D O S S I E R Le ganglion sentinelle dans le cancer du sein ● E. Barranger*, E. Daraï*, S. Uzan* L e cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme en France, avec environ 30 000 nouveaux cas par an. Une femme sur neuf vivant en Amérique du Nord risque de développer un cancer du sein au cours de sa vie. Aux États-Unis, chaque année, sur plus de 180 000 nouveaux cas de cancers du sein, 50 000 femmes décèdent. Le traitement chirurgical du cancer du sein a peu évolué depuis la fin des années 1890, date à laquelle W.S. Halsted a décrit la mastectomie “radicale”, modifiée par D. Patey en 1948. Le traitement chirurgical conservateur du sein est devenu le traitement standard depuis seulement une vingtaine d’années. Quant à la chirurgie du creux axillaire, elle n’a quasiment pas été modifiée depuis plus d’un siècle. Le dépistage du cancer du sein conduit à traiter des lésions à un stade infraclinique où l’envahissement métastatique ganglionnaire du creux axillaire est de plus en plus souvent négatif. Cependant, le curage axillaire était le seul moyen d’accéder au statut des ganglions du creux axillaire. Il a un intérêt diagnostique, pronostique et thérapeutique, permettant un contrôle local en cas d’envahissement ganglionnaire. Bien que la morbidité du curage axillaire soit relativement élevée (lymphœdème dans 10-30 % des cas, douleur du creux axillaire dans 10-20 % des cas, et difficultés à la mobilisation du bras dans 10-20 % des cas également), elle a été unanimement acceptée jusqu’à présent comme une conséquence inévitable afin de connaître le statut ganglionnaire axillaire. Le curage axillaire est donc resté le gold standard dans le traitement du cancer du sein, mais il est devenu depuis quelques années un sujet de débat et de controverse. Pourtant, il présente certains inconvénients qu’il convient de préciser : il est souvent négatif en cas de lésions du sein de petite taille (inférieure à 15-20 mm) ; il a été décrit 2 % de faux négatifs ; examen histologique détaillé sur les ganglions impossible pouvant sous-évaluer l’existence de micrométastases et surtout aucune connaissance sur le drainage de la chaîne mammaire interne atteignant 15-20 % des patientes et dont l’effet néfaste sur la survie a été prouvé (1). sive permettrait de prédire le statut ganglionnaire du creux axillaire sur la base d’un prélèvement ganglionnaire sélectif avec une morbidité moindre que le curage axillaire. Le GS peut être identifié après injection au contact de la tumeur d’un traceur lymphophile isotopique et/ou colorimétrique. Les principaux problèmes liés à cette technique reposent sur les taux d’identification du GS et surtout de faux négatifs (patiente ayant un GS négatif alors que le reste du curage axillaire est positif), avec les effets potentiels néfastes en termes de survie et de récidive locale. Deux techniques sont actuellement utilisées pour l’identification du GS : – méthode isotopique au technétium 99m, – méthode colorimétrique au bleu patenté. Le prélèvement du GS est réalisé après une ou plusieurs injections péritumorales ou périaréolaires, la veille de l’intervention, de 0,2 à 0,4 ml de sulfure de rhénium marqué au technétium 99m (Nanocis, CIS Bio International). Une lymphoscintigraphie (figure 1) est effectuée 2 heures environ après l’injection afin de réaliser une cartographie du drainage lymphatique du sein (localisations axillaire ou chaîne mammaire interne, nombre de ganglions repérés). GS Une alternative au curage axillaire, le prélèvement du ganglion sentinelle axillaire (GS), s’est développée au début des années 1990 (2, 3). Le GS est, par définition, le premier relais ganglionnaire de drainage d’une tumeur. Cette technique peu inva- * Service de gynécologie, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris. La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001 Figure 1. Lymphoscintigraphie permettant une cartographie du drainage axillaire du sein. Visualisation 2 heures après l’injection d’un ganglion sentinelle (GS) fixant dans le creux axillaire. 31 D O S S I E R Comme le colloïde radioactif est retenu dans les GS pendant environ 24 heures, le chirurgien peut suivre ces petites quantités de radioactivité dans les GS en utilisant une sonde de détection gamma connectée à une machine mesurant la radioactivité. De cette manière, les GS radioactifs peuvent être identifiés et enlevés. L’avantage de cette technique est la possibilité d’un repérage percutané du ou des GS, facilitant et limitant la dissection du creux axillaire. Cette technique permet également l’identification de plusieurs GS. La seconde technique, dite colorimétrique, est utilisée au moment de l’intervention, 10 minutes environ avant l’incision cutanée. Après une injection sous-dermique, péritumorale ou périaréolaire de 2 cc de bleu patenté (Laboratoire Guerbet) et un massage de la zone pendant 3 minutes, le creux axillaire est abordé chirurgicalement par une incision située à sa base. Après une dissection minutieuse, le ou les GS bleutés sont prélevés (figure 2). Cette technique est simple d’utilisation et de faible coût, mais elle requiert de la part du chirurgien une certaine expérience. entre 20 et 30 prélèvements du GS avec