DOSSIER THÉMATIQUE La vie après le cancer Cancer chez l’homme et retour à la sexualité Sexual health at the man after cancer D. Habold 1, P. Bondil 2 Le droit à la santé sexuelle 1 Sexologue, centre hospitalier de Chambéry. Urologue, andrologue, cancéro­ logue, centre hospitalier de ­Chambéry. 2 Au décours d’un cancer chez l’homme, la question d’un retour à la sexualité peut se poser. Loin d’être systématique, ce questionnement, lorsque le patient ou le couple est en souffrance, doit être entendu des professionnels. La réponse et le comportement sexuels de l’homme peuvent en effet tous deux être affectés par la maladie et nécessiter un accompagnement. Aidés des savoirs issus de l’expérience clinique oncosexologique et de nombreuses publications scientifiques spécialisées en psycho-oncologie, oncologie médicale et chirurgie, certains soignants formés sauront prendre en charge les plaintes exprimées par les patients ; les autres, simplement sensibilisés et informés, sauront se montrer empathiques, poser la bonne question, et orienter. La guérison va ramener l’individu vers un nouvel état de santé. En préambule à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1946, la santé est définie comme “un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. Cette définition est précisée depuis 1974 par la notion de santé sexuelle fondée sur trois points fondamentaux : ➤➤ “Une capacité de jouir et de contrôler le comportement sexuel et reproductif en accord avec l’éthique personnelle et sociale. ➤➤ Une délivrance de la peur, de la honte, de la culpabilisation, des fausses croyances et des autres facteurs psychologiques pouvant inhiber la réponse sexuelle et interférer sur les relations sexuelles. ➤➤ La santé reproductive, nécessitant une absence de troubles, de dysfonctions organiques, de maladies ou d’insuffisances susceptibles d’interférer avec la fonction sexuelle et reproductive.” 170 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 Ces trois points fondamentaux doivent être compris, selon l’OMS, comme étant des droits de l’individu et des devoirs de la société à leur égard. Notre époque, notre société, la vie en couple moderne fait de l’union de deux êtres autonomes et désirants, reconnaissent et autorisent une sexualité active au-delà de la procréation. La sexualité occupe une place importante dans la vie des hommes, et le retour à une vie normale inclut donc, pour un grand nombre d’individus, la santé sexuelle. Par ailleurs, les enquêtes sur la sexualité (1) montrent que – sujet désormais un peu moins tabou – l’avancement en âge n’est pas synonyme d’arrêt de l’activité sexuelle, puisque, dans la population générale, 75 % des sexagénaires et plus de la moitié des septuagénaires ont une vie sexuelle active et plus satisfaisante que pour les générations passées, bien que faussée par les stéréotypes sociétaux de performance et naturellement modifiée par l’apparition de pathologies et de leur cortège d’effets indésirables médicamenteux (2). La génération de “l’amour libre” a désormais atteint l’âge où les cancers sont fréquents, et notre société reconnaît certainement aux personnes vieillissantes un rôle d’amants sexuellement actifs (3). Oui, le cancer est un accident de la vie qui impacte la sexualité Le premier point à soulever est que l’atteinte sexuelle est, dans le cancer, brutale. Contrairement au vieillissement ou aux pathologies chroniques neurologiques, vasculaires ou endocriniennes, le cancer et la iatrogénie vont porter rapidement atteinte au potentiel sexuel. Résumé La sexualité est l’une des composantes de la santé et de la qualité de vie. La survenue brutale de la maladie et les séquelles des thérapies vont pénaliser l’homme et ses partenaires pendant et après le cancer. Tantôt d’ordre relationnel et psychologique, tantôt purement fonctionnelle, la plainte du patient doit être prise en charge dans un objectif de réadaptation et de réinsertion sexuelle par des professionnels informés et formés. La connaissance des pronostics et des dysfonctions sexuelles attendus dans le traitement d’un cancer en fonction du terrain et de la localisation permet d’éclairer l’homme et son aidant, et de conforter un projet de vie naissant. Ce dispositif sexologique d’aide à l’individu et aux couples en soins de support en oncologie permet alors aux patients, proches, associations et professionnels d’autoriser et d’organiser la prise en charge de la santé sexuelle à partir de connaissances partagées entre spécialistes du cancer et l’ensemble des acteurs de santé coordonnés par le médecin de famille. Le retour à la sexualité, lorsqu’il n’est pas spontanément le fruit d’une adaptation vécue sans détresse, doit pouvoir bénéficier d’un soin de support identifié tout au long du parcours de soins. Les résultats de la première grande enquête représentative (4) de l’ensemble des malades du cancer réalisée en 2004 sur les conditions de vie deux ans après le diagnostic de cancer nous éclairent en faisant le constat suivant : ➤➤ 2 ans après le diagnostic de cancer, 43 % des personnes se déclarent guéries (ce qui est cohérent avec les taux de survie relative constatés : chez l’homme 68 % à 1 an et 44 % à 5 ans) ; ➤➤ la survenue d’un cancer chez l’un des conjoints préserve et renforce le couple (et encore plus quand c’est l’homme qui est malade et quand une activité sexuelle régulière préexistait) ; ➤➤ si la qualité de vie physique est plus ou moins altérée selon la localisation des cancers, la qualité de vie mentale n’est influencée par aucune variable clinique ; ➤➤ 65 % des patients déclarent que le cancer (non pelvien dans l’étude) a eu des conséquences pénalisant leur vie sexuelle actuelle ; ➤➤ les cancers de la cavité pelvienne arrivent en tête en termes de conséquences négatives sur la vie sexuelle des personnes (89 % des hommes), 44 % des hommes potentiellement actifs se déclarent encore très gênés 2 ans après hors ces localisations. Aux facteurs communs aux hommes et aux femmes associés à une vie sexuelle dégradée, liés à la gravité de la maladie et aux traitements (pronostic défavorable, chimiothérapie, séquelles gênantes, consommation de psychotropes [5], désinsertion sociale et professionnelle, inactivité