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congrès congrès
Écho des congrès
Schizophrenia Research
Davos 2000
P. Nuss*
Il en va ainsi pour ce qui
du développement du lanconcerne le traitement
ersion européenne du congrès américain dédié à la gage (DLD). Un sujet
n’ayant pas présenté de
médicamenteux et psyrecherche sur la schizophrénie, le congrès de Davos DLD dans l’enfance serchologique des formes
a proposé cette année des domaines de recherche, soit vait de témoin pour
prodromales ou débutantes (premier épisode)
nouveaux et polémiques pour certains, soit approfondis, chaque sujet DLD. Trois
de schizophrénie, ainsi
notamment grâce à l’apport de nouvelles technologies, types d’échelle ont été utilisés auprès de ces sujets
que de l’eff icacité de
pour d’autres. Les nouveautés ouvrent d’intéressantes adultes : questionnaire de
l’adjonction d’acides
perspectives que certains commentateurs considèrent schizotypie (SPQ), quesgras au traitement des
tionnaire général de
épisodes aigus de schinéanmoins comme déplorables ou anecdotiques.
malaise et une SADS-L.
zophrénie. Dans la même
veine, le Pr Tim Crow a,
Le diagnostic psychiaune fois de plus, fait sensation en déclitrique de chacun des patients était établi
sur la CIM-10. Les sujets ayant présenté
nant, lui-même ou ses inconditionnels,
un DLD dans l’enfance avaient un score
le concept d’atteinte de la latéralité
significativement (p < 0,006) plus élevé
hémisphérique chez le schizophrène. De
sur le SPQ ; il n’existait pas de différence
façon plus classique, mais à l’aide d’une
entre les deux groupes concernant le
technologie très sophistiquée, Mme
L’existence de déficits cognitifs et com“malaise général”. L’analyse des diagnosCarol Tamminga nous a laissé entrevoir
portementaux dans l’enfance, comme
tics dans les deux groupes n’identifiait
l’ampleur de ses travaux concernant le
marqueurs de vulnérabilité à l’apparition
aucun psychotique chez les contrôles ; en
rôle du glutamate au niveau cérébral,
ultérieure d’une schizophrénie, a déjà été
revanche, dans le groupe DLD, on notait
notamment sur les cellules hippocamfréquemment décrite. Un retard dans l’acdeux cas de schizophrénie, un cas de
piques, zone cérébrale très impliquée
quisition de la marche, de la propreté et
trouble psychotique atypique et l’exisdans les troubles de la mémoire présents
des compétences sociales (peu d’amis, isotence, dans les antécédents de trois sujets,
chez le schizophrène. De même, des
lement dans le jeu) sont des exemples de
d’épisodes dépressifs majeurs avec caracmodèles expérimentaux de psychose
difficultés plus fréquemment rencontrées
téristiques psychotiques. Les auteurs sugaiguë chez l’homme, consécutifs à l’adchez
le
futur
schizophrène.
L’équipe
de
gèrent ainsi une association possible entre
ministration de psycholeptique, font tourecherche en psychiatrie développemenle trouble du développement du langage,
jours partie des communications. Nous
tale de Nottingham (Hollis C., Clegg J. :
la schizotypie et la schizophrénie. Ces
citerons le modèle de psychose provoIs childhood developmental langage disorhypothèses développementales tentent
quée par le THC (tétrahydrocanabinol),
der
a
risk
for
adult
schizotypy
and
psyde trouver une validation à l’aide de
un des principes actifs du cannabis. Ce
chosis ?) s’est intéressée aux troubles du
l’imagerie cérébrale. S.M. Lawrie, d’Étype d’expérience semble poser moins de
développement du langage chez l’enfant.
dimbourg (Brain structure change and
problèmes éthiques que les tests à la
Un
des
problèmes
soulignés
par
les
cherpsychopathology in subjects at high risk
kétamine et à la phencyclidine.
cheurs réside dans le fait de savoir si ce
of schizophrenia), a présenté des travaux
trouble s’inscrit dans un processus déveà ce propos. Son étude portait sur trois
loppemental général de la schizophrénie
groupes de patients examinés à l’aide de
ou s’il est aspécifique. Pour ce faire, cette
l’IRM. Le premier groupe consistait en
équipe a sélectionné vingt hommes dans
sujets à haut risque (deux proposants famila trentaine, identifiés comme ayant préliaux proches, atteints de schizophrénie,
* Service de psychiatrie
n = 148) ; le deuxième était constitué de
senté dans l’enfance un trouble spécifique
hôpital Saint-Antoine, Paris.
