L Les paraplégies spastiques héréditaires MISE AU POINT

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MISE AU POINT
Les paraplégies spastiques
héréditaires
Hereditary spastic paraplegias
C. Goizet*
L
es paraplégies spastiques héréditaires (PSH),
également appelées “maladies de StrümpellLorrain”, forment un ensemble très hétérogène
de maladies neurodégénératives génétiquement
déterminées, décrites dès la fin du xixe siècle. Les
PSH sont rares, avec une prévalence chez les Caucasiens estimée entre 1,3 et 9,6 cas/100 000 habitants
(1-3). Elles se caractérisent par un syndrome
pyramidal progressif des membres inférieurs (MI)
dont l’âge de début est extrêmement variable,
allant de la période néonatale pour les formes
les plus précoces à plus de 70 ans pour les plus
tardives. Les PSH sont causées par une dégénérescence rétrograde et bilatérale prédominant sur les
faisceaux corticospinaux croisés et directs. L’hétéro­
généité génétique est considérable dans les PSH
puisque 46 loci et 20 gènes ont actuellement été
identifiés, se transmettant selon tous les modes
existants (4-6).
Aspects cliniques
Spectre phénotypique
* Service de génétique médicale,
CHU de Bordeaux et laboratoire
MRGM (maladies rares : génétique
et métabolisme), EA4576, université
Bordeaux-Segalen, Bordeaux.
Le tableau clinique de base associe très progressivement à une faiblesse musculaire une spasticité
des MI, responsable de troubles de la marche
s’aggravant très progressivement. Cette spasticité
s’accompagne d’un syndrome pyramidal des MI
réunissant un déficit moteur modéré, un signe de
Babinski bilatéral et une exagération des réflexes
ostéotendineux, qui peuvent être vifs, diffusés,
parfois polycinétiques (7).
Il existe une grande variabilité inter- et intrafamiliale
concernant l’âge de début de la maladie, la symptomatologie clinique, sa rapidité de progression et
le degré de sévérité du handicap (8). Le début de
la maladie est volontiers insidieux avec des signes
322 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 discrets comme une raideur dans les jambes ou des
difficultés pour se chausser.
Historiquement, les PSH sont séparées en formes
pures et compliquées, ou complexes (7), mais cette
classification, encore très utile en pratique clinique
courante, tend à être supplantée par une classification clinicogénétique, d’autant plus que certaines
formes génétiques sont associées à des présentations
cliniques à la fois pures et compliquées.
Les formes pures se limitent généralement à un
syndrome pyramidal spastique et/ou déficitaire des MI
avec parfois un léger trouble de la sensibilité profonde,
essentiellement vibratoire, des troubles vésicosphinctériens, une scoliose et des pieds creux. Une atrophie
médullaire cervicale et thoracique peut être observée
sur l’IRM cérébrale et médullaire (9).
Les formes compliquées se présentent avec des signes
supplémentaires, neurologiques ou extraneurologiques,
incluant une neuropathie périphérique, des signes
extrapyramidaux, une ataxie cérébelleuse, une épilepsie,
un retard mental ou une dégradation cognitive, une
rétinite pigmentaire, une atrophie optique, une surdité,
une ichtyose, des troubles endocriniens, une cataracte,
etc. (1). De plus, certaines anomalies sur l’IRM cérébrale,
comme une atrophie du corps calleux, des hyper­signaux
de la substance blanche (SB), ou une atrophie cérébelleuse font aujourd’hui partie des signes faisant classer
les PSH en formes compliquées (10). L’existence de tels
signes associés chez un seul apparenté malade suffit à
faire classer la famille en PSH compliquée (1).
Diagnostic positif et différentiel
Actuellement, le diagnostic positif d’une PSH est
fondé sur (4, 7) :
➤➤ la présence de symptômes et de signes cliniques
d’une faiblesse spastique des MI d’évolution lentement progressive, parfois associée à des troubles
Points forts
Mots-clés
»» Les paraplégies spastiques héréditaires (PSH) se caractérisent par un syndrome pyramidal progressif des
membres inférieurs (MI) dont la sévérité est extrêmement variable, y compris au sein d’une même famille.
