Cas clinique Entourloupe dans l’hypo J.M. Kuhn* ademoiselle B., caucasienne, est née M en 1982. Étudiante en faculté de droit, elle n’a aucun antécédent pathologique particulier à l’exception de plusieurs traumatismes occasionnés par des chutes. Elle ne suit aucun traitement. Depuis quelques mois, elle se plaint de malaises postprandiaux tardifs associant de façon stéréotypée asthénie, fringales, sueurs, sensation de chaleur. Ces malaises sont précédés de céphalées et sont marqués par une nette pâleur. Depuis leur date d’apparition, ces malaises se sont intensifiés et rapprochés dans le temps. Une perte de connaissance a été observée au cours de l’un d’eux. Ceux-ci ne sont jamais survenus à jeun et sont indiscutablement améliorés par l’alimentation. Mademoiselle B. mesure 1 m 65 et pèse 52 kg ; le poids est parfaitement stable. Sa pression artérielle est à 140/80 mmHg et son rythme cardiaque est régulier à 76 puls/min. L’examen somatique est tout à fait normal. Mademoiselle B. a des cycles spontanés parfaitement réguliers depuis l’âge de 13 ans et demi. La glycémie à jeun, à 5,23 mmol/l, est suivie d’une élévation à 6,66 mmol/l 30 minutes après l’absorption de 75 g de glucose par voie orale. Le chiffre se stabilise autour de 5,5 mmol/l dans les trois heures de l’épreuve. L’insulinémie à 136 pmol/l (n < 150) à jeun s’élève à 734 pmol/l 30 minutes après l’absorption orale de glucose pour rester à un chiffre élevé aux différents temps de l’épreuve (pour exemple : 617 pmol/l à la 120e minute du test). L’ionogramme sanguin est normal, de même que l’hémogramme et le bilan hépatique. L’hospitalisation proposée à mademoiselle B. permettra de confirmer le diagnostic d’hypoglycémie associée à une * Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen. sécrétion inappropriée d’insuline. La symptomatologie clinique a en effet été aisément rapportée à une déflation du chiffre de glycémie, beaucoup mieux identifiée sur l’évolution des profils glycémiques spontanés que sur l’épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale. L’étape suivante devait donc préciser quelle était l’étiologie de cette hypoglycémie. Si le caractère postprandial des manifestations cliniques n’étayait pas le diagnostic d’une atteinte organique de la fonction endocrine pancréatique, il n’en demeurait pas moins que l’inflation de la sécrétion insulinique ne permettait pas d’écarter l’hypothèse d’une sécrétion tumorale d’insuline. Une épreuve de Conn a donc été initiée. Au départ, la glycémie est à 4,3 mmol/l et s’abaisse en quelques heures à 2,1 mmol/l. L’insulinémie contemporaine à 118 pmol/l (n à jeun = 30-150) reste voisine de ce chiffre tout au long de l’épreuve. L’évolution du taux de C. peptide plasmatique est parallèle à celle de l’insulinémie. Avec une glycémie initiale à 1,8 mmol/l et une insulinémie à 97 pmol, l’administration de glucagon entraîne une ascension glycémique à 5,9 mmol/l 5 minutes plus tard, tandis que l’insulinémie s’élève à 666 pmol/l. Afin d’évaluer la puissance des systèmes de contre-régulation, les sécrétions de cortisol et d’hormone de croissance ont été mesurées. La cortisolémie de base à 345 nmol/l s’élève à 695 nmol/l 60 minutes après administration de synacthène (n > 600), tandis que le taux d’hormone de croissance s’élève de 1 à 15 ng/ml après administration de GHRH et que le taux de IGF-1 plasmatique est à 176 ng/ml (n = 90-360). Le diagnostic d’hypoglycémie associée à une sécrétion inappropriée d’insuline est donc tout à fait confirmé. L’ensemble de la symptomatologie clinique et biologique était tout à fait compatible avec l’existence d’un insulinome. Pour étayer ou, au contraire, réfuter cette hypothèse ont été