A propos du débat sur le tiers payant: Une information indigente *

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A propos du débat sur le tiers payant:
Une information indigente
*
Les informations qui nous parviennent par les médias au sujet de la polémique sur le tiers
payant sont confuses, incomplètes et presque contradictoires. On nous raconte que le ministre1 de la
Santé, Mme Touraine, a présenté un projet de généralisation du tiers payant pour les prestations
médicales, ce qui soulève une tempête de protestations du corps médical. Et on ajoute que, grâce à
cette réforme, les patients n'auraient plus un sou à payer pour lesdites prestations. On nous indique à
l'appui de la réforme des tas d'exemples d'autres pays européens dans lesquels les patients
bénéficieraient déjà depuis plus ou moins longtemps de la gratuité des soins médicaux. Des
défenseurs sans mandat de la réforme nous expliquent que la France serait bien mal venue de ne pas
réaliser une telle réforme hautement sociale. La réforme porte sur le tiers payant, mais les médias
nous parlent de la gratuité des soins: serait-ce la même chose?
Voilà qui serait bien surprenant. Au moment où tous les comptes sont en rouge, où tous les
organismes publics, mais aussi la Sécurité sociale, se débattent avec des déficits abyssaux; alors
qu'il arrive périodiquement que l'on raye de la liste des prestations remboursables un contingent de
médicaments qualifiés parfois un peu vite de "spécialités de confort"; au moment où le
Gouvernement recherche tous les moyens grands et petits, voire minuscules, pour faire quelques
économies, voilà qu'il entreprendrait une réforme, que dis-je, une révolution dont la conséquence
immédiate serait des milliards de dépenses supplémentaires! Quels que soient les mérites
théoriques d'un système de gratuité totale des soins dans un contexte économique et budgétaire
idéal – mérites qui seraient d'ailleurs à soumettre à un sérieux examen –, il semble évident que
M. Hollande n'irait pas cautionner un projet aussi ruineux. Que lui dirait la Commission de
Bruxelles!
Pas une seule fois, je n'ai entendu à la radio ou à la télévision l'expression "ticket
modérateur". Chacun sait qu'actuellement, à part quelques cas bien déterminés pour lesquels la
Sécurité sociale supporte la totalité du coût de certaines prestations médicales, la règle de droit
commun, c'est qu'il existe un ticket modérateur, c'est-à-dire une fraction du coût qui reste à la charge
du patient. Passer de ce système à la gratuité totale occasionnerait une dépense sociale
supplémentaire énorme. Tout se passe comme si les journalistes ignoraient ce détail.
En revanche, ils s'étendent avec complaisance sur une difficulté, bien réelle j'en conviens,
mais tout de même marginale par rapport à la question du ticket modérateur, c'est de savoir
comment la Sécurité sociale ferait techniquement pour récupérer les "contributions forfaitaires",
introduites naguère par la réforme Douste-Blazy, et par lesquelles on vous retient un demi-euro par
ci, un euro par là, et parfois un peu plus, sur un certain nombre de prestations. Vous payez une
consultation de généraliste 23 euros. Le ticket modérateur est de 6,90 euros, c'est-à-dire que la
Sécurité sociale vous rembourse 16,10 euros. Toutefois, il y a une sorte de taxe, une "participation
forfaitaire" de 1 euro, à récupérer par la Sécurité sociale. Je n'ai jamais compris pourquoi, dans ces
conditions, on n'a pas décidé tout simplement que le ticket modérateur n'était plus de 6,90 euros,
mais de 7,90 euros, le remboursement étant ainsi ramené de 16,10 à 15,10 euros. Non, non,
l'ingéniosité législative illimitée a été de dire que le remboursement reste de 16,10 euros, mais que
l'assuré doit à la Sécurité sociale une sorte de contribbution aux frais généraux des Caisses sous la
forme de cette "participation forfaitaire". A l'heure actuelle et en général, la Sécurité sociale profite
d'un remboursement qu'elle effectue en faveur d'un assuré social pour récupérer ces "participations
forfaitaires" en les déduisant du montant à verser à l'assuré. Mais comment faire s'il n'y a plus de
remboursement à opérer en faveur des assurés, puisqu'en vertu du tiers payant et de la gratuité
totale, les patients n'avanceraient plus aucune fraction des dépenses, et donc ne bénéficieraient plus
1
Je dis bien le Ministre, et non la Ministre.
d'aucun remboursement? Pourtant le gouvernement tient au maintien de ce système alambiqué des
contributions forfaitaires, et il y a là un problème pratique bien réel. Mais on s'arrache les cheveux
pour savoir comment régler la question d'un malheureux euro, alors qu'on ne dit pas un mot sur le
sort des tickets modérateurs qui représentent, et de loin, des montants globaux bien plus importants.
