Désirs, hésitations et ambivalences de la personne et de sa... quant au lieu du mourir

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Désirs, hésitations et ambivalences de la personne et de sa famille
quant au lieu du mourir
Mourir à la maison, à l’hôpital, en maison de retraite…ou ailleurs ? Chez un de ses enfants,
chez ses parents, chez un ami, chez une voisine ? Mourir dans une « maison pour suicide assisté » ?
Mourir dans une « maison de vacances » (appelée « maison d’accompagnement ») ? Mourir à l’hôtel ?
Dans la rue ? Dans la nature ? Les personnes qui ne meurent pas brutalement, celles qui connaissent
une phase de dégradation progressive expriment-elles des désirs spécifiques quant au lieu de leur
mort ?
La réflexion s’appuie principalement sur la pratique à l’unité de soins palliatifs au centre
hospitalier de Douarnenez. Les expressions « désirer mourir à domicile » ou « souhaiter mourir à
domicile » ne s’entendent pas. Les patients utilisent plutôt le verbe vouloir : « Je veux mourir. »/« Je
ne veux pas mourir. ». Un nombre infime de personnes déclarent de manière spontanée « vouloir
rentrer à la maison pour mourir ». Certains peuvent dire vouloir rentrer à la maison et « y rester
jusqu’au bout »/« y mourir » ou « y rester le plus longtemps possible »/« revenir dans le service le plus
tard possible ». Beaucoup demandent juste à rentrer à la maison. Avec certaines personnes, on peut
parler de leur mort prochaine sans difficultés ou sans trop de difficultés. La question du lieu peut alors
être abordée. Avec d’autres, c’est impossible parce qu’ils ne peuvent pas envisager mourir bientôt.
Après réflexion interdisciplinaire, en fonction des volontés exprimées et des comportements observés
chez le patient et les proches, des possibilités pratiques et des capacités d’accompagnement par les
soignants à domicile ainsi que de la dynamique globale de la situation, un retour à domicile est
organisé ou pas.
Les motivations concernant la volonté de retourner à domicile sont variées. Assez souvent, c’est
pour échapper à la maison de retraite. Mais le choix n’est pas toujours fait par défaut. Pour certains, le
domicile, c’est la vie. L’hôpital, c’est l’univers de la maladie, voire de la mort. Certains veulent
retrouver leur cadre habituel, leur environnement où ils se sentent bien. D’autres espèrent y retrouver
en partie les commandes. A la maison, c’est le domaine du privé et de l’intimité. C’est aussi être avec
les siens, en famille, de manière réelle ou symbolique. Dans la littérature, pour ceux qui sont nés à la
maison, apparaît l’idée de mourir à la maison comme pour « boucler la boucle ». Le domicile en tant
que lieu connu serait aussi un moyen de lutter contre la peur de la Grande Inconnue. Mais certains
patients ne souhaitent pas rentrer. Outre des difficultés d’ordre pratique, trois raisons majeures peuvent
s’observer : les difficultés relationnelles entre le patient et ses proches habitant sous le même toit, la
solitude qu’elle soit réelle ou ressentie et, de manière corrélée, la peur d’être seul ou de se sentir seul
en cas de difficultés ou au moment de mourir.
En ce qui concerne l’ambivalence des proches, ce n’est pas tant celle quant à la réalité de la
mort de l’autre ou du lieu de sa mort qui prend les devants de la scène dans notre unité. L’ambivalence
la plus problématique apparaît être l’ambivalence des sentiments d’amour/haine envers le patient, des
vœux de vie/de mort. Selon son degré d’élaboration, elle module la capacité d’accompagnement. Les
professionnels ne sont pas exempts d’ambivalence, ni le système de dit soins. Par exemple,
l’intégration d’unités de soins palliatifs à des pôles courts séjours n’est-elle pas une manière
ambivalente d’accompagner des patients en fin de vie ? Les durées moyennes de séjour imposées par
le système hospitalier ne s’accordent pas aux « longs mourir ». Les transferts de service en service
subis par certains patients ne sont-ils pas susceptibles de précipiter leur mort ?
En guise de conclusion, rappelons que le « où » ne prime pas lors de l’accompagnement d’un
patient en fin de vie. Ce qui importe, c’est comment et avec qui.
Sandrine Behaghel
Psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique et pathologique ; unité de soins palliatifs, Centre
Hospitalier de Douarnenez ; laboratoire de Recherche en Psychopathologie « Nouveaux symptômes et lien social » EA 4050,
« Clinique du Lien et Création Subjective », Brest.
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