A U T R E S M A L A D I E S S Y S T É M I Q U E S Autres maladies systémiques P O I N T S P O I N T S F O R T S F O R T S ■ L’exposition aux solvants augmente le risque de sclérodermie systémique. ■ L’analogie entre la sclérodermie systémique et la réaction du greffon contre l’hôte s’explique par un microchimérisme materno-fœtal. ■ Le rhumatisme fibroblastique : un diagnostic différentiel de la sclérodermie systémique. ■ L’association aspirine-héparine de bas poids moléculaire : un traitement des fausses couches répétées dans les maladies auto-immunes. ■ La ciclosporine peut être un traitement efficace des néphropathies lupiques sévères. ■ La pilocarpine per os : un traitement du syndrome de Gougerot-Sjögren. SCLÉRODERMIE Les facteurs de risque L’exposition aux solvants augmente le risque de sclérodermie systémique. Lacey et coll. (États-Unis) ont effectué une étude cas-témoin aux États-Unis (Michigan et Ohio) de 1985 à 1992. Ils ont comparé 472 sclérodermies féminines à 2 027 témoins appariés qu’ils ont contactés téléphoniquement. Cet interrogatoire a eu comme objectif d’analyser le type d’activité professionnelle ou ménagère exposant les patients à des solvants. Parmi 16 professions exposées, le nettoyage à sec (risque relatif : 1,46) et la coiffure (risque relatif : 1,64) augmentent le risque de sclérodermie systémique. Différents solvants et décapants semblent incriminés, en particulier le trichloréthylène (risque relatif : 2,3) et le gazoline (risque relatif : 1,78). Pathogénie Anomalies de la synthèse du collagène de type I dans la sclérodermie Les lésions sclérodermiques se caractérisent par une production excessive de collagène de type I par les fibroblastes dermiques. Cet excès de synthèse collagénique s’explique par une hyperactivité transcriptionnelle du gène du collagène I qui est liée à deux types d’anomalies : La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998 – Le promoteur du gène du collagène I peut être activé par le TGF bêta sécrété par les fibroblastes dermiques. Il s’agit donc d’un véritable mécanisme autocrine dont le signal inducteur est encore inconnu (Trojanowska et coll., États-Unis). – La régulation du promoteur du gène du collagène I des fibroblastes dermiques pourrait être anormale, comme l’a montré l’étude de la séquence du premier intron de ce gène (Hitraya et coll., États-Unis). Une meilleure connaissance de ces mécanismes peut aboutir à de nouvelles stratégies thérapeutiques dans la sclérodermie. L’analogie entre la sclérodermie systémique et la réaction du greffon contre l’hôte (GVHD “Graft-Versus-Host Disease”) s’explique par un microchimérisme materno-fœtal. Les analogies cliniques (sclérose cutanée, troubles de la pigmentation, syndrome sec) entre la sclérodermie systémique et la GVHD sont frappantes. En raison de cette analogie, plusieurs auteurs ont recherché un microchimérisme (c’est-à-dire la présence de cellules étrangères) dans le sang et les tissus de la sclérodermie. L’hypothèse d’un microchimérisme fœto-maternel a été évoquée en raison de la prédominance féminine de la sclérodermie, et surtout en raison de son déclenchement après une ou plusieurs grossesses. Ainsi un grand intérêt a été porté à la découverte de cellules fœtales dans la circulation sanguine ou les tissus maternels, même très longtemps après la grossesse (jusqu’à 37 ans après !). Il a été aussi démontré qu’un chimérisme materno-fœtal est possible, car des cellules maternelles peuvent passer et persister (durée non précisée) dans la circulation sanguine et les tissus de l’enfant. La survie de ces cellules “étrangères” s’explique par une compatibilité HLA de classe 2 qui permet de comprendre pourquoi elles ne sont pas éliminées par le système immunitaire de l’hôte. Ainsi ce microchimérisme pourrait, dans certaines conditions, participer à la pathogénie de la sclérodermie, comme l’ont signalé White et coll., Nelson et coll. et Artlett (États-Unis). Ils ont constaté que la fréquence de la compatibilité HLA de classe 2 mère-enfant était de 17 à 21 % dans la population