Quelques problèmes en suspens dans la notation usuelle actuelle à base latine de la langue berbère. Le trait d'union. 1- Définitions et emplois. Le trait d'union (-) est un signe typographique. Comme son nom l'indique, son rôle est de relier ou d'unir deux ou plusieurs unités pour leur donner un caractère unifié ou figé, qui fait qu'elles fonctionnent comme des mots uniques. Il sert à marquer l'existence d'un lien étroit entre deux ou plusieurs termes, un lien qui peut être lexical comme dans les mots composés ou syntaxique, entre le verbe et le pronom qui le suit par exemple. Dans toutes les langues, la notion de mot est ambiguë. La délimitation l'est encore plus. Souvent, devant une séquence de la chaine parlée, on est incapable de dire s'il y a un ou plusieurs mots. Les trois critères de l'école linguistique américaine, la stabilité, la mobilité conjointe et l'inséparabilité, ne sont pas toujours respectés et même quand ils le sont, ne donnent pas toujours des résultats probants. Les notions de mots oral et scriptural ont été déjà définies et explicitées dans l'introduction de la partie sur les particules indépendantes. À titre de rappel, Le mot phonétique est un son ou un groupe de sons d’une langue auquel est associé un sens et que l'on prononce d'un seul trait, c'est-à-dire sans aucune pause ou rupture dans la chaine parlée. Le mot orthographique est une lettre ou une suite de lettres comprise entre deux espaces blancs. Entre le mot oral et le mot écrit, il n'y a pas toujours d'équivalence mutuelle et de relation biunivoque. Il arrive qu'à un mot phonétique corresponde plusieurs groupes de lettres compris entre deux blancs ou qu'à un ensemble de lettres soudées les unes aux autres, correspondent des groupes de sons isolés, pouvant être prononcés séparément. Dans toute langue, les unités qui correspondent à cette définition sont de deux types. Il y a des mots qui appartiennent au lexique comme les noms, les verbes, les adjectifs, les nombres et des mots qui relèvent de la grammaire comme les articles, les prépositions, les affixes, les désinences, etc. Ces derniers constituent des ensembles fermés et certains de leurs éléments ne peuvent jamais apparaitre seuls dans le discours, sauf quand on les cite comme des formes morphosyntaxiques dans le métalangage grammatical. Il arrive aussi bien pour les unités lexicales ou lexèmes, que pour les unités grammaticales ou morphèmes de s'assembler entre elles pour former des segments complexes se comportant, dans leur rapport avec les autres éléments de l'énoncé, exactement comme les mots simples, susceptibles d'apparaitre dans le même contexte. Les unités rentrant dans la constitution de ces segments complexes, que les fonctionnalistes désignent sous le nom de "synthèmes", peuvent être du premier type d'unités, c'est-à-dire appartenant au lexique, du second type, autrement dit des morphèmes et enfin, du premier et du second type, c'est-à-dire mélangés. Tout cela correspond aux mots composés et aux mots dérivés. - Des unités lexicales : chou-fleur, chaise-longue, rouge-gorge, pomme de terre, portefeuille, etc. - Des unités mélangés : préavis, maisonnette, international, chanteur, rizière, ex-ministre, antitussif, etc. - Des unités grammaticales : téléphone, thermostat, aphone, biologie, etc. Au niveau orthographique, les diverses unités rentrant dans la formation de ces complexes à sémantisme figé s'écrivent parfois collées les unes aux autres, parfois séparées par une espace et parfois encore décollées, mais reliées par un trait d'union. En principe, entre deux unités reliées par un trait d'union, il n'existe aucune possibilité d'insertion d'une autre unité. Dans certains cas, le trait d'union est pertinent dans la mesure où il permet d'indiquer si les unités reliées forment une séquence figée ou sont juste juxtaposées. - Un accent-aigu (signe diacritique) / un accent aigu (cette personne a un accent aigu). - Une belle-fille (femme du fils, fille du conjoint) / une belle fille (une fille belle). - En-tête (papier à en-tête) / en tête (avoir une idée en tête). Le deuxième rôle du trait d'union, le rôle syntaxique, consiste à relier certains éléments grammaticaux à leur noyau de rattachement pour marquer la cohérence syntagmatique. Les pronoms postposés à leur verbe appartiennent au même syntagme. Phonétiquement, la frontière syntagmatique est marquée par l'accent tonique qui se caractérise par un allongement vocalique affectant toujours la dernière syllabe du groupe de mots concerné. Comme cet accent n'a aucune marque graphique, on se sert du trait d'union pour avertir le lecteur et lui éviter toute hésitation. On sait par le biais de ce trait d'union qu'il faudra allonger la dernière syllabe et former un groupe. On met autant de traits d'union qu'il y a de satellites autour d'un noyau verbal ou même nominal. Ce jouet-là, rends-le-lui immédiatement. Allez-vous-en ! Y a-t-il beaucoup d'eau ? Donne-le-leur s'il te plait. Enfin, le trait d'union assume aussi une dernière fonction purement typographique que l'on appelle la césure. Elle consiste en une opération de découpage de mots longs quand on arrive en fin de ligne dans un texte. La règle de la césure veut que l'on ne coupe qu'entre deux syllabes, jamais après une seule lettre même si elle correspond phonétiquement à une syllabe et aussi jamais avant moins de trois lettres. 2- le trait d'union en français. L'usage du trait d'union, en français, est un véritable imbroglio au point qu'à chaque fois que l'on est face à un ensemble d'unités figé ou à une expression toute faite, on se pose la question de savoir si les différentes unités doivent s'écrire soudées les unes aux autres, séparées par des blancs ou reliées par un ou des traits d'union. Les trois cas restent donc possibles et même si l'on s'est efforcé à établir des règles, des exceptions et des contrexemples demeurent. Parfois, pour répondre à cette question, il faudrait connaître l’histoire de l’expression pour arriver à déterminer s'il faut l'écrire en un seul mot orthographique ou s’il y a ou non un trait d’union entre les différents éléments. Si les choses sont à peu près claires pour les emplois grammaticaux, il n'en est rien pour les combinaisons d'unités purement lexicales. Le mot "portefeuille" s'écrit tout attaché, "portemanteau" s'écrit soudé ou avec un trait d'union (porte-manteau), "porte-bonheur" s'écrit obligatoirement avec un trait d'union et enfin "compte rendu" ou "pomme de terre " s'écrivent sans agglutination et sans trait d'union bien que formant une seule unité sémantique. - Compositions nominales. L'emploi du trait d'union dans les associations d'unités nominales dépend beaucoup de la relation que ces unités entretiennent entre elles. Si l'une détermine et modifie le sens de l'autre, il n'y a généralement pas de trait d'union, mais si les unités associées forment, sans se modifier mutuellement, une nouvelle unité avec un sens différent, le trait d'union est nécessaire. Bien entendu, il ne s'agit que de règles générales, des exceptions peuvent exister pour l'un et l'autre des deux cas. Rouge-gorge, soutien-gorge, œil-de-bœuf, sourd-muet, marteau-piqueur, etc. Médecin légiste, salaire moyen, directeur général, apprenti menuisier, lampe témoin, âme sœur, etc. - Compositions de noms propres. En règle générale, on met toujours un trait entre des noms propres composés. Jean-Claude, Marie-Thérèse, Franco-Américain, Néo-Zélandais, New-Yorkais, etc. - Expressions et locution figées. Il faut absolument connaitre l'origine ou l'histoire de l'expression pour déterminer si l'on doit ou non mettre un trait d'union. S'il vous plait, nota bene, tout de suite, face à face, à bras ouverts, à huis clos, etc. C'est-à-dire, post-scriptum, sur-le-champ, vis-à-vis, à bras-le-corps, à tue-tête, etc. - Compositions verbales et verbo-nominales. Les composés qui font intervenir des verbes ou des verbes et des noms s'écrivent généralement avec un trait d'union, mais parfois les termes sont soudés ensemble ou encore séparés par des blancs. Garde-manger, compte-gouttes, tire-bouchon, savoir-faire, laisser-aller, passeport, machine à écrire, etc. - Compositions