Soins, sexe et tabous Les infirmiers à domicile concernés Maladies, traitements et opérations peuvent affecter la vie sexuelle des patients. En parler fonde-t-il la qualité des soins en permettant de répondre à leurs questions, leurs doutes, leurs angoisses ? « P our les infirmières se rendant au domicile du patient, il n’est même plus possible de se cacher derrière une blouse blanche », dit Nathalie Hamel, présidente d’Arches (Association de réflexion, de communication hospitalières et éducatives pour la santé). « Outre le fait d’entrer chez le patient, ajoute Kadidja Tahir, vice-présidente d’Arches, notre pratique implique des soins intimes : toilette, pose d’une sonde urinaire et suivi, lavement évacuateur, etc. » Elles ont toutes deux participé au programme “Tabous et santé”, qu’elles ont lancé avec les infirmières de dix pays européens. L’intimité et la sexualité constituaient un des quatre thèmes, avec la douleur, le pouvoir et la mort. Il s’agissait de mieux appréhender les difficultés rencontrées par les infirmières, souvent plus aiguës du fait qu’elles y sont confrontées seules, au domicile du patient. L’information du patient peut nécessiter de parler de sa sexualité. « Si le patient n’aborde pas le sujet, cela ne vient pas naturellement, dit toutefois Kadidja Tahir, même si cela concerne, par exemple, les effets secondaires du traitement. Nous avons tendance à reporter la responsabilité d’y répondre sur le médecin. Si c’est de notre ressort, nous pouvons répondre dès lors que nous disposons des connaissances nécessaires. » De l’avis même de l’infirmière libérale et de celle de HAD, elles ne peuvent tout expliquer. Ici, le réseau n’est en tout cas plus un vain mot. La cohérence des soins passe par celle de la coordination entre les intervenants, éventuellement de leur lien avec un soignant référent pour le patient. « Pour les patients n’étant pas hospitalisés, ces questions peuvent être envisagées avec le médecin traitant, qui passera les voir chez eux, poursuit-elle. Si les traitements ont été prescrits à l’hôpital, il faut se référer soit au service hospitalier les ayant prescrits, soit au médecin traitant qui a pris le relais. » Il faut tout de même ajouter que le patient, lui, choisit souvent, pour en parler, celle avec laquelle il a le plus de facilité à le faire. Doit-il rester dans l’ignorance et l’angoisse parce qu’il n’a pas choisi son interlocuteur selon des codes de préséance qu’il ignore ? On connaît pourtant l’effet considérable de ces questions intimes sur la vie des patients. « Un patient avec une colostomie se retrouve avec une poche, dit Kadidja Tahir. Cela peut rendre plus délicats les rapports sexuels avec un conjoint. Comment aborder cette difficulté ? Cette poche ne rend pas impossible l’acte sexuel. Mais c’est une gêne qui doit être dépassée. Alors, faut-il dire : ‘Et votre sexualité, comment ça va ?’ Cela nécessiterait de parler de bien des choses au-delà des soins techniques. Mais dans quel but ? Pour que le patient parle de cette gêne ? » C’est une question cruciale. Que valent les 14 besoins de Virginia Henderson que connaissent toutes les infirmières ? Que vaut une qualité des soins qui tiendrait compte de la qualité de vie et de relation du patient ? Que valent les droits du patient au consentement éclairé, c’est-à-dire à l’information ? Si ce ne sont pas que des formules creuses, renoncer à de telles valeurs serait une forte source de souffrance et de burn out. Il est difficile de refuser de prévenir la souffrance psychique qu’occasionnerait la détérioration de facteurs aussi déterminants. « Les infirmières stomathérapeutes parlent d’ailleurs de tout cela pour soutenir les patients anxieux, ajoute Kadidja Tahir. Il est possible aux colostomisés de porter cette poche et de conserver une vie sexuelle. Mais il faut avouer qu’il existe peu de prise en charge psychologique dans ce domaine. » Chaque jour, au domicile de patients comme à l’hôpital, ces questions se posent. « Un jeune homme, doit, à cause d’un cancer du rectum, porter un anus artificiel à vie, poursuit-elle. Sa femme est très jeune. Lui aussi. Comment font-ils ? Continuent-ils à avoir des relations sexuelles ? » Faut-il les laisser porter de telles questions seuls, et, lors des visites d’infirmière, ne surtout pas les aborder ? Dans certains cas, l’aspect psychologique prime sur l’aspect médical. Le refus de parler – pour tous, couple et soignants – n’est peut-être pas la meilleure attitude. Les cas ne manquent pas où l’infirmière libérale, pour apaiser les interrogations difficiles qu’un patient lui confie, sait aussi prendre le téléphone et élaborer une réponse commune avec le médecin. Marc Blin Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 47