteurs de mutations d’EGFR, est largement en faveur du groupe recevant un ITK. L’essai européen de phase III EURTAC a comparé, en première ligne de traitement, l’erlotinib à une chimiothérapie standard chez des patients exclu- Le séquençage du gène EGFR dans le tissu tumoral a montré que la majorité des tumeurs répondant aux ITK de l’EGFR portaient des mutations dans le domaine tyrosine kinase de l’EGFR, spécifiquement dans les exons 18 à 21 (20, 21). Deux mutations, les délétions 747-752 de l’exon 19 et la mutation ponctuelle L858R de l’exon 21, représentent à elles seules 85 % des mutations de l’EGFR. La distribution de ces 2 mutations activatrices serait similaire dans les études, qu’elles soient d’origine asiatique ou non (22). Plusieurs méta-analyses et études prospectives de cohorte ont confirmé que les patients qui présentaient une mutation activatrice de l’EGFR avaient un meilleur taux de réponse objective, de SSP et de SG que ceux dont l’EGFR n’était pas muté (22-25). D’autres essais de phase III ont évalué l’intérêt d’un traitement par géfitinib ou erlotinib par rapport à une chimiothérapie standard en première ligne chez des patients présentant un CBNPC avancé ou métastatique en se fondant soit sur les critères cliniques d’efficacité des ITK, soit sur la présence de mutations de l’EGFR (tableau II). L’essai IPASS est la plus grande étude de phase III ayant comparé en première ligne de traitement un ITK de l’EGFR, le géfitinib (n = 609), à une chimiothérapie par paclitaxel-carboplatine (n = 608) [26]. Tableau II. Essais de phase III comparant un inhibiteur de tyrosine kinase à une chimiothérapie standard en première ligne thérapeutique dans le CBNPC EGFR muté. Étude Critère de sélection IPASS (26) OPTIMAL (28) NEJ002 (29) WJTOG3405 (30) FIRST SIGNAL (27) EURTAC (31) Cliniques Mutation EGFR Mutation EGFR Mutation EGFR Cliniques Mutation EGFR Molécule Nombre G 132 PC 129 E 83 GCa 82 G 114 PC 110 G 86 DC 86 G 26 GC 16 E 77 CBP 76 Taux de réponse objective (%) 71,2 47,3 p = 0,0001 83 36 p < 0,0001 74 29 p < 0,001 62,1 32,2 84,6 37,5 p = 0,002 54,5 10,5 p < 0,0001 Survie sans progression (mois) 9,5 6,3 p < 0,001 13,1 4,6 p < 0,0001 10,4 5,5 p < 0,001 9,2 6,3 p < 0,0001 8,4 6,7 p = 0,084 9,4 5,2 p < 0,0001 Survie globale (mois) 18,8 17,4 p = 0,109 NR NR 28 23,6 p = 0,354 NR NR 30,6 26,5 p = 0,648 22,9 18,8 p = 0,42 CBP : chimiothérapie à base de platine ; DC : docétaxel + cisplatine ; E : erlotinib ; G : géfitinib ; GCa : gemcitabine + carboplatine ; GC : gemcitabine + cisplatine ; NR : non rapporté ; PC : paclitaxel + carboplatine. 606 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-2011.indd 606 13/12/11 15:02 MISE AU POINT sivement caucasiens présentant un CBNPC EGFR muté. Les résultats, présentés cette année à l’ASCO® et au WCLC (World Conference on Lung Cancer), montraient une amélioration significative en termes de SSP (objectif principal) en faveur du bras erlotinib (9,4 versus 5,2 mois ; p < 0,0001). Cet avantage était retrouvé dans tous les sous-groupes de stratification en dehors de celui des fumeurs actifs et des ex-fumeurs. La médiane de survie et le taux de réponse objective (objectifs secondaires) étaient respectivement de 10,5 % et 18,8 mois sous chimiothérapie, versus 54,5 % et 22,9 mois sous erlotinib (p < 0,0001 ; p = 0,42). La tolérance sous erlotinib était acceptable avec comme principales toxicités des diarrhées (57,3 %), de l’asthénie (53,3 %) et des rashs (49,3 %) [31]. L’ensemble des résultats de ces études convergent pour montrer qu’un traitement par ITK en première ligne apporte un bénéfice significatif en termes de taux de