effectuées un certain nombre d’investigations localisatrices. Une échoendoscopie réalisée par un opérateur très entraîné est en faveur de la présence d’une petite lésion d’un diamètre de 12 à 15 mm située au niveau du corps du pancréas (figure 1). Cependant, la situation de cette formation quasiment exopancréatique a mérité confirmation avant d’envisager un acte chirurgical. Une scintigraphie au pentréotide marqué à l’indium 111 a donc été réalisée qui n’a révélé aucun site de fixation anormal de l’isotope. Cela est apparu d’autant plus paradoxal qu’une fois ces examens réalisés, les accès hypoglycémiques de mademoiselle B. ont été parfaitement contrôlés par l’administration triquotidienne de 50 µg de Sandostatine®. L’existence de glycémies inférieures au seuil de 2,4 mmol/l confirme le diagnostic d’hypoglycémie. L’absence patente de malaise à jeun est certes évocatrice d’une hypoglycémie fonctionnelle mais ne permet 1A 1B Figure 1. A : image arrondie (flèche) compatible avec la présence d’un insulinome sur l’examen échoendoscopique. B : absence d’image anormale sur la scintigraphie au pentréotide marquée à l’indium 111. 267 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 6, novembre-décembre 2002 Cas clinique pas d’écarter l’organicité. Celle-ci paraît d’autant plus possible qu’il existe une inflation relative ou absolue de l’insulinémie à quelque temps que ce soit en regard d’une déflation glycémique. Cette “hyperinsulinémie” relative permet d’écarter nombre d’étiologies (insuffisance antéhypophysaire, insuffisance surrénalienne, insuffisance rénale, etc.) qui surviennent dans un contexte évocateur. De la même manière, les hypoglycémies par sécrétion anormale d’IGF-2 ou présence d’anticorps antirécepteurs de l’insuline ne sont pas compatibles avec ce tableau. La recherche de la présence d’anticorps anti-insuline s’étant révélée négative, restent deux hypothèses : celle de l’insulinome pancréatique ou celle d’une hypoglycémie factice. Le diagnostic d’insulinome pancréatique paraît plausible, compte tenu du résultat de l’épreuve de Conn, de l’inflation concomitante de l’insuline et du C. peptide, de l’existence d’une image compatible à l’échoendoscopie et de l’efficacité du traitement par analogue de la somatostatine. Au demeurant, nombreuses sont les atypies : hypoglycémie de type réactionnel, jeune âge de la patiente (l’âge moyen d’insulinome se situe aux alentours de 45 ans), absence d’image à l’ostréoscan dans le cadre d’une hypoglycémie parfaitement contrôlée par de petites doses de Sandostatine ®. N’était-ce l’image échoendoscopique, l’ensemble du tableau serait compatible avec l’hypothèse d’une hypoglycémie factice. Celle-ci ne pourrait être imputable à des injections d’insuline subrepticement effectuées, puisque le taux de C. peptide plasma- tique évolue parallèlement à l’insulinémie. À l’inverse, la prise occulte de sulfamides ou de médications agissant sur les canaux ioniques des cellules β pancréatiques paraît compatible avec l’ensemble du tableau clinique et biologique. In fine, la recherche de la présence de sulfamides hypoglycémiants dans le sang se révélera positive pour le chlorpropramide. L’entourloupe de cette histoire est double : l’une est fournie par la patiente qui a dénié toute prise médicamenteuse jusqu’à ce qu’on lui apporte, preuves en mains, l’évidence du contraire. L’autre a été involontairement apportée par l’image échoendoscopique non spécifique mais s’intégrant bien dans le cadre de ce tableau clinique et biologique. Une intervention abdominale inutile a pu être évitée et la psychothérapie initiée. 268 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 6, novembre-décembre 2002