f o r m at i o n Endodontie CPEA coordination par Pierre Machtou et Dominique Martin Intervenir en endodontie chez la femme enceinte Sarah Attal Stym Popper Quand une femme enceinte se présente dans un cabinet dentaire (qu’il s’agisse d’un suivi ou d’un problème plus particulier), il n’est pas rare que son cas soit considéré comme problématique. L’INFORMATION DENTAIRE n° 34 - 6 octobre 2010 U ne patiente dont la grossesse se déroule normalement devrait être considérée comme un patient standard en respectant quelques impératifs liés à sa situation clinique. Les études montrent que les traitements peuvent avoir lieu à tous les stades de la grossesse ; malgré tout, il s’agit d’évaluer la nécessité d’instaurer un traitement (tableau I) et de connaître les procédures particulières à suivre. 1 f o r m at i o n Endodontie Cas clinique Une patiente se présente au cabinet, enceinte de trois mois, elle présente une légère douleur persistante à la mastication en regard de la 15. Elle décrit une grossesse qui se déroule normalement, ne souffre d’aucune pathologie particulière, ne prend aucun traitement médicamenteux. L’examen clinique montre une dent saine en apparence. Le sondage est négatif, la dent ne répond ni au test au froid, ni au test au chaud, ni au test électrique. La palpation est légèrement douloureuse dans le fond du vestibule en regard de la prémolaire. Examen radiographique Par principe de précaution, les examens radiographiques doivent être extrêmement limités en nombre et parfaitement bien indiqués. Ici plus que jamais, la maîtrise des procédures radiologiques est indispensable [6]. Les études montrent qu’il n’existe pas de lien significatif entre le risque de malformation congéni1. Radiographie préopératoire de la 15, prise en technique des plans parallèles légèrement défilée de 15 degrés afin d’évaluer la situation en un seul cliché : lésion apicale et présente de deux canaux. tale, de retard de grossesse et l’absorption d’une dose de rayons ionisants quand elle est inférieure à 200 mGray. À partir du moment où la situation clinique requiert un examen complémentaire, et par la suite un traitement, il convient de réaliser le nombre de clichés nécessaire au bon déroulement des séances [2]. L’usage d’un tablier de plomb est indispensable et l’obtention d’un cliché de qualité aisément interprétable aussi [1]. Dans ce cas, une radiographie rétro-alvéolaire en technique des plans parallèles est réalisée, elle permet à la fois de confirmer le diagnostic et de servir de radiographie préopératoire (fig. 1). Le diagnostic de nécrose pulpaire avec lésion apicale d’origine endodontique est ainsi posé. À ce stade, il convient de prendre contact, par écrit, avec le médecin traitant. Ce dernier doit valider l’état de santé de la patiente et notre côté, nous devons l’informer du diagnostic posé et du traitement indiqué. La question est maintenant de savoir si nous décidons d’attendre la fin de la grossesse pour réaliser le traitement ou si nous le mettons en œuvre tout de suite. En récapitulant, nous constatons que : - la patiente est venue consulter en urgence, elle présente une douleur. Elle entre dans le deuxième trimestre de sa grossesse ce qui constitue la meilleure fenêtre de travail en termes de confort opératoire ; - l’objectif est de supprimer la symptomatologie et les conditions sont idéales pour intervenir ; - il s’agit donc réaliser le traitement endodontique d’une prémolaire intacte et idéalement en une seule séance. Tableau I : Options diagnostiques et traitements associés chez la femme enceinte [3]. Examens radiographiques Traitement d’urgence Traitements spécifiques Radiographie panoramique Pulpectomie Détartrages-surfaçages Rétro-alvéolaires Incisions et drainages Restaurations conservatrices Rétro-coronaires Extractions simples. Extractions simples Prendre contact avec le médecin traitant Traitement endodontique (nécessaires pour le diagnostic) 2 Réalisable quel que soit le stade de la grossesse pour faire cesser la symptomatologie douloureuse et contrôler une infection Idéalement pendant le deuxième trimestre de la grossesse, à l’exception du détartrage-surfaçage qui peut avoir lieu à n’importe quel stade. L’INFORMATION DENTAIRE n° 30 - 8 septembre 2010 Traitement Problématique de la lésion apicale En parodontie, les études ont clairement établi un lien entre maladie parodontale et accouchements prématurés ou petits poids de bébé à la naissance [7]. Il n’en est pas de même en cas de lésion apicale ou de lésion périradiculaire. Aucun facteur de risque particulier n’a pu être établi. En termes de décision thérapeutique, il est important de