générale mais de 64 à 73 % dans la sclérodermie. Cette constatation suggère qu’une compatibilité HLA de classe 2 mère-enfant pourrait favoriser l’apparition d’une sclérodermie en facilitant les phénomènes de microchimérisme. Dans les sclérodermies masculines et les formes féminines (sans antécédent de grossesses), ce microchimérisme peut être lié à la transmission de cellules lors d’une transfusion ou par la persistance dans l’organisme de cellules d’origine maternelle (HLA classe 2 compatibles). En effet Nelson et coll. (États-Unis) ont 25 A U T R E S M A L A D I E S démontré que chez une patiente atteinte de sclérodermie (n’ayant jamais eu d’enfant), il existe une sous-population lymphocytaire exprimant des marqueurs HLA classe 1 exclusivement d’origine maternelle. En effet, en comparant les haplotypes HLA, ils ont constaté que les antigènes HLA de classe 2 sont strictement identiques mais que les molécules de classe 1 diffèrent. La mère est HLA B44 et B35 et la fille B8 et B35. L’étude de l’ADN des lymphocytes de la patiente sclérodermique objective la présence d’ADN HLA B44 d’origine maternelle par une technique d’amplification génique (PCR). Il s’agit de la première description d’un microchimérisme materno-fœtal lié à la persistance de cellules maternelles dans la circulation d’un sujet adulte. La persistance de cellules fœtales peut être affirmée par la détection d’ADN chromosome Y par PCR chez des femmes sclérodermiques ayant donné naissance à un enfant mâle. Cette méthode, qui a été utilisée dans la plupart des études, a permis de constater que : – des cellules fœtales circulantes (lymphocytes) sont présentes dans la circulation de 40 à 50 % des sclérodermies, mais aussi de 20 à 50 % de femmes témoins saines, – des cellules fœtales ont été isolées dans la peau, le rein et le poumon sclérodermique chez 5 patients, mais ces résultats n’ont pas été comparés à ceux obtenus dans différents tissus sains. Au total, la constatation d’un microchimérisme materno-fœtal ou fœto-maternel est un phénomène tout à fait étonnant. Ce phénomène semble physiologique, surtout quand il existe une compatibilité HLA de classe 2 mère-enfant. Ce microchimérisme pourrait intervenir dans la pathogénie de la sclérodermie, mais des études ultérieures sont nécessaires pour comprendre les mécanismes des lésions cutanées ou viscérales sclérodermiques. Le rhumatisme fibroblastique : un diagnostic différentiel de la sclérodermie systémique Masson et coll. (Angers, France) ont décrit trois nouvelles observations de rhumatisme fibroblastique, portant à 17 l’ensemble des observations actuellement publiées. Cette affection, dont le sexratio est proche de 1/1, se caractérise surtout par des nodules cutanés (100 % des cas), des polyarthralgies ou une polyarthrite (95 % des cas), une sclérodactylie (90 % des cas) souvent associée (50 à 60 % des cas) à une contracture des doigts ou de la main (figure 1). Figure 1. 26 S Y S T É M I Q U E S Dans un tiers des cas, il existe aussi un œdème de la main, avec parfois un phénomène de Raynaud. Les signes généraux sont rares, mais une fièvre est signalée dans près de 30 % des cas. Dans les formes chroniques, des érosions osseuses épiphysaires sont notées dans 50 % des cas, avec exceptionnellement des arthropathies destructrices. Le diagnostic est évoqué devant les manifestations cliniques mais confirmé par l’histologie spécifique des nodules. Les diagnostics différentiels qui doivent être évoqués sont : la sclérodermie systémique, la fasciite palmaire paranéoplasique, la réticulo-histiocytose multicentrique, la cheiroarthropathie diabétique. Traitement de la sclérodermie par le collagène I per os Le principe de cette étude est le même que celui qui avait débouché sur l’utilisation du collagène II (per os) dans la polyarthrite rhumatoïde. L’objectif est d’induire une tolérance spécifique par l’administration de la protéine cible par voie orale. Postlethwaite et coll. (États-Unis) ont mené une étude ouverte incluant 20 sclérodermies systémiques traitées pendant 6 mois par du