»» On distingue les formes de PSH pures (syndrome pyramidal spastique et/ou déficitaire des MI, ± léger
trouble de la sensibilité profonde, ± troubles vésicosphinctériens, ± scoliose, ± pieds creux) des formes
compliquées associant de façon très variable : neuropathie périphérique, signes extrapyramidaux, ataxie
cérébelleuse, épilepsie, troubles cognitifs, rétinite pigmentaire, atrophie optique, surdité, ichtyose, troubles
endocriniens, cataracte, ou anomalies sur l’IRM cérébrale (atrophie du corps calleux, hypersignaux de la
substance blanche, atrophie cérébelleuse).
»» En France, les formes autosomiques dominantes sont les plus fréquentes, avec par ordre de fréquence SPG4,
SPG3, SPG31 puis SPG10. Dans les formes récessives, les plus fréquemment rencontrées sont SPG5 et SPG11.
sphinctériens (mictions impérieuses, fuites urinaires)
et à des paresthésies des MI ;
➤➤ la présence de signes neurologiques témoignant
d’une atteinte du faisceau corticospinal, limités
aux MI (spasticité, déficit moteur, hyperréflexie
ostéotendineuse et un réflexe cutané plantaire en
extension), les réflexes aux membres supérieurs (MS)
peuvent être vifs mais le tonus est normal ;
➤➤ la présence d’une histoire familiale et/ou l’exclusion des diagnostics différentiels.
En plus de ces critères, les formes compliquées sont
reconnues par la présence d’autres symptômes
neurologiques ou extraneurologiques.
Avant de retenir ce diagnostic, il faut parfois
éliminer les diagnostics différentiels (tableau I).
L’exclusion de ces pathologies est particulièrement
Tableau I. Diagnostics différentiels des PSH.
Catégories
Maladies
Particularités cliniques
Anomalies structurales Malformation d’Arnold-Chiari - Ataxie
de la moelle
ou du rachis
Canal cervical ou lombaire
- Atteinte des MS
étroit
- Douleurs radiculaires
Investigations
- IRM de la fosse postérieure
et de la CCO
- Rx du rachis
- IRM médullaire
Tumeur médullaire primitive
ou secondaire
- Douleurs radiculaires
- Niveau sensitif
- IRM médullaire
Malformation artérioveineuse médullaire
- Symptomatologie fluctuante - IRM médullaire
- Artériographie
Maladie inflammatoire Sclérose en plaques
- Poussées et rémissions
- Ataxie
- Névrite optique
- IRM
- immunoEP du LCR
- PEV
Maladies
dégénératives
Maladie du motoneurone
- Fasciculations
- Amyotrophie
- EMG
Ataxie spino-cérébelleuse
- Ataxie
- Étude génétique
ALD et AMN
- Troubles cognitifs
- Neuropathie périphérique
- IRM cérébrale
- Acides gras à très longues chaînes
LD métachromatique
- Régression psychomotrice
- Neuropathie périphérique
- IRM cérébrale
- Arylsulfatase A
LD de Krabbe
- Neuropathie périphérique
- IRM cérébrale
- Galactocérébrosidase
Syndrome neuro-anémique
- Neuropathie périphérique
- Syndrome cordonal
postérieur
- NFS
- Dosage vitamine B12
- Test de Schilling
Déficit en vitamine E
- Neuropathie périphérique
- Ataxie
- Dosage de la vitamine E
Encéphalopathie
mitochondriale
- Petite taille
- Rétinite pigmentaire
- IRM cérébrale
- Lactate et pyruvate à jeun
et post-prandial
A bêta lipoprotéinémie
- Neuropathie périphérique
- EP lipides
Maladies
métaboliques
Maladies infectieuses
Autres
Syphilis tertiaire
- VDRL et TPHA LCR
PS tropicale
- Début subaigu
- Sérologie HTLV-1
Myélite du sida
- Début subaigu
- Sérologie VIH
Dystonie dopa-sensible
- Fluctuation journalière
- Réponse à la L-dopa
- Test à la L-dopa
- Étude génétique
Paraplégies spastiques
héréditaires
Strümpell-Lorrain
Spasticité
Maladies
neurodégénératives
Neurogénétique
Summary
Hereditary spastic paraplegias
(HSP) are clinically characte­
rized by a progressive pyramidal syndrome of the lower
limbs. The inter- and intrafamilial severity is highly variable.