verbo-pronominales. Un trait d'union est toujours inséré entre le verbe et tous ses pronoms quand ces derniers se rapportent et succèdent à ce verbe. Ce qui arrive particulièrement à l'impératif, à la forme interrogative ou quand il y a inversion du sujet. Si un "t" euphonique est nécessaire, celui-ci est mis également entre traits d'union. Quand il y a plusieurs pronoms qui se suivent et plusieurs verbes, il faut bien déterminer quel pronom se rattache à quel verbe pour savoir s'il faut ou non les relier par un trait d'union, et bien sûr sans oublier la condition de postposition du pronom par rapport à son verbe. Vas-tu venir ?, vas-y, prends-le, donne-les-lui, accroche-toi, peut-on ?, apporte-t-elle ?, dis-je, etc. Allez-vous reposer ce sac ou non ? / Allez vous reposer un petit moment. Dans le premier exemple "vous" est sujet du verbe "aller" (vous allez), dans le second, "vous" est pronom réfléchi du verbe "reposer" (se reposer). - Les déterminants numéraux et ordinaux. On met toujours un trait d'union entre les chiffres composant les nombres inférieurs à cent et non reliés par la conjonction "et" dans tous les contextes. Dix-sept, cinq cent quatre-vingt-dix-huit, quarante-deux, trente-quatrième, soixante-dixneuvième mais trente et un, quatre-vingt et un, etc. - Compositions avec préfixe. De façon générale, on ne met pas de trait d'union entre les différents préfixes d'origine grecque ou latine qui s'associent à un radical nominal pour former un mot dérivé. Cependant et comme toujours, plusieurs exceptions sont notables et concernent certains préfixes qui sont séparés de la base de rattachement par un trait d'union quand celle-ci commence par une voyelle. Les préfixes ex, sous, demi, semi, mi sont toujours reliés au second élément par un trait d'union exception faite pour "soussigné. Les mots composés avec "para" sont soudés mais ceux composés avec "pare" sont séparés par un trait d'union. Antivirus, archicomble, autocritique, biculturel, biodiversité, cotutelle, interurbain, juxtaposé, microclimat, télécommande, transfrontalier, ultrarapide, postcolonial, parapluie, pare-brise, anti-inflammatoire, micro-ordinateur, auto-école, ex-mari, sous-développé, demi-mesure, semi-conducteur, mi-journée, etc. - Compositions avec suffixes. Les suffixes qui rentrent dans la composition de complexes figés sont les adverbes "ci" et "là" qui expriment une proximité spatiale par rapport au locuteur quand ils s'associent à un démonstratif ou à un nom, et aussi l'adjectif indéfini "même" qui se joint aux formes toniques du pronom personnel. Dans ces conditions, ces trois unités sont toujours reliées par un trait d'union aux éléments qui les précèdent et auxquels elles se réfèrent. Jusque-là, ces jours-ci, cette fille-là, c'est moi-même, par-ci par-là, celui-ci, celles-là, etc. 3- La réforme orthographique de 1990. Sur demande du Premier ministre, le Conseil supérieur de la langue française s'est penché sur l'étude de cinq points de l'orthographe française dont l'emploi du trait d'union. Après analyse, le Conseil a publié, après l'aval de l'académie française et de ses homologues canadien et belge, un rapport en date du 6 décembre 1990 et a apporté certaines rectifications et recommandations. Voici les extraits des règles et recommandations qui concernent le trait d'union. I – Analyses. 1. Le trait d’union Le trait d’union a des emplois divers et importants en français : - Des emplois syntaxiques : inversion du pronom sujet (exemple : dit-il), et libre coordination (exemples : la ligne nord-sud, le rapport qualité-prix). Il est utilisé aussi dans l’écriture des nombres, mais, ce qui est difficilement justifiable, seulement pour les numéraux inférieurs à cent (exemple : vingt-trois, mais cent trois). - Des emplois lexicaux dans des mots composés librement formés (néologismes ou créations stylistiques, exemple : train-train) ou des suites de mots figées (exemple : porte-drapeau, vanu-pieds). Dans ces emplois, la composition avec trait d’union est en concurrence, d’une part, avec la composition par soudure ou agglutination (exemples : portemanteau, betterave), d’autre part, avec le figement d’expressions dont les termes sont autonomes dans la graphie (exemples : pomme de terre, compte rendu). Lorsque le mot composé contient un élément savant (c’est-à-dire qui n’est pas un mot autonome : narco-poly-, etc.), il est généralement soudé (exemple : narcothérapie) ou, moins souvent, il prend le trait d’union (exemple : narcodollar). Si tous les éléments sont savants, la soudure est obligatoire (exemple : narcolepsie). Dans l’ensemble, il est de plus en plus net qu’on a affaire à un seul mot, quand on va de l’expression figée au composé doté de trait d’union et au mot soudé. Dans une suite de mots devenue mot composé, le trait d’union apparaît d’ordinaire : a) lorsque cette suite change de nature grammaticale (exemple : il intervient à propos, il a de l’à-propos). Il s’agit le plus souvent de noms (un ouvre-boîte, un va-et-vient, le non-dit, le tout-à-l’égout, un après-midi, un chez-soi, un sans-gêne). Ces noms peuvent représenter une phrase (exemples : un laissez-passer, un sauve-qui-peut, le qu’en-dira-t-on). Il peut s’agir aussi d’adjectifs (exemple : un décor tape-à-l’œil). b) lorsque le sens (et parfois le genre ou le nombre) du composé est distinct de celui de la suite de mots dont il est formé (exemple : un rouge-gorge qui désigne un oiseau). Il s’agit le plus souvent de noms (un saut-de-lit, un coq-à-l’âne, un pousse-café, un à-coup) dont certains sont des calques de mots empruntés (un gratte-ciel, un franc-maçon). c) lorsque l’un des éléments a vieilli et n’est plus compris (exemples : un rez-de-chaussée, un croc-en-jambe, à vau-l’eau). L’agglutination ou soudure implique d’ordinaire que l’on n’analyse plus les éléments qui constituent le composé dans des mots de formation ancienne (exemples : vinaigre, pissenlit, chienlit, portefeuille, passeport, marchepied, hautbois, plafond, etc.). d) lorsque le composé ne respecte pas les règles ordinaires de la morphologie et de la syntaxe, dans des archaïsmes (1a grand-rue, un nouveau-né, nu-tête) ou dans des calques d’autres langues (surprise-partie, sud-américain). On remarque de très nombreuses hésitations dans l’usage du trait d’union et des divergences entre les dictionnaires, ce qui justifie qu’on s’applique à clarifier la question, ce mode de construction étant très productif. On améliorera donc l’usage du trait d’union en appliquant plus systématiquement les principes que l’on vient de dégager, soit à l’utilisation de ce signe, soit à sa suppression par agglutination ou soudure des mots composés. 2. Les marques du nombre. Les hésitations concernant le pluriel de mots composés à l’aide du trait d’union sont nombreuses. Ce problème ne se pose pas quand les termes sont soudés (exemples : un portefeuille, des portefeuilles ; un passeport, des passeports). Bien que le mot composé ne soit pas une simple suite de mots, les grammairiens de naguère ont essayé de maintenir les règles de variation comme s’il s’agissait de mots autonomes, notamment : - en établissant des distinctions subtiles : entre des gardes-meubles (hommes) et des gardemeubles (lieux), selon une analyse erronée déjà dénoncée par Littré ; entre un porte-montre si l’objet ne peut recevoir qu’une montre, et un porte-montres, s’il peut en recevoir plusieurs. - en se contredisant l’un l’autre, voire eux-mêmes, tantôt à propos des singuliers, tantôt à propos des pluriels : un cure-dent, mais un cure-ongles ; des après-midi, mais des aprèsdîners, etc. De même que mille-feuille ou millefeuille (les deux graphies sont en usage) ne désigne pas mille (ou beaucoup de) feuilles, mais un gâteau, et ne prend donc pas d’s au singulier, de même le ramasse-miettes ne se réfère pas à des miettes à ramasser, ni à l’acte de les ramasser, mais à un objet unique. Dans un mot de ce type, le premier élément n’est plus un verbe (il ne se conjugue pas) ; l’ensemble ne constitue donc pas une phrase (décrivant un acte), mais un nom composé. Il ne devrait donc pas prendre au singulier la marque du pluriel. À ce nom doit s’appliquer la règle générale d’accord en nombre des noms : pas de marque au singulier, s ou x final au pluriel. II – Règles. 