Pour vaincre les maladies rares, accélérer le diagnostic. « L’errance diagnostique est inhumaine. Pendant 10 mois, nous n’avons pas dormi, transportant notre culpabilité d’hôpital en hôpital. Certains savaient et ne nous ont rien dit. Pendant ce temps-là, Claire se laissait mourir. Malgré le choc du verdict, savoir c’est pouvoir rebondir et se consacrer enfin à la prise en charge. » Karen Ivonnet, mère de Claire, atteinte du syndrome de Rett. Accélérer le diagnostic Croiser les connaissances et les indices, S’interroger sur l’inhabituel, Rester ouvert et Se méfier des certitudes. L’errance médicale en quelques citations et témoignages : Lorca Bouchard, 17 ans, atteinte de mucoviscidose : « Pour beaucoup, une maladie qui ne se voit pas n’existe pas. » Viviane Viollet, mère de deux enfants atteints du syndrome de l’X fragile : “ Tout ça, c’est psy… ” « Après une grossesse difficile et une hospitalisation de 5 mois, Sébastien, mon premier enfant, naît en 1979. Arrivé avant terme avec un ictère spontané, il doit rester 8 jours en pédiatrie. Je rentre seule à la maison. Première douleur. Assez vite, je me rends compte que Sébastien est un bébé un peu trop mou surtout lorsque je discute avec des collègues infirmières qui ont des enfants du même âge. C’est sans doute dû à la séparation mère enfant. Sébastien a un an puis dix-huit mois, une tête un peu grosse, il ne fait pas de quatre pattes, n’est jamais assis. Il faut me préparer à un enfant à difficultés. Mon médecin de famille s’interroge, le pédiatre de ville suspecte un cas d’autisme, rien n’aboutit. Lorsque Sébastien a deux ans, j’accouche d’Antoine qui, tout au long de la première année, se développe parfaitement, il marche même à 9 mois, c’est un hypertonique. Seule particularité, une tendance, comme son grand frère, à répéter les mêmes syllabes en boucle. Lorsque Sébastien a 5 ans et Antoine 3, je décide de les mettre ensemble en maternelle pour stimuler mon fils aîné. Lorsque je reviens les chercher le soir, les institutrices m’attendent sur le pied de guerre, la psychologue à leur côté : Sébastien est prostré dans son monde, quant à Antoine, il se tape la tête contre les murs. Elles sont catégoriques : ces enfants ont un problème d’environnement psychologique. Consternée, je me remets en question : Est-ce ma déprime d’avoir des enfants en difficulté qui pèse sur eux ? Désemparée, culpabilisée, j’entreprends une psychanalyse pendant 4 ans. C’est à cette période que je regarde par hasard le premier Téléthon. En suivant l’émission, une question surgit comme une évidence : et si c’était génétique ? Du jour au lendemain, j’arrête l’analyse et prends rendez-vous avec un pédiatre hospitalier rencontré lors de la naissance de Sébastien. Je connais bien les consultations de pédiatrie pour y avoir fait des remplacements : la salle d’attente est pleine, j’ai 20 minutes, pas plus, pour exposer mon problème. À peine entrée en consultation, je m’effondre en racontant mon histoire. Après m’avoir écoutée plus d’une heure, le pédiatre se tourne vers Sébastien et lui dit : « J’ai lu dans une revue anglo-saxonne qu’il existait des liens entre des difficultés scolaires et certains chromosomes X. Tu vas venir à l’hôpital pendant une semaine avec ta maman, nous allons réaliser des examens et cheminer ensemble. Es-tu d’accord ? » J’ai l’impression d’être enfin entendue et reconnue. C’est un des plus beaux cadeaux de ma vie. » Favoriser le diagnostic Il se déroule en moyenne de 2 à 10 ans entre les premiers symptômes d’une maladie rare et le diagnostic définitif. Gisèle Cullerier : « Je n’avais jamais été diagnostiquée jusqu’à mon pneumothorax à 53 ans. Mais quelques années plus tôt alors que je vivais au Mexique, un médecin avait repéré lors d’un check-up mes mains longilignes et m’avait demandé si j’avais entendu parler du syndrome de Marfan. Comme je lui ai dit que ma famille était grande et que nous avions des origines