Two types of HSP can be
observed: pure HSP are defined
by the presence of an isolated
pyramidal syndrome of the
lower limbs which is variably
associated with sensibility
troubles, sphincter disturbances, scoliosis, pes cavus.
The term complex HSP is used
when additional neurological
or extra-neurological features
are present and in the pre­sence of abnormal ancillary
tests including peripheral
neuropathy, extrapyramidal
features, ataxia, epilepsy, cognitive troubles, retinitis pigmentosa, optic atrophy, deafness,
ichtyosis, cataract, and brain
MRI anomalies (thin corpus
callosum, hyperintensities of
the white matter, cerebellar
atrophy).
In France, autosomal dominant
HSP are the most frequent
forms (SPG4, SPG3, SPG31
and SPG10). SPG5 and SPG11
represent the most frequent
autosomal recessive forms of
HSP.
Keywords
Hereditary spastic paraplegia
Strümpell-Lorrain
Spasticity
Neurodegenerative disorder
Neurogenetics
ALD : adrénoleucodystrophie ; AMN : adrénomyéloneuropathie ; CCO : charnière cervico-occipitale ; EP : électrophorèse ; LCR : liquide céphalorachidien ;
LD : leucodystrophie ; PS : paraplégie spastique ; PEV : potentiels évoqués visuels ; Rx : radiographie.
La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 | 323
MISE AU POINT
Les paraplégies spastiques héréditaires
importante si l’histoire familiale est négative (cas
sporadique) ou en présence de signes cliniques
associés (PSH compliquées) [11]. Par exemple,
dans le cas d’une forme sporadique débutant après
l’âge de 20 ans, situation relativement fréquente
en pratique clinique, le diagnostic de PSH doit être
évoqué après la réalisation d’une IRM cérébrale
et médullaire et l’exclusion des causes acquises
(figure 1).
Aspects génétiques
Classification clinicogénétique
Depuis la distinction par A.E. Harding des formes
pures et compliquées (7), les avancées de la
génétique moléculaire sont à l’origine de perpétuelles modifications de la classification, qui fait
intervenir les éléments suivants :
➤➤ le tableau clinique et le phénotype permettant
de distinguer PSH pures et compliquées, selon la
présence ou non de symptômes et de signes associés
à la paraplégie spastique ;
➤➤ le mode de transmission de l’affection ;
➤➤ le locus ou gène en cause.
Formes de PSH classées selon le mode
de transmission et fréquences relatives
Tous les modes de transmission peuvent se
rencontrer : autosomique dominant (AD) et autosomique récessif (AR) ou lié au chromosome X (LX).
Plusieurs sous-types génétiques ont été identifiés
et sont nommés “SPG” (Spastic Paraplegia Gene),
suivi d’un numéro correspondant à l’ordre chronologique de leur découverte (SPG1, SPG2, etc.). Au
moins 46 loci, parmi lesquels 20 gènes identifiés,
ont été rapportés à ce jour et plusieurs autres restent
à découvrir (tableau II).
◆◆ Formes autosomiques dominantes
Les formes dominantes sont les plus fréquentes dans
les pays occidentaux, où elles représentent 70 %
des PSH (1). À ce jour, 18 loci ont été identifiés.