1. Trait d’union : on lie par des traits d’union les numéraux formant un nombre complexe, inférieur ou supérieur à cent. Exemples : elle a vingt-quatre ans, cet ouvrage date de l’année quatre-vingt-neuf, elle a centdeux ans, cette maison a deux-cents ans, il lit les pages cent-trente-deux et deux-centsoixante-et-onze, il possède sept-cent-mille-trois-cent-vingt-et-un francs. 2. Singulier et pluriel des noms composés comportant un trait d’union : les noms composés d’un verbe et d’un nom suivent la règle des mots simples, et prennent la marque du pluriel seulement quand ils sont au pluriel, cette marque est portée sur le second élément. Exemples : un pèse-lettre, des pèse-lettres, un cure-dent, des cure-dents, un perce-neige, des perce-neiges, un garde-meuble, des garde-meubles (sans distinguer s’il s’agit d’homme ou de lieu), un abat-jour, des abat-jours. Il en va de même des noms composés d’une préposition et d’un nom. Exemples : un après-midi, des après-midis, un après-ski, des après-skis, un sansabri, des sans-abris. Cependant, quand l’élément nominal prend une majuscule ou quand il est précédé d’un article singulier, il ne prend pas de marque de pluriel. Exemples : des prie-Dieu, des trompe-l’œil, des trompe-la-mort. III – Graphies particulières fixées ou modifiées. Ces listes, restreintes, sont limitatives. Il s’agit en général de mots dont la graphie est irrégulière ou variable ; on la rectifie, ou bien l’on retient la variante qui permet de créer les plus larges régularités. Certains de ces mots sont déjà donnés par un ou plusieurs dictionnaires usuels avec la graphie indiquée ici : dans ce cas, c’est une harmonisation des dictionnaires qui est proposée. 1. Mots composés : on écrit soudés les noms de la liste suivante, composés sur la base d’un élément verbal généralement suivi d’une forme nominale ou de « tout ». Les mots de cette liste, ainsi que ceux de la liste B ci-après (éléments nominaux et divers), sont en général des mots anciens dont les composants ne correspondent plus au lexique ou à la syntaxe actuels (chaussetrappe) ; y figurent aussi des radicaux onomatopéiques ou de formation expressive (piquenique, passepasse), des mots comportant des dérivés (tirebouchonner), certains mots dont le pluriel était difficile (un brisetout, dont le pluriel devient des brisetouts, comme un faitout, des faitouts, déjà usité), et quelques composés sur porte-, dont la série compte plusieurs soudures déjà en usage (portefaix, portefeuille, etc.). Il était exclu de modifier d’un coup plusieurs milliers de mots composés, l’usage pourra le faire progressivement. Liste A. arrachepied (d’). boutentrain. brisetout. chaussetrappe. clochepied (à). coupecoupe. couvrepied. crochepied. croquemadame. croquemitaine, croquemonsieur. croquemort. croquenote. faitout. fourretout. mangetout. mêletout. passepartout. passepasse. piquenique porteclé. portecrayon. portemine. portemonnaie. portevoix. poucepied. poussepousse. risquetout. tapecul. tirebouchon. tirebouchonner. tirefond. tournedos. vanupied. 2. Mots composés : on écrit soudés également les noms de la liste suivante, composés d’éléments nominaux et adjectivaux. Liste B. arcboutant. autostop. Autostoppeur/euse. bassecontre. bassecontriste. bassecour. bassecourier. basselisse. basselissier. bassetaille. branlebas. chauvesouris chèvrepied. cinéroman. hautecontre. hautelisse. hautparleur. jeanfoutre. lieudit. millefeuille. millepatte. millepertuis. platebande. potpourri. prudhomme. quotepart. sagefemme. saufconduit. téléfilm. terreplein. vélopousse. véloski. vélotaxi. 3. Onomatopées : on écrit soudés les onomatopées et mots expressifs (de formations diverses) de la liste suivante. Liste C. blabla. bouiboui. coincoin. froufrou. grigri. kifkif. mélimélo. pêlemêle. pingpong. prêchiprêcha. tamtam. tohubohu. traintrain. troutrou. tsétsé. IV – Recommandations aux lexicographes et créateurs de néologismes. Les quelques recommandations qui suivent ont pour but d’orienter l’activité des lexicographes et créateurs de néologismes de façon à améliorer l’harmonie et la cohérence de leurs travaux. Elles ne sont pas destinées dans un premier temps à l’utilisateur, particulier ou professionnel, ni à l’enseignement/apprentissage. 1. Trait d’union : le trait d’union pourra être utilisé notamment lorsque le nom composé est employé métaphoriquement : barbe-de-capucin, langue-de-bœuf (en botanique), bonnetd’évêque (en cuisine et en architecture) ; mais on écrira taille de guêpe (il n’y a métaphore que sur le second terme), langue de terre (il n’y a métaphore que sur le premier terme), langue de bœuf (en cuisine, sans métaphore). 2. Mots composés : quant à l’agglutination, on poursuivra l’action de l’Académie française, en recourant à la soudure dans les cas où le mot est bien ancré dans l’usage et senti comme une seule unité lexicale. Cependant, on évitera les soudures mettant en présence deux lettres qui risqueraient de susciter des prononciations défectueuses ou des difficultés de lecture. Il y a risque de prononciation défectueuse quand deux lettres successives peuvent être lues comme une seule unité graphique, comme les lettres o et i, a et i, o et u, a et u. Exemples : génitourinaire, extra-utérin. Pour résoudre la difficulté, la terminologie scientifique préfère parfois le tréma au trait d’union (radioïsotope, sur le modèle de coïncidence). Toutefois l’Académie a estimé qu’on pouvait conserver le trait d’union en cas de contact entre deux voyelles (contreattaque, ou contrattaque avec élision comme dans contrordre). De même elle a jugé utile le recours éventuel au trait d’union dans les mots formés de plus de deux composants, fréquents dans le vocabulaire scientifique. Par ailleurs, on rappelle que le s placé entre deux voyelles du fait de la composition se prononce sourd : pilosébacé, sacrosaint. L’extension de la soudure pourra concerner les cas suivants : a) des noms composés sur la base d’un élément verbal suivi d’une forme nominale ou de tout (voir plus haut, liste A, les exemples dès maintenant proposés à l’usage général). b) des mots composés d’une particule invariable suivie d’un nom, d’un adjectif ou d’un verbe ; la tendance existante à la soudure sera généralisée avec les particules contre, entre quand elles sont utilisés comme préfixes, sur le modèle de en, sur, supra, et de la plupart des autres particules, qui sont déjà presque toujours soudées. L’usage de l’apostrophe sera également supprimé par la soudure. Exemples : contrechant (comme contrechamp), à contrecourant (comme à contresens), contrecourbe (comme contrechâssis), contrefeu (comme contrefaçon), contrespionnage (comme contrescarpe), contrappel (comme contrordre), entraide (comme entracte), entreligne (comme entrecôte), s’entrenuire (comme s’entrechoquer), s’entredévorer (comme s’entremanger), etc. c) Des mots composés au moyen des préfixes latins : extra, intra, ultra, infra. Exemples : extraconjugal (comme extraordinaire) ; ultrafiltration, infrasonore, etc. d) des noms composés d’éléments nominaux et adjectivaux devenus peu analysables aujourd’hui. Voir plus haut, liste B, les exemples dès maintenant proposés à l’usage général. e) des mots composés à partir d’onomatopées ou similaires sur le modèle de la liste C. f) des noms composés d’origine latine ou étrangère, bien implantés et ancrés dans l’usage, employés sans valeur de citation. Exemples dès maintenant proposés à l’usage général : apriori, exlibris, exvoto, statuquo, vadémécum, baseball, basketball, blackout, bluejean, chichekébab, chowchow, covergirl, cowboy, fairplay, globetrotteur, handball, hara-kiri, hotdog, lockout, majong, motocross, ossobuco, pipeline, sidecar, striptease, volleyball, weekend. g) les nombreux composés sur éléments « savants » (en particulier en o). On écrira donc par exemple : aéroclub, agroalimentaire, ampèreheure, audiovisuel, autovaccin, cardiovasculaire, cinéclub, macroéconomie, minichaîne, monoatomique, néogothique, pneumohémorragie, psychomoteur, radioactif, rhinopharyngite, téléimprimeur, vidéocassette, etc. Remarque. Le