DES PREMIERS LA DÉMARCHE GRAMMAIRIENS DANS LE DOMAINE DE LA SYNTAXE* ARABES PAR M. S. BELGUEDJ est aujourd'hui admis que les principales raisons qui ont pousse a la constitution des sciences linguistiques en arabe ont ete, d'une part, le d6sir de preserver l'int6grit6 de la langue du Coran, devenue langue liturgique en m6me temps que langue politique et administrative la connaissance du texte coranique et, et, d'autre part, d'approfondir de celui du hadit. subsidiairement, IL -L *Ouvrages consultés Us Ins. Mad. Philol. Arab. = = AFG�N� (S.), F�us�dal-Nahw, éd. Université syrienne 1376/1957. ANB�R� (Ab�I-Barak�tibn al-), Kit�bal-Ins�ffi Mas�'ilal-Hil�f, éd. G. WEIL,Leyde 1913. ARNALDEZ (R.), Grammaire et Théologiechez Ibn Hazm de Cordoue, 1956. -, Tradition et changementdans le mondeislamique ;in Études philosophiqueset littéraires. Actes du Colloque de Mohammédia, Rabat 1971. BENVENISTE (E.), Problèmesde linguistiquegénérale,Paris 1966. BLACHÈRE (R.), Art. 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DENIZEAU, Sirr GINN� I-Fath (Ab� ibn), Sin�'atal-I'r�b,1er vol., Le Caire 1374/ 1954. 169 Cependant, les circonstances memes dans lesquelles se sont constitu6s les premiers elements de ce qui allait 6tre la civilisation arabomusulmane suggerent des raisons suppl6mentaires et d'6gale valeur. La conquete militaire était en train de faire tomber des pans entiers de de grands empires. Mais, face aux peuples civilisés, d6tenteurs cultures sup6rieures a la leur, les Arabes prirent conscience de la n6cessite de faire la conquete de leur propre langue par la reflexion sur ses structures, afin de decouvrir toutes les richesses et mieux saisir toutes les significations du Texte saer6 qui allait jouer un role essentiel tant dans la vie des conqu6rants que dans celle des conquis. Pour ce faire, la reflexion devait necessairement se placer sur les diff6rents plans de la linguistique, en particulier sur le plan grammatical, et, 4 cet 6gard, le phenomene etait parallele a celui signale nagu6re GLEASON (H. A.), Introductionà la linguistique,Paris 1969. GUIRAUD (P.), La Grammaire,P.U.F., Paris 1970. Muq. (ibn Hayy�n),Muqaddimafi l-Nahw, éd. TAN�H�, - HALAF AL-AHMAR Damas 1381/1961. IBNAL-NAD�M, Kit�bal-Filarist,éd. RÖDIGER, Leipzig 1871,2 v. IBR�H�M Le premier grammairienarabe, Actes du XXIe ConMUSTAF�, grès des Orientalistes, Paris 1948. Class. = KRENKOW (F.), Il «Libro delle Classi»» di Ab�Bakr az-Zubaid�,in Rivista degli Studi Orientali, vol. VIII. fasc. I, Roma 1919. LOUCEL (H.), L'origine du langage d'après les grammairiens arabes, in Arabica, X, 1963. (M. al-), Fi l-Nahw al-'Arab�,Beyrouth 1964. MAHZ�M� MAROIUZEAU (J.), Lexique de la TerminologieLinguistique, Paris 1943. 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En effet, 1'enjeu était d'importance dans la societe arabo-musulmane, societe d'organisation se refethéocratique, dans ses jugements de valeur, au Texte r6v6l6, rant constamment, et donnant une grande importance a toute signification de ce texte, a toute nuance d6cel6e dans la structure de chacun de ses versets. On a souvent avance, pour expliquer les disputes qui, des le IIe si6cle de I'H6gire (VIIIe s. J.C.), divis6rent les grammairiens arabes, des raisons personnelles ou financieres, ou m6me 1'esprit de clocher; quelle que soit la valeur reelle de ces raisons, il est cependant permis de penser que des motifs d'ordre religieux au sens le plus general 6taient sousjacents a ces disputes, car 4 travers le caractere correct ou incorrect, de telle construction admissible ou inadmissible arabe, c'6tait la de tel ou tel du Livre revele signification passage qui risquait d'etre 2. engag6e * * * Mais avant d'en arriver a ces disputes, qui ont tellement obnubil6 certains auteurs qu'ils en sont venus a classer en Basrites et Koufites des grammairiens rien a voir avec Basra et Kufa, il qui n'avaient avait n6cessairement fallu accomplir un premier et pénible travail dans le domaine du langage, et de discrimination épistéd'exploration Ce fut 1'aeuvre obscure des hommes du Ie si6cle de 1'Hegire mologique. qui, préoccupés de serrer au plus pres le sens du verset coranique ou du vers préislamique, furent amenes a d6gager, peu a peu, les premiers linéamen ts de la grammaire arabe. Aussi, avant m6me que les écoles grammaticales de Basra et de Kilfa des structures observ6es dans la eussent propose leurs interpretations de 1'existence ces est-elle attestee par phrase arabe, preoccupations les premi6res ex6g6ses du texte coranique et, a cet égard, le Commentaire de Tabari est précieux dans la mesure ou il relate le point de vue de de gens qui assisterent a la naissance et au premier développement furent les a connaitre le texte du Coran 3, l'Islam, parmi premiers 1. Mélanges,p. 243. 2. Cf. R. ARNALDEZ, Gr. et Théol.,passim, et Tradit. et changt., in Actesdu Colloque de Mohammédia,p. 137. 3. Ibn 'Abb�s,l'autorité la plus fréquemment citée par Tabari, était né trois ans avant l'Hégire, et il fait figure de père de l'exégèsecoranique. 