Il existe une grande variabilité de l’âge de début,
de la sévérité et de la vitesse de progression de la
PSH sporadique
Début < 20 ans
IRM cérébrale et médullaire : lésions de la SB (infirmité motrice cérébrale, SEP, leucodystrophie), anomalies de structure (malformation de Chiari, subluxation atlas-axis)
Biologie : NFS, vitamine B12, test de Schilling (syndrome neuro-anémique), EP des immuno­
globulines du LCR (SEP), vitamine E (AVED)
Bactériologie/virologie : examen cytobactériologique du LCR (myélite), sérologies VDRL, TPHA
(syphilis tertiaire), HTLV-1 et VIH (si début subaigu)
Métabolisme : chromatographie des acides aminés sanguins et urinaires (amino-acidopathies),
déficit en galactocérébrosidase (maladie de Krabbe), déficit en arylsulfatase A (leucodystrophie
métachromatique), lactate/pyruvate (maladies mitochondriales), AGTLC (adrénoleucodys­
trophie)
Test à la L-dopa (dystonie dopa-sensible)
Artériographie si évolution fluctuante (MAV)
Début > 20 ans
IRM cérébrale et médullaire : lésions de la SB (SEP, leucodystrophie), anomalies de structure
(­malformation de Chiari, subluxation atlas-axis)
Biologie : NFS, vitamine B12, test de Schilling (syndrome neuroanémique), EP des immuno­
globulines du LCR (SEP), EP des lipides (a-ß lipoprotéinémie)
Bactériologie/virologie : examen cytobactériologique du LCR (myélite), sérologies VDRL, TPHA
(syphilis tertiaire), HTLV-1 et VIH (si début subaigu)
Métabolisme : chromatographie des acides aminés sanguins et urinaires (amino-acidopathies),
déficit en galactocérébrosidase (maladie de Krabbe), déficit en arylsulfatase A (leucodystrophie
métachromatique), lactate/pyruvate (maladies mitochondriales), AGTLC (adrénomyéloneuro­
pathie)
Test à la L-dopa (dystonie dopa-sensible)
Ataxie présente
Vitamine E (AVED)
Études génétiques ciblées (ataxies
spinocérébelleuses)
Fasciculations et amyotrophie présentes
Vitamine E (AVED)
EMG (maladies du motoneurone)
AVED : déficit isolé en vitamine E ; AGTLC : acides gras à très longues chaînes ; MAV : malformation artérioveineuse ; SB : substance blanche.
Figure 1. Bilan étiologique minimal à proposer devant une paraplégie sporadique et principaux diagnostics différentiels des PSH en fonction de l’âge.
324 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 MISE AU POINT
maladie parmi les formes AD, allant même jusqu’à
une pénétrance (proportion d’individus avec une
mutation exprimant la maladie) incomplète dans
les formes pures.
SPG4 est la forme la plus fréquente de PSH AD,
rendant compte de 40 % des familles en France.
Cette forme est le prototype d’une paraplégie
spastique pure, mais elle est toutefois caractérisée
par une grande hétérogénéité clinique (atteinte du
second motoneurone, troubles cognitifs, etc.) avec
une variabilité inter- et intrafamiliale marquée. L’âge
d’apparition des symptômes est autour de 29 à 35 ans
en moyenne, mais est extrêmement variable. La
pénétrance est dépendante de l’âge et reste incomplète même chez les porteurs de mutations les plus
âgés. Le handicap reste généralement modéré.
Tableau II. Classification clinicogénétique des principales formes de PSH.