réponse et de SSP chez les patients présentant un EGFR muté par rapport à une chimiothérapie classique. L’absence de bénéfice en termes de SG notée dans ces essais pourrait s’expliquer par l’effet des lignes ultérieures du traitement (crossover), sachant que le bénéfi ce des ITK serait identique qu’ils soient administrés en première ligne de traitement ou au-delà. En effet, la mutation de l’EGFR est elle-même facteur de bon pronostic, et les patients reçoivent en général plusieurs lignes de traitement, notamment par ITK de l’EGFR chez les patients initialement traités par chimiothérapie. Dans l’étude observationnelle de R. Rosell et al. (22), 217 patients présentant un CBNPC avancé avec mutation de l’EGFR ont reçu de l’erlotinib en première ligne (n = 113) ou en deuxième ligne (n = 104) de traitement. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative en termes de médiane de SSP (14 versus 13 mois ; p = 0,62) ni de SG (28 versus 27 mois ; p = 0,67). Inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR en maintenance L’objectif du traitement de maintenance est de consolider l’effet d’une chimiothérapie de première ligne, dès la fin de celle-ci, par l’introduction d’une nouvelle thérapeutique chez les patients répondeurs ou stables. Ces dernières années, les résultats de plusieurs essais évaluant cette approche, en particulier avec des molécules comme le pémétrexed (31) et les ITK, ont été publiés. Quatre essais rapportés à ce jour ont évalué l’apport des ITK dans le CBNPC en situation de maintenance, dont 3 avec l’erlotinib (SATURN, ATLAS et IFCTGFPC 0502) et 1 avec le géfitinib (EORTC 08021) [tableau III]. L’essai de phase III SATURN (32) a randomisé 889 patients n’ayant pas progressé après 4 cycles d’une première ligne de chimiothérapie à base de platine entre maintenance par erlotinib et placebo jusqu’à progression ou toxicité inacceptable. La SSP (objectif principal) était meilleure dans le bras erlotinib (12,3 versus 11,1 mois ; p < 0,0001). La SG était également significativement améliorée, avec un hazard-ratio (HR) de 0,79. Actuellement, l’erlotinib est approuvé en traitement de maintenance en Europe, y compris en l’absence de mutation activatrice de l’EGFR, chez les patients stables après une chimiothérapie d’induction. Tableau III. Études de phase III évaluant les inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR en maintenance. Étude SATURN (32) ATLAS (33) IFCT-GFPC 0502 (34) EORTC 08021 (35) Première ligne Comparaison Survie sans progression Survie globale HR (IC95) p HR (IC95) p Platine + 3G Erlotinib versus placebo 0,71 (0,62-0,82) S 0,81 (0,70-0,95) S Platine + 3G + bévacizumab Bévacizumab + erlotinib versus bévacizumab + placebo 0,72 (0,59-0,88) S 0,92 (0,70-1,21) NS Gemcitabine + cisplatine Erlotinib versus observation 0,82 (0,73-0,93) S 0,91 (0,80-1,04) NS Platine + 3G Géfitinib versus placebo 0,61 (0,45-0,83) S 0,83 (0,60-1,15) NS 3G : cytotoxiques de 3e génération ; NS : non significatif ; S : significatif. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 | LK12-2011.indd 607 607 13/12/11 15:02 MISE AU POINT La place des inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR dans les cancers bronchiques non à petites cellules avancés Dans l’essai de phase III ATLAS (33), randomisé en double aveugle, la maintenance par l’association bévacizumab et erlotinib a été comparée à l’association de bévacizumab et d’un placebo chez 743 patients. Les médianes de SSP étaient respectivement de 4,76 et 3,75 mois (p = 0,0012), toutefois sans impact significatif sur la SG. L’étude IFCT-GFPC 0502 (Intergroupe francophone de cancérologie