171 de la langue arabe pour avoir et gard6rent une saine appreciation de leur vie en milieu v6cu 1'essentiel purement arabe. Grace au grand nombre de traditions que Tabari rapporte à propos de chaque verset, on est a mgme de connaitre la mani6re dont les contemporains du directement telle construction dans tel verset, Proph6te comprenaient m6nie si la mani6re ambigue dont Tabari rapporte parfois leurs jugements laisse dans 1'incertitude quant a 1'existence de motivations chez ces contemporains de la Revelation. « grammaticales Cette ambiguité est 1'une des raisons qui am6nent a se poser le a Medine, probl6me probl6me de 1'existence d'une école grammaticale font allusion modernes 2. Une autre raison est la quelques auquel gene que l'on ressent a admettre que la grammaire, sorte de Minerve arabe, soit sortie tout armée du cerveau de Sibawayh ou de celui de son maitre al-Halil. Comme nous 1'avons dit, il serait plus conforme à la nature des choses d'admettre arabe a pu se que la grammaire a et du texte avec difficult6, de 1'etude peu coranique d6gager, peu et de 1'examen de la litt6rature orale preislamique. Or, le peu que 1'on sait sur les activites linguistiques a Médine irait dans ce sens. La mani6re en effet dont Tabari cite parfois les opinions des premiers exégètes de la Revelation fournit des avis qui semblent a mi-chemin entre la lexicologie et la grammaire ou entre celle-ci et la rhetorique. Ainsi a propos du verset II-180 3 §ummum, bukmun, 'MMM/MM fa-hum la yar#i'ftn (sourds, muets, ils ne aveugles, [peuvent] pas revenir), ou les trois premiers termes sont en 6tat de )'o/'' (nominatif), d'Ibn Tabari rapporte l'interpr6tation 'Abbds selon laquelle le nominatif dans cette construction ne peut Atre motive que par 1'isti'niif, c'est-h-dire par le fait que ces trois termes commencent une phrase nouvelle. Toutefois, avant d'exposer le point de vue d'Ibn 'Abbas, Tabari fournit son propre avis sur la question 4 en disant que le nominatif dans ces trois termes peut s'expliquer soit au pr6alable le terme ula'ika par l'isti'ndf, soit en sous-entendant (ceux-1h), ce qui donnerait 1. V. p. ex. Sa'id AFG�N�, Us�l,pp. 12-13(note) et p. 158. 2. Comment.I, p. 330. 3. Ibid. 172 ula'ika summun, bukmun, 'uniyun ... ceux-la (sont) sourds, muets, aveugles ... Cela revient à dire que les termes qui sont au nominatif le sont ou bien comme sujets de phrase nominale, ou bien comme pr6dicats. Le point qui reste obscur est celui de savoir si, quand il parle de « 1'interpretation il s'agit d'une interpretation rapport6e d'apres Ibn «grammaticale de celui-ci, ou bien d'une mani6re directe de comprendre le texte sans se référer a une « fonction » precise de ces termes dans la structure examinee. Un autre exemple de cette imprecision se rencontre plus loin 2 a propos du verset II-42 ou 1'on trouve: ... wa-taktumft 1-haqq wa-antum ta'lamün ... et ne cachez pas la verite alors que vous savez. Tabari se demande a quel mode est le verbe taktumu, et il propose une a Ibn 'Abbds, ou le verbe serait remontant premiere interpretation, un imp6ratif de defense - coordonn6 a un autre qui le precede -, et une seconde ou ce verbe, d'apres Mugahid et Abu I-'Ahya, n'aurait qu'une valeur narrative et aurait ete mis au subjonctif par le proc6d6 du « ifarf», destine a le « disjoindre de 1'imperatif precedent 3. Dans cet exemple comme dans le pr6c6dent, il est difficile de a Ibn 'Abbäs ou a Mugahid trancher avec certitude et d'attribuer des raisonnements faisant intervenir une fonction grammaticale dont 1'identite serait d6gag6e dans 1'esprit de 1'un ou de 1'autre 4. Tout au plus peut-on penser que les fonctions grammaticales 6taient encore fortement li6es au texte examine, au murad, c'est-a-dire au propos de 1'auteur du passage coranique ou du vers cite a 1'appui de l'interpretation proposee. Il est bien question, pour le premier siecle de 1'Hegire (viie s. J.C.), d'initiateurs « medinois de la grammaire tels que 'Abd al-Rahman ibn Hurmuz al-A'rag (m. 117 H.) 5, Nasr ibn `Asim (m. 89 H) 6 1. `Al�ta'w�l m�rawayn�'an Ibn 'Abb�s.(ibid). 2. Comment.,I, pp. 569-70. 3. L'éditeur de Tabari fournit, d'après le grammairien al-Farr�',la définition de ce procédé (ibid.). 4. D'autres exemplessemblablesse retrouvent tout au long de ce commentaire. 5. Ah. pp. 13 et 21-2; Us, 152 et 158; Class., p. 10/116. 6. Ah. pp. 13, 20et 22 ; Class., p. 10/116,porte qu'il aurait écrit un livre sur la « 'Arabiyya». 