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V ie professionnelle
Le médecin, le malade et les proches
IP I. Moley-Massol*
D
epuis quelques années, une attention particulière est
portée aux proches des malades atteints d’une maladie
grave ou chronique.
Personne ne conteste aujourd’hui l’importance de l’environnement du malade au cours de la maladie. Le soutien de l’entourage fait partie des soins prodigués au patient.
Cette aide psychologique a été étudiée dans le cadre de
certaines maladies graves, en particulier dans celui du cancer
du sein où l’on a pu démontrer que la vitalité de l’immunité
était corrélée au soutien du conjoint ou de toute personne
affectivement liée au patient.
Mais ce soutien de l’entourage ne va pas de soi.
Les rapports qui unissent le patient à ses proches dans la
maladie sont toujours complexes, ambivalents et fluctuants.
Il est important pour tout médecin confronté à la maladie
grave ou chronique d’un patient : cancer, diabète, insuffisance
coronarienne, maladie neurologique dégénérative, etc., de
décrypter ce qui se joue dans la relation qui lie le malade à
chacun de ses proches, de débusquer les pièges, tout en maintenant le malade à sa place centrale dans la relation médicale.
La proximologie, discipline qui se développe depuis une
dizaine d’années, nous aide à mieux comprendre ce qui se
joue d’essentiel dans la relation malade-maladie-proches et
l’importance de l’attention à porter aux proches, dans l’intérêt
du malade et de la famille.
L’impact de la maladie va dépendre de multiples facteurs :
– la personne atteinte : enfant, adolescent, père, mère, grandsparents, ou famille plus éloignée ;
– l’âge de chacune des personnes concernées et la période
de vie qu’elle traverse, son histoire, ses expériences passées.
A-t-elle déjà été confrontée à la maladie, la sienne ou celle d’un
proche ?
– le lien qui unit le malade au proche : parent ou ami, et le type
de relation préexistant à la maladie ;
– le pronostic vital ;
– la nature de la maladie et des représentations qui lui sont
attachées (maladie chronique, évolutive ou non, douloureuse
ou non, responsable à terme d’une dégradation inéluctable,
maladie génétique), avec toute la culpabilité qu’elle peut
générer ;
– la configuration familiale : couple avec ou sans enfants,
famille monoparentale, famille recomposée, etc. ;
– le réseau social et relationnel de la famille ;
– le niveau de vie socio-économique, la situation professionnelle : période de chômage ou période de projets et de réalisations ;
– le cycle de vie familial dans lequel s’inscrit la maladie : jeune
couple, période de relative tranquillité par rapport aux dynamiques familiales ou au contraire période de crise, divorce ;
– les croyances de la famille sur la santé, la maladie et le monde
médical en général.
La maladie bouleverse le système familial,
un nouvel équilibre est à trouver
Toute famille fonctionne comme un système régi par des lois
qui lui sont propres et qui définissent la place de chacun et les
échanges entre les membres, dans un étayage mutuel.
La maladie fait irruption dans ce système familial et le bouleverse. Un nouvel équilibre est à trouver qui dépend des capacités de chaque famille à s’adapter au changement.
Quand le système familial est souple et ouvert, il est de nature à
favoriser l’adaptation à la maladie du patient et de ses proches
en leur permettant notamment de pouvoir se parler librement
et de partager des émotions souvent pénibles et douloureuses.
Pour ces familles, la maladie sera le plus souvent l’occasion
d’un renforcement des liens préexistants.
D’autres systèmes familiaux s’avèrent plus rigides et fermés,
et l’apparition de la maladie se traduit par des dysfonctionnements dans l’équilibre familial. Les ruptures sont fréquentes :
ruptures des liens affectifs, de la communication, de la disponibilité et du soutien apportés au patient, rupture de la prise en
charge médicale du patient ou parfois d’un équilibre psychique
déjà fragile. Il n’est pas rare non plus de voir la maladie devenir
le ciment familial dont la disparition mettrait en péril la structure familiale...