trait d’union est justifié quand la composition est libre, et sert précisément à marquer une relation de coordination entre deux termes (noms propres ou géographiques) : les relations italo-françaises (ou franco-italiennes), les contentieux anglo-danois, les mythes gréco-romains, la culture finno-ougrienne, etc. 4- le trait d'union en berbère. En berbère, le nom, le verbe, la préposition et leurs affixes satellitaires (pronoms personnels, démonstratifs, modalités) constituent des séquences homogènes d'unités entre lesquelles aucune pause ou rupture n'est possible au niveau intonatif. Ce sont des groupes solidaires qui se déplacent toujours ensemble en cas de nécessité. L'Inalco recommande vivement l'usage du trait d'union dans ces cas mais ne dit rien à propos des quelques mots composés. L'usage du trait d'union entre ces unités permet de faciliter le décodage et présente un grand intérêt pour la lecture, car les constituants de la phrase ne sont pas simplement juxtaposés mais présentent des relations leur permettant de se regrouper en sous-ensembles dénommés : syntagmes. Le trait d'union informe donc le lecteur sur la relation étroite existant entre les unités reliées et lui permet de les lire ensemble sans discontinuité. Exemple : l'énoncé "axxam-is" (sa maison) doit être lu d'un seul trait : [axxamis] -Nom + affixe personnel (possessif) Argaz-is (son homme, son mari). Ayla-w (mon bien). - Nom + démonstratif. Axxam-a (cette maison). Ussan-nni (ces jours-là, les jours en question). - Verbe + affixe régime direct. Yebγa-tt (il la veut). Yura-tent (il les a écrites). A t-yawi (il le prendra). A ken-iḥemmel (il vous aimera). - Verbe + affixe régime indirect. Yenna-yas (il lui dit / a dit). Yura-yasen (il leur a écrit). A wen-isuref (il vous pardonnera). - Verbe + particule de direction. Yusa-d (il est venu) : la particule de direction "d" dirige l'action du verbe vers le locuteur. Yusa-n (il est venu) : la particule de direction "n" dirige l'action du verbe vers l'interlocuteur ou un lieu en question. - Combinaisons. Avant ou après le verbe, en cas de combinaison, l'ordre est toujours : affixe indirect – affixe direct – particule de direction ou d'orientation spatiale. Yerra-yas-t-id (il le lui a rendu) : vers ici. A s-t-in-yawi (il le lui prendra) : vers ailleurs. - Préposition + affixe personnel. Yid-i, yid-ek, yid-em, yid-es, etc. (Avec moi, avec toi, avec lui, etc.). Gar-aneγ, gar-awen, gar-asen, etc. (entre nous, entre vous, entre eux, etc.). Si les choses sont claires pour le verbe et, à un degré moindre, pour les prépositions, elles restent encore floues en ce qui concerne le nom et les autres associations faisant office de compositions lexicale ou grammaticale. Doit-on attacher, séparer par des blancs ou des traits d'union les termes constituant des segments totalement figés et formant une seule unité sémantique comme "adrar ufud" (tibia), "aman n tasa" (urine), "mager iṭij" (tournesol) ? Doiton souder, séparer ou relier par un trait d'union, écrire avec ou sans assimilation les unités significatives qui se combinent pour former des toponymes, comme "adrar n wedfel" (Djurdjura, littéralement montagne de neige), "iγil n wuccen" (village dans la wilaya de TiziOuzou, littéralement mont du chacal), "alma n taγaṭ" (localité dans la commune de Ouaguenoun, littéralement prairie de la chèvre), etc ? À l'inverse de la dérivation, la composition en tant que procédé de formation de mots est très peu fonctionnelle en langue berbère, mais il existe quand même des exemples de composition nominale ou verbonominale dont il faudrait clarifier la transcription. La dérivation, quant à elle, est très productive et essentielle en berbère. Elle est verbale ou nominale et s'opère par la préfixation de morphèmes dérivationnels nominaux ou verbaux, le plus souvent, à une même racine lexicale. À partir d'une même base radicale, il est possible théoriquement de construire des dérivés verbaux de sens factitif, passif, réciproque ou combiné que l'on a vus au chapitre sur la dérivation verbale, mais aussi des dérivés nominaux de différents sens. On enregistre le nom d'action verbale ou nominalisation qui se traduit par le fait de faire ou subir l'action ou l'état exprimé par le verbe (aḍen → aḍan : fait d'être malade), le nom déverbal concret (aḍen → aṭṭan : la maladie), un nom d'agent ou de patient qui désigne celui qui fait ou subit l'action du verbe et qui fonctionne aussi parfois comme adjectif (aḍen → amuḍin : malade ou un/le malade) et enfin un nom d'instrument qui désigne le moyen ou l'outil servant à l'accomplissement de l'action que véhicule la base verbale (agem → asagem : amphore). Remarque. Les formes dérivées sus-indiquées (verbales et nominales) ne sont pas connues de toutes les racines. Un lexème peut avoir tous les dérivés comme il peut n'en avoir aucun. L'adjonction de ces préfixes dérivationnels se fait selon la logique sémantique. Les recommandations de l'Inalco préconisent l'emploi du trait d'union entre le nom, le verbe, la préposition et les affixes mobiles qui leur sont directement rattachés, mais ne disent rien au sujet des nombreux complexes syntagmatiques dans lesquels ces différents affixes sont associés à d'autres unités que les noms, verbes et prépositions. Doit-on agglutiner, écrire séparément ou relier par un trait d'union les termes des combinaisons suivantes ? Widak ines (ceux à lui), wihid inna (ceux-là là-bas), tidak nni nneγ (celles-là à nous), etc. Akk a/agi/agini (comme cela), akk nni (comme il en était), ass en/nni (ce jour-là), wayeḍ nniḍen (un autre), etc. Dans la plupart de ces cas, le trait d'union, s'il est mis, permettra pourtant de distinguer des signifiés distincts. De toute façon, il est aujourd'hui urgent et nécessaire d'uniformiser l'emploi de ce trait d'union pour éviter des usages aléatoires qui différencieraient l'orthographe d'un même mot ou d'une même séquence syntagmatique. Le schwa ou voyelle neutre [ǝ]. Le mot "schwa" vient de la langue hébraïque et peut se traduire par "néant" en français. En linguistique, ce mot, s'écrivant également "chva", désigne la voyelle neutre ou zéro [ǝ], appelée familièrement "e" muet ou encore "e" caduc en français. Cette voyelle ne relève que de la phonétique ; la phonologie qui est, comme nous l'avions déjà écrit antérieurement, une phonétique fonctionnelle, ne lui reconnait pas de statut distinctif à l'image de tous les autres sons vocaliques car, en général, il n'existe pas de paires minimales qui permettent de la distinguer et l'opposer aux autres phonèmes de la langue. Elle ne s'oppose à aucun autre son, ni même à son absence. Autrement dit, il n'existe aucun mot susceptible de changer de signification selon que cette voyelle sera présente ou absente dans son signifiant. Phonétiquement, cette voyelle ne présente aucun des traits articulatoires, spécifiques qui caractérisent les autres voyelles pleines. C'est la plus instable et la plus facile à articuler vu qu'elle n'exige aucune tension musculaire et donc aucune déformation des organes articulatoires dont la position est quasi-inerte. C'est une voyelle centrale, de timbre indéfini, qui n'est ni très fermée, ni très ouverte, ni franchement antérieure ni vraiment postérieure, ni rétractée, ni arrondie. Elle se réalise la langue au repos au bas de la cavité buccale avec la bouche légèrement ouverte et les lèvres immobiles. C'est une sorte de lubrifiant qui permet le maintien du rythme général de la parole en allégeant les rencontres indésirables et fâcheuses de consonnes difficilement prononçables successivement. 