173 ou 'Abd al-'Aziz Biskast al Qari' 1; mais dans la mesure ou 1'on peut faire fond sur ce qui en a ete rapport6, il semble que leur activit6 soit rest6e tr6s li6e aux textes, a la solution de cas limites, sans qu'il y eut domination de 1'objet de leur etude et generalisation des solutions propos6es. Cela expliquerait que 1'on ait pu reprocher par exemple des fautes manifestes a Malik Ibn Anas, donn6 par ailleurs comme 1'616ve de Biskast 2. C'est avec la generation suivante que la grammaire semble commencer a se d6gager comme syst6me de regles du langage. Mais s'agit-il d6jh de regles g6n6rales, ou n'est-il encore question que de consid6rations limitees ? Les personnages signal6s comme les meilleurs 616ves du 16gendaire Abi I-Aswad al-Du'ali sont 'Anbasa ibn Ma'dan dit al-Fil, et Maymun al-Aqran 3, mais on ne cite d'eux aucune ceuvre 6crite. Ce n'est qu'a propos de 'Abd Allah ibn Abi Ishaq (m. 117 H.) qu'il est question d'une methode de travail d6finie et de recherche de motivations en grammaire. Selon Ibn Salläm, il aurait ete le premier a mettre au jour le contenu de la grammaire, a étendre le raisonnement inductif et a exposer les raisons (des structures) Suyüti affirme de son cote ... et il dit que 'Abd Allah « fut (le premier) a diviser la grammaire tant de choses sur le hamz que 1'on put faire un livre a partir de ce Ce grammairien avait tant de confiance dans sa qu'il avait diet6)) m6thode et etait si sur de ses conclusions qu'il critiquait les Arabes (b6douins) quand leur mode d'expression ne concordait pas avec celle-ci, et il eut pour cette raison de frequents demeles avec le celebre po6te al-Farazdaq 6. Dans la mesure of l'on peut ajouter foi a ces relations, nous avons donc affaire a un grammairien qui a d6jh une m6thode de travail, qui s'y tient et l'impose autour de lui, qui, enfin, étudie au moins un sujet, le 7Mt)MZ,de mani6re si pouss6e qu'il fait l'objet d'une monographie. Nous sommes donc bien, avec 'Abd Allah ibn Abi Ishaq au second 1. Us. pp. 12 et 13 et 158; 'Arab., p. 58. 2. 'Arab., pp. 59-60; Us., 158note 2;dans Class.,p.10/116, il est l'élèved'Ibn Hurmuz. 3. Ah., pp. 22-23et 25: Class.. 10/116. 4. Tabaq�t, Mad�ris,p. 23 ; v. aussi Ah., pp. 25-26et Ch. PELLAT, p. 14, apud AFG�N�, EI2, p. 44. 5. Muz., II 398. La même affirmation se trouve dans le Maratib (p. 28) d'Ab�1Tayyib al-Lugawi que nous n'avons pu consulter. 6. Ah., pp. 27-28 ;Kit., II, p. 58. 174 stade de 1'etude grammaticale, celui ou une m6thode est esquissee et commence a 6tre apphqu6e a des questions liniit8es. Une derni6re particularite digne d'etre remarqu6e chez ce grammairien est cette volont6 de lier le langage aux regles qu'il a d6gag6es, pr6figurant ainsi la ligne de conduite adopt6e par 1'ensemble des hommes de Basra. Avec Ibn Abi Ishaq on voit donc poindre la grammaire normative, et on avait en effet quelques raisons de le presenter parfois comme le premier grammairien « basrite ibn 'Umar al-Taqafi (m. 149 H.) et Abu 'Amr Avec ses eleves ibn al- 'Alä' (70-154 H.), les deux tendances de la grammaire arabe se dessinent plus nettement. 'Isa ibn 'Umar est en effet le fidele disciple d'Ibn Abi Ishaq: comme inductif aussi loin qu'il le peut et en lui, il pousse le raisonnement il donne tort aux Arabes qui ne s'excomme 2 ; lui, generalise 1'emploi conform6ment a ses conclusions, et il ira jusqu'à critiquer, priment pas a ce propos, le grand po6te Ndbiga 3. 11 semble d'autre part avoir ete le premier a introduire dans la grammaire la notion de « regissant » en ellipse 4 et a en avoir inculqu6 le principe a son 616ve, le fameux Halil ibn Ahmad ; le premier aussi à remarquer que le locuteur arabe marque une preference pour la flexion a qu'il juge plus euphonique. Enfin, c'est a propos de 'Isa ibn 'Umar qu'il est pour la premiere fois Il aurait en effet compose, outre question de recueils grammaticaux. divers essais, deux ouvrages qui connurent la celebrite ; 1'un était intitul6 (le Recueil) et 1'autre al-Ikmäl (le Complement) 5. si 1'existence de ces deux recueils n'6tait pas contestee à Toutefois, de Sirafi 1'epoque (IIIe jxe s.), celui-ci ne les avait jamais vus et ne connaissait aucun de ses contemporains qui pr6tendit les avoir eus en mains 6. Mubarrad (m. 285) affirmait cependant en avoir lu quelques dans une communicationfaite aux XXIe congrès des Orientalistes 1. Ibr. MUSTAF�, (v. Actes,Paris 1948, pp. 278-9),le classe bien comme le premier grammairien arabe, mais en se référant uniquement au faible nombre de citations dont il bénéficie dans le de Sibawayh. C'est à notre sens un bien faible argument s'il devait rester le seul Kit�b auquel on dût avoir recours. En outre, il est bien moins important de savoir qui est # l'inventeur » plus ou moins certain de la grammaire arabe que de découvrir les chemins qu'elle a pu prendre pour se constituer et aboutir enfin à la rédaction du Kit�b. 2. Kit.. I, 313. 3. Kit., I. 261 ;sur le `�mil,v. s.v., l'article de WEILdans EI2, p. 448. 4. Kit., I, 199. 5. Selon SUY�T� (Bugya, p. 370), il aurait composé plus de soixante-dix ouvrages; v. aussi Ah., pp. 31-2, et Class., p. 12/118. 6. Ah., p. 32. 175 « et le contenu, dit-il, ressemblait a des indications (isarat) aux principes (de la grammaire) » 1. Toujours est-il que les r6gles qui y 6taient 6nonc6es 6taient basees sur l'usage courant chez les Arabes, tandis que ce qui s'6cartait de cet usage était class6 comme C'est la m6thode mame de luga, c'est-a-dire expression idiomatique. 