V
Modèle neurodéveloppemental
ou neurodégénératif :
données récentes
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patients présentant un premier épisode
psychotique (n = 38) ; et le troisième de
sujets sains contrôles (n = 32). Deux
années après cette imagerie, une autre était
effectuée chez les sujets à risque (n = 66)
et les témoins sains (n = 20). Si les
atteintes des lobes temporaux sont classiquement décrites chez le schizophrène, on
sait peu de chose concernant la chronologie de cette atteinte volumétrique. Les
hypothèses proposées par l’équipe à
laquelle un des volets de l’étude était présenté, consistaient à rechercher l’existence
d’anomalies prémorbides, à déterminer si
elles permettaient de prédire l’apparition
des troubles au cours d’un premier épisode
et si les modifications étaient plus rapides
que chez les sujets normaux.
Lors du premier examen, des différences
significatives purent être mises en évidence, par rapport aux témoins, chez les
sujets à risque. Il s’agissait d’une diminution, chez ces derniers, du volume moyen
de l’amygdale, de l’hippocampe et du thalamus gauche. Ces éléments anatomiques
constitueraient ainsi des marqueurs de
traits pour la schizophrénie. En revanche,
au sein du groupe à risque, on ne notait
aucune différence volumétrique entre ceux
qui présentaient des signes psychotiques a
minima et ceux qui n’en présentaient pas.
Lors du suivi sur deux ans des sujets à
risque, on retrouvait une tendance à la
poursuite de la diminution du volume de
ces structures (et du lobe temporal), plus
rapide chez les sujets à risque présentant
des signes psychotiques (n = 19) que chez
les autres (n = 47). Les auteurs concluent
à l’existence de marqueurs de traits visibles
en imagerie cérébrale et à l’existence d’un
processus actif de réduction du volume
cérébral de certaines zones au fil du temps,
même chez les sujets à risque, dans la
mesure où ils présentent des signes psychotiques. Ces résultats, issus de l’analyse
IRM cérébrale de sujets ayant deux proposants proches atteints de schizophrénie,
doivent être accueillis avec circonspection.
Certains n’ont pas été retrouvés par
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d’autres équipes ; on notera qu’ils sont
étonnamment sensibles sur une période
aussi courte (deux ans). Ils indiquent toutefois l’intérêt d’analyser, possiblement
comme deux processus différents, les cas
sporadiques de schizophrénie (environ
80 % des premiers épisodes), des cas familiaux et pour lesquels il existerait davantage d’atteintes précoces du SNC. Certains
auteurs signalent le fait que ces modifications cérébrales de volume seraient
peut-être liées à des processus en partie
aspécifiques, comme un trouble contemporain de l’accès aigu du métabolisme
lipidique cérébral.
La schizophrénie :
une pathologie de la
connexion interhémisphérique ?
Un certain nombre de présentations et de
posters se sont intéressés au problème de
disconnexion interhémisphérique chez le
schizophrène ; certains processus de latéralisation en seraient une des expressions.
Tim Crow, enfant terrible de la psychiatrie anglaise, propose l’idée que “le prix
que l’espèce humaine doit payer pour disposer du langage est sa vulnérabilité à la
schizophrénie”. Il fournit, pour preuve à
cette hypothèse, des données phylogénétiques. L’apparition du langage articulé
(dans son aspect moteur) chez l’espèce
humaine aurait correspondu à un changement fonctionnel cérébral faisant basculer les fonctions initialement dédiées à
la pensée du cortex préfrontal dorsal droit
vers le gauche. Cela expliquerait, pour
lui, la vulnérabilité à la symptomatologie
positive et participerait notamment aux
troubles du cours de la pensée, au retrait
et à la pauvreté affective exprimée par la
parole. De même une transition sensorielle aurait-elle eu lieu, déplaçant les
fonctions du cortex occipito-pariéto-temporal gauche vers le droit. Cela participerait à la possibilité d’accéder au délire
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et aux hallucinations. Une “fragilité”
apparaîtrait ainsi sous-tendue, en outre,
par le rôle critique des connexions dans
la coopération interhémisphérique. Les
jumeaux monozygotes, discordants pour
la schizophrénie, seraient différents en
raison d’une atteinte dans leur processus
de coopération interhémisphérique.