autrichiennes, il n’a pas insisté. J’ai su par la suite que d’autres personnes avaient repéré mes symptômes sans oser me le dire. » Des maladies exceptionnelles mais tristement ordinaires Les maladies rares touchent un effectif restreint de malades (moins d’une personne sur 2 000). Mais ces maladies sont tellement multiples et variées qu’elles concernent plus de 3 millions de personnes. On en recense aujourd’hui 7 000 différentes parmi lesquelles on trouve entre autres la myopathie, la mucoviscidose, la maladie de Charcot, la maladie des os de verre, la maladie de l’homme de pierre… Cette liste ne cesse de s’allonger car, chaque semaine, 5 nouvelles pathologies rares sont découvertes dans le monde. 80 % des maladies sont d’origine génétique mais beaucoup de causes restent inconnues. Ces maladies sont souvent graves, chroniques et évolutives et la majorité d’entre elles ne bénéficie d’aucun traitement. Docteur Pierre-Yves Ruby, praticien généraliste et médecin conseil en assurance des personnes à Groupama : « Notre diagnostic doit laisser une place au doute. Quand faut-il commencer à penser à une maladie rare ? Nous devons être alertés en cas de symptômes inhabituels ou de tableau incohérent. Cela impose de ne pas cataloguer trop hâtivement une maladie et d’avoir la souplesse d’esprit de remettre son diagnostic en question. En tant que généralistes, nous avons un atout : nous sommes confrontés à des visites régulières et à un suivi longitudinal du patient qui nous permettent d’emmagasiner des informations, d’identifier des signes qui perdurent et des récidives anormales. Dans tous les cas, le médecin a besoin d’outils. » Comment rattacher des signaux inhabituels à une maladie précise alors que certaines pathologies sont exceptionnelles voire inconnues ? Une première difficulté pour les familles, un moment où le désarroi des malades rencontre parfois l’impuissance des médecins. Les maladies rares déconcertent aussi les spécialistes Professeur Duhamel, chef du service pédiatrique Hôpital de Caen, administrateur de la Fondation Groupama pour la santé : « La difficulté du diagnostic des maladies rares est liée au fait qu’elles sont très nombreuses et très spécifiques. On recense parfois pour certaines maladies seulement quatre ou cinq cas en France. Nombre de médecins ne croiseront donc jamais de maladie rare de toute leur carrière, d’autant que les signes n’apparaissent pas nécessairement dès la période néonatale. Il y a même des maladies dont on ignore aujourd’hui l’existence. » Diagnostiquer tôt pour traiter à temps. « Les solutions passent par le diagnostic systématique de certaines maladies, un éventuel dépistage familial ou la recherche d’anomalies à l’examen clinique ou biologique. C’est aussi par l’amélioration des connaissances avec des outils comme l’annuaire Orphanet et par le travail d’équipe que nous pourrons améliorer la précocité du diagnostic. » On ne peut pas tout savoir… Mais on peut se poser la question : « Et si c’était une maladie rare ? » Pour affiner le dépistage, un annuaire, une référence : Orphanet, service de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dont la responsable est le Docteur Ségolène Aymé, coordonne l'annuaire des maladies rares. Y sont recensés des informations sur les consultations spécialisées, les laboratoires de diagnostic, les projets de recherche, les registres épidémiologiques, les essais cliniques et les associations de patients. La Fondation Groupama pour la santé a diffusé cet annuaire aux 5 000 pédiatres et aux 1 370 spécialistes les plus concernés par ces pathologies. Orphanet, une base de données mondiale Docteur Stefan Darmoni, professeur d’informatique médicale au CHU de Rouen, chargé de l’indexation des sites médicaux francophones : « Orphanet est devenu une institution aussi bien pour les professionnels que pour les malades. Outil multilingue, il produit une information fiable, actualisée et scientifiquement