Pa r c o u r s La conservation des gamètes avant la mise en œuvre du traitement : un acte essentiel source d’espoir G. Moutel* L * Endocrinologue et andrologue, AP-HP et laboratoire d’éthique médicale, faculté de médecine Paris-Descartes. a sexualité et la stérilité, la parentalité et la filiation, sont des questions actuelles et qui, désormais, sont systématiquement au cœur de l’annonce d’une maladie dont le traitement pourrait avoir des effets stérilisants (chimio­ thérapie et/ou radiothérapie). La conservation de gamètes est ici un acte médical, intime et symbolique fort qui permet aux malades d’entrevoir, au-delà de la guérison, la possibilité de fonder ou de poursuivre la construction d’une famille. En proposant l’autoconservation de gamètes, le médecin intervient dans un domaine certes différent de l’urgence liée à la maladie cancéreuse, mais essentiel tant il interfère fortement avec des concepts de vie et des désirs intimes (paternité, fantasmes, croyances, etc.). En outre, cette technique, qui semble pérenniser la vie et va contre la mort, situe le projet médical comme résolument orienté vers l’avenir, et dans une logique de guérison. Dans ce contexte, les médecins ont donc un rôle majeur à jouer. La démarche rencontre des contraintes de gestion du temps pour assurer un recueil des gamètes (face parfois à une maladie galopante). Tout doit être fait pour construire cette démarche, dans une situation d’urgence où parler de sexualité et de projet parental ne va pas toujours de soi, en fonction de l’état du patient, de son âge, de la construction de sa vie. Il est à souligner une différence notable dans cette démarche entre hommes et femmes. En effet, l’autoconservation de sperme est une pratique validée depuis 1973, qui a fait la preuve de son efficacité avec des taux de grossesses tout à fait satisfaisants en cas de réutilisation, lorsque la qualité spermatique était acceptable. Des questions sensibles, comme le nombre de recueils (qui doit être maximal dans le temps imparti et selon les règles édictés par les CECOS, centres d’études et de conservations des œufs et du sperme), celle de la durée de garde (annuelle, renouvelable sans limite de temps, sauf décès du Correspondances en Onco-hématologie - Suppl. au Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2008 patient), mais aussi, malheureusement, celles de l’impossibilité ou des échecs du recueil, tout comme parfois celle de la mauvaise qualité spermatique sont à gérer avec les patients. Toutes ces annonces, dans la suite immédiate de la révélation de la maladie onco-hématologique, nécessitent donc un accueil et un accompagnement de grande qualité. La place de l’information de la conjointe (s’il en existe une) ou des parents (pour les mineurs) doit également être envisagée avec le patient. Pour les femmes, la démarche est d’une tout autre nature, même si les symboliques sousjacentes peuvent être les mêmes. Tout d’abord, la conservation du tissu ovarien reste à ce jour une démarche expérimentale en cours de validation tant sur le plan de la conservation elle-même que sur celui de l’utilisation à venir des ovocytes. Depuis 1996, des prélèvements de tissu ovarien ont été réalisés en France sur des patientes devant recevoir une chimiothérapie et/ou une radiothérapie entraînant une destruction des follicules ovariens primordiaux. Conservés par congélation, ces fragments d’ovaire pourront leur être restitués quand elles souhaiteront mener une grossesse, une fois guéries. La seule alternative est le don d’ovocytes venant d’une donneuse anonyme ou l’accueil d’embryons. Mais ces méthodes impliquent un renoncement à sa propre fertilité. La conservation de tissu ovarien a été mise en œuvre dans le cadre d’un programme de recherche encadré par la loi sur la recherche biomédicale et par les CPP (comité de protection des personnes en charge de l’évaluation éthique des projets de recherche). En France, de nombreux prélèvements sur plusieurs patientes ont été réalisés, y compris chez des enfants et chez des adolescentes. Selon le cas, ils seront replacés soit à la place de l’ovaire manquant (cela permet théoriquement une grossesse spontanée), soit sous la peau du ventre (une fécondation in vitro 11 Pa r c o u r s le co u rrier de s lec t e u r s est alors nécessaire pour obtenir une grossesse). Les résultats sont toujours en cours d’évaluation. Mais cette approche rencontre une limite de taille lorsque la pathologie cancéreuse qui a nécessité le traitement risque de se localiser dans les ovaires. Bien que certainement la technique n’en soit encore qu’à ses balbutiements, on doit aujourd’hui adresser toute jeune patiente devant suivre un traitement à un centre de référence où sa situation sera évaluée. Ainsi, on peut imaginer à long terme que les femmes auront une démarche de prévention de leur fertilité tout aussi efficace que celle des hommes pour lesquels la conservation de sperme est aujourd’hui un droit et une bonne pratique de tout service d’oncologie. 12 Les études menées auprès des patients venant au CECOS montrent toutes que la prise en charge permettant de pallier la stérilité est ressentie comme très bénéfique. Alors que la préoccupation majeure de la personne malade est de survivre au cancer, la médecine lui offre par l’autoconservation de gamètes un “service” auquel elle semble très attachée. La fertilité semble ainsi devenir un critère de bonne santé, de retour à la guérison et à la vie la plus “normale” possible. L’autoconservation a ainsi des effets de réassurance certains. Réassurance visà-vis des patients et des patientes : des hommes ont déjà refusé de subir des chimiothérapies ou des radiothérapies par peur de devenir stériles. Mais réassurance aussi pour les cancérologues, qui n’ont pas à leur disposition de traitements non stérilisants. ■ À votre écoute N’hésitez-pas à nous faire part de vos remarques, réflexions sur ce nouveau supplément Regards croisés .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................................... É D I M A R K S A N T É - 2 , r u e S a i n t e - M a r i e - 9 2 4 1 8 C o u r b e v o i e C e d e x - E - m a i l : c o n t a c t s @ e d i m a r k . f r Correspondances en Onco-hématologie - Suppl. au Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2008