sexuelle), s’ajoutent des facteurs spécifiques aux hommes : niveau d’études bas et insatisfaction vis-à-vis des informations apportées par l’équipe médicale, importance de la sexualité comme composante essentielle du rôle masculin. Quels que soient l’âge et la biographie sexuelle de l’homme, il est extrêmement fréquent que l’intérêt sexuel s’effondre à l’annonce du cancer. Quand bien même l’angoisse engendrée trouverait compensation dans une hypersexualité de réassurance, il n’est pas certain que la ou le partenaire se trouve dans des dispositions favorables à Eros (6). La peur du pronostic et les bouleversements engendrés par la maladie dans la vie professionnelle, sociale, économique et familiale sont de nature à perturber les pouvoirs du couple et dans le couple, reléguant souvent la sexualité à un hypothétique futur et grevant d’autant les chances d’une reprise facile de l’activité sexuelle. Au-delà de l’annonce et de la réelle compréhension des enjeux thérapeutiques (7), le parcours de soins du patient va très certainement être jalonné d’incertitudes, de questionnements non exprimés, mais aussi de douleurs, de fatigue, d’épisodes anxio-dépressifs. Ces états peu propices au lâcher-prise et au maintien d’une activité sexuelle vont être aggravés par des atteintes fonctionnelles (spécifiques et d’ampleur imprévisible pour une personne donnée) engendrant des plaintes qui, bien qu’attendues, ne sont pas toujours entendues. Anticiper et aborder très tôt, et tout au long de la prise en charge en soins de support, avec les patients et leurs proches, les conséquences pénalisant la sexualité est aussi indispensable que d’informer sur les possibilités de réadaptation et de réinsertion sexuelle. Adaptation et réadaptation Chez un individu dont l’avenir de la santé sexuelle dépendra des vulnérabilités préexistantes et des représentations qu’il a de la sexualité, une approche diachronique des symptômes rapportés est indispensable pour repérer les besoins adaptatifs (8). Ces ajustements vont également souvent devoir s’inscrire dans le système du couple, qui va subir des changements dans la relation affective à l’occasion du cancer (9). Certains patients vont profiter de cet accident de vie pour trouver un arrangement acceptable dans l’arrêt d’une sexualité partagée dans le renforcement du lien affectif. Cette résignation singulière est parfois la conséquence logique d’une histoire de vie, d’une cinétique de couple et de famille avec moins de sexualité et plus de tendresse, plus de tolérance. A contrario, le renoncement peut être consécutif à un manque d’information, d’espoir ou à la non-verbalisation de la permission de poursuite d’activité sexuelle. L’extinction progressive de la relation sexuelle s’impose alors à l’autre, laissant la place à d’autres formes d’expression entraînant décalages et violences. D’autres vont franchir cette épreuve sans se poser de questions, acceptant le verdict des conséquences au regard d’une guérison tant espérée. Le système de Mots-clés Santé sexuelle Cancer Dysfonctions sexuelles Soins de support Onco-sexologie Adaptation Réinsertion Formation Highlights Sexuality is one of the constituents of health and quality of life. The sudden occurrence of the disease and the aftereffects of the therapies are going to penalize the patient and his partners during and after the cancer. Either subordinate to relational and psychological disorders, or functional, informed and trained professionals have to listen the complaint of the patient in order to take care in an objective of rehabilitation and sexual reintegration by. The knowledge of the forecasts and sexual dysfunctions which are known in the treatment of cancer according to the ground and to the location agree informing the man and his close friend, and is able to consolidate a rising life project. This individual and couples help is used to be organised like an oncology support care which allows patients, close relations, associations and professionals to organize the sexual health coverage. Knowledge shared between specialists and all the actors of health will help the man who can’t find a no suffering adjustment. Keywords Sexual health Cancer Sexual dysfunction Support care Onco-sexology Adjustment Reintegration Education La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 171 DOSSIER THÉMATIQUE La vie après le cancer Cancer chez l’homme et retour à la sexualité fonctionnement dans lequel l’homme évolue avant, pendant et après le cancer permet au patient et à ses partenaires d’accepter des pertes et un handicap auxquels ils s’adaptent sans souffrance perçue. Cependant, lorsque les séquelles organiques modifient les réactions sexuelles jusqu’alors familières du patient, perturbant de fait la relation à soi et à l’autre, le recours à une aide spécialisée est indiqué. Tantôt reproductif, tantôt récréatif, ce besoin de sexualité peut également dévoiler un besoin profond de partage, ou encore une vérification identitaire ou culturelle de sa masculinité. La réadaptation pour une réinsertion sexuelle nécessite alors une prise en charge éclairée. Ce nécessaire élan vital peut révéler un réel besoin de se sentir exister, y compris, pour certains, dans les derniers instants souhaités d’un stade terminal pour lequel on ne peut exclure un retour à une certaine forme de sexualité. D’autres fois encore, le cancer et ses traitements, vécus avec violence par le patient et son entourage direct, peuvent entraîner un traumatisme assorti d’un sentiment de culpabilité ou de faute. Le sens donné à la vie et la représentation identitaire s’en trouvent altérés, grevant d’autant les possibilités de retour à une sexualité sans l’aide d’une psychothérapie. Une offre soignante qui n’est pas encore à la hauteur de la demande Sans surprise, devant l’impact important du cancer sur la santé sexuelle, même lorsqu’il n’y a pas “d’atteinte fonctionnelle”, la demande de retour à une vie “normale” est portée par de nombreuses associations de malades (La Ligue nationale contre le cancer, Vivre comme avant, Jeunes Solidarité Cancer, etc.) et légitimée par l’extraordinaire amélioration des traitements du cancer depuis 20 ans. Le rapport 2009 de l’Institut national du cancer concernant la situation du cancer en France (10) apporte encore les données suivantes : ➤➤ Trois millions de Français ont ou ont eu un cancer, soit potentiellement 1 adulte homme ou femme concerné sur 10. L’âge moyen au moment du diagnostic chez l’homme est de 67 ans. ➤➤ La charge symbolique associée au cancer reste puissante ; 6,7 % des Français (extrêmes d’âge et fragilité économique prédominants) croient en outre à la contagion de certains cancers. ➤➤ La représentation sociale a évolué en 10 ans : le sentiment de relégation sociale n’a plus cours, de même que le cancer n’est plus incurable. 