thoracique – Groupe français de pneumo-cancérologie) [34], conduite par M. Pérol et al., a comparé sur 464 patients atteints de CBNPC de stades IIIB et IV, après 4 cycles de gemcitabine + cisplatine, 3 bras : observation, maintenance continue par gemcitabine et maintenance par erlotinib. La médiane de SSP pour ce dernier bras était significativement meilleure que celle du bras observation (p = 0,002). Il y avait également une tendance à l’amélioration de la SG, mais qui n’atteignait pas la significativité. L’étude EORTC 08021 (European Organisation for Research and Treatment of Cancer) [35], comparant un traitement de maintenance par géfitinib et un placebo, a été arrêtée prématurément pour recrutement insuffisant. Alors que 589 patients étaient initialement prévus, seuls 173 ont été inclus. La médiane de SSP était significativement meilleure dans le bras géfitinib (4,1 versus 2,9 mois ; p = 0,0015). Il n’y avait pas de différence en termes de SG, objectif principal de l’essai. Grâce aux résultats positifs de ces essais, il est clair que la maintenance avec les ITK est une nouvelle option chez les patients présentant un CBNPC avancé ou métastatique n’ayant pas progressé après une chimiothérapie première. Elle permet aux patients de recevoir directement un traitement de deuxième ligne (presque la moitié des patients ne l’auraient pas reçu en cas d’attente jusqu’à la progression), de bénéficier d’une période sans chimiothérapie Tableau IV. Inhibiteurs des tyrosine kinases chez les patients de performance status supérieur ou égal à 3. Auteur Molécule n Sélection PS 3/4 Réponse objective (%) Survie médiane (mois) G.C. Chang et al. (36) Géfitinib 52 Aucune 43/9 25 2,5 Y.J. Lee et al. (37) Géfitinib 74 Aucune 48/26 27 2 A. Inoue et al. (38) Géfitinib 21 EGFR muté 17/4 68 17,8 EGFR : Epidermal Growth Factor Receptor. (et donc de se rendre moins souvent à l’hôpital) et de prendre des molécules par voie orale généralement bien tolérées. Inhibiteurs des tyrosine kinases chez les patients dont l’état général les rend non éligibles à un traitement par chimiothérapie Dans les CBNPC avancés ou métastatiques, les patients se présentant dans un mauvais état général (Performance Status [PS] 3 ou 4) ne sont pas considérés éligibles à un traitement par chimiothérapie, en raison de la toxicité et de l’absence d’efficacité de cette dernière chez cette catégorie de malades. Plusieurs auteurs ont tenté d’évaluer le bénéfice des ITK de l’EGFR dans cette situation (tableau IV). Les différentes études n’ayant pas utilisé de critères de sélection pour le géfitinib ont retrouvé des résultats insatisfaisants, avec un taux de réponse objective de l’ordre de 25 % et une survie médiane qui ne dépassait pas les 2,5 mois (36, 37). En revanche, dans l’étude de A. Inoue et al. (38), qui évaluait spécifiquement le géfitinib chez des patients porteurs de mutations d’EGFR, un taux de réponse objective de 68 % et une survie médiane atteignant les 17,8 mois ont été notés. Cela indique que le géfitinib serait la meilleure option pour les patients avec état général altéré et EGFR muté, qui ne peuvent recevoir une chimiothérapie standard. Inhibiteurs des tyrosine kinases : perspectives d’avenir L’icotinib est un nouveau ITK de l’EGFR qui partage la même structure chimique que l’erlotinib, à l’exception de leurs chaînes latérales. Ce dernier a été comparé dans l’essai chinois ICOGENE au géfitinib dans le CBNPC chez des patients ayant reçu 1 ou 2 lignes de chimiothérapie. Il s’agit d’une étude de phase III de non-infériorité dans une population chinoise non sélectionnée (39). Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les 2 bras en termes de SSP (objectif principal) : 137 jours pour l’icotinib versus 102 jours pour le géfitinib. La SG, le taux de réponse et la qualité de vie étaient également comparables dans les 2 bras, alors que la tolérance était meilleure sous icotinib, avec moins de rashs cutanés et de diarrhées. 608 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-2011.indd 608 13/12/11 15:02 MISE AU POINT La place des inhibiteurs des tyrosine kinases de l’EGFR dans les cancers bronchiques non à petites cellules avancés Dans l’analyse de sous-groupes avec mutation de l’EGFR, on retrouve la même équivalence en termes de taux de réponse objective, de SSP et de SG entre les 2 molécules. L’essai évaluant l’icotinib dans le CBNPC EGFR muté en première ligne est actuellement en cours. Plusieurs études récentes ont confirmé que la sensibilité des cellules tumorales aux ITK de l’EGFR variait fortement selon la mutation trouvée. En effet, le taux de réponse à ces molécules est significativement plus important chez les patients porteurs de délétions de l’exon 19 (70 à 100 %) que chez les patients porteurs de la mutation ponctuelle L858R de l’exon 21 (20 à 67 %), ce qui se traduit par un bénéfice en médiane de SG (26 à 34 versus 8 à 17 mois) [30, 40, 41]. Par ailleurs, l’étude IPASS a montré que la délétion de l’exon 19 génère une divergence plus rapide et plus importante des courbes de SSP en faveur du géfitinib que la mutation L858R sur l’exon 21, pour laquelle l’avantage du géfitinib n’apparaît qu’après la fin de la chimiothérapie (42). De même, dans l’analyse par sous-groupes de l’étude OPTIMAL (28), la médiane de SSP était meilleure en cas de délétion de l’exon 19 (15,3 mois) qu’en cas de mutation L858R de l’exon 21 (12,5 mois). La résistance acquise survient virtuellement dans toutes les tumeurs qui avaient initialement répondu aux ITK de l’EGFR. Deux mécanismes susceptibles d’engendrer cette résistance ont été identifiés. ➤ D’une part, certaines mutations confèrent une résistance aux ITK de l’EGFR. En effet, les tumeurs des patients traités par géfitinib et erlotinib acquièrent une résistance secondaire à ces traitements à la suite de l’apparition d’une mutation T790M située sur l’exon 20. Cette résistance, qui se caractérise par le remplacement d’une thréonine par une méthionine au niveau du codon 790, est retrouvée chez approximativement 50 % des patients au moment de l’apparition de la résistance aux ITK de l’EGFR. Elle serait responsable d’un changement de la structure de la poche de liaison à l’ATP empêchant la fixation des ITK de l’EGFR réversibles par encombrement stérique (43). D’autres mutations de résistance sont également retrouvées, mais beaucoup plus rarement, comme la mutation D761Y sur l’exon 19 et certaines insertions ponctuelles sur l’exon 20 (44). ➤ D’autre part, la résistance acquise aux ITK de l’EGFR peut provenir du développement d’autres voies de signalisation indépendantes de l’EGFR. C’est le cas de l’amplification de Met, qui agit sur la voie de signalisation PI3K (20 % des cas) [45] et l’activation de la voie HER2 (muté dans 4 % des CBNPC) [46]. Pour prévenir ces résistances ou passer par dessus, plusieurs stratégies ont été proposées. En raison de la réduction de la fixation des ITK de l’EGFR réversibles par la survenue de la mutation T790M, l’une des solutions serait d’inhiber de façon irréversible la fixation de l’ATP aux domaines tyrosine kinases. L’afatinib, ou BIBW 2992, est un nouvel ITK de l’EGFR irréversible ciblant à la fois EGFR et HER2. Dans l’étude LUX-Lung présentée à l’ESMO 2010, 585 malades présentant un