Bon gré, mal gré, les proches sont toujours impliqués dans
l’histoire de la maladie qui vient bouleverser l’équilibre familial et les rapports de force.
La maladie inflige une profonde blessure narcissique au
malade, mais elle représente aussi un traumatisme psychique
pour les proches, en fonction du lien qui les unit au patient
(conjoint, enfants, parents, etc.), de leurs personnalités, de
leur histoire et du moment de vie qu’ils traversent.
Comme l’explique le Pr P. Angel, psychiatre (Paris), spécialiste des thérapies familiales et systémiques, l’apparition d’une
maladie chronique, sévère, ou d’un handicap chez un membre
d’une famille, est susceptible d’engendrer une crise pour l’ensemble du système familial.
* Médecin psychothérapeute, praticienne attachée à l’hôpital Cochin, Paris.
Auteur de L’annonce de la maladie. Une parole qui engage, aux Éditions DaTeBe.
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Dans tous les cas, la maladie intervient comme une crise qui
vient exacerber les conflits et les rivalités familiales, amplifiant les sentiments de culpabilité et de dette, les attitudes de
soumission ou d’agressivité. Elle fait voler en éclats les points
de repères préétablis. Du rejet à la surprotection, tous les
comportements sont susceptibles de se déployer autour du
malade, qui influent considérablement sur son psychisme et
ses ressources face à la maladie.
Confronté à la maladie grave ou chronique, chaque membre de
la famille doit réaliser un deuil, celui de l’être bien portant et
souvent aussi de sa représentation de la personne malade et du
type de relation qui le liait à elle. C’est toute une nouvelle vision
de cette personne, de son rapport à elle et au monde parfois,
qui est à reconstruire. Le traumatisme psychique engendré par
l’annonce d’une maladie ou d’un handicap se propage de proche
en proche comme une véritable “onde de choc” (Bowen).
La communication entre le malade et les proches est souvent
difficile, biaisée, comme si le monde se divisait soudain en
deux, entre l’univers des bien portants et celui des malades,
avec des frontières infranchissables.
Pourtant, chacun a besoin de communiquer, d’exprimer ses
difficultés et sa souffrance.
Le malade a besoin de se sentir entouré, soutenu par des liens
affectifs immuables et inconditionnels. Il ne demande pas
forcément à être “compris”, mais accompagné et accepté dans
l’amour et le respect de sa personne.
Or, nous savons aujourd’hui que les soins que l’on doit au
patient doivent tenir compte de son entourage et que c’est en
aidant l’aidant, qu’on aide aussi le malade à aller mieux, avec
un retentissement à la fois sur sa qualité de vie et sur celle de
son entourage.
commEnt lE médEcin pEut-il sE rEpérEr
dans la rElation maladE-maladiE-prochEs ?
Pour le médecin, il s’agit de prendre en compte trois entités
distinctes : le malade, le proche dans son individualité et le type
de lien qui les unit, afin d’aider chacun à exprimer sa souffrance,
ses besoins, ses envies, ses limites et à trouver sa “bonne” place,
à une distance acceptable par rapport à la maladie.
C’est à cette condition que les proches pourront jouer un rôle de
soutien, sans endosser une charge trop lourde, et accompagner
le malade dans cette épreuve qui est à traverser, ensemble.
La première démarche du médecin est celle du questionnement, même s’il pense “bien connaître” le malade et sa famille.
Face au choc d’une maladie grave, on ne peut jamais présager
des réactions des uns et des autres et du bouleversement familial. Il convient de se méfier des apparences.
Concernant le malade
 Quelle est sa place dans la famille ?
 Que représente pour lui cette maladie ?
 À quelle place est-il mis ? Cette place lui convient-elle ?
La Lettre du Pneumologue - Vol. X - n° 4 - juillet-août 2007
Q u’est- ce que la proximologie ?
