ÉDITORIAL La pharmacogénétique entre enfin dans la pratique médicale Pharmacogenetics on its way toward clinic “ A lors que la pharmacogénétique apparaît au milieu du siècle dernier avec la description d’hémolyses sous antipaludéens chez les patients déficients en G6PD, il faut attendre le xxie siècle pour qu’elle soit mise à la disposition des cliniciens. Et encore, timidement, avec un accès confidentiel limité aux centres hospitalo-universitaires, sans indications officielles bien claires ! Pr Laurent Becquemont Pharmacologue médical, faculté de médecine et université Paris-Sud, unité de recherche clinique et centre de recherche clinique, hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre. Pourquoi ce retard à l’introduction de tests pharmacogénétiques dans la pratique médicale de routine ? Il existe plusieurs raisons à cela : peu de gens, finalement, connaissent la pharmacogénétique, qui n’est guère enseignée en faculté de médecine, car seul un nombre réduit d’enseignants maîtrise cette discipline. L’information concernant les médicaments pour lesquels un test pharmacogénétique est utile ou indispensable n’est pas consensuelle. Les modalités pratiques, en médecine ambulatoire, représentent également un frein : s’il faut réaliser un test pharmacogénétique avant de prescrire un médicament, il faut revoir le patient avec le résultat pour décider ou non de prescrire le médicament. Le délai pour obtenir le résultat d’un test pharmacogénétique et savoir où adresser le patient “refroidit” souvent le prescripteur. Enfin, l’un des arguments les plus utilisés concerne le faible niveau de preuve des données pharmacogénétiques. Tous ces freins sont progressivement levés : les pharmacologues, les toxicologues, les biochimistes, les oncologues commencent à maîtriser le sujet et à l’enseigner, notamment dans le domaine de l’oncologie médicale. Un réseau national pluridisciplinaire de pharmacogénétique s’est constitué depuis quelques années pour assurer la qualité et l’accessibilité des tests, et diffuser l’information sur leur pertinence clinique (1). Cette question de la pertinence clinique est en effet la plus importante. Autant le niveau de preuve des données sur la pertinence des tests pharmacogénétiques au regard de l’efficacité à long terme de certains médicaments est souvent encore incertain, autant des informations purement pharmacologiques pourraient systématiquement être transcrites dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) ; ainsi, quand un médicament est éliminé par voie rénale, il paraît évident d’adapter sa posologie au débit de filtration glomérulaire en se basant sur une simple étude pharmacocinétique menée sur de petits groupes de patients ayant divers niveaux de fonction rénale. Autant, quand une même étude pharmacocinétique indique clairement qu’en fonction du génotype d’une enzyme hépatique les concentrations plasmatiques d’un médicament diffèrent d’un facteur 2 à 30, on ne traduit pas ces données dans les AMM, pourquoi ne recommande-t-on pas, comme dans l’insuffisance rénale, d’adapter la posologie au génotype : est-ce par ignorance de la pharmacogénétique que les régulateurs ne tiennent pas compte de ces données et ne les font pas 64 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 27 - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 LPH-03-2013.indd 64 01/10/13 11:07 ÉDITORIAL entrer dans le libellé des AMM ? Je le crains, hélas, mais, fort heureusement, les effectifs se renouvellent, avec de nouvelles connaissances, et les agences réglementaires (en particulier la Food and Drug Administration) intègrent de plus en plus de données pharmacogénétiques dans les AMM. Parallèlement, l’Agence de la biomédecine reconnaît et collige l’activité nationale de pharmacogénétique (2). Elle délivre également l’agrément pour l’examen des caractéristiques génétiques (restreintes à la pharmacogénétique) d’une personne à des fins médicales. Grâce au travail mené par le réseau national de pharmacogénétique, le portail des maladies rares, Orphanet, a intégré certains tests de pharmacogénétique pour une meilleure diffusion de l’information auprès des patients et des prescripteurs (3). 1. www.pharmacogenetics.fr 2. http://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2011/ donnees/diag-post/01-genetique/synthese.htm#t6 3. http://www.orpha.net L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec les laboratoires GSK, Roche, Sanofi et Servier. Ces initiatives sont à l’origine d’un doublement annuel de l’activité de pharmacogénétique exercée dans le cadre du soin : 6 442 analyses pharmacogénétiques ont été pratiquées en France en 2009, 11 564 en 2010 et 21 037 en 2011. Ces chiffres ne comprennent pas l’activité d’oncogénétique (sur les tumeurs), qui croît de façon quasi exponentielle. Vous trouverez dans ce numéro quelques exemples pertinents d’application de la pharmacogénétique – tant en ce qui concerne la pharmacogénétique constitutionnelle que l’oncogénétique (somatique) – qui, je l’espère, contribueront à promouvoir cette activité, dans l’objectif de toujours mieux prescrire les médicaments. ” AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. 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