Médecine & enfance Quoi de neuf… en ORL ? D’après la présentation de E.N. Garabédian, service d’ORL pédiatrique et de chirurgie cervicofaciale, hôpital d’Enfants Armand-Trousseau, Paris, université Paris VI-Inserm U587, lors de la 9e journée Arepege-Médecine et enfance, septembre 2009 Rédaction : H. Collignon L’ORL pédiatrique a connu des avancées majeures au cours des dernières années. Progrès de la génétique, développement d’outils de dépistage et d’appareillages qui ont modifié le diagnostic et la prise en charge de la surdité, développement également de la chirurgie endoscopique, qui a simplifié le traitement des pathologies laryngotrachéales de l’enfant… SURDITÉ : L’INTÉRÊT DU DÉPISTAGE NÉONATAL On estime entre 1/700 et 1/1000 le nombre d’enfants qui naissent avec une surdité moyenne à profonde ; 1 enfant sur 1000 devient sourd avant l’âge de quatre ans alors que les tests étaient initialement normaux (surdités évolutives). Au total, la surdité congénitale concerne 1 enfant sur 500. Une étude menée à l’hôpital Trousseau sur 160 enfants enregistrés entre 1991 et 2000 témoigne du retard du diagnostic ; l’âge au moment du diagnostic était ainsi de seize mois pour les surdités profondes et allait jusqu’à trente-six mois pour certaines surdités moyennes. Cette situation, qui n’a guère évolué au cours des dernières années, tient certes à des limites budgétaires, mais également à des problèmes médicosociaux et de formation médicale. Le dépistage de la surdité a longtemps été fait exclusivement sur les facteurs de risque : anoxie néonatale, petit poids de naissance, embryofœtopathies (notamment l’infection à CMV, qui est un grand pourvoyeur de surdités acquises congénitales), traitement par des ototoxiques et, plus rarement, méningites, antécédents familiaux, malformations cervicofaciales. On sait aujourd’hui que ce dépistage sur les seuls facteurs de risque ne détecte que 50 % des surdités de l’enfant. Une expérience nationale de dépistage néonatal a été lancée en 2005, impliquant six CHU (Paris, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Lyon et Lille) et fondée sur l’utilisation des potentiels évoqués auditifs automatisés. Cette méthode, parfaitement validée aujourd’hui, requiert un peu plus de temps que les otoémissions spontanées, dix minutes au lieu de trois, mais s’avère plus fiable que celles-ci, avec un taux moindre de faux positifs, et inclut le dépistage des neuropathies auditives. Les résultats recueillis dans les six CHU indiquent une incidence de la surdité de 1/1000 naissances, constante au cours des années. Ce dépistage précoce est d’un bénéfice certain pour l’enfant sourd, qui pourra ainsi être appareillé rapidement et profiter de tous les avantages que cela comporte pour le développement de son langage et son intégration sociale. En termes de coût, plusieurs études, nordaméricaines et françaises, témoignent de la rentabilité du dépistage. Le problème aujourd’hui n’est donc plus de prouver l’intérêt de ce dépistage précoce mais de le mettre en place sur l’ensemble de la France, en évitant les inégalités régionales. Une fois le dépistage réalisé, la confirmation du diagnostic repose sur différentes méthodes, d’une part des tests d’audiométrie subjective : audiométrie tonale, audiométrie vocale, ROC (réflexe d’orientation conditionné), peepshow, d’autre part des tests d’audiométrie objective : impédancemétrie, otoémissions acoustiques, potentiels évonovembre 2009 page 424 qués auditifs, ASSR (Auditory Steady State Response). L’ASSR est une méthode récente fondée sur le même principe que les PEA mais permettant une analyse sur plusieurs fréquences (pas seulement sur les fréquences aiguës) dès les premiers mois de vie. L’objectif de ces explorations est d’analyser le plus finement et le plus précocement possible le seuil de surdité pour adapter