1'ecole de Basra, celle par laquelle elle se distinguera de Kufa dans la mani6re de considerer l'usage. Abi 'Amr ibn al-'Ala' repr6sente justement la tendance de cette seconde école selon Ibn Sallam 2, car, dit-il, <(il s'en remettait plus volontiers a la mani6re dont s'exprimaient les Arabes (Kana asadda tasltman li-l-'Arab) ». Il avait pourtant 6t6 à l'école d'Ibn Abi Ishaq et avait appris aupres de lui a se montrer strict dans ses raisonnements a pousser l'application des regles jusqu'a leurs ultimes grammaticaux, a son condisciple Mais le fait que, contrairement consequences. ibn 'Umar, il se soit beaucoup occupe de recueillir des vers et des le caract6re tournures arabes explique probablement idiomatiques moins normatif, plus liberal, de sa mani6re de concevoir 1'usage grammatical 3. Ainsi donc, il semble bien que la tendance normative de Basra, et celle de Kufa plus soumise aux diff6rents usages, ne se sont pas manifest6es dans l'ordre chronologique et tant soit peu artificiel que l'on avance parfois. 11 n'apparait pas, comme on pourrait 6tre tent6 de 1'admettre, la tendance de ait regne seule et sans conteste avant 1'appaBasra que rition de Ru'ds! (m. 180 ou 183 H;), de Kisd'i (m. 183 ou 189 H.) et entre les comportements de Farrd' (m. 207 H.), et que l'opposition normatif et liberal ne soit devenue manifeste qu'a partir de la c6l6bre controverse entre Sibawayh et Kisa'i. C'est dire que les raisons poliou m6me personnelles que 1'on a voulu tiques, historico-g6ographiques tour a tour pr66minentes dans cette opposition 4, n'ont pas toute 1'imfeuillets, relatives 1. In Us., p. 156. 2. In Ah., p. 28; v. également R. BLACHÈRE, s.v., in EI2, t. 1, pp. 108-9 et Bug., p. 367. 3. al-Hal�llui préférait I.A. Ish�qcomme grammairien, mais le préférait à celui-ci comme lexicographe (Muz., II, 398). Son contemporain, le grammairien Y�nusibn Hab�b,disait de lui: Si on devait à propos d'une affaire « accepterentièrement l'opinion de quelqu'un, il faudrait le faire pour Ab�'Amr. Mais il n'est pas d'homme chez qui il n'y ait à prendre et à laisser». 4. Cf. p. ex. Us., pp. 206-207«Les altercations qui se produisaient entre Koufites et Basrites dans les palais des gouvernants représentaient une forme de défensedu gagnepain et un penchant pour l'esprit de clocher»; l'auteur fait en outre allusion à de vieilles 176 portance qui a pu leur 6tre accordee. Outre le d6sir de decouvrir la des grammairiens et les autres discirealite des faits, le temperament avaient sont intervenus dans le comportement plines qu'ils pratiqu6es de chacun. 11 parait donc plus raisonnable de penser, 4 propos des premiers pas de la grammaire, que le souci de ceux que l'on peut qualifier de pr6curseurs a ete de d6couvrir et d'identifier les faits grammaticaux à travers le Texte revele et les textes profanes qui lui 6talent compares, de proceder a un premier classement de ces faits et de les r6unir dans un enseignement Mais à sp6cifique, voire dans des monographies. et de definition avangait, les uns mesure que le travail d'exploration visaient surtout a trouver un terrain ferme, parmi les grammairiens des lois sures a partir desquelles determiner la fagon correcte d'interpr6ter les structures et d'en enseigner le maniement, les autres, plus sensibles a la variete et a la richesse des modes d'expression de la pens6e, cherchaient a noter et à conserver cette diversite des moyens dont usaient les locuteurs, et ils se faisaient un devoir de respecter 1'originalite vivante de chaque mode d'expression. Arrives a ce stade, les grammairiens de la premiere tendance cherchent a faire une somme de tout ce qui a pu 6tre clarifie et defini et, a cet 6gard, on peut considérer le Kitdb de Sibawayh comme 1'une de ces sommes, pas encore bien ordonn6e, mais d6jh fort complete quant a la quantité et a la variété des faits grammaticaux relev6s, tandis qu'avec le petit trait6 de Halaf ibn Hayyan al-Ahmar, contemporain de Sibawayh, on a peut-etre en mains le premier manuel syst6matique de grammaire, ou les faits sont classes, peu ou prou, de la mani6re qui deviendra courante aux époques ulterieures 1. Cependant, qu'il s'agisse de 1'une ou de 1'autre tendance, on est a frappe par la ressemblance entre « Basrites » et « Koufites quant la m6thode g6n6rale de raisonnement: comparaison avec des usages en r6gles plus ou moins strictes attest6s, definition et generalisation selon 1'ecole consideree, ou m6me le grammairien consid6r6. Mais ces regles qui vont r6gir le langage nous ramènent au point de depart de cette science grammaticale, la lecture et 1'exegese de la rancunes qui datent de la « batailledu chameau », sousle règne de 'Ali, où Basra prit fait et cause pour `�'iša,Talha et Zubayr, tandis que K�faprenait parti pour 'Al�. 1. Il écrivait aux environs de 180/796; sa Muqaddima f� l-Nahw comporte des chapitres consacrésau raf', au nasb, au hafd, à inna et ses analogues,à k�naet ses analogues, aux particules du subjonctif. 