172 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 ➤➤ Malgré une opinion générale positive sur l’amélioration des soins, une perception critique de la relation aux médecins est exprimée : 61,7 % des patients estiment qu’ils subissent les traitements prescrits par les médecins, sans pouvoir donner leur avis, les médecins étant perçus comme se concentrant sur le cancer en oubliant le malade. En matière de prise en charge des troubles sexuels, la lisibilité de l’offre est insuffisante. Ni le malade, ni le proche, ni l’oncologue ne savent s’orienter. Cela renvoie à la question de la mise en place structurée de l’offre de soins de support en sexologie. Offrir un espace-temps reconnu dans lequel le patient est autorisé à aborder ses problématiques propres, auprès de soignants qui ont dépassé leurs propres résistances en ayant bénéficié de formations dans les savoirs, savoir-faire et savoir être, est désormais indispensable. Les besoins des soignants en matière de formation à une prise en charge de la plainte sexuelle sont criants, aggravés par la forte implication personnelle et pédagogique à laquelle renvoie l’évocation des troubles sexuels (11). Au-delà d’une attitude empathique et de la sensibilisation aux difficultés sexuelles rencontrées au décours d’un cancer, la prise en charge du patient bénéficierait de l’existence d’un véritable RESO (Répertoire des experts dans le support onco-sexologique disponible dans chaque territoire de santé). L’affichage de ce RESO permettrait aux soignants, associations et malades d’être accompagnés dans la réparation et le retour à une santé sexuelle. Il pourrait également bousculer la réserve médicale constatée dans l’abord de cette dimension, faite de résistances et de méconnaissances, en facilitant l’organisation d’enseignements professionnels spécialisés. La bonne connaissance (12) de la physiologie des réactions sexuelles chez l’homme (phases du désir, de l’excitation, du plateau, de l’orgasme et de la résolution) ainsi que celle des séquelles sexuelles en fonction de la localisation (13) font partie des savoirs à acquérir pour appréhender le retour à la sexualité de l’homme. Cancers des organes sexuels et de la relation Chacune des localisations figurant dans le tableau constitue très directement une atteinte de la sphère de l’intime et est susceptible d’entraîner des difficultés dans le retour à la sexualité. DOSSIER THÉMATIQUE Tableau. Cancers de la sphère sexuelle chez l’homme (La situation du cancer en France en 2009, INCA). Localisation Nombre de nouveaux cas annuels Âge moyen au diagnostic Taux d’incidence standardisé monde (homme-femme) Survie relative à 1 et 5 ans Prostate 62 000 71 ans 121,2 94 %-80 % Testicule 2 000 36 ans 6,4 98 %-95 % Verge < 500 65 ans 1,3 95 %-85 % Sein 500 66 ans 1-101,5 97 %-95 % Vessie 8 000 71 ans 14,6-2,1 82 %-60 % Colo-rectal 20 000 70 ans 37,7-24,5 79 %-55 % Lèvre, bouche, pharynx 9 500 60 ans 21,5-5,2 Lèvre : 99 %-95 % Langue : 69 %-35 % Pharynx : 76 %-41 % Larynx 3 200 63 ans 7,1-1,0 84 %-54 % Peau 3 300 60 ans 7,6-8,8 95 %-83 % Cancer de la prostate Tristement leader des taux d’incidence et provoquant plus de 60 000 nouveaux cas par an, le cancer de la prostate est, en dépit de tous les efforts des thérapeutes, pourvoyeur de dysfonctions sexuelles majeures, chez des patients dépistés de plus en plus jeunes. Quel “repas de chasse”, véritable groupe de parole, ne voit pas arriver dans la discussion les échanges complices et désemparés des participants sur le sujet des petits ennuis de fuites ou d’impuissance ? Il y a seulement 10 ans, combien de patients n’avaient encore pour seule réponse que d’oublier la sexualité ? L’annonce d’un cancer de prostate, redoutée par tant d’hommes lors du dépistage systématique, va être suivie dans un temps très court des premiers constats de séquelles des traitements. La iatrogénie est ici bien présente et brutale, avec son cortège de risques d’incontinence, de dysfonctions érectiles et de modifications éjaculatoires, mais aussi de troubles du désir sexuel, de modifications anatomiques et de douleurs. Certains patients, opérés il y a plus de dix ans, viennent désormais consulter pour envisager une reprise de leur sexualité. Les urologues et l’entourage soignant savent actuellement proposer une stratégie de réhabilitation précoce pour informer et préserver le potentiel sexuel. Certains facteurs pronostiques positifs se dégagent (absence de comorbidités, bonne fonction érectile préopératoire, jeune âge du patient, présence d’une partenaire et de libido), et il est primordial d’en faire l’évaluation pour appréhender les chances et les modalités de retour à la sexualité. Selon les options thérapeutiques, souvent ­combinées, plusieurs cas de figure se présentent. ◆◆ Prostatectomie radicale (14) Le geste chirurgical visant une compatibilité anatomopathologique avec la conservation des bandelettes latérales, les conséquences attendues du geste sont : ➤➤ Une incontinence urinaire présente une fois sur deux, diurne, nocturne, et coïtale, généralement régressive, mais facteur de dépréciation de la confiance et associé à des perceptions et interprétations négatives sur la relation. Le suivi et l’amélioration de la continence, les conseils de vidange de vessie ou d’utilisation de préservatifs sont de nature à ramener le patient vers des conditions plus favorables à la reprise d’une sexualité satisfaisante. ➤➤ Une dysfonction érectile (20 à 90 % des cas selon la technique) secondaire aux lésions neurologiques périphériques, à la neuropraxie et aux lésions vasculaires