considérer que le praticien doit intervenir simplement parce que le diagnostic est posé et que nous sommes en situation d’urgence douloureuse. Mise en œuvre du traitement La mise en œuvre du traitement doit être la plus courte possible, la position allongée surtout au cours du troisième trimestre peut engendrer des malaises et des chutes de tension dus à la compression de la veine cave inférieure ; les patientes qui ressentent souvent ces petits malaises les connaissent assez pour les signaler. Quand cela leur arrive, il faut les allonger sur le côté et disposer entre les deux jambes un oreiller ou une couverture. L’idéal étant d’instaurer les traitements pendant le deuxième trimestre de la grossesse [5]. L’anesthésie se pratique comme pour tous les patients. La patiente doit avoir mangé, l’injection est lente, contrôlée par une aspiration. Afin d’obtenir un effet suffisant, le volume injecté est légèrement supérieur à la normale, ceci en raison d’une augmentation de l’effet volumique. Par ailleurs, les molécules anesthésiantes passant la barrière placentaire, il est possible que les mouvements du fœtus soient légèrement ralentis pendant le temps de durée de l’anesthésie. Quant au choix de ces molécules anesthésiantes et à leur effet tératogène, la lidocaïne et la prilocaïne sont considérées comme étant au plus faible risque (risque B d’après la FDA Food and Drugs Administration) ; l’articaïne et la bupivacaïne ont un risque plus élevé (risque C). L’adjonction d’adrénaline au 1/100 000e est considérée sans risque. L’ensemble du traitement endodontique se déroule dans les conditions habituelles, sous champ opératoire décontaminé (Bétadine® ou hypochlorite de sodium) et idéalement avec des aides optiques. La préparation est parfaitement classique : l’objectif est de décontaminer l’ensemble du réseau canalaire, d’amener les solutions d’irrigation au foramen, de préserver la perméabilité et d’éviter de propulser des débris au-delà de la limite de l’endodonte [4]. Dans ce cas, au terme de la préparation, les canaux ont pu être séchés, nous avons réalisé dans la même séance, l’obturation verticale à chaud [9] (fig. 2 et 3). L’INFORMATION DENTAIRE n° 30 - 8 septembre 2010 2. Radiographie cône en place de la 15, prise en technique des plans parallèles légèrement défilée avec un angulateur spécifique adapté à la présence du champ opératoire (type endo Rinn®) 3. Radiographie de l’obturation prise avant dépose du champ opératoire. Prescriptions médicamenteuses (tableau II) Analgésiques La prescription antalgique chez la femme enceinte doit être de courte durée, pas plus de deux ou trois jours [5]. Le paracétamol est la molécule de choix (risque B d’après la FDA). La dose maximale est de 4 grammes par jour. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (qui pourraient être indiqués à des fins antalgiques) sont formellement interdits pendant le troisième trimestre de la grossesse. Par principe de précaution, ils ne doivent jamais être prescrits. Leur prescription induirait une diminution du volume de liquide 3 f o r m at i o n la femme enceinte f o r m at i o n Endodontie amniotique, un travail ralenti et une fermeture prématurée de certaines artères fœtales [8]. Quant aux antalgiques codéinés, ils ne peuvent être prescrits que par le médecin traitant, la prescription ne peut pas être indiquée par le chirurgien-dentiste. Dans certains cas, la codéine est rapidement métabolisée en morphine et la morphine passe la barrière placentaire. Antibiotiques Par principe de précaution, a fortiori si la grossesse est pathologique, toute prescription antibiotique doit être soumise par écrit au médecin qui suit la patiente [5]. En fait, à l’exception des tétracyclines et de leurs dérivées (doxycycline), la plupart des antibiotiques utilisés dans le cas de pathologies d’origine dentaire peuvent être prescrits. Il faut noter que les études ne démontrent pas formellement l’absence de risque ; c’est l’absence de preuve de risque, à la fois pour la mère et le fœtus qui est soulignée (risque B d’après la FDA). Quelques cas particuliers La prescription de métronidazole a été soumise à controverse, notamment pendant le premier trimestre. Bien que les études récentes ne montrent pas d’effet tératogène, la prescription de cet antibiotique doit être discutée avec le médecin qui suit la patiente afin d’en évaluer ensemble la pertinence. La ciprofloxacine utilisée dans le traitement des maladies parodontales, est classée en catégorie C par la FDA. Cela signifie que le degré d’absence de preuve est encore plus faible [10]. Dans ce cas clinique il n’a pas été nécessaire de prescrire