177 Revelation, pour nous demander quels pouvaient 6tre, pour ces grammairiens, les rapports entre les structures de la langue profane et celles de la langue coranique. Or il est evident que les secondes sont comprises et pes6es a la lumiere des premi6res et ce fait, à notre sens, date des premiers essais d'ex6g6se du Texte sacr6 1. à son Commentaire 2, C'est ainsi que Tabari, dans 1'introduction clairement ce en sur le texte m6me du Coran. pose principe s'appuyant En effet, apr6s avoir cite les passages coraniques qui proclament que la Revelation est faite dans la langue de la nation a laquelle elle s'adresse 3, afia que celle-ci puisse en comprendre le message, il conclut en ces termes 4 : « Il est done indispensable que les id6es exprim6es dans le Livre Divin concordent avec celles exprim6es dans le parler arabe, que le sens apparent du Coran soit en accord avec celui de la langue arabe, m6me si le Livre de Dieu se distingue par la qualit£ 6rninente grace a laquelle il surpasse les autres formes de langage et d'eloquence ». Il profitera d'autres occasions, en cours d'exegese, pour le rappeler: « Il est certes pernis, dit-il, d'attribuer aux concepts contenus dans le Livre Divin des significations semblables a celles qui se trouvent dans le langage des Arabes, et d'exclure ce qui ne s'y trouve pas 5 ». Plus loin encore 6, apr?s avoir refute une opinion du grammairien il ajoute: « Bien que cette opinion soit une des doctrines al-Farra', (possibles), elle ne correspond pas à ce qu'il y a de plus clair et de plus ais6 en langue arabe; il convient mieux au Livre Divin qu'il soit interpr6t6 conform6ment aux tournures les plus claires et les plus connues, et non point les plus obscures ou les plus ignorees ». Il est d'ailleurs visible que, ce faisant, il se sent non seulement en accord avec le Coran meme, mais 6galement avec les commentateurs qui l'ont precede et dont il rapporte 1'opinion et continue la tache. Trois procedes sont a sa disposition, dont il use tour à tour ou conjointement : d'une part, la relation de l'explication « brute » fournie du Prophete, correspondant à leur intelligence par les contemporains 1. Exception faite de quelques tournures propres au Coran et qui, jusque-là, étaient inusitées. 2. t. I, pp. 9-12. 3. Coran, XII/2, XIV/4, XVI/64. 4. t. I, p. 12. 5. t. III, p. 161. 6. Ibid., p. 209-10. 178 directe et en quelque sorte intuitive de la langue. M6me s'il ne s'agit c'est-a-dire r6p6t6e mot pour mot d'apres pas d'une tradition MMM?M', le Prophete, elle implique que 1'opinion qu'elle rapporte aurait entrain6 1'adhesion de celui-ci, car il était lui-meme un pur Arabe, partageant avec ses compagnons un sens en quelque sorte « cong6nital de sa langue 1. Un second proc6d6 de Tabari consiste a citer, a 1'appui de sa mani6re des vers de de lire ou de comprendre tel terme ou telle construction, connus un nombre c'est-a-dire des textes arabes, par grand poetes de personnes, et dont la signification et la pertinence des structures sont en somme admises par tous. Quant a son troisieme proc6d6, il consiste à rappeler que telle tournure est courante dans la langue, qu'elle a telle valeur usuelle dont il fournit 1'explication avant de conclure qu'il faut donc entendre tel passage coranique conform6ment a ce qu'il vient d'6noncer. En somme, c'est 1'usage, c'est-a-dire les locuteurs ou les auteurs de vers qui servent d'autorit6s pour reconnaitre la légitimité de telle structure et lui attribuer une signification correcte. les deux plus Mais c'est alors qu'on se heurte a des contradictions: anciens trait6s de grammaire que nous poss6dons, le Kitab de Sibawayh Halaf al-Ahmar, oublient plus et la Muqaddima de son contemporain leurs exposes et ont recours le locuteur dans ou moins fr6quemment a des (i r6gissants » formels qu'ils animent pour en faire les ressorts de la phrase arabe. C'est ainsi que Halaf, des le premier chapitre 2, d6finit la particule (4arf) comme 6tant ((Ie mot-outil (addt) qui met le nom au nominatif, a 1'accusatif ou au g6nitif, et le verbe a 1'6tat apocope ». Sibawayh, plus prudent au contraire, d6finit la particule par elimination, se bornant a dire qu'elle est le mot 6nonc6 en vue d'une signification et qui n'est ni un nom ni un verbe 3. Toutefois, lorsqu'il traite plus loin des verbes a 1'inaccompli 4, il dit bien que ces verbes connaissent des particules qui agissent sur eux en les mettant au subjonctif alors qu'elles n'ont pas d'action sur les noms, de m6me que les particules qui mettent les noms a 1'accusatif n'agissent pas sur les verbes. Dans le bref chapitre qu'il consacre au nominatif, Halaf dit qu'il y a 1. 2. 3. 4. Cf. Muz., II, 397. Muq., p. 36. Kit., I, p. 2. Kit., I, p. 407. 