au mieux la prise en charge. L’annonce du diagnostic est un moment important, qui doit s’assortir d’un soutien psychologique et de la mise en place d’une guidance parentale. Aujourd’hui, le bilan étiologique d’une surdité doit comporter dans tous les cas une consultation de génétique spécialisée dans la surdité. On estime en effet que près des deux tiers des surdités congénitales, syndromiques et non syndromiques, sont d’origine génétique. Les causes extrinsèques représentent 30 % des cas, avec une responsabilité importante du CMV. Enfin, le pourcentage des formes dites idiopathiques diminue régulièrement au fur et à mesure des avancées de la biologie moléculaire. Les mutations du gène de la connexine 26 (CX26) apparaissent aujourd’hui impliquées dans une part importante des surdités congénitales non syndromiques. Les surdités syndromiques sont liées à diverses affections (on en répertorie plusieurs centaines), dont on ne citera ici que quelques-unes parmi les plus facilement reconnaissables : Médecine & enfance 첸 parmi les syndromes autosomiques dominants : – le syndrome de Waardenburg se signale par des troubles de pigmentation des iris donnant des yeux d’un bleu intense ou des yeux vairons et des anomalies des cheveux (mèches blanches), – le syndrome BOR (branchio-oto-rénal) se manifeste par des fistules latérocervicales, des anomalies rénales et des malformations des pavillons d’oreille et des conduits auditifs ; 첸 le syndrome d’Alport, lié à l’X, associe surdité et atteinte rénale ; 첸 parmi les syndromes autosomiques récessifs : – le syndrome d’Usher associe surdité et rétinite et, dans le type I, le plus fréquent, une aréflexie vestibulaire. Le diagnostic doit être évoqué devant l’association d’une surdité et d’un retard de l’acquisition de la marche. Les signes visuels, d’abord nocturnes, apparaissent à l’adolescence. Ces enfants doivent donc bénéficier d’une implantation cochléaire précoce pour préserver un moyen de communication, – le syndrome de Pendred est lié à une mutation du gène SLC26A4, qui peut conduire à une surdité isolée évolutive avec malformation de l’oreille interne ou à un syndrome complet associant à la surdité un goitre hypo- ou euthyroïdien à l’adolescence, – le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen associe surdité et QT long et comporte un risque de mort subite. L’ECG fait partie du bilan systématique d’une surdité sévère à profonde. Echographies cardiaque et rénale sont couramment réalisées en cas de malformations associées. APPAREILLAGE ET IMPLANTS L’appareillage, qu’il s’agisse des contours d’oreille, généralement privilégiés chez l’enfant, ou des appareils intraconduits, a également beaucoup progressé. Il est indiqué en cas de surdité bilatérale : surdité de perception avec retentissement sur le langage oral et/ou Degrés de surdité 첸 Surdité légère . . . . . . . . . 21-40 dB de perte 첸 Surdité moyenne. . . . . . . 41-70 dB 첸 Surdité sévère . . . . . . . . . 71-90 dB 첸 Surdité profonde. . . . . . . 91-119 dB 첸 Surdité complète ou cophose . . . . . . . . . . . > 120 dB perte supérieure à 70 dB ; plus rarement surdité de transmission en cas d’impossibilité de traitement et de perte supérieure à 70 dB. L’appareillage est pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale chez les moins de vingt ans. La pose d’un appareil doit bien entendu toujours s’assortir d’une orthophonie et d’une guidance parentale. L’implant cochléaire est réservé aux enfants sourds atteints de surdité bilatérale sévère à profonde chez lesquels la prothèse auditive n’est plus efficace, c’est-à-dire ne permet pas d’évolution du langage malgré une rééducation intensive. Les surdités génétiques représentent aujourd’hui la première indication de l’implant. La part des surdités dues à des méningites, où une implantation d’urgence s’impose du fait