validée parmi les plus consultées par les médecins. Le système d’indexation permet de rendre accessible une étendue de connaissance médicale et de mieux faire émerger les thèmes suivant les mots clés. » Juliette Dieusaert, présidente de l’Association Française Ataxie de Friedreich : « Si on ne se prend pas en main, personne ne le fera à notre place. Les premiers symptômes de mon fils sont apparus vers 9 ans et nous sommes restés dans l’errance diagnostique jusqu’à ses 15 ans. Il est parfois démoralisant de voir que notre maladie se résume à une ligne dans l’Encyclopédie médico-chirugicale mais c’est normal, la plupart des neurologues n’en rencontreront jamais de leur vie ! Aller vers une association n’est pas toujours facile, on craint de se voir en miroir. Nous sentant novices, nous avons hésité à nous engager mais, avec le recul, chacun a quelque chose à apporter. Nous nous sommes rapprochés d’autres associations pour faire jouer des synergies, éditer des documents d’information que les malades utilisent notamment lors de la consultation pour informer les médecins. Nous faisons souvent le lien entre malades et médecins car qui connaît mieux la maladie que nous ? Certains spécialistes ne voient les malades qu’une ou deux fois par an, nous, nous sommes en contact permanent avec eux. Toute cette mobilisation participe au progrès du diagnostic. » Du statut de malade au statut d’acteur « Quand on est parent ou proche d’un patient atteint d’une maladie rare, difficile de rester passif en attendant que « la médecine trouve la solution ». Au coeur de la mobilisation : les associations. Suite du témoignage de Viviane Viollet : « Commence alors une batterie d’examens à l’issue desquels le médecin généticien m’annonce que mon fils est atteint du syndrome de l’X fragile et demande que les membres de la famille procèdent également à des examens. Sébastien a alors 9 ans. Toutes les émotions se mélangent : soulagement de savoir… et culpabilité d’avoir transmis la maladie à mes fils. C’est mon père qui est porteur du gène mais impossible de remonter plus haut, car il a été abandonné après être né sous X. Décidément, notre destin s’écrit avec un X. Cette errance diagnostique est le moteur de notre détermination et nous décide Xavier et moi à créer l’Association Française de l’X Fragile, Le Goéland, en 1990. Notre énergie est à la hauteur de nos 10 ans de détresse. Nous contactons d’autres associations, sommes reçus par le président de l’Association Française contre les Myopathies, créons un Conseil scientifique avec le soutien du Professeur Jean-Louis Mandel, le spécialiste français de la question.» Dominique Espinasse, présidente de l’Association Francophone des Glycogénoses (AFG) Partager la connaissance et se projeter dans l’avenir. « Adhérer à une association, c’est déjà être acteur et plus on est nombreux, plus on a de poids. Ma fille est atteinte de glycogénose de type I diagnostiquée à 14 mois. J’ai monté une association pour être dans l’accompagnement car aussi dure soit l’épreuve, mieux vaut essayer d’en tirer parti que de lutter contre. Étant journaliste, j’ai réalisé un premier livre sur la glycogénose avec la Fondation Groupama. Avec l’aide du Conseil scientifique, nous avons créé un guide, une bande dessinée, une revue et des Rencontres annuelles pour faire connaître la maladie. La recherche avance, des thérapies géniques s’élaborent mais l’association aide aussi à avoir un autre regard sur sa maladie. On voit les malades se transformer et ça donne envie à tous de se projeter dans l’avenir ! » Françoise Antonini, ancienne déléguée régionale de l’Alliance Maladies rares : L’union fait la force ! Se rassembler augmente les chances d’être entendu, notamment en matière de recherche. Nous avons créé en 2000 le collectif d’associations « Alliance Maladies Rares ». Il y a eu plusieurs étapes clés. Après que l’AFM et le Téléthon aient ouvert la voie de la mobilisation, les