curage axillaire systématique afin d’évaluer par chirurgien les taux d’identification et de faux négatifs (FN). Le taux d’identification doit être supérieur à 85 % et le taux de FN inférieur à 5 % afin d’autoriser sa pratique en routine. Le site d’injection ainsi que la quantité de produit à injecter sont actuellement un problème non résolu. La technique du GS a permis une analyse histologique plus précise en révélant la présence de métastases occultes (en combinant des coupes sériées et l’étude immunohistochimique du GS) habituellement non visualisées avec une analyse histologique conventionnelle (Hématoxyline Eosine Safran). La technique du GS permettrait une évaluation plus complète du creux axillaire que le curage axillaire classique. L’association des deux méthodes semble augmenter le taux de détection en réduisant le taux de faux négatifs (FN). Les taux d’identification et de FN ont été évalués par de nombreuses équipes à travers le monde depuis plus de 5 ans (tableau I). Une méta-analyse de 20 études publiée par Linehan et al. (4) a montré la supériorité de la technique combinée dans la détection du GS. Le taux de détection est de 92 % en utilisant le colloïde seul, contre 77 % avec le bleu seul et 93 % avec la combinaison des deux techniques. De même, le taux de FN est plus faible avec l’association des deux techniques : 4 %, contre 6 % avec le colloïde seul et 8 % avec le bleu seul. De nombreuses études (5, 6) ont fait apparaître la nécessité d’une courbe d’apprentissage avant d’effectuer en routine la technique du GS. Il est recommandé d’effectuer par chirurgien Figure 2. Ganglion sentinelle axillaire bleuté avec son canal lymphatique afférent. Tableau I. Résultats des principales études sur le prélèvement du ganglion sentinelle. Auteurs Giuliano et al., 1994 Krag et al., 1993 Giuliano et al., 1995 Albertini et al., 1996 Veronesi et al., 1997 Pipjers et al., 1997 Kapjein et al., 1998 Krag et al., 1998 Borgstein et al., 1998 Barnwell et al., 1998 Hill et al., 1999 Veronesi et al., 1999 Bass et al., 1999 N. de patientes 174 70 107 62 163 37 26 443 130 42 500 376 700 B : détection colorimétrique par le bleu. R : détection isotopique. 32 Méthode de détection B R B B, R R R B R R B, R B, R R B, R Taux de détection (%) 66 71 93 92 98 81 87 93 94 90 92 98,7 95 Taux de faux négatifs (%) 11,9 0 0 0 4,7 0 0 11,4 2 0 10,4 6,7 0,83 .../... La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001 .../... Une seule étude prospective a été publiée jusqu’à présent sur la survie et la récidive axillaire après prélèvement du GS. Giuliano et al. (7) ont en effet montré, sur 67 patientes ayant un prélèvement du GS seul sans curage axillaire, l’absence de récidive axillaire après un recul médian de 24 mois. Le taux de complication axillaire était de 35 % après curage axillaire, contre 3 % en cas de GS seul. La technique du ganglion sentinelle est une technique fiable et reproductive évaluant de façon correcte le statut du reste des ganglions du creux axillaire. Cette technique va devenir rapidement le standard pour des cancers du sein de petite taille à faible risque de diffusion métastatique axillaire. Cependant, certaines questions restent encore non élucidées. En particulier, cette nouvelle technique doit-elle être validée par des études randomisées comparant la technique du ganglion sentinelle avec le traitement standard du creux axillaire avant qu’elle ne soit effectuée en pratique courante dans le cancer du sein de petite taille ? Doit-on attendre les résultats sur la survie et la récurrence locale axillaire de ces études, qui prendront environ 10 ans avant être publiés, pour proposer cette technique, dont on sait manifestement, de par l’importance des publications à travers le monde, qu’elle est efficace ? ■ La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Veronesi U, Cascinelli N, Bufalino R, Morabito A, Greco M, Galluzzo D, Delle Donne V, De Lellis R, Piotti P, Sacchini V et al. Risk of internal mammary lymph node metastases and its relevance on prognosis of breast cancer patients. Ann Surg 1983 ; 198 : 681-4. 2. Krag DN, Weaver DL, Alex JC, Fairbank JT. Surgical resection and radiolocalization of the sentinel lymph node in breast cancer. Surg Oncol 1993 ; 2 : 335-40. 3. Giuliano AE, Kirgan DM, Guenther JM, Morton DL. Lymphatic mapping and sentinel lymphadenectomy for breast cancer. Ann Surg 1994 ; 220 : 391401. 4. Linehan DC, Hill AD, Akhurst T, Yeung H, Yeh SD, Tran KN, Borgen PI, Cody HS 3rd. Intradermal radiocolloid and intraparenchymal blue dye injection optimize sentinel node identification in breast cancer patients. Ann Surg Oncol 1999 ; 6 : 450-4. 5. Cody HS 3rd, Hill ADK, Tran KN, Brennan MK, Borgen PI. Credentialing for breast lymphatic mapping : how many cases are enough ? Ann Surg 1999 ; 229 : 723-8. 6. Lucci A, Kelemen PR, Miller C, Chardkoff L, Wilson L. National practice patterns of sentinel lymph node dissection for breast carcinoma. J Am Coll Surg 2001 ; 192 : 453-8. 7. Giuliano AE, Haigh PI, Breennan MB et al. Prospective observational study of sentinel lymphadenectomy without further axillary dissection in patients with sentinel node negative breast cancer. J Clin Oncol 2000 ; 18 : 2553-9. 35