1- La syllabation. Une syllabe est une unité phonétique intermédiaire entre le phonème et le monème, pouvant être articulée d'un seul trait et en un seul groupe de souffle. Elle n'est pas porteuse de sens en tant que telle même s'il existe, dans toutes les langues du monde, des mots monosyllabiques. La reconnaissance syllabique se fait intuitivement par les locuteurs natifs d'une langue donnée, mais reste parfois difficile pour les allophones. Elle est constituée d'un ou plusieurs phonèmes dont, le plus souvent, une voyelle qui constitue le noyau de ladite syllabe. Les consonnes restantes, au nombre variable, entourent facultativement le noyau vocalique. La structure de la syllabe est différente d'une langue à une autre, mais on rencontre généralement les formes V, CV, VC, CVC, CCV, VCC, CCVC, CVCC, CCVCC, CCCV, VCCC, CCCVC, CCCVCC, etc. La syllabe la plus lourde théoriquement et dans toutes les langues peut aller jusqu'à cinq consonnes avant ou après le noyau mais jamais les deux en même temps. En français, il est vraiment rarissime de trouver plus de trois consonnes avant ou après le noyau vocalique. La seule syllabe attestée avec quatre consonnes postposées est "dextre", un mot vieilli qui veut dire "main droite", que l'on retrouve aussi dans l'adjectif "ambidextre" qui qualifie quelqu'un qui se sert indifféremment de ses deux mains pour faire certaines actions, comme écrire par exemple. Structure de la syllabe française. Structure V CV VC CVC CCV VCC CCVC CVCC CCVCC CCCV VCCC CCCVC CCCVCC CVCCCC Mot eau tas île fil plat orme place caste tract strie arbre strate strict dextre Prononciation [o] [ta] [il] [fil] [pla] [ɔRm] [plas] [kast] [tRakt] [stRi] [aRbR] [stRat] [stRikt] [dɛkstR] En théorie, une syllabe est composée de trois parties : l'attaque, le noyau et la coda. L'attaque est la première partie de la syllabe. Elle est composée d'une ou de plusieurs consonnes situées à gauche du noyau généralement vocalique. Le noyau est la partie centrale et essentielle de la syllabe. Il est composé obligatoirement du phonème le plus sonore acoustiquement, correspondant, la plupart du temps et dans beaucoup de langues, à une voyelle qui devient le sommet de la syllabe. La coda est la partie finale de la syllabe, et elle est composée de consonnes succédant à la voyelle formant le noyau. Si le noyau est obligatoire dans la constitution d'une syllabe, l'attaque et la coda ne sont pas essentielles, une syllabe peut très bien s'en passer et n'avoir qu'un noyau, comme pour les mots "eau", "en", "ou", "est", "un", etc. Certains usages désignent sous le nom de "rime" le noyau vocalique et la coda d'une syllabe quand elle existe. Ce qui ramène la composition d'une syllabe à une attaque et une rime, composée à son tour d'un noyau vocalique et d'une éventuelle coda. Une syllabe est dite ouverte quand elle n'a pas de coda, et fermée quand elle en a une. Syllabe → attaque + noyau vocalique + coda. Syllabe → attaque + rime (noyau vocalique + coda). Le découpage syllabique ou syllabation est l'opération qui consiste à segmenter un mot ou un énoncé d'une langue donnée en syllabes. Cette opération peut se faire aussi bien à l'oral qu'à l'écrit. Cependant, dans une langue comme le français où l'orthographe ne reflète pas toujours ce qui est réellement prononcé, les syllabations orale et graphique peuvent être différentes et ne pas se superposer. Dans toutes les langues, en raison de phénomènes phonétiques qui se produisent aux frontières monématiques, comme les enchainements consonantiques ou vocaliques, les liaisons, les épenthèses, les amuïssements, les élisions, etc. la syllabation d'un mot n'est valable que quand ce mot est pris isolément. Une fois inséré dans un énoncé, ses différents phonèmes peuvent former des syllabes avec ceux de leur voisinage immédiat et avoir, par voie de conséquence, un découpage syllabique différent. Machine → ma – chine : 2 syllabes. Machine à coudre → ma – chi – na – coudre : 4 syllabes. À l'exception des mots monosyllabiques pour lesquels les choses sont très simples et claires puisqu'il suffit de mettre toutes les consonnes antéposées au noyau vocalique dans l'attaque de la syllabe et celles qui lui sont postposées dans la coda, dans les mots ou les énoncés polysyllabiques, il est difficile de déterminer, surtout quand on n'est pas locuteur natif de la langue en question, si une consonne appartient à l'attaque d'une syllabe ou à la coda de la précédente, autrement dit, il est difficile de déterminer la frontière ou la coupe syllabique. Doit-on segmenter un mot comme "atlas" en deux syllabes, comme ceci : "a – tlas" ou comme cela : "at – las" ? Les phonéticiens qui se sont penchés sur la question et après avoir étudié plusieurs langues du monde, ont conclu qu'il y a toujours un principe qui est respecté dans la formation des syllabes, et donc dans le découpage syllabique. Ce principe se base sur la sonorité des sons de la langue, c'est-à-dire l'ouverture de la bouche lors de l'émission dudit son. Plus la bouche est grande ouverte, plus le son est sonore. Les phonèmes ne sont donc pas alignés aléatoirement dans la chaine parlée, mais agencés de manière à décrire, en fonction du temps, une suite de courbes croissantes et décroissantes sur un axe de sonorité, dont les sommets sont les noyaux syllabiques, et les creux, les frontières. Les phonèmes rentrant dans la constitution d'une syllabe se sonorisent crescendo, de la première consonne de l'attaque jusqu'au sommet de la syllabe correspondant au noyau vocalique, et suivent le chemin inverse jusqu'à la dernière consonne d'une éventuelle coda. Le degré de sonorité est donc croisant avant le sommet syllabique et décroissant après celui-ci. Ce qui revient à dire que les consonnes se rangent automatiquement et naturellement de la moins sonore à la plus sonore avant le sommet et de la plus sonore à la moins sonore après le même sommet syllabique représenté le plus souvent par l'un des phonèmes les plus sonores que sont les voyelles. Parallèlement à cette échelle de sonorité et sur la base d'un second principe dit de maximisation, les consonnes contiguës et successives comprises entre deux sommets syllabiques sont à considérer comme appartenant à l'attaque de la syllabe qui suit plutôt qu'à la coda de celle qui précède, tant que cette hiérarchie sonore n'est pas rompue. En d'autres termes, on ne rattache une consonne à la coda de la syllabe précédente que si elle est plus sonore que sa voisine subséquente. En appliquant ce qui vient d'être dit à propos des principe de sonorité et de maximisation, on déduit que la bonne segmentation syllabique du mot "atlas" est "a – tlas" et non pas "at – las", car l'occlusive dentale /t/, étant moins sonore que la liquide /l/, appartient donc à l'attaque de la seconde syllabe et non pas à la coda de la première. En revanche un mot de même schème morphologique tel que "alsace" sera segmenté, conformément aux mêmes règles, toujours en deux syllabes, mais "al – zas", car la consonne liquide /l/ est plus sonore que la fricative /z/. De ce fait, elle fera donc partie de la coda de la première syllabe. Ceci dit, une consonne intersyllabique s'ajoute à l'attaque de la syllabe suivante ou à la coda de la syllabe précédente selon qu'elle est moins ou plus sonore que la consonne qu'elle précède ou qui la suit. Enfin, quand deux ou plusieurs consonnes ont le même degré de sonorité, elles ont le même statut et sont donc séparées par la coupe syllabique. Un mot comme "obtus" se décompose en deux syllabes "ob – tu" et se réalise couramment, à cause du phénomène d'assimilation déjà vu, "op – tu". Voici les phonèmes français, du moins sonore au plus sonore : consonnes occlusives (p, t, k, b, d, g), consonnes fricatives (f, s, ch, v, z, j), consonnes nasales (m, n, gn, ng), consonnes liquides (l, r), semi-voyelles ou glides (w, y, ui) et enfin toutes les voyelles orales et nasales de la plus fermée à la plus ouverte. 