Parallèlement à l’accompagnement psychologique du sujet
atteint de maladie chronique ou sévère, l’accent est mis depuis
plusieurs années sur le rôle, mais aussi sur le vécu et la souffrance de son entourage.
Une réflexion est initiée dans les institutions, concernant la
place et la prise en charge des familles.
Actuellement, la proximologie “se consacre à l’étude des relations entre le malade et ses proches. Cette approche pluridisciplinaire au carrefour de la médecine, de la sociologie, de la
psychologie, de l’éthologie et de bien d’autres disciplines fait de
l’entourage des personnes malades ou dépendantes un objet
central d’étude et de réflexion. Elle s’inscrit dans une réflexion
globale sur nos systèmes de soins et les différents acteurs de la
santé. Elle cherche notamment à mieux comprendre la nature
du lien et des relations qui unissent une personne atteinte
de pathologie chronique ou sévère et ses proches (famille,
voisins, amis, etc.). En ce sens, et compte tenu des évolutions
démographiques et épidémiologiques de nos populations, elle
invite à porter un regard nouveau sur le retentissement réel
des pathologies et sur leur prise en charge quotidienne.”
La notion d’“aidant naturel”, définie par une résolution du
Conseil de l’Europe, met également en lumière les problématiques et les besoins spécifiques de l’entourage convoqué à
cette place d’aidant, tant sur le plan physique que sur le plan
psychique (anxiété majeure dans 50 % des cas et un risque
dépressif multiplié par trois).
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 Existe-t-il une rupture dans son lien aux autres ? Se sent-il
rejeté ? Quelle est sa souffrance ?
Concernant l’accompagnant
 Qui est-il ? Quelle est sa représentation de la maladie ? (Sa
vision est souvent différente du malade.)
 Quelle relation entretient-il avec le malade et la maladie ?
 Est-il en souffrance ?
L’accompagnant est aussi celui qui subit la maladie sans recevoir la “considération” dont le malade est l’objet. Il peut se
sentir laissé-pour-compte. Il peut être épuisé et dépressif.
La recherche d’un épuisement physique et psychique chez
un accompagnant est particulièrement importante dans les
pathologies qui mobilisent considérablement les proches sans
qu’ils puissent recevoir la reconnaissance du malade. C’est le
cas notamment dans la maladie d’Alzheimer.
Concernant la relation malade-proches
 Existe-t-il une modification des liens et des rapports de
force entre parents et enfants (l’autorité parentale est-elle
menacée ?), dans le couple, etc.
 Existe-t-il des difficultés relationnelles, sexuelles ?
On constate souvent la coexistence de plusieurs souffrances
morales qui n’osent pas s’exprimer et qui conduisent à l’iso139
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lement psychique du malade d’un côté et de chaque membre
de son entourage de l’autre. La parole et l’expression de cette
souffrance permettent de libérer les émotions et d’instaurer
une communication au sein du couple ou de la famille.
Quels sont les principaux pièges à éviter ?
 Infantiliser le malade.
 Exclure le malade par une collusion familiale, au nom d’une
prétendue protection du malade : “Surtout ne lui dites rien,
docteur, il ne le supporterait pas !”
 Imposer au proche un fardeau trop lourd pour lui.
Le proche n’est pas un soignant, il n’a pas à tenir un rôle qu’il
n’a pas choisi. Il a aussi le droit de ne pas s’impliquer ou de
prendre de la distance quand elle lui est nécessaire, sans culpabilité.
 Sous-estimer la souffrance du proche, sa fatigue physique
et morale.
 Laisser l’accompagnant prendre toute la place au cours des
consultations.
On voit trop souvent des conjoints, parents ou enfants, mobiliser toute l’attention du médecin et parler à la place du malade
qui ne tient plus qu’un rôle de figuration.
 Exclure de toute information utile certains membres de la
famille : frères et sœurs, enfants, etc., ou au contraire donner
l’information à la famille et négliger le malade. Ce risque est
particulièrement important avec les sujets âgés.
 Faire la morale.