collagène I bovin administré per os à la dose de 0,1 mg/j pendant un mois puis 0,5 mg/j pendant les 5 mois suivants. Ce traitement a permis d’obtenir, après 6 mois, une amélioration significative du score cutané de Rodnan (p = 0,01) et une amélioration du score fonctionnel HAQ (Health Assessment Questionnaire) (p = 0,005). En revanche, on ne note pas d’amélioration de la capacité vitale ou de la capacité de transfert du CO (DLCO). Il n’y a eu aucun effet indésirable notable. L’amélioration clinique est confirmée par l’étude in vitro des lymphocytes de ces patients. Ces lymphocytes ont été cultivés (avant et après traitement) en présence des chaînes alpha 1 et alpha 2 du collagène I humain. Après traitement, on observe une décroissance significative des taux d’interféron gamma (IFNγ) et d’interleukine 10 (IL10) dans le surnageant de culture. Ces résultats démontrent que le traitement par collagène I per os a véritablement modulé la réponse lymphocytaire anti-collagène I. LUPUS ET SYNDROME DES ANTIPHOSPHOLIPIDES Incidence et morbidité du lupus : résultats d’une enquête épidémiologique de 1950 à 1992 (Mayo Clinic, Rochester, ÉtatsUnis) Depuis quelques années, il semble que l’incidence du lupus soit en augmentation, mais aucune donnée épidémiologique précise ne permet de le confirmer. Gabriel et coll. ont mené à la Mayo Clinic une enquête rétrospective qui a permis de comparer l’incidence et la mortalité du lupus durant la période de 1950 à 1979 à celle de 1980 à 1992. Cette étude a permis de faire différentes constatations : – Durant la période de 1950 à 1979, l’incidence du lupus est évaluée à 1,53 nouveau lupus pour 100 000 habitants par an (lupus induits exclus) alors que cette incidence est de 5,8 pour la période de 1980 à 1992. Cette augmentation de l’incidence est parallèle à une baisse de la mortalité. En effet la mortalité, par rapport à la population générale, est moins forte de 1980 à 1992 (p = 0,015) que de 1950 à 1979 (p < 0,0001). Cette étude suggère que l’amélioration des traitements et surtout la découverte de lupus moins sévères grâce à l’utilisation de tests plus sensibles expliquent à la fois l’augmentation de l’incidence et la baisse de la mortalité. La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998 – Globalement, la prévalence actuelle du lupus aux États-Unis et dans différents pays européens (Royaume-Uni, Suède, Danemark) est évaluée de 0,25 à 1/1 000. Pour l’instant, nous n’avons pas de données épidémiologiques équivalentes en France. Morbidité et mortalité du lupus en Europe : résultats de l’enquête Eurolupus de 1990 à 1995 Hugues et coll. décrivent les résultats de l’enquête Eurolupus qui a inclus prospectivement, depuis 1990, 1 000 lupus issus de sept pays européens (Belgique, Italie, Norvège, Pologne, Espagne, Turquie et Royaume-Uni). – Après 5 ans d’évolution, seuls 9 % (n = 90) des lupus ont été perdus de vue. – 4 % (n = 37) des patients sont décédés d’atteintes viscérales lupiques (38 % des cas), d’infections (21 % des cas) et de thromboses liées à un syndrome antiphospholipides (16 % des cas). – 30 % (n = 308) des patients ont été hospitalisés (durée moyenne : 12 jours) pour une infection (11 % des cas), une néphropathie lupique (11 % des cas), une thrombose (7 % des cas), une complication cardiaque (7 % des cas), ou une atteinte du système nerveux central (6 % des cas). Les manifestations cliniques observées au cours de cette période sont très diverses, dominées par des manifestations articulaires (42 % des cas), des lésions cutanées (24 % des cas), une photosensibilité (14 % des cas) et une néphropathie (22 % des cas). Les autres manifestations sont plus rares (figure 2). Arthrites Lésions cutanées Néphropathies Photosensibilité Atteinte SNC Syndrome de Raynaud Sérites Vascularites Thromboses 0 10 20 30 40 50 % Figure 2. Manifestations cliniques cumulatives : Eurolupus 1990-1995. L’intérêt de cette enquête est de décrire de façon prospective l’évolution du lupus en Europe. En particulier, il est intéressant de constater que le syndrome des