Pédiatrie L’eau, l’enfant et l’hôpital Recouvrant les trois quarts de la surface de la Terre, l’eau est indispensable à la vie. C’est le constituant majeur de la matière vivante. Ses principales fonctions sont d’hydrater notre organisme, de lui apporter les sels minéraux nécessaires à son développement, de servir de véhicule aux échanges extracellulaires et de participer à l’épuration des déchets de notre corps. C hez l’adulte, l’eau représente 65 % du poids corporel total alors que, chez le nourrisson ou l’enfant, cette proportion s’élève à 75 %. Rapporté au poids corporel, le besoin en eau est trois fois plus important chez l’enfant que chez l’adulte. Proportionnellement, la surface de la peau du jeune enfant est le double de celle de l’adulte, d’où un risque de déperdition en eau plus considérable. Les besoins quotidiens en liquide pour un individu sain sont variables en fonction de son âge et de son poids. Chaque enfant a des besoins en eau qui doivent être satisfaits par les adultes pour qu’il puisse se maintenir en bon état de santé (toutes pathologies écartées). Les soignants travaillant à l’hôpital et ayant en charge des enfants doivent être attentifs à assurer la satisfaction de ce besoin. Un projet a été conduit par les cadres infirmiers et la puéricultrice, dans le service de chirurgie ORL et maxillo-faciale de l’hôpital RobertDebré à Paris (qui accueille chaque année près de 3 400 enfants), afin de savoir si l’apport hydrique journalier de l’enfant hospitalisé était satisfaisant. Il a débuté par l’étude des besoins en eau. Déshydratation : danger ! Comme chez tout individu, l’organisme de l’enfant perd de l’eau en respirant, transpirant, urinant ou déféquant. Cette déperdition est accrue pour la majorité des enfants hospitalisés dans le service et peut retentir sévèrement sur leur santé. L’origine de cette déperdition peut être : 1. Médicale : – si l’enfant est porteur d’une trachéotomie ; – si l’enfant garde la bouche ouverte en post-opératoire, ou s’il a une respiration tout ou en partie buccale après une amygdalectomie, une intervention au niveau nasal, un méchage narinaire, un blocage bouche ouverte, un blocage bouche fermée, une extraction dentaire ; – si l’enfant présente des difficultés respiratoires, même minimes ; – si l’enfant a un reflux gastroœsophagien (reflux alimentaire et liquide). 2. Consécutive au jeûne nécessité par un acte médical, radiologique ou chirurgical : l’organisme de l’enfant doit faire face à un nombre variable d’heures de jeûne avant une intervention mais aussi, dans la plupart des cas, avant une endoscopie, une IRM, un scanner ou un TOGD. 3. Infectieuse : les infections de la sphère ORL (otite) et buccale (stomatite) peuvent entraîner des déshydratations consécutives aux troubles qu’elles génèrent comme l’hyperthermie, le vomissement, la diarrhée. La journée type de deux enfants hospitalisés dans le service a été observée : un enfant de 8 mois pesant 8 kg non perfusé et un enfant de 5 ans pesant 17,5 kg et devant bénéficier d’une amygdalectomie. Dans le premier cas, l’apport hydrique devrait être de 150 ml/kg/ jour soit 1 200 ml d’eau par jour en dehors de toute déperdition accrue. Dans le second cas, pour répondre à ses besoins, l’apport hydrique devrait être de 1 500 ml par jour. Dans sa journée, l’enfant de huit mois aura reçu entre 854 ml et 913 ml d’eau. Il faudra donc ●●● Quantités d’eau définies généralement admises • Chez le nourrisson 150 ml/kg/jour soit un apport hydrique de 975 ml par jour pour un enfant de 5 mois pesant 6,5 kg (double son poids de naissance). • L’enfant de 1 à 3 ans 100 ml/kg/jour soit un apport hydrique de 1 litre par jour pour un enfant d’un an pesant entre 9 et 10 kg (triple son poids de naissance). • L’enfant de 4 à 6 ans 90 ml/kg/jour soit un apport hydrique de 1 litre par jour pour un enfant de 5 ans pesant 17,5 kg (gain d’environ 2 kg/an de 2 à 6 ans). • L’enfant de 7 à 10 ans 75 ml/kg/jour soit un apport hydrique de 1,8 litre par jour pour un enfant de 9 ans pesant 24 kg (gain de 2,5 kg/an de 6 à 12 ans). • L’enfant de 10 à 12 ans 70 à 50 ml/kg/jour • L’adolescent et l’adulte 50 ml/kg/jour soit un apport hydrique de 2 litres d’eau par jour pour un adolescent de 13 ans pesant 40 kg. 10 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 27-28 - juin-juillet-août 2001 compenser l’écart par des boissons à hauteur de 294 à 346 ml. L’enfant de 5 ans, hospitalisé la veille de l’intervention dans le service, y est à jeun depuis minuit. Il sera perfusé à partir de 8 heures du matin (au mieux) en per-opératoire, à 50 ml/h, puis en post-opératoire au même débit de perfusion. Il sera donc perfusé pendant 16 heures (de 8 h à minuit ce même jour), ce qui lui fait un apport de 800 ml. Opéré d’une amygdalectomie, l’enfant mange généralement le soir. Ce repas consiste en une glace