En réalité, tiers payant et gratuité des soins sont deux concepts distincts. Il peut y avoir tiers
payant avec gratuité des soins, auquel cas il est exact que les patients n'auront rien à débourser. Il
peut y avoir gratuité des soins sans tiers payant, auquel cas le patient doit avancer le montant de la
dépense, puis peut se faire rembourser la totalité de cette dépense. Et il peut y avoir à l'inverse tiers
payant sans gratuité des soins; dans un tel cas, le tiers payant ne jouera que pour la fraction de la
dépense à la charge de la Sécurité sociale, et l'assuré devra bel et bien payer de sa poche le ticket
modérateur. Ce tiers payant partiel est d'ailleurs déjà d'usage courant, par exemple en matière
d'achats de médicaments en pharmacie.
Les journalistes ne sont pas les seuls à avoir fait la confusion. N'ai-je pas entendu
M. Sarkozy nous expliquer qu'il n'était pas favorable à la gratuité des soins, et il a bien le droit de
n'y pas être favorable, mais la question n'est pas d'actualité. Les médecins ne font pas, me semble-til, la même confusion. En effet, autant que j'ai pu comprendre leurs protestations, c'est contre la
généralisation du tiers payant et de lui seul qu'ils manifestent.
D'ailleurs le site officiel de l'Administration explique ces mécanismes de façon très claire:2
"Lorsque vous consultez un professionnel de santé, vous le réglez immédiatement ; l'Assurance
maladie … vous rembourse ensuite les frais engagés, en totalité ou en partie…
Lorsque vous bénéficiez du tiers payant, vous êtes dispensé de régler immédiatement le
professionnel de santé :
- avec le tiers payant partiel, vous payez uniquement la part des frais non pris en charge par
l'Assurance maladie (c'est-à-dire le ticket modérateur),
- dans le cas du tiers payant total, vous n'avez aucun frais à régler."
Si l'on consulte, sur le site du Ministère de la Santé, la présentation du projet de loi de Mme
Touraine, on aboutit aux mêmes conclusions. Il est vrai qu'une lecture superficielle de cette
présentation peut donner à croire que les assurés ne supporteront plus aucun frais de santé. On y lit
en effet que le projet de loi "généralisera le tiers-payant", mais aussi que "plus aucun assuré
n’aura besoin d’avancer ses frais de santé". Toutefois, déjà, le mot "avancer" aurait dû alerter. Ce
sont les "avances", autrement dit les paiements provisoires finalement remboursables que l'assuré
sera dispensé d'effectuer. Ne faut-il pas conclure a contrario que l'assuré continuera à payer les
dépenses actuellement non remboursables? La suite du texte le confirme: "le dispositif concernera
la part prise en charge par la sécurité sociale et celle remboursée par les mutuelles." Il n'y a donc
dans cette réforme aucun pas en direction de la gratuité des frais de santé, et une bonne part des
commentaires des médias sont donc caducs.
Pourquoi une telle ambiguïté, un tel amalgame, de la part des médias? Ont-ils du mal à lire
les textes? Se sont-ils dispensés d'étudier sérieusement la question? Se sont-ils laissé duper par une
présentation officielle qui, de fait, peut induire en erreur? Ou bien se sont-ils efforcés de nous
tromper en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes et en cherchant à nous faire accroire
que le tiers payant signifie la gratuité des soins, ce qui ne pourrait évidemment que faire plaisir aux
patients? Je me garderai bien de trancher entre ces hypothèses, d'ailleurs toutes peu flatteuses pour
la qualité professionnelle de nos grands communicants.
Meylan, le 17 mars 2015
Romain ROCHAS.
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