antiphospholipides est responsable de 16 % des décès et de 7 % des hospitalisations. Les complications du lupus L’atteinte cardiaque (bloc auriculo-ventriculaire congénital) du lupus néonatal : de nouveaux arguments en faveur du rôle pathogène des anti-Ro/SS-A et anti-La/SS-B Miranda et coll. (États-Unis) ont démontré qu’en induisant une apoptose de cellules myocardiaques fœtales humaines en culture, les antigènes Ro/SS-A et La/SS-B, initialement localisés dans le noyau cellulaire, vont être exprimés à la surface de vésicules cellulaires apoptotiques appelées “blebs”. Dans ces conditions, ces La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998 antigènes nucléaires deviennent accessibles aux anticorps antiRo et anti-La de la mère qui ont traversé la barrière fœto-placentaire. Ces anticorps maternels peuvent alors aggraver les lésions cardiaques fœtales en provoquant une véritable myocardite dont les lésions séquellaires néonatales sont des troubles de la conduction (bloc). In vivo, il reste à comprendre quels sont les facteurs qui induisent l’apoptose des cellules myocardiaques fœtales. En fait cette complication, qui ne touche qu’une femme sur vingt avec des anti-Ro/SS-A, nécessite la conjonction de plusieurs facteurs et probablement une agression myocardique inaugurale (infection virale ?). Des travaux récents de cette équipe avaient démontré que les anticorps anti-Ro 52 kDa bêta (forme tronquée de Ro 52 kDa) étaient significativement associés à l’atteinte cardiaque fœtale, en particulier parce que le cœur du fœtus exprime une plus grande quantité d’antigène Ro 52 bêta pendant la phase de mise en place de l’ébauche cardiaque (16e et 24e semaines in utero). Miranda et coll. (États-Unis) ont immunisé des souris femelles Balb/C avec des antigènes humains recombinants La 48 kDa, Ro 60 kDa, Ro 52 kDa alpha et bêta. Seules les souris immunisées avec Ro 52 kDa alpha et bêta ont donné naissance à des souriceaux atteints de blocs auriculo-ventriculaires complets (respectivement chez 1 souriceau sur 32 pour Ro 52 kDa alpha et 4 sur 45 pour Ro 52 kDa bêta). Ce travail confirme bien l’importance des anticorps anti-Ro 52 kDa (surtout bêta) dans la pathogénie de l’atteinte cardiaque du lupus néonatal. Cette étude expérimentale démontre également que cette complication est aussi inconstante dans le modèle expérimental que chez la femme avec anti-Ro/SS-A. Le syndrome des antiphospholipides Les anticorps anti-bêta 2-glycoprotéine I sont des marqueurs de la thrombose. Alarcon-Segovia et coll. (Mexico, Mexique) ont comparé 24 lupus compliqués d’un syndrome des antiphospholipides à 102 lupus sans thromboses. L’objectif de cette étude prospective a été de comparer la valeur des anti-bêta 2-glycoprotéines I (bêta 2 GPI) à celle des anticorps anti-cardiolipines (ACL). Différentes constatations ont été faites : – Les anticorps anti-bêta 2 GPI sont constamment présents en cas de thrombose, mais seulement chez 17 % des lupus sans thrombose (p < 0,0001). En revanche, il n’y a pas de différence de prévalence ou de titre des ACL dans ces deux groupes de lupus. – Une décroissance significative du titre des anti-bêta 2 GPI est observée chez tous les patients au moment de la thrombose, alors que le titre d’ACL ne baisse que chez 25 % des lupus qui thrombosent. Les anti-bêta 2 GPI sont donc un meilleur marqueur du risque thrombogène du syndrome des antiphospholipides du lupus. La fluctuation du titre des anticorps lors de l’événement thrombotique suggère que ces anticorps exercent un véritable rôle thrombogène. L’association aspirine-héparine de bas poids moléculaire : un traitement des fausses couches répétées dans les maladies autoimmunes. Laskin et coll. (Toronto, Canada) ont mené une étude ouverte destinée à juger de l’efficacité d’une association aspirine (100 mg/j) + héparine de bas poids moléculaire (rivéparine 4 900 U/j autoadministrée par voie sous-cutanée). Ce traitement a été administré à 50 patientes ayant la particularité d’avoir subi 27 A U T R E S M A L A D I E S au moins deux pertes fœtales