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“Le cancer fait en Amérique l’objet
d’un congrès international”
● J.F. Morère*
“Vous savez qu’à l’heure actuelle, dans tous les pays d’Europe et d’Amérique, on s’efforce d’intensifier la lutte contre le
cancer qui, chaque année, fait plus d’un demi-million de victimes dans le monde. Nul ne saurait donc rester indifférent à
une manifestation comme celle que vient de provoquer l’American Society for the Control of Cancer. Cette importante
société, qui, aux États-Unis, coordonne les efforts de la lutte anticancéreuse, avait prié un certain nombre de spécialistes d’Europe et d’Amérique d’assister à une “réunion internationale”...”.
“À la suite des rapports portant sur les différents problèmes du cancer, certaines questions ont plus particulièrement
retenu l’attention des congressistes ; ce sont : 1° l’origine et la nature du cancer ; 2° la valeur des méthodes de traitement actuellement en usage ; 3° l’organisation de la lutte sociale contre le cancer. Commençons, si vous le voulez bien,
par l’origine et la nature du cancer, question qui domine tout le problème actuel. Ne voyons-nous pas, chaque année,
annoncer à grand bruit la découverte de la cause du cancer, découverte qui, bien vite, ne résiste pas au contrôle des
savants et finit par tomber dans l’oubli ? Ce n’est pas qu’il faille se décourager de poursuivre les recherches faites en
vue de mieux connaître le mécanisme intime de la maladie, dont déjà on sait beaucoup de choses, beaucoup plus qu’on
ne le croit généralement. En effet, les résultats des travaux les plus récents confirment de plus en plus cette notion
que le cancer n’est pas dû à un agent vivant, “microbe ou parasite” venu de l’extérieur, comme c’est le cas pour les
maladies infectieuses, ou encore un de ces êtres infiniment petits et invisibles qu’on nomme “ultra-virus”. Le cancer
n’est donc pas une maladie contagieuse, et cette opinion doit être largement répandue dans le public. Il apparaît au
contraire que le cancer est une maladie de ces petits éléments qui composent nos tissus, qu’on nomme “cellules” et
dont la vie intime peut être altérée par des causes multiples. Plusieurs de ces causes nous échappent encore, mais
quelques-unes déjà nous sont connues. Cette “maladie cellulaire”, que l’on peut reproduire à volonté chez certains animaux, ne peut donc pas être considérée comme une maladie héréditaire ; voici encore une notion importante à répandre
dans le public. Telles sont, dans leurs grandes lignes, les idées que j’ai défendues au récent congrès des États-Unis et
que j’ai eu le plaisir de voir adopter par la grande majorité des membres présents. Passons maintenant aux méthodes
actuelles de traitement du cancer. L’avis est unanime à cet égard en Amérique, comme en Europe, pour admettre que
seules deux méthodes de traitement ont fait jusqu’ici leurs preuves : l’exérèse chirurgicale et la destruction de la
tumeur par les rayons X ou le radium. Mais pour que ces méthodes puissent avoir un effet, il faut que le cancer soit
traité le plus tôt possible après son début, avant que la maladie ait envahi l’organisme. À ce stade de début, on ne
saurait trop le répéter, le cancer est parfaitement guérissable. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de perfectionner les méthodes de diagnostic précoce et de convaincre les malades d’aller consulter leur médecin dès l’apparition des
premiers symptômes de la maladie...”.
Ainsi s’exprimait, dans les colonnes du Matin du 18 octobre
1926, le professeur Gustave Roussy, premier cancérologue à
intervenir dans les médias.
La 34 e réunion annuelle de l’American Society of Clinical
Oncology aurait sans doute suscité de sa part un certain
* Hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93000 Bobigny.
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nombre de réactions. Les informations les plus importantes de
ce congrès l’auraient comblé, puisqu’elles portent sur la détection précoce des cancers de la prostate et la prévention du cancer du sein.
Dans une première étude, l’équipe québécoise d’urologie
démontre l’intérêt du PSA dans la détection des cancers de la
prostate avec une mortalité ainsi diminuée de 69 %.
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Dans une deuxième étude, les chercheurs du National Surgical
Breast and Bowel Project ont officiellement présenté les résultats de l’essai de prévention p1. Dans cet essai, 13 388 femmes
à haut risque de cancer du sein ont reçu soit du tamoxifène à la
dose de 20 mg par jour, soit un placebo pendant 5 ans. L’utilisation du tamoxifène entraîne une réduction de 45 % de l’incidence du cancer du sein. Ces résultats impressionnants sont
obtenus au prix d’un doublement du risque de cancer de
l’endomètre ou de thrombose veineuse profonde. Cet excès de
risque n’est toutefois observé que chez les femmes de plus de
50 ans.
Une autre étude, réalisée chez 7 704 femmes post-ménopausées, donne des résultats encore plus spectaculaires. Le raloxifène, un nouveau modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes, semble ainsi permettre une réduction de l’incidence du
cancer du sein de l’ordre de 60 % sans susciter de risque endométrial.
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Notre illustre prédécesseur, bien que novateur dans ses relations avec la presse, aurait en revanche été plus surpris de la
large diffusion médiatique de certaines de ces informations
avant même leur présentation scientifique, lui qui regrettait
que le Matin soit “le seul journal français qui ait signalé à ses
lecteurs l’existence de ce congrès”.
J’espère enfin qu’il aurait été conforté dans sa conviction “de
l’intérêt qu’il y a, du point de vue médical et scientifique, à
resserrer davantage les liens qui nous unissent à nos amis des
États-Unis” par la présence des équipes françaises en Amérique, et, surtout, qu’il aurait eu le sentiment, en raison de
l’intérêt des travaux originaux de celles-ci, que la voie tracée il
y a soixante-douze ans dans les dernières lignes de son article :
“un jour prochain, nos instituts ou nos centres de recherches et
de traitement pourront rivaliser avec les installations les plus
parfaites et les plus modernes de l’étranger” était suivie.
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Ont collaboré à la rédaction de ce
numéro
Coordination : J.F. Morère
C. Boaziz, Hôpital Avicenne, Bobigny
A. Brunet, Hôpital Avicenne, Bobigny
V. Diéras, Institut Curie, Paris
M. Lenoble, Centre hospitalier Montfermeil
Ch. Louvet, Hôpital Saint-Antoine, Paris
D. Moro, Centre hospitalier A. Michallon, Grenoble
J.Y. Pierga, Institut Curie, Paris
L’équipe de rédaction tient à remercier S. Faivre, N. Germann, V. Nasser, X. Tchiknavorian et Ch. Tournigand.
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