179 seulement six raisons possibles a son apparition: 1'6tat de sujet, celui de celui d'inchoatif, celui d'6nonciatif, celui de sujet sujet apparent, de d'attribut celui de inna 1. Mais il a fait precekana, precede precede der ce court chapitre d'un autre consacre aux « particules qui mettent au nominatif tout nom qui les suit » 2, et ou l'on trouve pele-mele : ou, quand, mais, combien, quel excellent, a qui, etc. 11 y a, comme on voit, quelque incertitude dans 1'expression de sa pens6e. 3 la definition du Lorsque Sibawayh aborde pr6dicat (musnad) et du sujet (musnad ilayh), il les caract?rise en disant que ce sont « deux termes dont 1'un ne peut se passer de 1'autre et, revenant plus loin sur la question 4, il remarque que le predicat doit participer de l'identit6 du sujet (huwa huwa) ou être situe dans un lieu ou un temps. Et il ajoute : « le pr6dicat, impliquant 1'identite avec le sujet, est mis au nominatif par celui-ci, tout comme le sujet a 6t6 mis au nominatif ... Ainsi, dans la phrase (('Abd Allah par le fait de l'inchoativite est partant », 'Abd Allah est au nominatif parce qu'il a ete 6nonc6 au nominatif pour 6tre complete par « partant)), et « partant est parce que le predicat d'un sujet est son equivalent (bi-manzilatih). Ce n'est donc pas forcer le sens des termes utilises par Sibawayh que d'affirmer ceci: dans sa reflexion sur la structure sujet-pr6dicat, il d6couvre bien que le locuteur exprime une intention significative a 1'aide d'une flexion en ce qui concerne ces deux termes. De m6me, dans le chapitre consacre aux situations ou 1'usage du nominatif est preferable 5, il explique que dans la phrase: « Il a de la science, une science de juriste » (lahu 'ilmun, 'ilmu l fuqa7aa'), le nominatif, pour le terme 'ilmu, a ete utilise parce qu'il s'agit d'une qualite inh6rente a l'homme en question; on n'a pas voulu dire que 1'on 6tait mais mentionner 1'hompass6 pres d'un homme en etat d'apprentissage, me avec une vertu qu'il possede, et faire de cela « un m6rite accompli chez lui ». La aussi, l'auteur note bien que la flexion, dans des phrases similaires, sert a marquer 1'intention de celui qui parle. Abordant la question de l'accusatif a propos de 1'utilisation du 1. Muq., p. 51. 2. Ibid., p. 36-41. Il lui arrive cependant d'user du terme harf dans ie sens général de « mot ». 3. Kit., I, p. 7. 4. Ibid., p. 278. 5. Ibid., I, p. 181. 180 verbe 1, Sibawayh parle bien de verbe transitif et de complement d'objet sur lequel s'exerce 1'action du sujet du verbe, et il se garde d'oublier que c'est 1'intention significative du locuteur qui dicte la flexion des noms, car, dit-il, « quand vous inversez la phrase: daraba `Abdu-l-Lahi Zaydan ('Abd Alldh a frappé Zayd) en: daraba Za.ydan `Abdu-l-Lahi, les termes de la seconde phrase sont tels qu'ils 6taient dans la premiere, car vous vouliez signifier la m6me chose dans 1'une et dans 1'autre ». De m6me, a propos du vocatif ind6termin6 ou bien suivi d'un compl6ment 2, il rapporte le point de vue de son maitre al-Halil pour dire: « On (les) a mis a 1'accusatif en raison de la longueur de 1'expression » (hina tala 1-kaldm). Mais son propre avis semble bien 6tre que l'accusatif dans les vocatifs est du a un verbe en ellipse. De mame encore pour l'accusatif dans la construction exceptive, « 1'objet de 1'exception, dit-il, est 4 l'accusatif parce qu'il est mis hors de ce que 1'on a place dans une categorie ?) (mu?,ra# mlb'mmd udhila f ih ?ayruh) 3. la fréquence avec laquelle Bien d'autres exemples montreraient la volont6 du locuteur dans 1'6conomie font intervenir et son maitre lui des flexions, 6conomie oh intervient tant6t une intention significative, tant6t une preference phon6tique pour adopter un signe plutot que 1' autre. encore que lorsqu'il parle des « cinq particules », On remarquera c'est-a-dire inna et ses analogues 4, il compare leur action dans la phrase a celle du nombre « vingt par exemple: « Celui-ci, dit-il, est assimil6 (subbiha) a un verbe et met a 1'accusatif ... 11 en est de m6me pour les cinq particules ». On notera enfin que Sibawayh, 4 propos du genitif 5, dit qu'il est le cas de tout nom qui est second terme dans une annexion (kull ism mudaf ilayh). 11 ajoute qu'il est mis au g6nitif soit par quelque chose qui n'est ni un substantif ni un nom circonstanciel (comme: a, par, etc.), soit par un nom circonstanciel (comme: devant, derrière, etc.), soit par un substantif (comme dans: la maison (de) ton fr6re).Il a soin d'ajouter plus bas que lorsqu'on dit: je suis pass6 pres de Zayd, on a annex6 1. 2. 3. 4. 5. Kit., pp. 14-5. Ibid., p. 303. Ibid., p. 369. Ibid., I, pp. 279 sqq. Ibid., p. 209. 181 (le fait de) passer au (personnage de) Zayd, ce qui signifie visiblement que le g6nitif est le signe de la relation d'annexion. 11 n'en demeure pas moins que, lorsqu'il dit que le predicat est à un mis au nominatif par le sujet, que le nombre « vingt assimilé suit a les verbe met le nom qui le 1'accusatif, que prepositions mettent le nom au génitif, il use d'un langage qui sera repris par ses successeurs sans que ceux-ci y mettent sa finesse et ses nuances. On voit bien que, pour lui, le verbe par exemple est suivi de 1'accusatif pour signifier que l'action, émanant du sujet, s'applique 4 l'objet ; que le g6nitif, apr6s une preposition, marque une relation de dependance entre le nom mis au g6nitif et 1'action exprim6e par le verbe, et que lorsqu'il dit que la preposition met au g6nitif, il s'agit chez lui d'une expression cursive ou cette preposition est tout au plus un moyen terme exprimant la relation. 