associées à la présence d’au moins un autoanticorps (anticorps antinucléaire, anti-DNA natif, antilymphocytes, anticardiolipine et/ou anticoagulant lupique). Parmi les 43 patientes sur 50 qui ont fini l’étude, 35 (80 %) ont accouché normalement. Il n’y a pas eu d’anomalie congénitale, d’incidence anormale de prématurité ou de nouveau-nés hypotrophes. Il n’y a pas eu de complications hémorragiques (thrombopénie). Le seul effet indésirable a été une ecchymose aux points d’injection. Cette étude a également montré l’absence de retentissement des héparines de bas poids moléculaire sur la masse osseuse (sans que soient précisés les données techniques et les résultats chiffrés). L’association héparine de bas poids moléculaire et aspirine semble être un traitement efficace et bien toléré des fausses couches répétées présumées d’origine auto-immune. La rivéparine est disponible en France depuis quelques semaines pour la prévention des thromboses. Les ostéonécroses aseptiques Quel est le rôle des corticoïdes ? Wong et coll. (Hong Kong) ont observé 29 cas (10 %) d’ostéonécrose aseptique, essentiellement de la hanche (bilatérale dans 69 % des cas), parmi 291 lupus étudiés rétrospectivement. Ils ont comparé le groupe de lupus avec ostéonécroses aseptiques à 53 lupus appariés sans ostéonécrose. Ces deux groupes de lupus n’ont pas de différence clinique, biologique (anticardiolipine et anticoagulant lupique) significative en dehors d’une plus grande fréquence d’atteintes rénales (69 % versus 45 %, p = 0,02) et d’atteintes du système nerveux central (41 % versus 14 %, p = 0,0005) dans le groupe avec ostéonécrose. Dans ces deux groupes, la dose totale de corticoïdes est comparable (19,7 g versus 14,1 g, p = 0,09) mais le facteur qui semble favoriser le risque d’ostéonécrose est la dose totale initiale administrée pendant le premier mois (1,7 g versus 1,1 g, p = 0,01) et pendant les 4 premiers mois (4,4 g versus 2,8 g, p = 0,01). Ce travail confirme donc que la corticothérapie, en particulier la dose totale initiale, est le facteur de risque d’ostéonécrose le plus important au cours du lupus. La plus grande fréquence d’atteinte rénale et neurologique qui a été observée est donc simplement le reflet d’une maladie sévère nécessitant une corticothérapie plus forte. Quel est le rôle des anti-phospholipides ? Wong et coll. (Hong Kong) ont montré dans leur étude rétrospective qu’il n’existait pas de corrélation entre l’ostéonécrose aseptique et la présence d’anticorps anticardiolipines ou d’un anticoagulant circulant. En revanche, Gharavi et coll. (États-Unis) ont montré que les différents anticorps antiphospholipides (anticardiolipines, anti-bêta 2glycoprotéine I, anti-phosphatidyléthanolamine) peuvent être un facteur de risque de l’ostéonécrose dans le lupus et le syndrome des antiphospholipides primaires. Ce facteur de risque pourrait potentialiser le risque induit par la corticothérapie. Rôle de l’hyperhomocystéinémie ? Pétri et coll. (États-Unis) ont montré que l’hyperhomocystéinémie (> 13 µmole/l) peut augmenter le risque d’ostéonécrose. Dans une cohorte de 337 lupus suivis prospectivement pendant plus de 10 ans, ils ont constaté que l’hyperhomocystéinémie était significativement associée au risque d’ostéonécrose aseptique et de fractures ostéoporotiques. Cette hyperhomocystéinémie semble liée à l’atteinte rénale (en 28 S Y S T É M I Q U E S raison du métabolisme rénal de l’homocystéine) et à la prise de corticoïdes. L’hyperhomocystéinémie pourrait favoriser non seulement la morbidité cardiovasculaire, mais aussi l’ostéonécrose aseptique du lupus. Traitement du lupus Le méthotrexate peut être un traitement efficace du lupus sans atteinte viscérale sévère Sato et coll. (São Paulo, Brésil) ont présenté une étude prospective randomisée en double aveugle comparant le méthotrexate (15 à 20 mg per os par semaine) à un placebo dans le lupus sans atteinte viscérale sévère. Parmi les 41 patients inclus, 37 ont suivi le traitement pendant 6 mois, ce qui a permis d’objectiver une certaine efficacité du méthotrexate : – une efficacité sur les signes articulaires et cutanés (p < 0,01), – une efficacité sur le score d’activité clinique SLEDAI (p < 0,01), – un effet d’épargne cortisonique (p = 0,02), – une hypocomplémentémie moins fréquente (p < 0,01). L’efficacité de ce traitement est intéressante mais on a noté des effets secondaires chez 13 patients sur 20 (65 % des cas). Ces effets indésirables sont, pour la plupart, mineurs : dyspepsie, cytolyse. Seuls deux patients ont arrêté le traitement pour des cytopénies sans complications infectieuses. Arce-Salinas et coll. (Mexico, Mexique) ont comparé le méthotrexate (7,5 à 15 mg per os/semaine) à l’azathioprine (< 50 mg/j) et à la chloroquine (< 225 mg/j) dans des lupus sans atteinte viscérale. Parmi 36 lupus stables sous azathioprine ou chloroquine depuis 6 mois, 19 ont poursuivi leur traitement et les 19 autres ont été traités par méthotrexate après randomisation. Les résultats de cette étude après 18 mois de traitement ont été : – une efficacité comparable de ces différents traitements d’entretien sur l’évolutivité globale évaluée par le score SLEDAI et par un score fonctionnel (HAQ), – un meilleur effet d’épargne cortisonique du méthotrexate (p = 0,05), – l’absence d’effet indésirable grave du méthotrexate. Cette étude démontre que le méthotrexate est comparable à l’azathioprine et à la chloroquine dans le traitement d’entretien du lupus sans atteinte viscérale sévère. La ciclosporine peut être un traitement efficace des néphropathies lupiques sévères Dostal et coll. (Prague, République tchèque) ont comparé, dans une étude ouverte, la ciclosporine (3 à 5 mg/kg/j) au cyclophosphamide (Endoxan®) utilisé aux doses thérapeutiques usuelles (per os ou intraveineux). Vingt-trois glomérulonéphrites dont 14 prolifératives diffuses (classe IV OMS) ont été traitées pendant 24 mois. Parmi les 11 patients traités par ciclosporine, 7 avaient été traités préalablement par cyclophosphamide, arrêté pour inefficacité (3 patients) ou intolérance (4 patients). Les deux groupes de lupus étaient comparables et ont bénéficié d’une corticothérapie identique. Les résultats de cette étude ont été les suivants : – Une efficacité équivalente des deux traitements sur l’atteinte rénale et les signes extrarénaux, notamment le score SLEDAI. Parmi les 14 patients qui ont eu une biopsie rénale de contrôle après un an, tous ont eu une diminution des critères d’activité histologiques (critères OMS). .../... La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998 A U T R E S M A L A D I E S S Y S T É M I Q U E S .../... SYNDROME DE GOUGEROT-SJÖGREN Les lymphomes du syndrome de Gougerot-Sjögren ont des caractéristiques originales Les lymphomes non hodgkiniens sont une complication assez fréquente du syndrome de Gougerot-Sjögren primaire (risque relatif 44). Ces lymphomes pourraient survenir dans 10 % des cas après 15 années d’évolution. Mariette et coll. (France) ont étudié 16 lymphomes B non hodgkiniens collectés dans deux centres français (Paris et Strasbourg). Il s’agit de 12 formes de bas grade et de 4 formes de haut grade. Les localisations sont essentiellement extranodales (glandes salivaires n = 7, estomac n = 4, poumon n = 3, peau n = 3, thymus n = 1) et plus rarement nodales (n = 8). Histologiquement, ces lymphomes sont décrits comme des lymphomes de la zone marginale de type MALT (“Mucosa Associated Lymphoid Tissue”) quand ils sont à tropisme muqueux, ou de type monocytoïde quand ils sont ganglionnaires. L’étude du tissu lymphoïde a montré qu’il existe assez peu d’anomalies des oncogènes et antioncogènes. Dans la plupart des prélèvements, il existe une hyperexpression non spécifique de Bcl-2 liée, une seule fois, à une translocation chromosomique 14-18 (t, 14-18) identique à celle que l’on observe dans les lymphomes folliculaires. Une hyperexpression de l’antioncogène P53 n’est observée que chez un seul patient. Cette hyperexpression est vraisemblablement la conséquence d’une mutation du gène P53 qui rend la protéine non fonctionnelle. Ce type d’anomalie, observée