des antibiotiques. En effet, la prescription préopératoire ne se justifiait pas, dans la mesure où la lésion était chronique et ne présentait pas de caractère infectieux et la réaction postopératoire a été normale, sans aucun caractère inflammatoire. Tableau II : Catégories de risques dans la prescription médicamenteuse chez la femme enceinte, d’après Food and Drug Administration Antalgiques Antibiotiques Anesthésiques locaux Anxiolytiques Paracétamol (B) Amoxicilline (B) Articaïne (C) Barbituriques (D) Paracétamol Codéïné (C) Pénicilline (B) Bupivacaïne (C) Benzodiazepine (D) Ibuprofène (B, D) Tétracycline (D) Lidocaïne (B) Clindamycine (B) Mepivacaïne (C) Ciprofloxacine (C) Prilocaîne (B) Doxycycline (D) Erythromycine (B) Metronidazole (B) Catégorie A : Études contrôlées chez la femme enceinte n’ayant pas montré d’augmentation du risque pour le fœtus. Catégorie B : Études contrôlées chez l’animal qui ne mettent pas évidence de risque, cependant pas d’études contrôlées chez la femme enceinte. qui pourraient mettre en évidence un risque. Catégorie C : Études contrôlées chez l’animal qui mettent en évidence un risque et pas d’études contrôlées chez la femme enceinte. Ou pas d’études menées chez l’animal et absence d’études bien contrôlées chez la femme enceinte. Catégorie D : Études bien contrôlées chez la femme enceinte montrent un risque pour le fœtus. Cependant Il est possible d’évaluer le risque encouru en le rapportant à la nécessité d’une thérapeutique. Catégorie X : Toutes les études, chez l’animal comme chez la femme enceinte montrent un risque évident de malformations fœtales. La prescription est toujours contre-indiquée. 4 L’INFORMATION DENTAIRE n° 30 - 8 septembre 2010 Conclusion La prise en charge d’une patiente enceinte doit être rationnelle. Il s’agit de supprimer la symptomatologie et de lui permettre de poursuivre sa grossesse dans de bonnes conditions. Dans le cadre de l’urgence et quand la gestion du cas permet la résolution définitive du problème, il est inutile de s’en priver. L’évaluation du rapport bénéfice/risque et la maîtrise des procédures thérapeutiques, liée à la nécessité éventuelle de prescrire des médicaments, de réaliser des examens radiographiques et d’imposer des séances quelques fois longues et inconfortables, permettent de faire la part des choses et d’évaluer la pertinence d’une prise en charge immédiate et complète. BIBLIOGRAPHIE 1. Attal S, Kaleka R. démarche qualité pour la radiologie intrabuccale en odontologie : pourquoi, comment ? ; Réal Clin Vol 19 n°2, 2008 pp.101-107. 2.Code de la santé publique. Guide des indications et des procédures des examens radiologiques en odontostomatologie. Paris : Dalloz, 2009. 3. Giglio JA, Lanni SM, Laskin DM, Giglio NW. Clinical practice : Oral health care for the pregnant patient, JCDA 2009 ; 75(1) : 43-47. 4.Friedman S, Abitbol S, Lawrence h. treatment outcomes in endodontics : the Toronto Study. Phase II : initial treatment. J Endod 2004 ; 30 : 302-309. 5.James A. Giglio, Susan M. Lanni, Daniel M. Laskin, Nancy W. Giglio Oral Health Care for the Pregnant Patient. JCDA, February 2009, Vol. 75, No. 1 p 43. Evaluation réponses en ligne sur notre site www.information-dentaire.fr 1. Chez la femme enceinte, il est interdit de prendre des V F radiographies. 2. Il est possible de prendre en charge toute urgence douloureuse, quel que soit le stade de la grossesse. V F 3. La prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens est V F interdite pendant la grossesse. 4. La meilleure fenêtre d’intervention en terme de confort, V F est le deuxième trimestre de la grossesse. 6.Little JW, Falace DA, Miller CS, Rhodus NL. Dental management of the medically compromised patient. 7th ed. St Louis : CV Mosby ; 2008 : 268-278, 456. 7. Michalowicz BS, Hodges JS, Diangelis AJ, Lupo VR, Novak MT, Ferguson JE, and others. Treatment of periodontal disease and the risk of preterm bith. N Eng J Med 2006 ; 355(18) :1885-94. 8.Organization of teratology Information Specialists. Ibuprofen and pregnancy. Available : www.otispregancy.org/pdf/Ibuprofen. pdf(accessed 2008 Nov 10). 9. Penesis VA, Fitzgerald PI, Fayad MI, Wenckus CS, Begole EA, Johnson BR. Outcome of One-visit and Two-visit Endodontic Treatment of Necrotic Teeth with Apical Periodontitis : A Randomized Controlled Trial with One-year Evaluation. J Endod. 2008 Mar ; 34(3):251-7. 