de 100 g qui lui apporte 88 ml d’eau et un verre de 50 ml d’eau. L’apport hydrique cumulé de la perfusion et de l’alimentation se porte à 938 ml d’eau alors que ses besoins s’élèvent à 1 500 ml, le déficit est donc de 562 ml. La veille de l’intervention, le stress occasionné par l’opération limite l’appétit des patients, diminuant ainsi leur apport hydrique. Le lendemain, ce sont les difficultés à avaler liées à la douleur (malgré les calmants) qui freinent l’alimentation. Partant de ce constat, c’est bien pendant 2 à 3 jours que l’équilibre liquidien de l’enfant est perturbé. Ces deux exemples montrent que la perfusion et/ou l’alimentation ne suffisent pas à l’enfant pour répondre efficacement à son besoin en eau. Nous devons donc veiller à ce que les enfants boivent en cours de journée. ●●● Quelques questions Avant de mettre en place un projet d’action garantissant à l’enfant un apport hydrique satisfaisant, il semble important de répondre à quelques questions d’ordre pratique : – Où trouve-t-on l’eau ? – Comment reconnaître un enfant qui a soif ? – Quand peut-on proposer de l’eau à un enfant ? – L’eau est-elle formellement prohibée durant le jeûne préopératoire ? Où trouve-t-on de l’eau ? La source en eau la plus connue est l’eau de boisson. L’alimentation au lait maternel apporte la totalité des besoins hydriques du nouveau-né et du nourrisson jusqu’à l’âge de 3 ou 4 mois. L’alimentation au biberon contient 88 % d’eau. Les bouillies, purées et viandes contiennent 80 % d’eau. Les légumes et les fruits comptent jusqu’à 80 à 90 % d’eau. Le pain se compose de 35 % d’eau. Comment reconnaître un enfant qui a soif ? En fonction de son âge, l’enfant peut manifester sa soif par différents comportements. Parmi ceux-ci, les plus souvent retrouvés sont les suivants : – il pleure sans raison apparente, est grognon, insatisfait de tout ce qu’on lui propose ; – il arrête de jouer ou de faire ce qu’il avait en cours ; – il reste dans un coin, ne bouge pas ou au contraire vient subitement près de vous ; – il tourne en rond près d’un point d’eau ; – il refuse de manger. Dans la situation idéale, la moins fréquente cependant, il vient réclamer de l’eau. Quand peut-on proposer de l’eau à l’enfant ? Pour les nourrissons dont l’alimentation est dispensée essentiellement au biberon, il faut leur donner de l’eau entre deux repas. Un apport d’eau à distance trop courte d’un biberon de lait serait un choix peu judicieux. Pour les enfants, l’eau peut se proposer à tout moment de la journée au cours des repas et entre ceuxci. Il est cependant nécessaire, en milieu hospitalier, de veiller à adapter ces informations en fonction de la pathologie de l’enfant et des prescriptions médicales. L’eau et le jeûne pré-opératoire sontils incompatibles ? Le jeûne préopératoire a pour but de diminuer le risque d’inhalation du contenu gastrique au cours de l’anesthésie. Actuellement, le département d’anesthésie de l’hôpi- tal applique, pour la majorité des interventions programmées sous anesthésie générale, un jeûne de 8 heures pour les aliments solides et liquides. La durée de ce jeûne peut être de 4 à 6 heures avant l’intervention, pour les enfants qui ont une alimentation exclusivement lactée. S’agissant d’une prescription médicale, il ne nous appartient pas d’en discuter les termes à partir de l’instant où celle-ci ne nous semble pas dangereuse pour le patient. Cependant, depuis quelques années, des publications médicales tendent à démontrer : – que le jeûne prolongé ne garantit pas la vacuité gastrique au moment de l’induction anesthésique ; – que la réduction de la durée du jeûne liquidien, par l’autorisation de boissons “claires” (eau, sirop à l’eau, jus de pomme, thé et café) 2 à 3 heures avant l’intervention chirurgicale (à raison de 10 ml/kg), ne modifierait pas le contenu gastrique, et donc n’augmenterait pas le risque d’inhalation (1995, étude du département d’anesthésie-réanimation pédiatrique de l’hôpital de la Timone de Marseille). Le raccourcissement du jeûne liquidien a pour effet de diminuer la sensation de soif, rendant ainsi les enfants moins irritables. Par là même, il soulage parents et soignants qui trouvent de plus en plus difficilement des parades pour faire oublier la soif aux enfants. Le projet, qui avait pour objectif d’assurer aux enfants hospitalisés un apport hydrique satisfaisant au regard de leurs besoins en eau, a reposé sur une enquête menée au sein du service et sur l’analyse citée précédemment. Tout projet hospitalier trouve son utilité s’il représente une valeur ajoutée pour le patient et sa famille. C’était le but de cette étude. D’après les travaux menés par le service ORL de l’hôpital Robert-Debré, rapportés par Jean-Christophe Crusson, cadre supérieur infirmier. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 27-28 - juin-juillet-août 2001 11