artérielles et tissulaires locales. Cette “impuissance” provoquée, qu’il est important de mesurer, va se résorber naturellement pour partie en deux ans, mais la récupération érectile va particulièrement profiter d’une stratégie de rééducation active précoce soutenue par des injections intracaverneuses de prostaglandines E1 (remboursées par la Sécurité sociale dans cette indication) ou la prescription d’inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE5). Ils pourront être associés ou complétés par d’autres techniques de type vacuum ou prothèse pénienne en seconde intention. ➤➤ Un raccourcissement du pénis et une sensation de pénis froid, consécutifs à la fibrose caverneuse entraînée par les lésions neuro-vasculaires et favorisée par le défaut d’érection. ➤➤ Des dysorgasmies (15) pour 80 % des patients, dominées par le constat de l’anéjaculation secondaire à la suppression tissulaire prostatique, des La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 173 DOSSIER THÉMATIQUE La vie après le cancer Cancer chez l’homme et retour à la sexualité modifications de l’intensité du plaisir malgré le maintien des phénomènes orgastiques réflexes, des douleurs d’origine multifactorielle souvent perçues au niveau du pénis ou du rectum. Leur prise en charge peut relever de traitements pharmacologiques et d’une sexothérapie. ➤➤ Des troubles du désir sexuel, en grande partie d’origine psychologique, dus à l’impact de la maladie et à la perception brutale d’une diminution de puissance, avec diminution de l’estime et de la confiance en soi. ◆◆ Radiothérapie externe et radiothérapie ◆ interstitielle La radiothérapie externe conformationnelle va entraîner des effets aigus de type asthénie, diarrhées, rectite ou cystite radique altérant la relation, et des effets tardifs d’installation progressive de plusieurs mois portant sur la fonction érectile et en rapport avec les atteintes micro-vasculaires. La récupération spontanée se révèle meilleure lorsqu’il existe des érections nocturnes avant la radiothérapie ; la surveillance de l’évolution de cette dysfonction érectile doit être doublée d’une attention portée aux troubles de l’éjaculation. Concernant les curiethérapies, 75 % des hommes sexuellement actifs conservent une éjaculation, avec parfois une diminution du volume de l’éjaculat ou du plaisir ressenti. Un patient sur trois décrit des éjaculations douloureuses, celles-ci s’améliorant en général en quelques mois et n’altèrant pas la vie sexuelle ultérieure. ◆◆ Ultrasons focalisés Le traitement par Ablatherm® HIFU est également susceptible d’entraîner une dysfonction érectile du fait du traitement global de la glande. ◆◆ Hormonothérapie L’administration temporaire d’antiandrogènes ou d’agonistes de la LH-RH entraîne, indépendamment des autres traitements du cancer, un déclin significatif de la libido, avec baisse du désir, de la qualité et de la fréquence des érections, de la fréquence de l’initiative des relations, de la masturbation et des fantasmes. Associées aux modifications corporelles inhérentes à la castration, ces perturbations, régressives à l’arrêt du traitement, sont source de détresse psychologique, d’interprétations dans le couple et d’anxiété concernant les futures performances sexuelles. On le voit, le choix éclairé du type de prise en charge, afin de préserver la qualité de vie sexuelle sans compromettre le résultat oncologique, est un réel enjeu. 174 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 Cancer du testicule La maladie, qui touche 2 000 hommes – souvent jeunes – chaque année, impose, du fait du caractère embryonnaire du tissu, une prise en charge oncologique urgente, particulièrement difficile à vivre lors de l’annonce, car survenant dans une dynamique de vie et de couple faite de projets et d’insouciance physique. Nonobstant le très bon pronostic de ce cancer, la maladie, son traitement chirurgical, la radiothérapie externe dans les séminomes, les chimiothérapies dans les tumeurs non séminomateuses, entraînent, chez plus d’un patient sur quatre bénéficiant d’un traitement combiné, une altération de la sexualité portant sur le désir, l’érection et l’éjaculation. Certes, la castration chirurgicale unilatérale – bien qu’à l’origine de modifications de l’image pour 50 % des patients – est habituellement bien mieux vécue que la perte de la fonction érectile en termes de charge émotionnelle. La symbolique de puissance et la représentation de la masculinité auprès des deux sexes passent en effet par le phallus érigé plus que par le contenu des bourses. L’accompagnement médico-psychologique doit pouvoir se faire encore longtemps après la guérison, car il s’agit d’entendre et de devancer les questionnements de nature à perturber la sexualité des patients et des partenaires. Au-delà d’une reconstruction esthétique facilitée par l’excellente tolérance des implants testiculaires, la confiance en soi doit être restaurée, à partir de 2 éléments de support. ◆◆ Envisager la vie sexuelle future ➤➤ Autoriser la reprise d’activité sexuelle et le dialogue entre partenaires : le sentiment de culpabilité de l’homme et les fausses croyances doivent être repérés. Favorisées par une cryptorchidie, une atrophie post-traumatique ou infectieuse, les questions de l’apparition du cancer, du risque de récidive et de la non-contagion à la partenaire doivent être abordées au cours de l’entretien. ➤➤ Évaluer médicalement les plaintes sexuelles en intégrant que la présence du second testicule et l’adaptation de l’axe hypothalamo-hypohyso-gonadique garantissent l’imprégnation androgénique nécessaire au bon déroulement de l’ensemble des réactions sexuelles de l’homme. Si la capacité de production de fantasmes reste fonctionnelle, l’imaginaire érotique peut néanmoins être affecté par des pensées parasites en rapport avec des peurs engendrées par le cancer. L’érection est normalement inchangée, l’ascension testiculaire unilatérale DOSSIER THÉMATIQUE persiste et, sauf complication nerveuse secondaire à une nécessaire lymphadénectomie lomboaortique, les sensations orgastiques et de plaisir sont inchangées, et le volume de l’éjaculat n’est pas altéré. Les séquelles douloureuses sont rarissimes, mais