Locus
N° OMIM
Chromosome
Gène
(Protéine)
Rôles de la protéine
Fréquence
et/ou nombre
de familles
Âge de début Paraplégie spastique
(années)
SPG3A
182600
14q22.1
ATL1
(atlastine 1)
GTPase, trafic RE-Golgi,
partenaire de la spastine
10 % (39 % chez les Enfance
patients jeunes)
(surtout
< 10 ans)
Pure, rarement associée à une neuropathie,
pénétrance incomplète
SPG4
182601
2p22.3
SPAST
(spastine)
Dynamique des
microtubules, trafic
endosomal
40 % (12-18 % des
cas sporadiques)
Variable
Pure, rarement associée à une neuropathie
ou à une atteinte cognitive, pénétrance
incomplète
SPG10
604187
12q13.3
KIF5A
(kinésine 5A)
Trafic axonal
2-3 %
(15 familles)
2-51
Pure ou compliquée avec neuropathie, RM,
syndrome parkinsonien, RP, allélique à une
forme de CMT2
SPG17
270685
11q12.3
BSCL2
(seipine)
Protéine de la membrane Rare
du RE
Variable
Syndrome de Silver-Russel : amyotrophie
distale des MS, allélique au CMT 4D
SPG31
610250
2p11.2
REEP1
(REEP1)
Protéine chaperon
mitochondriale, trafic
endosomal
2-6,5 %
Variable
Pure ± hypersignaux SB
SPG5
270800
8q12.3
CYP7B1
(CYP7B1)
Métabolisme du
cholestérol et des
neurostéroïdes
7,3 % (1-3 % des
cas sporadiques,
23 familles)
1-40
Pure ou compliquée avec des signes
cérébelleux, hypersignaux SB
SPG7
607259
16q24.3
PGN
(paraplégine)
ATPase mitochondriale
1-4 % (jusqu’à 7 % 8-42
des cas sporadiques)
Pure ou compliquée ± neuropathie, atrophie
optique et cérébelleuse avec ou sans signes
cérébelleux
SPG11
604360
15q21.1
KIAA1840
(spatacsine)
—
21-26 %
1-30
(42-78 % des formes
avec ACC + atteinte
mentale)
Tr. cognitifs ou RM, neuropathie, RP (syndrome
de Kjellin), signes cérébelleux, ACC et atrophie
cérébelleuse et hypersignaux SB, allélique à
ALS5
SPG15
270700
14q24.1
ZFYVE26
(spastizine)
Trafic endosomal, division 2-5 %
4-19
cellulaire
(5-11 % des formes
avec ACC + atteinte
mentale)
Tr. cognitifs ou RM, neuropathie, RP (syndrome
de Kjellin), signes cérébelleux, ACC et atrophie
cérébelleuse et hypersignaux SB
Adhésine cellulaire,
croissance neuritique,
myélinisation
Enfance
Forme compliquée (syndromes MASA et
CRASH)
1-18
Forme pure ou compliquée (allélique
à la maladie de Pelizaeus-Merzbacher)
PSH AD
PSH AR
PSH LIÉES AU CHROMOSOME X
SPG1
303350
Xq28
L1CAM
SPG2
312920
Xq22.2
PLP1
Constituant de la myéline Rare avec une
(protéine
spasticité
protéolipide 1)
Rare avec une
spasticité
ACC : atrophie du corps calleux ; ALS : Amyotrophic Lateral Sclerosis ; AR : autosomique récessive ; AD : autosomique dominante ; CMT : Charcot-Marie-Tooth ; MASA : retard mental, aphasie, démarche
spastique et pouces en adduction ; CRASH : Corpus Callosum Hypoplasia, Retardation, Adducted thumbs, Spastic paraparesis, and Hydrocephalus ; L1CAM : L1 Cell Adhesion Molecule ; MS : membres
supérieurs ; RE : réticulum endoplasmique ; REEP1 : Receptor Expression-Enhancing Protein 1 ; RM : retard mental ; RP : rétinite pigmentaire ; SB : substance blanche ; Tr. : troubles.
La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 | 325
MISE AU POINT
Les paraplégies spastiques héréditaires
La forme SPG4 est causée par des mutations du gène
SPAST, codant pour la spastine, une ATPase capable
de lier les microtubules et qui interviendrait dans
la dynamique des transports intracellulaires. Les
mutations du gène SPAST/SPG4 expliquent aussi
un nombre important (plus de 10 %) de cas sporadiques (12).