10. U.S. Food and Drug Administration/Center for Drug Evaluation and Research. Cipro (Ciprofloxacin) use by pregnant and lactating women. Auteur Sarah Attal Stym Popper, AHU en odontologie conservatrice et endodontie à la faculté de Paris 7 76 avenue de la Bourdonnais 75007 Paris. L’INFORMATION DENTAIRE n° 30 - 8 septembre 2010 5 f o r m at i o n la femme enceinte f o r m at i o n Endodontie Revue de littérature Sélection de Sandrine Dahan et Dominique Martin Nixdorf DR, Moana-Filho EJ, Law AS, McGuire LA, Hodges JS, John MT. Frequency of Nonodontogenic Pain after Endodontic Therapy : A Systematic Review and Meta-Analysis. J Endod. 2010 Sep ; 36(9):1494-1498. L’ objectif de cette méta-analyse est d’estimer la proportion de dents traitées endodontiquement présentant une douleur persistante à long terme d’origine non odontogène. De la revue de la littérature sont ressorties dix études prospectives de suivi postopératoire de la douleur chez des patients ayant subi un traitement endodontique initial, un retraitement ou un traitement de chirurgie apicale. Les dix articles sélectionnés ont permis l’inclusion de 1 125 dents suivies pendant 1 à 6 ans. 3,4 % de ces dents ont présenté à long terme la persistance d’une douleur qui n’était pas associée à une lésion dentaire. Ce qui représente 56 % des douleurs persistantes à long terme. Les douleurs d’origine non odontogène sont d’origines variées, comme : des douleurs musculo-squelettiques référées, des douleurs neuropathiques, des céphalées ou des maladies de la sphère orofaciale (sinusites, tumeurs, pathologie des glandes salivaires…). Ainsi une proportion non négligeable de dents présente à long terme une douleur associée à une étiologie autre que dentaire. Les douleurs persistantes après traitement endodontique sont souvent traitées systématiquement par un retraitement endodontique ou un traitement de chirurgie apical, or plus de la moitié de ces dents ne présentent pas de lésion d’origine endodontique. Pour ces dents, les traitements sont engagés inutilement et ne permettent pas le soulagement de la douleur. Le diagnostic différentiel est particulièrement délicat dans ces situations et parfois même mal connu. Il est néanmoins important de s’y intéresser afin d’éviter des traitements inutiles. 6 Bronnec F, Bouillaguet S, Machtou P. Ex vivo assessment of irrigant penetration and renewal during the final irrigation regimen. Int Endod J. 2010 Aug ; 43(8):663-72. L’ élimination de l’infection endo-dontique repose essentiellement sur le travail de la solution désinfectante, dont l’efficacité est directement liée à sa diffusion dans l’endododonte. L’objet de cette étude est d’évaluer cette diffusion en quantifiant la profondeur de pénétration de la solution d’irrigation dans le canal, en fonction de l’étape de mise en forme et du mode d’irrigation. Les deux modes d’irrigation sont : l’irrigation passive et l’irrigation active. L’irrigation passive est l’irrigation conventionnelle à l’aide d’une seringue et d’une aiguille insérées dans le canal, tandis que l’irrigation active est associée au déplacement de la solution par agitation à l’aide des instruments endodontiques ou d’un cône de gutta. Les auteurs ont sélectionné 30 molaires mandibulaires extraites et se sont intéressés à la racine mésio-linguale présentant une courbure modérée à sévère. Les dents ont ensuite été installées dans des blocs de résine afin que leur position ne varie pas au cours de l’étude. La mise en forme canalaire a été réalisée avec le système Protaper. Deux types de conicité apicale ont été réalisés, une conicité de 7 % (ProTaper F1) et une conicité d’environ 10 % (obtenue par l’utilisation en stepback des trois ProTaper F1, F2, F3). À la fin de la mise en forme, les deux modes d’irrigation ont été étudiés. L’irrigation active a d’abord été réalisée avec une solution radio-opaque agitée à l’aide d’un cône de gutta adapté à la préparation puis une irrigation passive a été effectuée avec une solution d’hypochlorite de sodium. Après chaque session d’irrigation un cliché radiographique a été pris, pour être ensuite comparé numériquement avec les précédents. Les résultats montrent que seule l’irrigation active a permis le renouvellement complet et systématique de la solution dans le tiers apical. En ce qui concerne l’irrigation passive, la profondeur d’insertion de l’aiguille est le facteur le plus important pour améliorer la pénétration de la solution d’irrigation et son renouvellement. L’augmentation de la conicité apicale et le volume de la solution débitée passivement ont également une influence significative. Cette étude montre que l’agitation de la solution d’irrigation en fin de mise en forme à l’aide d’un cône de gutta ajusté à la longueur de travail permet d’améliorer significativement la distribution de solution au niveau du tiers apical. L’INFORMATION DENTAIRE n° 30 - 8 septembre 2010