elles doivent faire l’objet d’une analyse au vu d’une IRM des rapports anatomiques et pouvoir bénéficier des soins de support douleur. ◆◆ Informer◆sur◆la◆capacité◆de◆procréation Dès avant l’opération à but diagnostique, la fertilité est abordée par le biais de la recommandation a priori de procéder à une conservation de sperme. Si la persistance d’un seul testicule suffit à garantir la fertilité, il est en effet toutefois possible que la production et la qualité des spermatozoïdes soient affectées par une chimiothérapie ou une radiothérapie. La reprise de rapports sexuels doit s’accompagner de précautions adaptées en matière de contraception. Par ailleurs, la cryoconservation elle-même pouvant laisser un certain nombre de doutes au patient, il s’agira de s’assurer que les résultats sont correctement compris, la confusion entre virilité et fertilité restant grande dans la population. Parfois, les conditions du prélèvement du sperme elles-mêmes n’ont pu permettre la conservation (pression culturelle interdisant la masturbation) ou vont engendrer un trouble psychologique chronique. Cancer de la verge Le carcinome épidermoïde de la verge, souvent indifférencié, est très rare dans les pays occidentaux, contrairement aux pays moins développés. Les léiomyosarcomes, mélanomes et sarcomes de Kaposi sont exceptionnels. L’incidence des tumeurs du pénis est variable selon les pays ; elle est estimée à 1,3 % de l’ensemble des cancers en France et survient généralement après 60 ans. Ce cancer est inconnu chez le sujet circoncis à la naissance. Le phimosis, les condylomes ainsi que les infections à HPV et autres affections plus rares (maladie de Bowen) sont considérés comme les facteurs favorisants. Le diagnostic est, en règle générale, aisément affirmé par la biopsie de la lésion, et le bilan d’extension recherche une infiltration locale et des adénopathies. L’atteinte du fourreau pénien est rare, et c’est essentiellement l’amputation sensitive du gland qui perturbera le retour à une sexualité génitale. Dès lors, deux situations apparaissent : ➤ Le traitement des formes peu infiltrées associe généralement la circoncision et l’exérèse au laser CO2 et/ou une radiothérapie locale (curiethérapie ou irradiation externe à haute énergie), généralement bien tolérée. Les patients déclarent une reprise et une amélioration de leur vie sexuelle. ➤ Le recours à une amputation partielle de verge avec conservation d’une partie des corps caverneux, voire une amputation totale avec urétrostomie périnéale peuvent malheureusement être nécessaires. La reprise des rapports sexuels est évidemment compromise et soumise à la qualité des gestes chirurgicaux d’exérèse et de reconstruction, qui doivent être réalisés par des équipes entraînées. Une prise en charge psychologique avec travail sur l’estime de soi est indispensable. Cancer du scrotum, du cordon spermatique et de la vésicule séminale Les exceptionnels épithéliomas du scrotum, tumeurs malignes du cordon et cancers de la vésicule séminale ont pour point commun un très mauvais pronostic et une survie rare à 3 ans. Il ne peut être question d’une sexualité active ici. Les outils d’accompagnement tenant compte de la spiritualité et du rapprochement familial doivent être favorisés par l’équipe soignante. Cancer du sein Le cancer du sein chez l’homme représente 1 % des cas sur les 2 sexes, et il survient plus tardivement que celui de la femme, avec une moyenne de 66 ans. Communément diagnostiqué après constatation tardive d’un nodule rétro-mamillaire, l’adénocarcinome mammaire bénéficie des mêmes progrès thérapeutiques que chez la femme. Ce cancer étant parfois associé à un déficit androgénique chronique, un hypogonadisme doit être recherché, et cet élément pris en compte dans la fonction sexuelle de l’individu. Cancer de la vessie, cancer colorectal et du canal anal Avec 6 000 nouveaux cas de cancer de la vessie chez l’homme, cette maladie grave ne laisse une sexualité active qu’à 25 % des patients. Les très fréquents cancers colorectaux et du canal anal entraînent chez l’homme un cortège de dysfonctions. Les traitements d’amputation privilégiant autant que possible la préservation de l’innervation à visée urogénitale, la création d’une stomie, la radiothérapie et la chimiothérapie vont tous avoir des conséquences néfastes sur la sexualité, par lésion organique (16) ou par répercussion sur l’image corporelle. La présence d’une stomie bouleverse l’existence de celui qui la Abonnezvous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible page 220 www.edimark.fr La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 175 DOSSIER THÉMATIQUE La vie après le cancer Cancer chez l’homme et retour à la sexualité porte et celle de ses proches (17). Les vraies difficultés commencent souvent lors du retour à domicile et de la reprise d’une vie normale. Les craintes à propos de la gestion de la poche collectrice, associées à la perturbation des perceptions visuelles, auditives, du toucher et de l’odorat, nécessitent l’aide de soignants avertis, ayant l’expérience des stomies, et force de proposition. Douleurs de tension ou orgastiques, anéjaculations et éjaculations rétrogrades, troubles érectiles viennent aggraver le tableau des séquelles chez l’homme, dont l’âge avancé sera un facteur péjoratif quant à la reprise d’une sexualité génitale. à construire l’image de soi et fait que chacun se retrouve dans le regard de l’autre. Les lésions disgracieuses, brûlures, cicatrices, sécheresse de la peau, épaississements du tissu conjonctif vont tour à tour pouvoir pénaliser la relation pendant la maladie. L’homme n’est pas à l’abri de la perte de repères provoquée par ces modifications de l’enveloppe, parfois aggravées par une alopécie pubienne infantilisante. Les soins de support, avec leur cortège de conseils en cosmétologie, diététique et esthétique, doivent permettre au patient de retrouver une confiance dans son pouvoir de séduction, socle d’une sexualité partagée. Cancer des lèvres, de la bouche, du pharynx, cancer du larynx Autres cancers Au-delà de l’atteinte esthétique et symbolique de la face, les céphalées et douleurs cervico-faciales des cancers ORL sont un réel handicap