dans 10 à 15 % de l’ensemble des lymphomes, a donc une prévalence analogue dans les lymphomes associés au syndrome de Gougerot-Sjögren. L’étude virale des prélèvements, justifiée par les relations qui existent entre virus et syndrome sec, n’a pas permis d’isoler de génome viral des principaux virus lymphocytotropes (virus d’Epstein-Barr, HLTV 1, HHV 8), même avec des techniques d’amplification génique (PCR) spécifiques. Un traitement du syndrome de Gougerot-Sjögren : la pilocarpine per os Il n’y a pas de traitement spécifique du syndrome de GougerotSjögren, mais différents traitements symptomatiques visant à fluidifier ou stimuler les sécrétions (par un agent cholinergique) sont possibles à condition qu’il n’y ait pas d’atrophie glandulaire trop importante. Deux études prospectives randomisées en double aveugle contre placebo ont été menées pour démontrer l’efficacité de la pilocarpine per os en comprimé (Vivino et coll., Papas et coll., Sherrer et coll., États-Unis). Dans ces deux études, l’efficacité a été La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998 appréciée en étudiant 6 symptômes oraux, 4 symptômes extraoraux et la mesure du flux salivaire (en ml/min). Les résultats sont exprimés en pourcentage de répondeurs. La réponse est considérée comme positive quand l’amélioration, définie sur une échelle visuelle analogique (0 à 100 mm), a été estimée supérieure ou égale à 55 mm pour la réponse globale et supérieure à 25 mm pour les autres symptômes. Ce traitement a été évalué : – soit à dose croissante chez 256 patients traités par le placebo ou par 4 x 5 mg/j pendant 6 semaines, puis 4 x 7,5 mg/j pendant les 6 semaines suivantes de pilocarpine per os, – soit à dose constante chez 373 patients traités soit par placebo, soit par 4 x 5 mg/j ou 4 x 2,5 mg/j de pilocarpine per os. Les résultats montrent que seule la pilocarpine à la dose de 20 mg/j améliore significativement les symptômes oraux et extraoraux (figure 3). Ce traitement améliore également le flux salivaire (0,22 versus 0,01 ml/min, p < 0,001). Ce traitement n’a pas d’inconvénients majeurs, mais on constate fréquemment des sueurs, des dysuries ou des sensations de frissons. Seuls 4% des patients ont arrêté leur traitement en raison de ces effets indésirables. % de répondeurs – Aucun patient n’a arrêté la ciclosporine pendant la durée d’étude. Il n’y a pas eu de néphrotoxicité particulière. La ciclosporine et le cyclophosphamide sont des traitements efficaces des néphropathies lupiques sévères, mais la ciclosporine peut être une alternative intéressante, en particulier chez les patients résistants ou intolérants au cyclophosphamide. Un des intérêts principaux est que la ciclosporine n’expose pas aux mêmes risques carcinologiques (cancers, lymphomes) et gynécoobstétricaux (stérilité, tératogénicité) que le cyclophosphamide. 60 55 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 * ** Placebo Pilocarpine 20 mg * p 0,0001 ** p 0,04 ** ** ** Amélioration Sévérité Inconfort Utilisation Dysphonie globale de de la la sécheresse oral de substituts xérostomie salivaires Absorption nocturne de boissons Figure 3. Amélioration des symptômes oraux après pilocarpine per os. LES MALADIES AUTO-IMMUNES : DE LA SOURIS À L’HOMME Anomalies de l’apoptose et maladies auto-immunes : la souris lupique Lpr/Lpr et le syndrome de Canale-Smith La souris Lpr/Lpr développe spontanément un syndrome lupique et un syndrome lymphoprolifératif T (CD4–, CD8). Il a été démontré récemment que ces anomalies étaient liées spécifiquement à un déficit de l’apoptose cellulaire de la voie Fas-Fas ligand. Ce modèle expérimental démontre qu’un défaut d’apoptose peut favoriser l’apparition de phénomènes auto-immuns et lymphoprolifératifs. Très récemment, il a été démontré que le syndrome de CanaleSmith est l’équivalent humain du syndrome de la souris Lpr/Lpr. En effet ces patients développent un syndrome lupique (néphropathie, atteinte du système nerveux central, ulcération muqueuse, anémie hémolytique auto-immune, présence de différents autoanticorps) et