Le médecin doit, au contraire, permettre de libérer les
émotions, sans culpabilité : la tristesse, l’abattement, la colère,
la révolte, etc.
Que peut faire le médecin en pratique ?
 Le malade reste la personne centrale de la relation médecinmalade.
 Voir le malade seul, lui demander s’il souhaite la présence
d’un proche.
 Proposer de voir l’accompagnant seul dans certains cas.
 Aider chacun à s’exprimer et à communiquer.
 Évaluer la souffrance de chacun, ses ressources, ses limites, ses
besoins et l’incidence de la maladie dans les relations familiales.
Il est important pour le médecin d’apprécier l’aptitude du
proche et de la famille, en général, à soutenir le malade, que
ce soit dans l’éducation du patient (diabète, hypertension artérielle, etc.), les handicaps ou les maladies graves, les cancers,
les maladies neurologiques dégénératives, les prises en charge
de fin de vie, etc.
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Conclusion
La maladie est un bouleversement individuel et familial qu’il
est important de reconnaître. Cette reconnaissance facilite
l’expression des sentiments de chacun et aide à se reconstruire
et à traverser l’épreuve en préservant les liens familiaux.
Les proches peuvent jouer un rôle essentiel dans le soutien
nécessaire au malade à la condition qu’on les y aide. Souvent en
prise à des sentiments envahissants, ambivalents, fluctuants,
en particulier une forte culpabilité, les proches ont besoin de
trouver de nouveaux points de repère dans leur relation avec la
personne malade et dans leur rapport à la maladie qu’ils subissent eux aussi dans toute sa violence. C’est en les écoutant et
en les autorisant à exprimer leurs émotions et leurs points de
vue, quels qu’ils soient, que les médecins et les institutions
peuvent aider ces proches et ces familles. Ils aideront d’autant
mieux le malade qu’ils se sentiront eux-mêmes soutenus.
Mais le soutien d’un malade ne va pas de soi, et il est indispensable de respecter ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas
s’impliquer auprès du proche malade, ou bien, comme c’est
souvent le cas, qui ont besoin de temps pour accepter l’annonce de la maladie, pour dépasser le premier traumatisme
de cette annonce et se rendre disponible pour le malade. Les
discours moralisateurs et culpabilisants de l’entourage ou du
corps médical ne peuvent avoir que des effets délétères.
La parole, l’échange, l’information et la communication restent
les meilleurs outils pour que chacun trouve sa place dans l’histoire de la maladie, à la bonne distance, une place consentie,
reconnue et respectée.
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Pour en savoir plus...
❏
❏
Angel P, Mazet P. Guérir les souffrances familiales. Paris : PUF, 2004.
Faure C. Vivre auprès d’un proche très malade. Paris : Éd. Albin Michel, 1998.
❏ Goldbeter-Merinfeld E. Le deuil impossible. Paris : Éd. ESF, 1999.
❏ Guex P. Psychologie et Cancer. Lausanne : Éd. Payot, 1989.
❏ Guex P. Cancer et famille. Revue française de psycho-oncologie
2003:7-10.
❏ Moley-Massol I. L’annonce de la maladie. Une parole qui engage. Paris : Éd. DaTeBe, 2004.
❏ Razavi D, Delvaux N. Le cancer, le malade et sa famille. Paris : Éd.
Masson, Coll. “Médecine et psychothérapie”, 2002.
❏ Schweicher MC. Environnement psychologique du patient cancéreux :
abord de la famille. Actualité en cancérologie. Actes des journées consacrées
au Cancer par les Centres de santé de la province de Luxembourg, 1987.
❏ Siegel K, Raveis VH, Karus D. Pattern of communication with children
when a parent has cancer. In : Baider L, Cooper CL, Kaplan De-Nour A,
Eds. Cancer and the Family. Chichester : Éd. Wiley, 1996, p. 109-128.
❏ Watzlawick P. Une logique de la communication. Paris : Éd. Le Seuil,
1972.
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