relationnel à surmonter. C’est au niveau du larynx que naît l’“organe sexuel secondaire” de la voix. La modification par le cancer de cet outil de communication essentiel pénalise rapidement le patient dans le retour à la sexualité. Plus fréquent chez l’homme et particulièrement destructeur, ce cancer doit bénéficier d’un accompagnement composé de soins d’orthophonie, mais le patient tirera également un grand bénéfice de la fréquentation du milieu associatif des laryngectomisés dans le bon usage relationnel de sa trachéo­ stomie. Le conseil sexologique pourra également lui permettre d’envisager avec sa ou son partenaire de modifier ses habitudes, les positions sexuelles et accessoires vestimentaires exposant moins à la vue de l’autre une prothèse respiratoire à laquelle ils s’habitueront progressivement. Il conviendra également, dans ces cancers dont le rapport avec une exposition éthylo-tabagique ou une infection à papillomavirus est fréquent, d’intégrer le profil de personnalité et d’habitudes des patients. Cancer de la peau La peau est un organe biologique, relationnel et social. Véritable premier organe sexuel, son atteinte par un cancer ne peut que perturber la relation à l’autre et à l’intime. Fréquemment remarquée par la ou le partenaire intime, l’atteinte cutanée se double d’un sentiment de discrédit. Qu’il s’agisse directement d’un carcinome ou d’un mélanome, ou indirectement d’une maladie cancéreuse entraînant une atteinte de la peau, l’enjeu psychologique va être de réapprivoiser l’enveloppe corporelle, qui contribue 176 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 Les cancers des organes “non sexuels” Les cancers du poumon, de la thyroïde, des os, du rein, du système nerveux et les hémopathies malignes sont des localisations dont on pourrait dire de prime abord qu’elles sont peu à même de perturber le retour à la sexualité. Pourtant, 65 % des patients présentent des difficultés sexuelles réelles au décours de ces cancers. Certes, divers facteurs psycho-sociaux, socio-démographiques et médicaux paraissent clairement liés au fait de déclarer que la maladie a eu un impact négatif. On peut néanmoins affirmer que le retour à la sexualité est d’autant plus difficile que : ➤➤ le patient était déjà peu actif sur le plan de la sexualité avant l’annonce, ➤➤ depuis le diagnostic, le patient a augmenté sa consommation de psychotropes, ➤➤ l’indice de pronostic relatif est faible, ➤➤ le patient a été traité par chimiothérapie (asthénie prolongée, toxicité neurologique de la vincristine entraînant des dysfonctions éjaculatoires, etc.), ➤➤ les séquelles sont gênantes (amputation de membre, d’une partie de la capacité respiratoire, etc.), ➤➤ des comorbidités sont présentes, ➤➤ l’âge du patient est avancé. Dans ces cas où les organes sexuels et de la relation ne sont pas directement atteints, mais où l’échelle de temps est souvent plus longue, il est particulièrement marquant de noter cette importante prévalence des difficultés, qu’il faut prendre en compte dans le retour à la sexualité. Les troubles se portent surtout sur un désir hypoactif, une fatigabilité, une difficile reprise de toute activité sociale et relationnelle, dont la relation sexuelle. Devant la persistance d’une atteinte de la santé organique et psychique longtemps après l’arrêt des traitements, il est essentiel d’assurer un soutien DOSSIER THÉMATIQUE psychologique, de renforcer l’estime de soi, d’informer par tous les moyens de ces conséquences attendues mais pour lesquelles les patients souffrent de ne pouvoir faire mieux, d’oser reparler de la sexualité avec le ou la partenaire, et de proposer des aménagements (informations d’économie énergétique dans les positions, modification des scripts amoureux du couple, sexualité des corps malades, sexualité non coïtale, etc.) [18]. Cas particulier des adolescents et jeunes adultes Chapitre à part entière, la question du retour à la sexualité, alors que celle-ci va être perturbée dans sa construction même, doit être soulevée. Chaque année, 2 000 jeunes hommes de moins de 18 ans vont voir leur développement psychologique perturbé par le cancer, dont 60 % de tumeurs solides majoritairement embryonnaires et survenant avant 5 ans et 40 % de leucémies aiguës et cancers des organes lymphatiques. Le développement psychosexuel et la construction de la personnalité vont être impactés par le système dans lequel l’enfant va évoluer. La nécessité de rompre l’isolement en préservant physiquement les rythmes de développement au sein de la famille, avec réintégration de la classe d’âge dans le milieu scolaire, est actuellement reconnue chez les adolescents, ces êtres en devenir avec leurs vulnérabilités, questionnements et problèmes d’image. Avec le nombre croissant de guérisons dépassant 80 %, comment ne pas être délétère sur la construction et viser la santé sexuelle aussi ? Autoriser le flirt et les relations n’est pas antinomique avec l’intérêt à long terme du jeune patient. Le prix de la guérison, parfois marquée par des séquelles physiques locales, des troubles psychologiques et de la confiance en soi, va souvent trouver un écho supplémentaire dans la problématique de l’avenir incertain de la fertilité. Quand bien même il est organisé une trop souvent traumatisante conservation de sperme, la question de la confusion virilitéfertilité va se présenter dans la sexualité du jeune homme. La conservation de sperme en cas de traitement potentiellement gonadotoxique, proposée à tous les adolescents pubères atteints de cancer, est précipitée par la nécessité de commencer les traitements. Parfois longtemps éludée, la question de la sexualité chez le jeune adulte sorti de l’environnement soignant pédiatrique, souvent très à l’écoute, et du milieu parental, dont la place et le rôle sont délicats en la matière, doit trouver une offre de conseil fiable et professionnelle (19). Quand le retour à la sexualité de l’homme dépend de l’autre La solitude et l’absence de partenaire peuvent évidemment être à l’origine de difficultés rencontrées par certains. Pour autant, la préservation d’une sexualité future et d’une intimité doit être évoquée, car la reprise peut être différée et suspendue à une rencontre. La