pouvoirs publics ont inscrit les maladies rares parmi les priorités de santé publique. La création de 132 Centres de référence puis plus récemment de Centres de compétences pour améliorer la proximité sur tout le territoire a été déterminante. Au départ, les associations étaient considérées comme des empêcheurs de tourner en rond. Maintenant, nous avons un vrai respect les uns pour les autres et sommes devenus des partenaires à part entière. Croiser les compétences et les expériences Docteur Richard Guédon praticien généraliste et médecin conseil en assurance des personnes : « Médecins, associations, malades, aucun ne peut se passer des autres. Pour améliorer l’information sur les maladies, il est nécessaire de se rencontrer, de confronter les connaissances et les expériences au cours d’un moment en commun … » Rendre le dialogue médical fertile et le discours audible Professeur Henri Plauchu, professeur à l’Hôpital Claude Bernard de Lyon, coordonnateur du Centre de référence maladie de Rendu-Osler « Si les maladies sont orphelines de diagnostic, c’est parce que les malades ne savent pas où s’adresser. La convergence de ressources entre les acteurs contribue à renforcer les réseaux et à les rendre opérationnels. Les colloques ont à cet égard plusieurs mérites. En plaçant les médecins dans le même bain d’une physiologie globale, les colloques favorisent l’échange interdisciplinaire propice à une interfécondation médicale. La seconde vertu de telles réunions est d’inciter les médecins à s’exprimer avec des mots accessibles pour avoir un dialogue audible par tous. Lors de ces réunions, la connaissance de la maladie progresse aussi par l’écoute réciproque. » Gisèle Cullerier, atteinte du syndrome de Marfan et membre de l’Association Française du syndrome de Marfan : « Mon expérience a pu sensibiliser les médecins au diagnostic. Lors du colloque organisé par la Fondation Groupama pour la santé, j’ai réalisé un rêve. Quand j’étais au fond de mon lit à l’hôpital, j’imaginais un auditoire de médecins à qui je pourrais dire : j’ai vécu jusqu’à 53 ans avec un morphotype de Marfan sans que personne ne s’alerte. Or, on sait qu’un diagnostic précoce permet une prévention et un traitement dont l’efficacité est très encourageante. C’est d’autant plus vrai dans le cas de la maladie de Marfan qu’une personne peut porter le gène et rester longtemps asymptomatique. Aujourd’hui, bien qu’invalide à 80 %, je reste active et j’essaie d’en faire un maximum malgré les pronostics pessimistes. Certains médecins sont des soignants mais pas toujours des diplomates. Ils annoncent un diagnostic de manière parfois brutale et sans explication. Il suffit ensuite d’aller sur internet pour être alarmé sur les complications et les issues de la maladie. En cela, les associations ont un rôle capital : elles permettent d’engager le dialogue avec les professionnels de santé en gardant une proximité avec les malades. Vers une cogestion entre médecins, associations et patients Les colloques, en incitant au dialogue, font avancer la cause et traduisent le cheminement conjoint vers de nouveaux modèles d’organisation : les médecins ne sont plus seuls pilotes, aujourd’hui les associations participent aux commissions médicales, sont parties prenantes des décisions. Les maladies rares ont ouvert la voie de la cogestion : d’un côté, les patients de plus en plus informés et actifs aux côtés des associations sont devenus de véritables leviers pour faire avancer concrètement la cause. De l’autre, les médecins ont d’autant plus besoin d’interlocuteurs réactifs et impliqués qu’il est impossible aux instances publiques d’assurer ce travail pour chacune des 7 000 maladies. Document reconstruit par l’antenne régionale Basse-Normandie d’Alliances Maladies Rares, à partir de larges extraits du document suivant (Fondation Groupama) : http://www.versionoriginale.fr/wa_files/brochure_20fond_c2_b0groupama_20p ages_20int.pdf