'Izz al-Din al-Tanii?i, 1'6diteur de Halaf al-Ahmar, fait le m6me genre de remarque quand il note que lorsque Halaf parle de particules qui mettent au nominatif, il veut dire simplement que les noms qui les suivent sont au nominatif 1. On pourrait lui faire remarquer que le style de 1'auteur est bien malhabile, et d'autant plus dangereux qu'il s'agit d'un manuel tr6s succinct. Les grammairiens ne manqueront pas de prendre « ou d'avoir 1'air de prendre » ces expressions au pied de la lettre pour aboutir a une personnification des ((r6gissants)> et a la generalisation du recours a ceuxci dans l'etude de toutes les structures grammaticales, autrement dit a un nominalisme substituera la recherche de la commodité à qui celle de la vérité. selon Ibn al-Anbdri, C'est ainsi que l'ecole de Kufa soutiendra, le est a l'indicatif absence de verbe par que r6gissants gouvernant le ou et au sein de cette mgme école, l'apoeop6 2, subjonctif que Kisa'i, voudra voir dans les prefixes de conjugaison les v6ritables « agents » de l'indicatif. De mdme, le grammairien de 1'ecole de Basra, jugeait que dans la phrase conditionnelle (sartiyya) c'etait le premier verbe qui du second, tandis que 1'ensemble de cette ecole régissait 1'apocope estimait que c'6tait a la fois la particule conditionnelle et le premier verbe, du fait de la dependance du second verbe a leur 6gard 3. 1. Muq., p. 36. 2. Ins., p. 266 ; mais si elle considère que l'indicatif est en quelque sorte le «signe zéro », ellemontre par là-même que l'absence de signe est un signe, ce qui fait apparaître le caractère purement formel de celui-ci. 3. Ibid., pp. 250-1. 182 Enfin, dernier exemple, dans la question de 1'accusatif pour le complement d'objet direct 1, Kufa était d'avis que les « agents » de l'accusatif 6taient a la fois le verbe et le sujet, tandis que Basra voyait dans le verbe seul le « regissant par rapport a la fois au sujet et au complement. Comme on peut le voir, on 6tait loin du locuteur et de ses intentions leur demarche dans la m6me voie, les grammairiens Poursuivant - ceux de Kifa en l'occurrence - en arrivaient a des raisonnements Ils soutenaient, invraisemblables. par exemple, que la particule inna a sur le met 1'accusatif, et n'est pas responsable sujet qu'elle n'agit que du nominatif du pr6dicat. En effet, disaient-ils, inna est une branche ( far'), elle ne régit que par assimilation au verbe qui, lui, est un principe la branche ne peutetre egale au principe et c'est pourquoi inna ne peut r6gir qu'un nom et non pas deux comme le verbe. C'6tait admettre que le bedouin d'Arabie était dou6 d'une mentalité de juriste et qu'il s'6tait tenu de pareils raisonnements quand il construisait son langage. Il n'est nul besoin de multiplier les exemples; le Kitab al-Insaf d'Ibn al-Anbdrl, dans ses nombreuses relations de controverses, montre suffisamment que 1'une et 1'autre écoles se sont trop souvent laissees aller a considérer les termes memes de la phrase comme des r6gissants concrets, avec leurs vertus et leurs limites. Elles en sont venues a discuter « a fleur de phrase » pourrait-on dire, au lieu de toujours a le fait le est un ensemble de signes present 1'esprit que langage garder et dont chaque 616meiit doit manifester destin6s a la communication, 1'intention significative du locuteur, et viser essentiellement a atteindre sans erreur 1'intelligence de 1'auditeur et sa sensibilité. Quelles hypotheses peut-on formuler quant au « comment » de cette deviation ? Lorsque le P. H. Fleisch 2 reproche a al-Halil et a Sibawayh « d'avoir travai]16 sans prendre de hauteur, au niveau des faits, travail qui devait rester superficiel)), cela nous semble excessif dans la mesure ou le d'une somme des faits grammatiKitab, premier essai d'6tablissement caux en arabe, ne perd pas de vue 1'aspect vivant du langage, le « propos » de celui qui parle, son intention significative. Le style de 1'ouvrage, encore trop concis et trop dense, peut paraitre malhabile et denoter un manque d'exp6rience dans 1'exposition scientifique. Mais on doit 1. Ins., p. 40. 2. Philol., I, p. 24. 183 se rappeler que le livre ne joue pas a cette 6poque le role qu'il joue dans notre monde moderne. 11 n'est en realite qu'une base de depart - comme qui consistera a en faire 1'ex6g6se pour un enseignement le et a et Coran discuter les on le faisait pour rechercher, exposer implications de chaque passage 1. ont d6vi6 par rapport aux Mais il demeure que les grammairiens bases sur lesquelles sont partis un Halil, un Sibawayh ou m6me un la responsabilite Halaf al-Ahmar. On peut en imputer partiellement au fait que ni les maitres, ni les disciples ne se sont avis6s d'6tudier 1'evolution de la langue arabe, ou de la comparer a d'autres langues sémitiques; elle était pour eux un objet d'6tude accompli et fixe une fois pour toutes, et qui avait trouv6 sa perfection dans le texte coranique. 