peur, les interprétations et résistances des partenaires à oser réaborder physiquement ou verbalement un compagnon que la maladie a blessé sont à opposer à l’envie d’oser montrer son intérêt pour l’autre, révélant une séduction endormie, pourtant renfort narcissique de l’estime de soi. Enfin et dans le contexte du cancer, nous ne saurions oublier la situation où, dans le couple, c’est la femme qui est atteinte. Ce cas de figure, au travers du cancer du sein, mais également des autres localisations, pose à l’homme d’autres questions quant à sa réinsertion sexuelle. Là encore, l’information et la communication dans le couple doivent être encouragées. L’expression des attentes mutuelles, des craintes et des troubles temporaires ou définitifs doit pouvoir être prise en compte par les interlocuteurs soignants en abordant auprès des malades et de leurs proches la question de la santé sexuelle. Accompagner la réinsertion sexuelle Se préparer à un retour à la sexualité est nécessaire Extrait du document d’information de La Ligue contre le cancer intitulé “Information destinée aux hommes traités pour un cancer” : “Les effets des traitements et du cancer sur la sexualité. Ils varient d’une personne à l’autre. Certains troubles sont temporaires, d’autres définitifs (séquelles). Si certains aspects de la sexualité sont modifiés, vivre sa sexualité reste possible. Une communication entre vous, votre partenaire, vos interlocuteurs médicaux, doit vous permettre d’exprimer vos questions afin d’obtenir des réponses face aux difficultés rencontrées”. Le patient doit bénéficier, comme pour les volets socio-professionnels ciblés par le Plan cancer n° 2 français, d’une anticipation dans le domaine de la préparation à une réinsertion sexuelle. Nous l’avons vu, le cancer entraîne des modifications importantes et brutales de l’appareil sexuel, d’une part, et de la programmation relationnelle et comportementale de l’individu, d’autre part. Informés dès l’annonce des conséquences et du La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 | 177 DOSSIER THÉMATIQUE La vie après le cancer Références bibliographiques 1. ANRS-Inserm-INE. Enquête “Contexte de la sexualité en France”, Paris 13 mars 2007. 2. Brenot P. Dictionnaire de la sexualité humaine. 2004, L’esprit du temps, Le Bouscat. 3. Kaiser FE. Sexual function and the older cancer patient. Oncology 1992;6(Suppl. 2):112-8. 4. Le Corroler-Soriano AG, Malavolti L, Mermilliod C. La vie 2 ans après le diagnostic de cancer. La Documentation Française, mai 2008. 5. Zajecka J. 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Évoquer très tôt ce sujet et y revenir tout au long de la prise en charge ont un second avantage : celui de projeter le patient et le couple dans un avenir synonyme de guérison. Parler de comment faire l’amour, c’est souvent le faire déjà un peu et revivre. Les soignants doivent également se préparer à aborder régulièrement la question de la santé sexuelle avec le patient. Nombreuses sont les occasions qui permettent d’oser aborder le sujet, en toute légitimité professionnelle. Le paradoxe et l’hypocrisie résident plutôt en ce que tous les documents d’information proposés au malades concernant les cancers parlent des difficultés sexuelles que le patient va bien vite rencontrer, mais que les tutelles et soignants ne sont pas proactifs et ne se préoccupent pas de cette dimension. En ce début de siècle, dans les démocraties pour qui la qualité de vie individuelle importe, autoriser l’homme, ses proches et partenaires, ainsi que le milieu médical à prendre en charge l’intimité sans promouvoir la performance obligée est un enjeu sociétal semblable à la prise en compte de la douleur il y a 20 ans. Organiser la prise en charge individuelle et des couples en soins de support en onco-sexologie Une organisation professionnelle de la prise en charge en onco-sexologie est indispensable. Le premier Plan cancer et l’existence des soins de support jettent la base d’une architecture lisible pour le patient, mais ne prévoient pas pour l’instant le financement d’un temps soignant dédié, souvent incompatible avec celui de la consultation spécialisée oncologique, chirurgicale, ou de radiothérapie Ces temps de suivi médical doivent être l’occasion de tendre une perche, de poser la question “Et sur le plan sexuel, comment ça se passe ?”, “Pas trop diminué ?” Et à la compagne ou au compagnon, dont on sait que les attentes en matière de relations sexuelles sont souvent négligées, penset-on assez à lui demander son opinion sur la question ? Dès lors que le patient apparaîtra souffrant 178 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 3 - mars 2010 et en demande, il s’agira, selon les capacités de chacun, de commencer une évaluation du trouble ou d’orienter vers les spécialistes d’onco-sexologie correspondants réguliers des oncologues médicaux et spécialistes organisés en dispositif d’experts du type SAICSSO (Sexologie d’aide individuelle et des couples en soins de support) [qui s’appuie ensuite sur le médecin généraliste et les professionnels repères dans le répertoire opérationnel local]. Intégré aux réseaux territoriaux tels que la loi HPST (adoptée le 19 mars 2009) les entend, le patient pourrait bénéficier du dispositif des prestations dérogatoires indispensables à un moment où la réinsertion sociale est souvent grevée par les difficultés économiques. Informer les hommes, réexpliquer, au moment où ils sont psychologiquement disponibles à aborder cette problématique, évaluer la plainte sexologique, sortir des mythes et fausses croyances, retrouver une fonctionnalité pour rétablir la relation à soi et à l’autre ne se font pas en 10 minutes. La stratégie de prise en charge est le réel aboutissement d’une analyse médicale en un contrat thérapeutique. L’information, la formation, et l’autorisation même des soignants, encadrées par une sémantique commune et des connaissances scientifiquement validées, doivent pouvoir être dispensées par ceux-là mêmes qui auront cliniquement la charge d’accompagner et de soigner les malades se plaignant de dysfonction sexuelle. Il n’est pas exclu, d’ailleurs, que l’état de connaissances partagées interfère, sans risque