vol VII/n°4 aout C 22/04/04 A N 17:16 C É Page 164 R O L O G I E E T S O C I É T É Un gastroentérologue, un chirurgien digestif et un cancérologue nous livrent leur attitude vis-à-vis de l’annonce du cancer du côlon. Du fait de la médiatisation dont a bénéficié ce cancer, il est plutôt bien perçu par les patients puisqu’ils ont conscience des possibilités thérapeutiques. S’il s’avère une fois de plus que la vérité est d’autant plus facile à annoncer que le pronostic est bon, ces différents spécialistes s’accordent à ne jamais mentir au malade. Dans les cas difficiles, la règle est de donner une vérité qui soit supportable et de toujours laisser une porte ouverte. CANCER DU CÔLON : QUEL VÉCU EN PRATIQUE ? Un entretien avec les Drs Christophe Cellier (gastroentérologie, Hôpital Laennec), Christophe Louvet (oncologie, Hôpital Saint-Antoine) et Christophe Penna (chirurgie, Hôpital Ambroise-Paré). Dans la plupart des cas, les consultations auprès du gastroentérologue sont motivées par des symptômes digestifs évocateurs tels que des troubles du transit ou du sang dans les selles. La coloscopie permettra de porter le diagnostic de tumeur. L’annonce du diagnostic est adaptée à chaque cas en fonction du contexte psychologique et des possibilités thérapeutiques. D’une façon générale, il s’agit de préparer le patient en lui annonçant la présence d’une anomalie, d’un polype ou d’une lésion colique qu’il faudra probablement opérer, l’attitude dépendant des résultats des prélèvements histologiques. Le schéma thérapeutique sera fonction des données des examens complémentaires entrant dans le cadre du bilan d’extension. L’annonce du cancer doit être adaptée à chaque cas Le bilan terminé, l’annonce du cancer dépend encore une fois du patient que l’on a en face de soi. La plupart du temps, nous parlons de tumeur et non de cancer afin de ne pas l’effrayer. Dans la plupart des cas, les patients ne sont pas dupes et font le lien entre tumeur et cancer. Lorsqu’ils posent la question, nous leur répondons sans ambiguïté. 164 Comparativement à d’autres types de cancer, le cancer du côlon est mieux perçu du grand public. Cela est lié à la médiatisation dont il a bénéficié et aux possibilités thérapeutiques dont il relève. Du fait de cette information, les patients sont moins démunis et abordent plus facilement l’aspect du pronostic. La grande crainte est, bien entendu, représentée par l’anus artificiel en cas de cancer colorectal. Comme pour les autres types de cancer, le vécu psychologique n’est pas proportionnel à la gravité et à la lourdeur du protocole thérapeutique. Mis à part le cancer du rectum, amenant à la pose d’un anus artificiel, qui reste mal vécue dans tous les cas, les patients sont plutôt confiants puisqu’on leur annonce qu’on a toutes les chances de les guérir en intervenant chirurgicalement. Après exérèse chirurgicale, la surveillance répond aux données de la conférence de consensus et s’exerce chez des patients capables de supporter une réintervention : examen clinique tous les deux ou trois mois les deux premières années, puis tous les six mois pendant trois ans, échographie abdominale tous les trois à six mois pendant les trois premières années, puis annuelle pendant trois ans, coloscopie entre trois et six mois si celle-ci n’avait pas été complète avant l’intervention, à trois ans, puis tous les cinq ans en cas de normalité, radiographie pulmonaire tous les ans pendant cinq ans. Pour le chirurgien, deux situations peuvent se présenter. Dans environ 20 % des cas, le patient connaît le diagnostic ainsi que les moyens thérapeutiques proposés. Ces patients ont déjà réfléchi aux types de traitement auxquels ils veulent bien se soumettre et accepteront ou non une radiothérapie avant l’intervention ou la pose d’un anus artificiel. Si cette situation facilite d’emblée la discussion, en revanche, elle rend plus difficile le choix thérapeutique. Cependant, dans la majorité des cas, les patients venant consulter le chirurgien savent qu’ils ont un polype avec des cellules anormales, le mot cancer n’ayant encore jamais été prononcé. Une annonce par paliers Comme il est très difficile d’annoncer au patient un traitement chirurgical parfois mutilant, une radiothérapie et/ou une chimiothérapie avant l’intervention, une cessation d’activité pendant un ou deux mois, nous abordons en premier lieu le type de traitement chirurgical. La deuxième phase, qui correspond en général à la sortie du patient, est fonction des résultats des examens anatomopathologiques. C’est à ce stade que nous lui annoncerons la présence de cellules anormales et l’intérêt d’un traitement adjuvant. En général, l’acte chirurgical est proposé dans l’optique d’une guérison. Dans ces circonstances, il est plutôt facile de répondre aux questions des patients (type de traitement, durée des La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 4 - août 