adénocarcinome du poumon avancé ayant progressé après 1 ou 2 lignes de traitement et ayant reçu au moins 12 semaines d’erlotinib ou de géfitinib ont été inclus. Ils ont été randomisés (2:1) pour recevoir soit de l’afatinib soit un placebo avec, dans les 2 groupes, les soins de support adaptés. Les résultats montrent une différence statistiquement significative en ce qui concerne la SSP (3,3 versus 1,1 mois ; p < 0,0001), mais pas de différence sur la SG, qui était le critère principal de l’étude (47). En raison des bénéfices théoriques, sur des modèles murins, du double blocage du récepteur EGFR par un ITK de l’EGFR irréversible et un anticorps monoclonal anti-EGFR (48), l’association afatinib + cétuximab a été évaluée dans une étude présentée à l’ASCO® 2011 et actualisée au WCLC 2011. Soixante et un patients présentant un CBNPC EGFR muté avec une résistance acquise à l’erlotinib ou au géfitinib ont reçu une combinaison d’afatinib + cétuximab. Plus de la moitié de la population présentait la mutation de résistance T790M. Les résultats sont très prometteurs avec un taux de réponse objective de 35 et 31 % respectivement pour la population globale et celle porteuse de la mutation T790M. Les effets indésirables de grades 3 et plus étaient principalement des rashs (8 %) et des diarrhées (5 %) [49]. Une autre approche pour contourner la résistance acquise aux ITK de l’EGFR serait de cibler les autres voies de signalisation parallèles ou convergentes. L’exemple type est l’amplification de c-Met, qui est associée à un mauvais pronostic dans le CBNPC et à une résistance à l’erlotinib (45). MetMAb est un anticorps monoclonal visant spécifiquement cette cible, pour lequel les résultats d’une étude de phase II randomisée ont été récemment présentés. Cette étude nord-américaine a inclus 128 patients atteints d’un CBNPC de stade IIIB-IV ayant déjà reçu 2 ou 3 lignes de traitement et a comparé un bras associant erlotinib et MetMAb à un bras avec erlotinib seul. L’analyse pré-spécifiée réalisée en fonction du niveau d’expression montre un bénéfice significatif tant en termes de SSP (RR = 0,56) que de SG (RR = 0,55) avec MetMAb dans le groupe des malades 610 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-2011.indd 610 13/12/11 15:02 MISE AU POINT exprimant fortement Met (50). L’ARQ 197-209, un autre inhibiteur oral de c-Met, est actuellement en cours d’essai de phase III après avoir démontré sur une étude de phase II des résultats très encourageants en association avec l’erlotinib en termes de SSP et de SG (51). Conclusion Les ITK de l’EGFR représentent une avancée significative dans le traitement des CBNPC avancés ou métastatiques. Actuellement, grâce à ces molécules, la survie médiane dans le CBNPC de patients EGFR mutés peut atteindre 30 mois. La maintenance par les ITK de l’EGFR constitue une option thérapeutique stratégique à la fin de la chimiothérapie de première ligne. La compréhension des mécanismes de résistance aux ITK de l’EGFR sur le plan moléculaire a ouvert la voie au développement de nouvelles approches avec des résultats prometteurs. Enfin, la caractérisation moléculaire de la tumeur devient ainsi une étape incontournable dans la prise en charge thérapeutique du cancer du poumon et soulève l’importance des plates-formes de génétique moléculaire en cancérologie. ■ Références bibliographiques 1. Corriol C, Grenier C, Coudert C, Daucourt V, Minvielle E. The COMPAQH project: researches on quality indicators in hospitals. Rev Epidemiol Sante Publique 2008; 56(Suppl 3):S179-88. 2. Yang P, Allen MS, Aubry MC et al. 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