du risque d’ossification, a aujourd’hui considérablement diminué dans les indications de l’implantation grâce à la vaccination contre le pneumocoque et l’Hib. La pose d’un implant cochléaire est devenue une intervention courante (70 par an à Trousseau). Les résultats sont optimaux lorsque l’implantation est réalisée avant l’âge de deux ans. Ils sont excellents sur la perception sonore, avec une bonne perception de l’environnement sonore et une reconnaissance des bruits familiers dans 97 % des cas, une perception de la parole par voie auditive dans 70 % des cas. Ils sont moins bons sur le développement du langage oral : celui-ci est excellent, comparable à celui de personnes entendantes dans 30 % des cas ; chez 50 % des enfants, l’implant constitue une très grande aide, en association avec la lecture labiale ; dans 15 % des cas, malheureusement, l’expression orale reste médiocre (10 %) ou nulle (5 %). novembre 2009 page 425 SURDITÉS DE TRANSMISSION : GREFFE DE TYMPAN ET IMPLANT D’OREILLE MOYENNE Les surdités de transmission sont plus souvent des surdités acquises (séquelles d’otites séromuqueuses, d’otites chroniques, cholestéatome…) que des surdités génétiques (aplasies de l’oreille, syndrome de Franceschetti, ostéogenèse imparfaite). Le traitement des otites chroniques a considérablement évolué depuis quinze ans. Le taux de bons résultats des greffes de tympan, qui était déjà de 80 % avec des greffons d’aponévrose temporale, atteint aujourd’hui 93,5 % avec les greffons de cartilage pris au niveau du tragus et remodelés ensuite. L’ossiculoplastie utilise soit du cartilage, en réalisant un rehaussement de l’étrier lorsque celui-ci est préservé, et ce avec d’excellents résultats, soit, en cas de lyse stapédienne, une prothèse totale en titane très bien tolérée. Pour les surdités de transmission, la prothèse à ancrage osseux BAHA était jusqu’en 2009 la seule option pour réhabiliter l’audition, la présence d’un pilier transcutané posant des problèmes spécifiques chez l’enfant. Les implants d’oreille moyenne constituent une avancée importante dans le traitement des surdités de transmission avec aplasie de l’oreille. Cette méthode, d’appareil semi-implanté, consiste à poser un transducteur directement sur un des osselets. L’implant d’oreille moyenne peut également être indiqué dans les surdités de perception. KYSTES ET FISTULES CONGÉNITAUX CERVICOFACIAUX 첸 Les fistules préhélicéennes, qui sont extrêmement répandues, doivent être opérées uniquement en cas de surinfection ; en l’absence d’infection, l’abstention thérapeutique est la règle. Médecine & enfance 첸 Les indications de la chirurgie sont en revanche plus larges dans les kystes du tractus thyréoglosse, du fait du risque d’abcédation et pour certains de dégénérescence maligne à l’adolescence. 첸 Dans les kystes et fistules du dos du nez, l’avancée thérapeutique de ces dernières années réside dans le développement de la microchirurgie. 첸 Les kystes cervicofaciaux latéraux traités chirurgicalement par voie externe peuvent être accessibles, en cas de fistule avec kyste de la quatrième poche branchiale, à un traitement laser par voie endoscopique. LA CHIRURGIE ENDOSCOPIQUE LARYNGÉE 첸 Les laryngomalacies sévères qui se traduisent par un stridor important avec collapsus du larynx peuvent bénéficier aujourd’hui d’une chirurgie supraglottique par voie endoscopique consistant en une section des replis ary-épiglottiques, geste très rapide qui permet d’obtenir en général une amélioration considérable du tableau clinique respiratoire dans l’heure suivante. 