SPG3A est une forme essentiellement pure de PSH
(signes additionnels extrêmement rares) caractérisée par un âge de début précoce, généralement au
cours de la petite enfance. Ce gène pourrait être le
plus fréquemment muté lorsque l’âge de début est
inférieur à 10 ans (13). La pénétrance est également
dépendante de l’âge, mais elle est néanmoins plus
complète que pour SPG4. La progression de la
maladie est généralement lente. Les mutations du
gène ATL1 codant pour l’atlastine 1 sont presque
exclusivement de type faux-sens. L’atlastine 1 est
une guanosine triphosphatase (GTPase) localisée
au niveau du réticulum endoplasmique (RE) et de
l’appareil de Golgi, et serait impliquée dans le trafic
vésiculaire entre ces 2 structures cellulaires. Elle
est également capable d’interagir avec la spastine.
Les autres formes de PSH AD pures ou compliquées
à connaître sont les suivantes : des mutations dans
les gènes KIF5A/SPG10 et REEP1/SPG31 ont été
rapportées dans 2 à 10 % des cas de PSH AD, initialement dans des PSH pures mais finalement aussi
dans des formes compliquées, tout particulièrement
avec une neuropathie périphérique (14, 15). Enfin, le
syndrome de Silver/SPG17 est très rare mais peut être
reconnu cliniquement par une amyotrophie précoce
Figure 2. IRM transverse FLAIR d’une patiente SPG5 révélant des hypersignaux multiples
de la SB.
326 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 et sévère des mains et des avant-bras associée à la
PSH. SPG17 est causé par des mutations faux-sens
(N88S et S90L) du gène BSCL2 codant pour la
seipine. Ces mêmes mutations peuvent également
être associées à une maladie de Charcot-Marie-Tooth
spinale (ou neuropathie motrice distale). Pour ces
3 gènes, il est possible de trouver dans les familles
des patients présentant une neuropathie au premier
plan tandis que d’autres ont une PSH associée à une
amyotrophie et/ou une neuropathie.
Les gènes NIPA1/SPG6, SPG8, HSPD1/SPG13
ou SLC33A1/SPG42 sont anecdotiques en pratique
courante car ils représentent moins de 1 % des
familles, voire une seule famille dans le monde (5).
◆◆ Formes autosomiques récessives
Les PSH AR représentent 30 % des PSH en Europe
(1), mais sont les plus fréquentes dans les régions où
la consanguinité est forte (3). À ce jour, 22 loci ont
été localisés et 9 gènes ont été identifiés. Les PSH
AR donnent essentiellement des formes complexes,
avec une association de signes cliniques qui sont
généralement de bons indicateurs du locus en cause.
SPG7
SPG7 est responsable de formes pures ou compliquées, débutant généralement chez le jeune adulte.
Les patients SPG7 présentent fréquemment une
ataxie cérébelleuse ou au moins une atrophie
cérébelleuse visible à l’IRM et/ou une atrophie
optique progressive. La fréquence de SPG7 n’est
pas précisément connue (1,5 à 4 % en Europe et
en Afrique du Nord). Tous les types de mutations
ponctuelles sont retrouvés dans le gène PGN
codant pour la paraplégine, une ATPase constituant, en association avec la protéine AFG3L2,
un complexe protéolytique localisé au niveau de
la membrane mitochondriale interne, la m-AAA
humaine impliquée dans la maturation des protéines
mitochondriales (16).
SPG5
SPG5 est une forme principalement pure, mais des
formes complexes ont été rapportées (17) avec un
début entre 4 et 47 ans (16 ans en moyenne). Des
signes cérébelleux peuvent être observés après
une évolution longue. L’IRM cérébrale peut révéler
des hypersignaux de la SB périventriculaire sur
les séquences T2 et FLAIR (figure 2). Par ailleurs,
les mutations du gène CYP7B1/SPG5 pourraient
expliquer un nombre non négligeable (3 %) de
cas sporadiques. Le gène CYP7B1/SPG5 code pour
une enzyme impliquée dans le métabolisme du
MISE AU POINT
cholestérol, CYP7B1 (18). Le 27-hydroxycholestérol s’élèverait d’un facteur 5 à 10 dans le plasma
des patients SPG5 (19) et pourrait donc constituer
un bio­marqueur facilement accessible, avant de
procéder à la réalisation du test génétique.
des ataxies spastiques, et du gène SACS, dont les
mutations sont responsables de l’ataxie spastique
AR de Charlevoix-Saguenay (ARSACS).