carcinologique, avec des modifications de pratiques professionnelles telles que le choix d’une technique ou d’un traitement à la lumière des séquelles acceptables chez l’homme sur le plan de la qualité de vie et de la santé sexuelle future. La boucle est bouclée, et le patient peut alors être remis au centre des préoccupations des soignants. C’est l’approche stratégique que nous avons mise en place dans le territoire de santé des Alpes-Dauphiné et qui répond à la demande des patients et des soignants (figure). Trois situations singulières dans le retour à la sexualité de l’homme Dès lors que l’information systématique et l’offre de soins existent, trois cas de figures apparaissent : ◆◆ L’homme n’est pas en demande Il aura bénéficié de l’information, d’une rééducation précoce lorsqu’elle est indiquée, et pourra revenir vers un dispositif repérable s’il en éprouve et exprime le besoin un jour. DOSSIER THÉMATIQUE ◆◆ L’homme est en demande et la situation ◆ est simple Le spécialiste ou le généraliste, informé et formé pour la prise en charge des situations courantes, mettra en œuvre les solutions thérapeutiques rapides et simples permettant au patient et au couple de se réapproprier un mode de sexualité qui leur appartient. Il s’agit souvent : ➤➤ d’une simple réparation de l’appareil fonctionnel sexuel par action médicamenteuse (injections intracaverneuses, IPDE5, vacuum, antalgiques, etc.) ; ➤➤ de conseils fonctionnels (adaptation de la stomie au partage du corps, vidange vésicale précoïtale, positions facilitantes, relaxation, etc.) ; ➤➤ de pédagogie (rester actif, avec une bonne hygiène de vie, remettre de la communication, connaître son anatomie, répondre aux fausses croyances, aménager le cadre des relations, etc.). Le praticien intéressé et impliqué dans un RESO saura répondre à la demande directement ou en orientant le patient. ◆◆ L’homme est en demande, mais la situation est complexe comme par exemple : ➤➤ lorsque le praticien n’est pas à l’aise avec cette dimension qui lui semble inaccessible ; ➤➤ lors de la mise en évidence chez l’homme de vulnérabilités prédisposant à l’apparition de dysfonctions sexuelles ou de troubles sexuels antérieurs au cancer ; ➤➤ en cas de besoin exprimé par la partenaire mais occulté par le patient, du fait d’un décalage dans le couple, en particulier dans les troubles du désir ; ➤➤ du fait de modifications corporelles et du script sexuel nécessitant une “reprogrammation” et une réassurance dans son pouvoir de séduction ; ➤➤ en cas de syndromes anxio-dépressifs persistants ; ➤➤ en cas d’amputations nécessitant des reconstructions physiques importantes, et donc également des reconstructions mentales. Le parcours de soin doit être respecté et doit aboutir à la prise en charge spécialisée reconnue, qui est alors intégrative et touche des domaines diversifiés : ➤➤ physique et psychique : intégrité, habiletés ; ➤➤ psychologique : structure et psychopathologies ; ➤➤ relationnel : fonctionnement personnel, cinétique et pouvoirs dans le couple, repérage des blocages ; ➤➤ socio-culturel : retrouver une place et un sens, représentations et apprentissages. Conclusion Vivre pendant et après le cancer doit prendre en compte le fait que la santé sexuelle est l’un des Démarche nationale de mise en place de l’onco-sexologie Exemple de la stratégie dans les Alpes françaises Prise de conscience collective et professionnelle, droit des malades Autoriser les patients et leur(s) partenaire(s) Autoriser les soignants, les informer Recenser et diffuser les savoirs en interdisciplinaire Informer les malades et couples Partager un même langage sémiologique Définir des outils de mesure en qualité de vie individuelle et du couple Orienter les patients lorsqu’ils le souhaitent Apprendre aux soignants Savoir être, communiquer Savoir-faire, outils diagnostiques et thérapeutiques Utiliser des stratégies intégratives de réhabilitation Proposer et évaluer l’accompagnement des professionnels sensibilisés et identifiés (RESO de ROSA) et celui des patients dans l’espace de prise en charge des dispositifs d’annonce et soins de support (Sexologie d’aide individuelle et des couples en soins de support oncologie [SAICSSO]) Figure. Mise en place de l’offre en onco-sexologie. objectifs à atteindre pour que l’individu réinvestisse un projet de vie. La réinsertion sexuelle nécessite que les dysfonctions sexuelles entraînées par le cancer et ses traitements soient répertoriées, connues des soignants et expliquées au patient. Autorisés à aborder cette dimension par la reconnaissance des difficultés à envisager un retour à la sexualité, soignants formés et patients éclairés pourront alors bénéficier des avancées thérapeutiques de la réparation et des soins de support. Ce temps d’échange, d’abord informatif puis d’accompagnement, doit être accessible aux patients et aux proches en souffrance, sans disparités géographiques et sociales. Prendre en compte l’évaluation de la sexualité avant le cancer, s’assurer que l’alliance thérapeutique des soignants est validée par le cancérologue, et que les recommandations d’un référentiel de bonnes pratiques sont suivies, est impératif. Cela nécessite une volonté politique de mise en place de dispositifs d’aide des individus et des couples en soins de support onco-sexologique. Recenser par territoire de santé les compétences disponibles dans des registres d’experts en support onco-sexologique et former les acteurs de santé sensibilisés à cette prise en charge permettront alors aux patients de vivre sereinement le retour à leur sexualité, spontanément ou accompagnés. ■ ▸▸▸ / ▸▸▸ 15. Barnas JL, Pierpaoli S, Ladd P et al. The prevalence and nature of orgasmic dysfunction after radical prostatectomy. BJU Int 2004;94(4):603-5. 16. Chatterjee R, Kottaridis PD, Lees WR, Ralph DJ, Goldstone AH. Cavernosal arterial insufficiency and erectile dysfunction in recipients of high-dose chemotherapy and total body irradiation for multiple myeloma. Lancet 2000;335(9212):1335-6. 17. Meeus P. Les séquelles de la colostomie. 37e séminaire de sexologie, 2007. 18. Schover LR. Counseling cancer patients about changes in sexual function. 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