11 fallait s'attendre a les voir contraints d'inventer des arguments artificiels, faute de ceux que leur eut fourni 1'etude diachronique ou la comparaison inter-linguistique. Si, d'autre part, on consid6re 1'epoque ou sont n6es, chez les Arabes, on peut penser les preoccupations linguistiques et leurs motivations, a circonstances incitaient d'abord 1'6tablissement de regles que les aisées a comprendre et a appliquer, a la redaction d'ouvrages tels que le manuel de Halaf al-Ahmar qui, au prix de raccourcis et de confusions possibles, r6pondait sans doute mieux au besoin de voir clair dans la grammaire arabe que le Kitdb, fort complet mais bien complexe, de Sibawayh et de son maitre. Outre les carences deja signal6es a leur certains termes techniques propos, leur faute aura ete d'introduire et une certaine presentation des faits, qui ont ouvert la voie a un formaoutrancier et contribue a faire de la syntaxe arabe lisme grammatical une dialectique et une casuistique arides qui tournerent bien souvent le dos a la realite du langage 2. Enfin, on peut se demander dans quelle mesure les successeurs d'alHalil et de Sibawayh n'ont pas adopte consciemment, dans le develop1. Le procédé est encore en usage à notre époque, en toute matière d'enseignement, dans les madrasa(s)traditionnelles. Quant à l'absence de discussionsentre grammairiens (Philol., I, p. 13), les arguments et contre-arguments cités tout au long du Kit�bal-Ins�f semblent indiquer au contraire qu'il y eut de nombreux échangesde vues entre grammai. riens, et la manière dont Sibawayh pousse son maître Halil dans ses derniersretranchements à propos du vocatif (Kit., I, pp. 303-4)montre que l'enseignement ne se limitait pas à un simple exposé du maître. 2. Mais les richesses recueilliespar Sibawayh ne seront pas perdues pour autant, et les grammairienscontinueront à examiner méticuleusementtoutes les structures possibles pour leur trouver une explication et une signification logiques. 184 pement de la grammaire, la ligne de conduite qui leur est reproch6e. En effet, dans la division des sciences en arabe, 1'6tude des intentions significatives du sujet parlant a ete finalement classée dans la rhetorique ('ilm al-balaga). Ils ont pu estimer superflu d'exposer tout le 4 partir d'616ments qui, pour detail des m6canismes grammaticaux d'un autre faisaient eux, champ d'6tudes, et la tentation pouvait partie a d6monter et remonter 1'horlogerie gramforte de se borner Atre bien maticale telle qu'elle se pr6sentait, sans se pr6occuper de l'horloger. 11 ne s'agit la que d'une hypothese, mais elle pourrait meriter d'etre examinee. Il reste cependant, par dela ces defauts ou ces deviations, a se poser une question: celle du role ult6rieur de cette grammaire dans 1'exegese du texte coranique qui lui avait servi de point de depart. C'est par sa connexion avec les branches de la rb6torique, en particulier celle des « figures de constructions », qu'elle a permis aux exegetes d'extraire du texte coranique toutes les ressources, toutes les nuances qu'ils ont pu y d6couvrir. Si le Coran a pu Atre considere comme le fondement imntuable de toute loi r6gissant les hommes et la Creation tout enti6re, c'est en partie par un acte de foi implicite dans la conception m6me de la Revelation des noms de Dieu Coranique, Verbe 6manant du Dieu de Verite -1'un mais c'est en Islam est al-IIaqq (la Vérité) -; 6galement par la mani6re Celle-ci en effet apporte remede m6me de concevoir la grammaire. a ce caractere immuable du texte sacre par une approche fonctionnaliste des formes du langage; elle enrichit a tout instant les elements nouvelles par la et les structures de significations et d'implications consideration de leurs rapports. Par la-meme, elle illustrera la grande loi humaine qui fait aboutir et sociales a un ordre stable, mais fait les revolutions intellectuelles mouvement des que l'immuable tend a s'6tablir. 1'element de apparaitre * * Ainsi la demarche des premiers grammairiens arabes, partie de documents et des du texte poetiques transmis par coranique 1'ex6g6se la tradition orale, a mis un siecle et demi a jeter les bases de la syntaxe. Du fait de leur point de depart m6me, ces premiers grammairiens ne de ses oublier le role du sujet parlant, ni l'importance pouvaient Mais leurs dans 1'6conomie des structures. intentions significatives imleur 6taient encore h6sitants, terminologie proc6d6s d'exposition 185 parfaite, et leurs tendances différentes quant a la conception et au but de la recherche grammaticale. des sciences coraniques impregnees de l'autorite de L'importance la Revelation, la nian18re de concevoir la r6partition des domaines entre les sciences linguistiques, le besoin aussi de mettre a la port6e de chacun une m6thode sure d'assimilation et de maniement de la concouru au phrase arabe, autant d'616ments qui ont probablement dessechement de la syntaxe arabe entre les mains de leurs successeurs, a sa transformation en une science formelle qui avait oubli6 que c'est 1'homme qui s'exprime par le langage et a travers le langage. Mais si leur conception trop logique et mentaliste du langage les a entraines parfois bien loin dans les artifices explicatifs, elle ne les a pas einp6ch6s de d6couvrir et d'exploiter bien des richesses de la langue arabe et du texte majeur de cette langue: le Coran.