1998 vol VII/n°4 aout 22/04/04 17:16 Page 165 traitements, risque de récidives...). La chimiothérapie est en général annoncée dans un deuxième temps, après l’acte chirurgical, afin de ne pas ajouter un stress supplémentaire. Elle est alors présentée comme un traitement adjuvant permettant de limiter les récidives. Dans ce cas, le chirurgien explique qu’un recours auprès d’un spécialiste des traitements adjuvants (en l’occurrence, le cancérologue, qui n’est que rarement appelé par ce nom afin de ne pas ajouter une angoisse supplémentaire) est nécessaire, ce dernier étant le plus apte à expliquer les modalités thérapeutiques. Dans tous les cas, le pronostic n’est qu’exceptionnellement abordé, car ce sont les modalités thérapeutiques qui font l’objet de questions. D’une manière générale, plus le pronostic est bon, plus il est facile d’annoncer la vérité au patient ; plus il est mauvais, plus l’on reste volontairement flou. Pour le patient, la gravité est proportionnelle aux moyens thérapeutiques mis en œuvre La gravité du cancer a bien entendu des conséquences sur le vécu psychologique du patient. Pendant la période de traitement initial, ce sont les modalités des différentes étapes thérapeutiques qui suscitent le plus d’angoisse. Si le traitement chirurgical ne se solde pas par la pose d’un anus artificiel, n’altère pas la fonction intestinale et si la chimiothérapie éventuelle n’a pour objectif que de diminuer le risque de récidives, le vécu psychologique est bon. Toutefois, la perception de la gravité est plutôt proportionnelle aux moyens thérapeutiques mis en œuvre. Paradoxalement, un cancer au stade terminal, ne relevant plus de la chirurgie, pourra paraître moins grave et sera mieux vécu. Lorsque les patients sont adressés au cancérologue, ils savent le plus souvent qu’il existe une tumeur maligne. Le cancérologue, qui ne peut se réfugier derrière l’attente du résultat d’un examen complémentaire, aura un travail d’annonce et de présentation des modalités de traitements à mettre en œuvre. Il est du devoir du cancérologue de ne pas laisser croire au patient que ce traitement médical complémentaire le met totalement à l’abri des récidives et d’annoncer qu’une surveillance régulière devra être effectuée au moins pendant les trois à quatre premières années. Au vu des réactions observées lors de l’annonce d’une chimiothérapie, il s’avère que celle-ci fait de moins en moins peur. Il est vrai que les chimiothérapies proposées sont moins toxiques qu’auparavant et qu’elles n’entraînent pas les principaux effets indésirables redoutés, tels que l’alopécie ou des troubles digestifs importants. Le cancérologue doit présenter la chimiothérapie comme un traitement préventif des récidives associant efficacité et bonne tolérance. En effet, il est étonnant de constater qu’une absence de toxicité peut être parfois associée, aux yeux des patients, à une absence d’efficacité. Traitement palliatif : un contexte plus difficile Dans ce cas, le chirurgien, qui se sent une obligation de résultat (ce qui n’est pas le cas dans les pays anglosaxons), est assez démuni puisqu’en général, il ne se limitera qu’à un geste palliatif. Les patients ont alors la notion que le geste chirurgical devra être complété par un traitement de chimiothérapie. L’attitude du cancérologue doit être adaptée à la psychologie du patient, d’où une grande variabilité dans la manière d’annoncer le diagnostic. L’accent est mis sur les effets bénéfiques potentiels des chimiothérapies en termes de contrôle de la maladie et des éventuels symptômes. On peut retarder la réponse aux questions difficiles en s’abritant sous des données techniques et en essayant plusieurs alternatives thérapeutiques. Cependant, lorsqu’aucun traitement n’est efficace, plusieurs situations sont possibles : certains patients vont anticiper, alors que d’autres vont occulter la situation et compenser en niant totalement leur pathologie. Pour ceux qui se rendent compte de la situation, il est important de fixer un objectif (un mariage, un anniversaire...). En effet, lorsque ces patients n’ont pas d’objectif, la situation devient difficile ; aussi, dès que les mécanismes de défense psychologiques deviennent insuffisants, l’aide de psychologues est proposée. Quoi qu’il en soit, il faut s’attacher à ne pas mentir au malade tout en lui présentant la vérité de manière à ce qu’il puisse la supporter ; en d’autres termes, omettre mais ne pas mentir. Propos recueillis par le Dr Chantal Despierre. Adresses utiles Fédération des Stomisés de France (FSF), 76-78, rue Balard, 75015 Paris. Tél. : 01 45 57 40 02. Fax : 01 45 57 29 26. La FSF informe et offre une aide psychologique aux futurs et nouveaux stomisés. Pour obtenir la liste des 61 associations affiliées réparties sur toute la France, contacter la FSF. avec le soutien de : La Lettre du Cancérologue - volume VII - n° 4 - août 1998 165