des syndromes lymphoprolifératifs de malignités diverses. L’étude de plusieurs familles a démontré que ce syndrome était aussi lié à différentes mutations (hétérozygotes) du gène Fas (Elkon et coll., États-Unis, Hass et coll., Allemagne). Cette affection exceptionnelle, liée à un défaut d’apoptose, démontre que ce système contrôle la tolérance aux antigènes des 31 A U T R E S M A L A D I E S S Y S T É M I Q U E S globules rouges, les phénomènes d’auto-immunisation lymphocytaires et certains processus de lymphoprolifération. Déficit homozygote en fraction C1q du complément et lupus Le déficit homozygote en C1q favorise l’apparition d’un syndrome lupique. À ce jour, 30 des 32 patients répertoriés avec un déficit homozygote en C1q sont atteints de lupus. Cette association suggère un rôle particulièrement important du C1q (élément pivot de la voie classique du complément) dans la pathogénie du lupus. Ce déficit entraîne vraisemblablement une anomalie majeure de la clairance des immuncomplexes et/ou interfère avec les mécanismes de présentation de l’antigène qui interviennent dans la physiopathologie du lupus. Pour confirmer cette hypothèse, Botto et coll. (États-Unis) ont créé un modèle murin de souris déficientes en C1q. Ces souris développent rapidement une glomérulonéphrite à immuncomplexes associés à des titres élevés d’anticorps antinucléaires. Ce modèle confirme le rôle important du C1q dans la pathogénie de la maladie lupique. Cellules pancréatiques (îlots tranfection du gène du Fas lig Réinjection des cellules Pancréas HLA Ag TCR Ilots bêta Lymphocytes T "autoréactifs" pancréas Application thérapeutique des modulations de la voie d’apoptose du Fas-Fas ligand : l’activation expérimentale de la voie Fas-Fas ligand permet de traiter certaines maladies autoimmunes expérimentales Le principe thérapeutique est de transfecter des cellules présentatrices de l’antigène (système monocytes/macrophages) avec le gène du Fas ligand (Zhou et coll., États-Unis). Ces cellules doivent être syngéniques (provenant du même animal) pour être reperfusées après la transgenèse. Ce principe a été appliqué au lupus de la souris B6-gld/gld, à l’encéphalite expérimentale allergique du rat Lewis et au diabète de la souris NODE. Dans le modèle NODE, les cellules présentatrices qui ont été transfectées par le gène du Fas ligand sont des cellules pancréatiques (îlots bêta). Après réinjection de ces cellules transfectées, la souris NODE ne va plus développer de diabète : pas d’insulinite histologique, inhibition des lymphoproliférations dirigées contre les îlots du pancréas et l’insuline, inhibition de la production d’anticorps anti-insuline. Tout se passe comme si les cellules présentatrices de l’antigène exprimant Fas ligand avaient provoqué, après leur retour dans l’organe cible pancréatique, une apop- Figure 4. Utilisation thérapeutique expérimentale de la voie d’apoptose Fas-Fas ligand. Les cellules pancréatiques (îlots bêta), qui ont été transfectées avec le gène du Fas ligand, vont rencontrer les lymphocytes T autoréactifs qui reconnaissent l’antigène (0 = auto-antigène “pancréatique”) qu’elles présentent. Le contact va activer la voie Fas ligand-Fas, ce qui va induire l’apoptose spécifique de ces lymphocytes autoréactifs. tose spécifique des cellules T autoréactives responsables de l’affection auto-immune. La subtilité essentielle de ce modèle est d’avoir utilisé des cellules présentatrices spécifiques de l’organe cible, car ces cellules ont à la fois la capacité élective de rencontrer dans le site “malade” les lymphocytes autoréactifs, mais aussi de présenter l’autoantigène cible de ces lymphocytes autoréactifs (figure 4). Ce type de traitement pourrait avoir des implications dans les affections auto-immunes humaines. J. Sibilia Les articles publiés dans “La Lettre du Rhumatologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai1983 - EDIMARK S.A. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95100 Sannois - Dépôt légal 1er trimestre 1998 32 La Lettre du Rhumatologue - n° 238 - janvier 1998