2- La voyelle neutre en français. Dans le système phonétique du français, il existe trois voyelles très proches mais légèrement différentes sur les plans articulatoire et acoustique. Il s'agit du "e" fermé noté [ø] comme dans le mot "peu", du "e" ouvert noté [œ] comme dans le mot "peuple" et enfin du "e" central appelé voyelle neutre et noté [ǝ] comme dans le mot "petit". Bien que ces trois sons se réalisent différemment sur le plan articulatoire, les paires minimales qui les opposent les uns aux autres sont vraiment rarissimes, pour ne pas dire inexistantes. La seule opposition qu'évoquent la plupart de linguistes est pelage/plage, dans laquelle on remarque aisément que le shcwa ou voyelle neutre, dont la prononciation est obligatoire, s'oppose parfaitement à son absence, c'est-à-dire que le mot change de signification juste par sa seule présence ou absence. La phonologie parle d'un archiphonème [Œ] produit ouvert ou fermé selon le contexte phonique ou encore la région géographique. Quant à la voyelle neutre, elle reste une voyelle instable et très fluctuante, complétement muette dans certains environnements phoniques ou régionaux et certains registres de la langue, facultative et obligatoire dans certains autres cas de même nature. Contrairement aux autres voyelles pleines du système phonologique français qui se prononcent dans tous les contextes où elles apparaissent, la voyelle neutre est susceptible de s'effacer et disparaitre complétement sans rien changer au sens du mot ou de l'énoncé. Que l'on prononce ou pas le "e" compris dans le mot "petit" ne change rien au sens du mot, et il en est de même pour le "e" de la préposition "de" dans la phrase "un sac de sable". Dans les cas où la voyelle neutre est obligatoire, elle se réalise alors, selon les contextes phoniques immédiats, comme l'une ou l'autre des deux réalisations de l'archiphonème [Œ], à savoir le "e" fermé noté [ø] ou le "e" ouvert noté [œ]. On prononce aujourd'hui "de" (la préposition) comme "deux" (le chiffre) avec un "e" fermé. On prononce, à moins de faire vraiment attention, "demain" comme "deux mains", le pronom personnel "je", pris isolément, comme le nom "jeu", l'adjectif démonstratif "ce" comme le pronom du même nom "ceux", etc. Par ailleurs, on enregistre également des différences régionales et stylistiques relatives au registre et au niveau de la langue. Les natifs du Sud de la France prononcent plus la voyelle neutre que leurs compatriotes du Nord ou les Québécois. Aussi, les Parisiens réalisent couramment les mots "poêle" et "poil" sans aucune nuance phonétique notable, alors que les Occitans produisent le premier mot avec une voyelle neutre finale bien articulée, presque égale au "e" ouvert. Sur le plan stylistique, la prononciation de la voyelle neutre est proportionnelle au registre de la langue utilisé, plus le registre est soutenu, plus la voyelle neutre est bien réalisée phonétiquement, et vice-versa. Sur le plan graphique, la voyelle neutre [ǝ] correspond à la lettre "e" de l'alphabet orthographiée le plus souvent sans accent. Cependant, il arrive que cette voyelle soit marquée par "ai" (faisais) ou "on" (monsieur), et aussi que cette même lettre "e" rende les réalisations fermée et ouverte de l'archiphonème [E] quand elle est suivie d'un "x", de deux consonnes identiques ou différentes quand la seconde n'est pas "l" ou "r" et aussi dans certaines finales de mots en er (boucher), ez (nez), ed (pied), ef (clef), et (reflet), es (mes). Enfin et exceptionnellement, ce graphème "e" se prononce [a] dans le mot "femme". La grande question qui se pose au sujet de cette voyelle neutre, en plus du caractère graphique et notamment pour un apprenant allophone, c'est de savoir quand elle est muette et donc supprimable, obligatoire et donc prononçable et facultative, donc optionnelle. En général et en français standard, cette voyelle neutre ("e" muet ou caduc) est supprimable, et donc non prononçable, en finale de mots et quand elle est suivie, au sein du mot ou du syntagme, directement par une voyelle pleine. Le "h" aspiré est à considérer, à cet effet, comme une consonne. Par contre, si la voyelle neutre est entourée par au moins trois consonnes, elle est obligatoirement produite, ne serait-ce que furtivement, phonétiquement parlant. Dans le reste des cas, son apparition dans la chaine parlée est facultative et donc optionnelle selon le registre linguistique ou tout simplement la volonté du locuteur. Quand la voyelle neutre est comprise entre trois consonnes et plus, le nombre de consonnes se situant de part et d'autre, ainsi que la nature de ces consonnes, jouent un rôle dans sa réalisation et sa perception. La voyelle neutre est plus perceptible quand il y a plus de consonnes à sa gauche qu'à sa droite, et quand ces consonnes s'enchainent selon l'échelle de sonorité que l'on a vue dans la syllabation. Ce qui revient à dire que la voyelle neutre est prononcée dans un but épenthétique pour mieux sonoriser le sommet syllabique que les consonnes font généralement très mal et difficilement toutes seules. Quelques illustrations. - Voyelle neutre en finale de mots simples ou devant une voyelle au sein du syntagme. Une belle valise, un acte administratif. - Voyelle neutre suivie d'une consonne ou comprise entre deux consonnes. Un dénuement, la tige casse. - Voyelle neutre précédée de deux consonnes et suivie d'une voyelle. L'arbitre a sifflé, il est svelte et beau. - Voyelle neutre comprise entre une suite de trois consonnes ou plus. La dernière pluie (une à gauche et deux à droite). Une fine strate (une à gauche et trois à droite). Un énorme gâteau (deux à gauche et une à droite) Quelques grammes (deux à gauche et deux à droite). Un arbitre strict (deux à gauche et trois à droite). Un monstre vert (trois à gauche et une à droite). Un lustre plat (trois à gauche et deux à droite). Un arbre strié (trois à gauche et trois à droite). Remarque. Un phénomène de chute totale de la consonne vibrante /R/ se produit parfois dans certains usages du langage parlé, quand la voyelle neutre est située entre plus de trois consonnes. Un segment comme "un autre bruit" se réalise couramment "un aut'bruit". Cela raccourcit le segment, réduit le nombre de consonnes contiguës qu'il contient et permet d'éviter la production obligatoire de la voyelle neutre. Au lieu de produire la voyelle neutre, on choisit, selon la facilité et la loi du moindre effort, d'amputer le segment phonétique d'une consonne radicale et donc de ne pas la prononcer. 3- La voyelle neutre en berbère. En langue berbère en général, la voyelle neutre est aussi une voyelle phonétique instable qui jouit d'une forte mobilité au sein des segments phonétiques de la chaine parlée. On entend par segment phonétique, tout mot ou groupe de mots orthographiques se prononçant d'un seul trait, sans pause ni rupture entre eux dans la chaine parlée. Ces déplacements fréquents de la voyelle phonétique [ǝ] sont étroitement liés à la syllabation qui s'opère, elle aussi, selon les segments phonétiques et non pas selon les unités prises isolément. La structure syllabique d'une unité qui change selon sa déclinaison, sa flexion et ses rapports syntaxiques entraine souvent le déplacement de cette voyelle neutre pour ajuster le rythme, lubrifier et sonoriser, un tant soit peu, les syllabes exclusivement consonantiques. La voyelle neutre vient se rajouter alors à la consonne la plus sonore pour l'aider à assumer le rôle de sommet syllabique selon les règles évoquées précédemment. Les unités concernées par l'apparition de ce lubrifiant phonétique, ainsi que par sa mobilité, sont les nominaux quand ils se déclinent ou s'associent avec des éléments grammaticaux divers comme les affixes personnels, les déictiques et autres, les verbes quand ils se conjuguent ou s'emploient avec des pronoms compléments ou des particules de direction et, à un degré moindre, les prépositions et certains autres déterminants quand ils se combinent à des pronoms personnels compléments d'objet direct ou indirect, à des affixes personnels à valeur possessive et à des modalités démonstratives. Dans le mot simple, c'est-à-dire sans aucune déclinaison, flexion ou expansion primaire, autrement dit considéré en dehors de tout contexte morphologique ou syntaxique, la voyelle neutre apparait, à chaque fois qu'un groupe de deux ou trois consonnes est constitué, pour se joindre à la consonne assurant le rôle de noyau syllabique selon le principe de sonorité. Sa position est très prévisible et facilement localisable. Le vide vocalique apparait toujours avant la dernière consonne du groupe et ensuite entre chaque paire de consonnes si l'endroit n'est pas déjà occupé par une voyelle pleine, jusqu'au début du mot où il n'est pas exclu de trouver parfois cette voyelle neutre. Les consonnes tendues sont considérées, dans ces cas, comme des suites bi-consonantiques au milieu des mots et comme une