Les autres formes de PSH AR (SPG20, SPG21, SPG34,
SPG39, SPG44, SPOAN, etc.) sont extrêmement rares.
Formes complexes avec atrophie du corps calleux
(PSH-ACC)
Parmi les PSH AR complexes, une entité clinique
caractérisée par des troubles cognitifs (retard mental
ou déclin cognitif progressif) et surtout, sur l’IRM
cérébrale, une atrophie du corps calleux (ACC) avec
des hypersignaux de la SB est fréquente (figure 3)
[3]. Deux gènes ont déjà été identifiés dans ces
PSH-ACC : SPG11 et SPG15 (20, 21). SPG11 est la
forme majeure, rendant compte d’environ 60 % des
PSH-ACC. L’âge de début est précoce, se situant
durant la première décennie. Une diminution de
l’acuité visuelle et/ou une rétinite pigmentaire,
ainsi qu’une atteinte du second motoneurone sont
également fréquentes chez les patients SPG11. Une
seconde entité, SPG15, rend compte d’environ 10 %
des PSH-ACC. Les tableaux cliniques et paracliniques des patients SPG11 et SPG15 sont tout à
fait similaires. Les mutations identifiées dans les
gènes KIAA1840/SPG11 et ZFYVE26/SPG15 sont
essentiellement tronquantes.
◆◆ Formes récessives liées au chromosome X
Deux gènes sont connus, tous 2 à l’origine de formes
complexes exceptionnelles (SPG1 et SPG2), avec
uniquement quelques familles décrites. Seuls les
hommes portant une mutation du gène L1CAM/SPG1
sont atteints. Le tableau clinique associe un âge de
début très précoce, un retard mental, une adduction
bloquée des pouces par hypoplasie du long extenseur
du pouce, une dysgénésie du corps calleux et une
hydrocéphalie caractéristiques des syndromes MASA
(Mental retardation, Aphasia, Shuffling gait, Adducted
thumbs) et CRASH (Corpus callosum hypoplasia,
Retardation, Adducted thumbs, Spastic paraparesis,
and Hydrocephalus). Le gène PLP/SPG2 a d’abord
été identifié chez des hommes atteints d’une PSH
compliquée avec comme signes associés un retard
mental, une dysarthrie cérébelleuse, un nystagmus,
et une atrophie optique fréquente. Plus récemment,
des mutations du gène SPG2 ont été identifiées chez
des femmes avec une PSH pure. Le gène PLP qui
code pour la protéolipoprotéine est également muté
dans une leucodystrophie gravissime : le syndrome
de Pelizaeus-Merzbacher.
Ataxies spastiques AR
Les ataxies spastiques AR correspondent à l’association d’une PSH avec une ataxie. Bien que les
ataxies spastiques soient relativement fréquentes
en pratique clinique, seuls 2 gènes sont actuellement
connus dans ces formes : il s’agit de FRDA, impliqué
dans la maladie de Friedreich, la plus fréquente
A
Stratégie diagnostique
Le chevauchement clinique entre les différentes
entités génétiques rend la prédiction du gène muté
B
Figure 3. IRM sagittale T1 et transverse FLAIR d’une patiente SPG11 (A) et d’un patient SPG15 (B) montrant une atrophie du corps calleux sévère et
des hypersignaux périventriculaires de la SB.
La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 | 327
MISE AU POINT
Les paraplégies spastiques héréditaires
difficile et nécessite une confirmation par une
analyse génétique. Toutefois, l’étude de grandes
cohortes de patients porteurs de mutations a permis
de mettre en évidence certaines caractéristiques plus
spécifiques de certaines formes et a permis d’établir
des stratégies diagnostiques visant à prioriser les
analyses génétiques (figure 4). L’examen des
apparentés peut également être très utile pour
définir s’il s’agit d’une forme pure ou complexe de
PSH, ce qui permettra d’orienter différemment les
analyses génétiques.