Inutile de préciser le scepticisme de l’auditoire qui, toutefois, à demi blasé par
habitude, à demi séduit par le charisme
et la qualité de l’auteur, reste attentif à ce
qu’il apporte de moderne au débat.
Concernant encore la question des
jumeaux monozygotes discordants pour
la schizophrénie, un travail d’imagerie
cérébrale de l’équipe de R. Murray (T.
Sharma, Londres) met en évidence, chez
le jumeau malade, l’existence d’un
volume préfrontal et hippocampique
(droit et gauche) inférieur par rapport aux
contrôles, ainsi qu’un élargissement du
troisième ventricule et des ventricules
latéraux par rapport au jumeau non
malade.
En revanche, les jumeaux discordants
étudiés (malades et non malades) présentent une diminution du volume cérébral, de la substance grise corticale et de
l’amygdale par rapport aux jumeaux
témoins non malades. Pour poursuivre le
questionnement sur la latéralité chez le
schizophrène, d’autres équipes (Morh B.,
à Constance) ont tenté d’explorer le processus de coopération interhémisphérique lors de procédures au cours desquelles des mots (ou des pseudo-mots
ressemblant à des mots existants) sont
présentés dans le champ visuel, droit ou
gauche, ou dans les deux champs à la
fois. Les sujets témoins et les schizophrènes présentent à cette tâche un avantage droit net (confirmant l’avantage de
l’hémisphère gauche pour le langage).
En revanche, les schizophrènes ont des
performances moins bonnes que les
témoins sains en ce qui concerne la
reconnaissance, lors d’une présentation
bilatérale, du même mot dans les deux
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champs. La disparition de cet “avantage
bilatéral” chez le schizophrène a pu être
attribuée à une diminution, chez ce dernier, de la coopération interhémisphérique.
Vers un annoblissement
des graisses
Divers travaux ont évoqué, ces dernières
années, l’existence d’anomalies du métabolisme lipidique (augmentation du turnover, anomalies membranaires) chez les
sujets schizophrènes (mais aussi bipolaires), objectivables par spectroscopie et
dosages de la phospholipase A2 (augmentation de l’activité de la PLA2 de
45 % dans le cortex frontal des schizophrènes). Les dosages sériques d’acides
gras essentiels polyinsaturés à chaîne
longue sont abaissés chez le schizophrène ; de même, les membranes des
érythrocytes et les cultures de fibroblastes de schizophrènes mettent en évidence un trouble du métabolisme de ces
acides gras. Une anomalie détectée est le
déficit de transformation de l’acide eicosapentaenoic (EPA) en acide docosahexaenoic (DHA) ; elle serait due à une
activité réduite de l’acide gras coenzyme
A ligase (FACL). L’ajout d’EPA devrait
donc théoriquement présenter un intérêt
chez ces patients, dans la mesure où il
inhibe la PLA2, active la FACL et constitue un substrat des membranes en luimême. Des données préliminaires sur de
petits échantillons en ouvert ont montré
l’intérêt de l’adjonction d’EPA (mais pas
de DHA) pour le traitement des épisodes
psychotiques. Une étude indienne, dirigée par une équipe britannique (Shah S.
et Peet M., Baraoda et Sheffield), a proposé à trente patients schizophrènes (premier épisode ou rechute pour arrêt médicamenteux) un traitement par gélules
comprenant de l’EPA (2 g/jour) ou du
placebo (huile d’olive) comme seul traitement, prescrit en double aveugle. Le
protocole permettait, afin de maintenir
une dimension éthique à l’étude, d’associer si nécessaire un antipsychotique au
cours des trois mois du protocole. L’état
clinique était évalué grâce à la PANSS en
début et fin de traitement. Il y eut trois
sorties d’essai dans le groupe placebo et
un dans le groupe EPA. Dans le groupe
placebo (n = 12), tous eurent recours à
l’adjonction d’un antipsychotique. En
revanche, dans le groupe EPA (n = 14),
seuls six eurent besoin de l’ajout d’un
antipsychotique. Cette différence est
significative (p = 0, 02). Elle suggère l’intérêt d’une prescription associée d’EPA
dans le traitement de la schizophrénie,
compte tenu de son absence d’effets latéraux négatifs.