첸 Autre progrès majeur, le traitement de certaines sténoses laryngotrachéales peut aujourd’hui être réalisé par voie endoscopique avec des résultats remarquables, ce qui a conduit à une diminution considérable des interventions par voie externe dans ces indications. ANGIOMES SOUS-GLOTTIQUES : L’EFFICACITÉ DES BÊTABLOQUANTS Tout comme les angiomes cutanés, les angiomes sous-glottiques peuvent désormais bénéficier (c’est un progrès majeur depuis deux ans) d’un traitement par bêtabloquants : le propranolol est indiqué dans les angiomes sous-glottiques très importants ou étendus jusqu’à la trachée QUESTIONS DE LA SALLE ➜ La prise en charge orthophonique d’un enfant sourd profond doit-elle être réalisée par un orthophoniste spécialisé ? E.N. Garabédian. Oui c’est toujours préférable. Certains orthophonistes se sont spécialisés et c’est une évolution aujourd’hui indispensable. ➜ Quelles sont les indications de la turbinectomie chez l’enfant ? E.N. Garabédian. La turbinectomie consiste en l’ablation totale ou partielle des cornets en cas d’hypertrophie turbinale chronique due à une étiologie atopique ou non, lorsque cette hypertrophie est à l’origine d’une obstruction nasale majeure, voire d’apnées du sommeil. Cette intervention est grevée d’un risque hémorragique ; nous ne la pratiquons qu’en cas d’échec de la radiofréquence, méthode récente qui s’est révélée efficace. ➜ Quelles sont les indications de la fibroscopie laryngée dans les stridors ? E.N. Garabédian. Le terme de stridor tel que nous l’utilisons en France désigne un bruit inspiratoire dû à un collapsus supraglottique du larynx et qui régresse spontanément vers dixhuit mois à deux ans. Quand le stridor est peu important et ne s’accompagne pas de détresse respiratoire, il ne requiert qu’une simple surveillance avec un traitement anti-reflux gastroœsophagien. En revanche, quand il est important et surtout si l’enfant présente la moindre gêne respiratoire, une endoscopie est nécessaire. ➜ Quel est l’intérêt de la fibroscopie pour le diagnostic de reflux gastro-œsophagien ? E.N. Garabédian. Notre attitude en cas de suspicion de reflux gastro-œsophagien est de proposer un traitement antireflux en première intention et de poser les indications de la pHmétrie et de la fibroscopie œsophagienne en fonction de l’évolution. La fibroscopie laryngée peut révéler des signes indirects de reflux, notamment une inflammation de la margelle laryngée postérieure. La fibroscopie sous anesthésie locale est de réalisation facile chez l’enfant avant l’âge de deux ans et après l’âge de huit ans. Entre les deux, nous avons heureusement le protoxyde d’azote. ➜ Faut-il faire un rappel de vaccin antipneumococcique chez les enfants porteurs d’un implant cochléaire ? E.N. Garabédian. Oui, surtout lorsqu’ils ont une malformation de l’oreille interne. On vaccine initialement avec Prevenar® puis avec Pneumo 23® tous les cinq ans. et responsables d’une détresse respiratoire. Le laser reste le mode de traitement des angiomes unilatéraux volumineux. AMYGDALECTOMIE : ESSENTIELLEMENT EN CAS D’APNÉES DU SOMMEIL Les apnées du sommeil constituent la principale indication actuelle de l’amygdalectomie. S’il n’y a guère de nouveautés de ce domaine, il est toutefois important de rappeler, à l’heure où les ORL sont de plus en plus incités à pratiquer des amygdalectomies en ambulatoire, que l’ablation des amygdales n’est pas un geste anodin (50 000 interven- novembre 2009 page 426 tions chaque année en France et deux décès) et que l’indication doit en être bien posée. Ainsi, des angines à répétition ne constituent pas une indication d’amygdalectomie, sauf dans les cas extrêmes d’angines très fréquentes (cinq à six par an) ou avec complications (phlegmons). En revanche, tout enfant qui présente des apnées du sommeil doit être opéré. La polysomnographie préopératoire n’est pas nécessaire lorsque le diagnostic d’apnées est évident cliniquement ; elle peut être utile en cas de doute sur l’indication de l’amygdalectomie, surtout s’il existe des comorbidités associées ; la polysomnographie peut aujourd’hui être réalisée en ambulatoire. 첸