seule consonne en initiale. La voyelle neutre apparait avant la consonne finale car elle ne peut pas constituer une syllabe ouverte. Une syllabe constituée avec la voyelle neutre comme noyau doit toujours posséder, contrairement aux autres voyelles pleines /a/, /i/ et /u/, une coda. Les structures syllabiques V et CV sont impossibles quand V est représenté par la voyelle neutre [ǝ]. - Sser (charme), tewser (vieillesse), zzher (chance), izem (lion), awren (semoule), amergu (grive), amrabeḍ (marabout), aferṭeṭṭu (papillon), etc. - Rfed (soulever), rwel (s'enfuir), ṭṭerḍeq (exploser), ddukel (aller ensemble), beddel (changer), kcem (rentrer), gzem (couper), etc. - Annect (de la taille de), nutenti (elles), nekni (nous), werɛad (pas encore), ines (à lui), nezzeh (suffisamment), timendeffirt (en arrière), etc. Certains radicaux verbaux monosyllabiques font exception et se présentent avec un vide vocalique obligatoire en initiale, tels que erγ (se brûler) els (se vêtir), efk (donner), eǧǧ (laisser), ečč (manger), ens (passer la nuit), erẓ (casser), enγ (tuer), eẓd (moudre), eẓḍ (tisser), ers (descendre), eks (paitre), enz (se vendre), etc. On remarque que, dans toutes ces unités bilitères, la première consonne est toujours plus sonore que la seconde. Quand c'est l'inverse, la voyelle neutre se met plutôt au milieu comme dans le verbe γer (lire, étudier) ou la préposition ayant la même forme, c'est-à-dire que la voyelle neutre précède toujours la consonne la plus sonore dans la syllabe pour former avec elle le sommet syllabique. Quand le mot est inséré dans un moule morphologique ou dans un contexte syntaxique, les choses se compliquent et la voyelle neutre se déplace selon les nouvelles unités qui viennent se rajouter ou se rattacher à ce mot simple. Les nouveaux segments ainsi formés se prononcent d'une seule traite, comme des segments phonétiques uniques et donc comme un ensemble de syllabes soudées oralement. La voyelle vide apparait ou se déplace toujours vers le sommet syllabique pour renforcer la consonne s'y trouvant, quand il n'y a pas de voyelle pleine, de manière à ce qu'il n'y ait pas de syllabes exclusivement consonantiques et que chaque syllabe de la chaine ait, à défaut d'une voyelle à son sommet, au moins un semblant de voyelle pour sonoriser le sommet et le rendre plus perceptible acoustiquement. Le nombre de voyelles neutres qui apparaissent dans une chaine phonétique donnée dépend de sa longueur et aussi du nombre de consonnes contiguës et successives, et par ricochet, du nombre de syllabes que l'on peut former dans le segment phonétique en question. On peut trouver en berbère, des suites consonantiques pouvant contenir jusqu'à une dizaine de consonnes articulées sans aucune voyelle pleine et sans aucune pause ou rupture entre elles. /Skcmnt tnt/ (elles les ont rentrées ou fait rentrer). La position de chaque voyelle neutre dépend de la hiérarchie sonore des consonnes en présence, mais aussi parfois du découpage syllabique que l'on peut faire à tort ou à raison. C'est un peu comme dans l'exemple précédent concernant le mot "atlas". Un segment comme /awḍd/ (aweḍ-ed : arriver vers l'endroit où se trouve le locuteur) peut être réalisé phonétiquement de deux manières, soit comme [awḍed], soit comme [aweḍd], c'est-à-dire avec une voyelle neutre avant ou après la consonne rétroflexe /ḍ/. La deuxième prononciation est contraire au principe de maximisation des consonnes dans la syllabe puisqu'elle suppose un découpage syllabique en "a – weḍd" alors que la semi-voyelle /w/ ne peut pas appartenir à cette syllabe car elle est plus sonore que /ḍ/. De ce fait, elle doit obligatoirement faire partie de la coda de la syllabe précédente. Selon que l'on découpe en "aw – ḍed" ou bien en "a – weḍd", la voyelle neutre n'occupe pas la même position par rapport à la consonne /ḍ/, constituant le noyau et le sommet de la seconde syllabe. En plus de ce cas de découpage syllabique double et volontaire d'une même séquence, il arrive que la voyelle neutre apparaisse, disparaisse ou change de position au fur et à mesure que l'on rattache des désinences, des morphèmes et des affixes divers. Cette latitude de la voyelle neutre [ǝ] touche toutes les catégories syntaxiques de la langue susceptibles de recevoir des segments grammaticaux avec lesquels elles forment des syntagmes phonétiquement homogènes. Les recommandations qui existent, à l'heure actuelle au sujet de la notation de cette voyelle particulière dans une transcription quotidienne, sont celles émanant de l'Inalco en 1996. Elles préconisent de ne pas la noter en initiale de mots de plus de deux consonnes et de ne pas tenir compte de la mobilité de cette voyelle et de la stabiliser dans l'écriture de façon à ce que le même mot isolé s'écrive toujours de la même manière dans tous les contextes. Le mot isolé est défini comme l’unité lexicale avec ses marques grammaticales non mobiles. Correspondent alors à cette définition, tous les noms quels que soient leur genre, nombre ou état, tous les verbes simples et dérivés conjugués ou non ainsi que tous les composés agglutinés orthographiquement. Mais alors, doit-on écrire : Imerqmen ou imreqmen (chardonnerets). Tilmeẓyin ou tilemẓyin (jeunes filles) Timnegbin ou timengbin (accompagnatrices de la mariée). Terfḍed ou trefḍed (tu as soulevé). Trefdem ou terfdem (vous avez soulevé). Trefdemt ou terfdemt (vous avez soulevé, au féminin). Sskecmen ou ssekcmen (ils ont rentré ou fait rentrer). Tesṭerḍqed ou tesṭreḍqed (tu as fait exploser, éclater). Sendiḍelli ou snediḍelli (avant-hier) La règle des trois consonnes ne permet pas toujours de bien localiser la voyelle neutre vu qu'elle ne précise pas la position exacte de cette voyelle vide, en ne disant pas s'il faut mettre le "e" après la première ou avant la dernière des trois consonnes en question. De plus les consonnes tendues, qui se comportent tantôt comme une seule consonne, tantôt comme des suites bi-consonantiques, violent parfois cette règle se basant uniquement sur le nombre de consonnes. On dit et on écrit "ikemmez" (il se gratte habituellement) avec la consonne tendue entre deux "e" comme s'il s'agissait de deux consonnes différentes mais "kemmzen" (ils se grattent habituellement), comme si /M/ était une consonne unique. La tension de la consonne /m/ est d'une évidence incontestable dans cet exemple, car elle est pertinente et ne pas en tenir compte conduirait respectivement aux formes verbales correspondantes à valeur accomplie du prétérit. Enfin, Il faut rajouter à cela que les nombreux verbes trilitères non vocalisés, dans leur forme la plus simple, en l'occurrence à la deuxième personne du singulier de l'impératif, considérée comme forme infinitive, ne sont réalisés concrètement ni comme CeCC, ni comme CCeC, mais comme eCCeC. Sur le plan didactico-pédagogique, cette règle des trois consonnes n'aurait aucun sens et ne serait d'aucune utilité à tout apprenant ne pouvant pas s'appuyer sur sa grammaire mentale et sa connaissance orale de la langue. La vraie raison qui justifie l'apparition ou la mobilité de la voyelle neutre relève exclusivement des principes de sonorité et de maximisation des consonnes qui conditionnent l'agencement de ces dernières dans la composition de syllabes et le découpage syllabique. Si on peut prononcer indifféremment pour le verbe "rfed", les formes "trefdem" et "terfdem", on ne peut, en revanche, faire la même chose avec le verbe "krez", qui a pourtant la même morphologie que le verbe précédent. La forme tekrzem" est impossible à réaliser car le découpage syllabique de la séquence /tkrzm/ en "tekr – zem" ou en "tek – rzem" est contraire aux deux principes fondamentaux de la syllabation étant donné que la consonne /r/, en étant plus sonore que les consonnes /k/ et /z/, ne peut donc faire partie ni de la coda de la première syllabe ni de l'attaque de la seconde. Le seul découpage donc possible reste "tker – zem". Par contre, dans les exemples avec le verbe "rfed", la chaine de sonorité n'est pas rompue car la consonne /f/ est moins sonore que ses deux voisines immédiates. Que l'on découpe d'une manière ou d'une autre, la maximisation