Glutamates et THC :
des preuves
mais beaucoup de mystère
L’implication du glutamate dans la schizophrénie est actuellement un sujet intensif de recherche. On considère qu’il pourrait intervenir selon deux modalités : tout
d’abord, via les récepteurs NMDA (Nméthyl D-aspartate) dont il est un des
ligands et, par ce biais, sur la symptomatologie négative et cognitive ; mais aussi,
et de façon aspécifique, on suspecte une
action délétère cytotoxique du glutamate
sur certaines structures cérébrales.
Concernant le premier groupe de travaux,
ceux s’intéressant aux aspects cognitifs
s’attachent à déterminer l’activité
(nombre, affinité) des récepteurs NMDA
dans les régions cérébrales impliquées
dans différentes formes de mémoire. Un
test cognitif complexe appelé “mismatch
negativity” fait intervenir un potentiel
neurophysiologique précurseur d’un
potentiel évoqué suscité par un stimulus
auditif déviant et rare, au sein d’une succession de stimuli réguliers. Le cerveau
“anticipe” en quelque sorte la survenue
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du stimulus et présente une activité électrique préattentionnelle qui s’objective
quand le stimulus ne suit plus la cadence
préalable. Ce test implique donc la
mémoire de travail (mémoire échoïque)
au niveau du cortex sensoriel auditif. Différents travaux ont mis en évidence l’association entre un dysfonctionnement des
récepteurs NMDA et ce test, qui implique
un type de mémoire constamment altéré
chez le schizophrène. Mme Tamminga, à
la suite de nombreux travaux tant sur les
modèles animaux qu’à la suite d’analyses de cerveaux de schizophrènes postmortem, propose l’étude de ces récepteurs au niveau de l’hippocampe et du
cortex cingulaire antérieur. Elle a mis en
évidence une composition anormale des
récepteurs au NMDA au niveau hippocampique. Ce fait conduit à une diminution du transfert d’un signal glutamatergique de l’hippocampe vers ses cibles du
système limbique. Ces données renforcent, selon elle, les résultats actuels
concernant la physiopathologie de la
schizophrénie. Les données concernant
le THC (tétrahydrocannabinol) semblent
d’une autre nature. Sans entrer dans le
très polémique débat des liens existant
entre schizophrénie et cannabis, on peut
toutefois tenter de répondre à un certain
nombre de questions. Le cannabis peutil provoquer des symptômes psychotiques chez le sujet normal lorsqu’il est
administré en IV à fortes doses ? Existet-il une altération du système cannabinoïde dans la schizophrénie ? Pour tenter
d’apporter une réponse à ces questions,
D. De Souza, de l’université de Yale, dans
le Connecticut, a présenté une étude au
cours de laquelle il propose, dans un protocole randomisé en double aveugle, une
administration intraveineuse de THC à
des doses de 0, 25 et 5 mg (flash en deux
minutes) sur un protocole d’une durée de
trois jours. Les patients schizophrènes
inclus étaient stables sur les plans clinique et thérapeutique (traitement antipsychotique) et n’avaient pas eu d’expo-
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sition préalable au cannabis. Une batterie de tests était passée immédiatement,
puis au long cours, à un mois et à neuf
mois. Les résultats répliquent en partie
ceux déjà connus avec de tels protocoles :
exacerbation des symptômes psychotiques
chez le schizophrène et apparition de ces
derniers chez les contrôles. Le THC induisait aussi plus d’effets négatifs et de
troubles des perceptions dans les deux
groupes. En outre, le THC induisait des
atteintes cognitives (altération des tests de
mémoire immédiate, de mémoire de rap-
pel, de fluence verbale et d’attention sélective). Les scores de la PANSS sont significativement augmentés en fonction de la
dose de THC administrée. Les souséchelles les plus touchées sont celles correspondant à la désorganisation conceptuelle et à la symptomatologie négative.
Ces effets sont dose-dépendants et semblent impliquer en partie les récepteurs CB1. D’autres
molécules,
comme la kétamine, sont des antagonistes des récepteurs au glutamate
(NMDA) et stimulent la libération de
EFFEXOR
cet acide aminé. Elles entraînent une
augmentation des scores de la PANSS,
des altérations des perceptions sensorielles et des atteintes cognitives. La
présence de lamotrigine, qui est un
antagoniste des canaux calciques voltage-dépendants, atténue cet effet. Cela
plaide en faveur de l’implication du
glutamate dans certains éléments psychopathologiques de la schizophrénie.
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