Dans les cas sporadiques, après exclusion des
autres causes connues de paraplégie spastique
(tableau I), certains gènes peuvent être considérés chez les patients avec une PSH pure. En effet,
lorsque les fratries sont petites, les cas sporadiques
A
Formes pures de PSH
Spasticité limitée aux membres inférieurs, IRM cérébrale normale
Transmission
AD
AR
Cas sporadique
Àge de début
> 20 ans
Exclusion préalable
des autres causes de spasticité
(SEP, leucodystrophies, tumeurs, etc.)
>10 ans et ≤ 20 ans
≤ 10 ans
SPG4
SPG3A
SPG4
Si négatif
SPG3A
Si négatif
SPG4
SPG4
Si âge début
≤ 10 ans
Si âge début
≤ 10 ans
SPG3A
SPG3A
SPG4
Si négatif
Si négatif
Si négatif
SPG31
SPG10
SPG5
SPG5
B
Formes compliquées de PSH
Signes cliniques additionnels et/ou IRM cérébrale anormale
Signes additifs et transmission
Signes cérébelleux
Atrophie du cervelet
Atrophie du corps calleux
± retard mental
Neuropathie périphérique
AR
AR ou sporadique
AD
ARSACS
(uniquement
dans un cadre
de recherche)
SPG11
SPG4
SPG7
SPG15
SPG31
SPG10
SPG17
AD
SCA
SPG4
SPG31
(si longue durée
d’évolution)
SCA : Spino-Cerebellar Ataxia
Figure 4. Stratégie diagnostique en pratique clinique dans les formes pures (A) et les formes complexes (B).
328 | La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 MISE AU POINT
peuvent correspondre à des formes AR, des formes
AD avec pénétrance incomplète ou dues à une
mutation de novo. Ainsi des mutations causales
ont occasionnellement été rapportées dans les
gènes ATL1/SPG3A, CYP7B1/SPG5, PGN/SPG7. Des
mutations ponctuelles dans le gène SPAST/SPG4
ont également été identifiées chez environ 10 à
15 % des cas sporadiques en France (12). L’analyse
de ces gènes dans les cas sporadiques présentant
une PSH compliquée doit rester exceptionnelle car
le taux de mutation détecté est alors presque nul.
Chez les patients présentant un tableau clinique
de PSH-ACC, les gènes KIAA1840/SPG11 puis
ZFYVE26/SPG15 peuvent être analysés.
Conclusion
La nosologie des PSH est en constante évolution et
l’identification des bases moléculaires de ce groupe
cliniquement hétérogène de maladies du système
nerveux conduit à une complexification des classi-
fications actuelles. Toutefois, grâce à l’analyse de
grandes cohortes de patients ces dernières années,
il est possible de suivre des procédures rationnelles
et efficaces de diagnostic génétique en pratique
clinique (figure 4).
L’identification des gènes et des protéines en cause
a permis de mieux comprendre les mécanismes
moléculaires de la dégénérescence axonale dans les
PSH. Au moins 4 mécanismes physiopathologiques
non exclusifs ont été décrits. Les voies altérées sont :
la myélinisation et/ou la guidance axonale au cours
du développement (SPG1, SPG2, SPG35, SPG44), les
fonctions mitochondriales (SPG7, SPG13, SPG31),
le trafic vésiculaire intracellulaire (SPG10, SPG4,
SPG3A) et le métabolisme des lipides (SPG5, SPG17,
SPG42). Les modèles animaux de ces maladies en
cours d’étude sont prometteurs et permettront de
tester des thérapeutiques dans l’avenir (5) puisqu’il
n’existe actuellement aucun traitement spécifique
pouvant stopper ou ralentir l’évolution des PSH ;
les seuls traitements possibles restent purement
symptomatiques.
■
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La Lettre du Neurologue • Vol. XV - n° 9 - novembre 2011 | 329
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