La_poesie_se_porte_plutot_bien

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La poésie se porte plutôt bien : Activité complémentaire 2
(Article du site Internet enviedecrire.com du 7 mars 2011)
On pensait que la poésie n’était plus ni vendue ni lue. Détrompons-nous. Car d’après le sociologue
Sébastien Dubois, qui travaille sur l’édition de poésie contemporaine, la poésie se porte plutôt bien.
Extrait d’un entretien accordé au magazine français, Livres Hebdo :
La poésie est-elle toujours un genre littéraire majeur et un secteur économique marginal ?
Sébastien Dubois : Oui, dans le sens où certains poètes contemporains entrent encore au Panthéon
littéraire. Yves Bonnefoy est inscrit dans les programmes scolaires, à l’agrégation de lettres, il a atteint
une notoriété internationale incontestable. Théâtre et poésie représentent ensemble 0,2 à 0,4 % du
marché du livre, contemporains et classiques inclus, et environ 1 % du lectorat français lit de la poésie.
On estime qu’un tiers des ventes sont en dessous de 500 exemplaires, un tiers autour de 500, et un tiers
au-delà. Un auteur contemporain peut vendre 5 000 exemplaires la première année, puis 500 l’année
suivante. En les cumulant, les chiffres ne sont pas si mauvais comparés au roman contemporain. En
poche, on passe à une autre échelle, de sorte que ce format constitue un enjeu très important pour la
poésie contemporaine. Il correspond de plus à une consécration. En poésie, la réputation se transforme
sur le long terme en profit économique. C’est parce qu’un auteur est reconnu comme un grand auteur
qu’il va ensuite réussir sur le marché. Il s’agit d’une économie inversée, comme dirait Bourdieu : le
symbolique précède l’économique.
Comment la poésie contemporaine, qui a besoin de temps, survit-elle dans un marché du livre de
plus en plus rapide ?
S. D. : On la croit souvent en crise, alors que si l’on compare la réalité économique, elle est plutôt mieux
lotie aujourd’hui qu’au début du XXe siècle. Les ventes étaient bien moindres, et les poètes ne pouvaient
pas compter sur des éditeurs aussi importants que Gallimard. En revanche, elle est moins visible car son
économie s’oppose aux logiques dominantes sur le marché du livre. Mais la poésie contemporaine a
réussi à construire un monde économique, des réseaux spécifiques et assez bien répartis sur le territoire
qui associent des éditeurs, des diffuseurs, des libraires et des lieux de diffusion comme les marchés de la
poésie ou les maisons de la poésie.
Qui sont les poètes ? S. D. : Ils ont fait des études longues, plus de la moitié sont enseignants, et bon
nombre sont universitaires. Yves Bonnefoy enseigne I’histoire de I’art, Michel Deguy la philosophie
(ses écrits sur Heidegger : sont incontournables)… Ce sont des références dans le monde intellectuel.
Finalement, ils ne sont pas très différents de Baudelaire parlant de Delacroix. La poésie est toujours le
fait d’une élite. Cette élite est un peu plus large aujourd’hui, et l’institution scolaire joue un très grand
rôle dans la diffusion. Mais la poésie reste un art élitiste, et donc partagé par une élite.
Comment un poète est-il reconnu comme tel ? S. D. : Un poète, lorsqu’il débute, va être jugé par les
autres poètes, qui ont à l’esprit une série de critères et une histoire littéraire qui vont orienter leur
jugement. De sorte que si vous ne prenez pas en compte ce qui s’est fait par le passé, si vous ne produisez
pas une analyse dessus, vous n’avez aucune chance de réussir. Ainsi, Michel Houellebecq est
complètement absent des débats en poésie contemporaine.
A quoi tient ce processus ? S. D. : Depuis le milieu du XIXe siècle, il ne s’agit plus d’appliquer un
code mais d’en inventer un. Il faut donc dire ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Contrairement
à une idée répandue, la poésie est un art technique, c’est-à-dire qui nécessite un long apprentissage dans
la maîtrise des formes, l’histoire de la poésie, la connaissance de la poésie contemporaine. L’art le plus
proche de la poésie, de ce point de vue-là, c’est la musique contemporaine savante : ce sont des arts
intellectuels, jugés par des pairs.
Est-ce pour cela que la poésie contemporaine reste malgré tout confidentielle ?
S. D. : Le décalage avec le grand public vient de la socialisation aux oeuvres de poésie telle que la
propose l’école. A de rares exceptions près, les élèves s’arrêtent à Apollinaire. Ses oeuvres les
plus populaires sont celles dans lesquelles il emploie une métrique assez classique, des poèmes encore
très marqués par le romantisme. Or les poètes contemporains vont beaucoup plus loin aujourd’hui, ils
ont inventé d’autres choses. Sur ce point, l’université est aussi très conservatrice. Dans les cursus
littéraires, vous avancez vers la création contemporaine à mesure que vous progressez en années. On
estime qu’il faut d’abord connaître ce qu’il y a eu avant.
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