est respectée aussi bien en attaque qu'en coda des deux syllabes possibles. Dans une perspective de normalisation, de standardisation et d'uniformisation de l'orthographe berbère, il serait intéressant de considérer ce problème de position de la voyelle neutre et de l'étudier sous l'angle de la syllabation. Il n'y a rien de mieux qu'une procédure analytique phonétique pour comprendre et expliquer un phénomène purement phonétique. On arrivera certainement, une fois qu'on aura analysé ces syllabes consonantiques du berbère, selon les principes linguistiques universels dont est fait état antérieurement, à savoir la sonorité et la maximisation, à situer le vide vocalique avec précision dans les mots simples contenant des successions consonantiques et dégager des règles claires qui en fixeraient alors l'orthographe dans une notation usuelle. Échelle de sonorité des phonèmes berbères. Nature des phonèmes + − Exemples Voyelles i, u, a Semi-voyelles y, w Liquides (latérales et vibrantes) l, r Consonnes nasales m, n Fricatives ou spirantes sonores b, d, ḍ, g, z, ẓ, j, γ, ɛ Fricatives ou spirantes sourdes f, t, k, s, c, x, ḥ, h Occlusives sonores b, d, g, q, ǧ Occlusives sourdes p, t, ṭ, k, č Autres problèmes en suspens. En plus du trait d'union et du problème de la mobilité de la voyelle neutre dont il faut absolument fixer les règles orthographiques d'usage dans une notation usuelle, courante et quotidienne du berbère standard, en vue de faciliter son enseignement et son apprentissage par le canal scriptural, aussi bien par les locuteurs natifs que par les apprenants allophones, beaucoup d'autres points similaires restent encore obscurs et nécessitent d'être traités avec le plus grand soin et une analyse scientifique minutieuse, pour dégager des règles adéquates et fondées sur des principes linguistiques universels. En Algérie, depuis la constitution de 1989 qui a ouvert la voie au multipartisme et à l’organisation d’élections pluralistes, la plupart des villes de Kabylie sont gérées par des élus de partis de la mouvance et de l'opposition démocratique. Les maires et autres élus des villes dont les noms ont été dénaturés par l’arabisation ont procédé, de leur propre chef, à leur réhabilitation dans leur forme originelle. Toute la toponymie de leurs territoires a été reberbérisée et avant même la reconnaissance officielle de la langue berbère, des panneaux de signalisation trilingues ornent, désormais, les rues et les frontons des édifices publics. Par ailleurs, par amour à la langue, par acte de militantisme ou pour toute autre raison, beaucoup de berbérophones ou autres essaient d'apporter leur contribution en écrivant exclusivement en berbère ou en l'incluant aux côtés du français et de l'arabe dans des enseignes commerciales, des prospectus publicitaires, des jaquettes d'albums audio-visuels, des génériques de productions cinématographiques, etc. Ces initiatives agréables et encourageantes sont à applaudir avec la plus grande force qui soit car, en plus de la diffusion de la langue, elles assurent, entre autre, la vulgarisation et la généralisation de la scripturalité. Cependant, faute de norme et de règles orthographiques fixes et bien définies, on constate avec consternation que tout le monde écrit à sa manière et n'importe comment, avec tous les risques et conséquences que cela pourrait induire. 1- La tension consonantique. La tension articulatoire se caractérise par une plus grande tension musculaire des organes vocaux, activés lors de l'émission d'un phonème, qui se traduit donc par une importante déformation de l'appareil vocal par rapport au repos. Cette tension articulatoire, susceptible d'affecter aussi bien les consonnes que les voyelles, peut être phonologique et pertinente, c'est-à-dire avoir, comme les phonèmes, une fonction distinctive, ou n'être qu'un mode d'expression d'un état d'esprit quelconque, comme le sentiment de colère par exemple. Cependant, dans ce dernier cas, elle concerne généralement toute une syllabe, voire tout un mot. Dans certaines langues, la tension articulatoire accompagne automatiquement une corrélation déjà existante. Une corrélation est une série de couples de phonèmes dont les termes ne diffèrent que par un même trait distinctif. Les corrélations les plus importantes en français sont les corrélations de voisement et de nasalité. En français par exemple, toutes les consonnes sourdes sont plus fortes que leurs correspondantes sonores. Dans une langue comme l'arabe, c'est le contraire qui se produit car en général, ce sont les consonnes sonores qui sont produites avec plus d'énergie que les sourdes opposées. En berbère, ce trait phonétique de tension articulatoire embrasse tout le système consonantique sans exception, et constitue donc, à lui seul, une corrélation complète et généralisée. Chaque consonne peut être réalisée lâchement ou intensivement, avec plus d’énergie et de force articulatoire. Certaines consonnes fricatives, une fois tendues, voient leur mode et parfois même leur point d'articulation légèrement modifiés. Cette tension consonantique a une valeur phonologique, c’est-à-dire que, parfois, elle permet de distinguer, à elle seule, sémantiquement des mots constitués de phonèmes identiques mais de sens différents. Elle a, par ailleurs, un rôle syntaxique dans le sens où elle sert à marquer l’aspect intensif, duratif ou itératif de nombreux verbes berbères. Tension ordinaire. - Tasebbalt (jarre), uccen (chacal), taddart (village), taffa (amas, tas), aggur (croissant lunaire, mois), allen (yeux), azekka (demain), ammas (bassin), annar (aire de battage, stade), taleqqamt (jeune olivier), agerruj (trésor), tameṭṭut (femme), axxam (maison), amezzir (romarin), etc. Tension pertinente : paires minimales franches. - Tazart (figues sèches) / tazzart (fourche à foin). - Neγ (ou bien) / nneγ (à nous). - Ṛuḥ (va !) / ṛṛuḥ (âme). - Ḥmel (déborder) / ḥemmel (aimer, estimer) - Qleb (retourner, inverser) / qelleb (cherher) - If (surpasser) / iff (sein). - Taqrabt (sacoche) / taqerrabt (cimetière). - Adal (mousse aquatique) / addal (sport) Tension syntaxique : aoriste vs aoriste intensif. - Krez (labourer) / kerrez (labourer habituellement). - Cnu (chanter) / cennu (chanter habituellement). - Γli (tomber) / γelli (tomber habituellement). - Bdu (débuter) / beddu (débuter habituellement). - Fsi (dénouer) / fessi (dénouer habituellement). Les consonnes qui changent de point et/ou de mode d'articulation se rencontrent manifestement dans la tension syntaxique. L'opposition aoriste simple/aoriste intensif, s'opérant chez certains verbes par la tension d'une consonne radicale, illustre parfaitement ce cas de figure. c/čč : kcem → keččem (entrer), ḍ/ṭṭ : rḍel → reṭṭel (préter), t/tt : ftel → fettel (rouler le couscous), d/dd : hder → hedder (parler), b/bb : rbeḥ → rebbeḥ (gagner, réussir), g/gg : mger → megger (moissoner), γ/qq : eγz → qqaz (creuser), w/gg : rwi → reggi (remuer), w/bb : rwu → rebbu (être rassasié), y/gg : ḥyu → heggu (ressusciter), z/zz : rzu → rezzu (visiter). En somme, il y a, en langue berbère, deux types de tension consonantique : une tension lexicale plus ou moins pertinente et une tension syntaxique toujours pertinente et distinctive. Il faut savoir aussi, que la tension se perd et s'acquiert parfois, suivant certaines transformations morphologiques comme la flexion, la déclinaison, la dérivation, etc. - Aḍeggal (gendre, beau-père) → iḍewlan (gendres, beaux-pères) : le son /g/ tendu dans le mot singulier perd sa tension dans le mot pluriel et devient /w/. - Taweṭṭuft (fourmi) → tiweḍfin (fourmis) : le son /ṭ/ tendu dans le mot singulier perd sa tension dans le mot pluriel et devient /ḍ/. - Tizi (colline) → tizza (collines) : le son /z/ non tendu dans le mot singulier devient tendu au pluriel. - Qqim (rester, s'asseoir) → ttγimi (rester, s'asseoir itérativement) : le son /q/ tendu dans l'aoriste simple du verbe perd son trait de tension à l'intensif et devient /γ/. - Ṭṭbel (tambour) → aḍebbal (joueur de tambour) : la consonne tendue /ṭ/ devient /ḍ/ en perdant sa tension et la spirante /b/ devient occlusive en l'acquérant. - Ddukel (s'unir) → tadukli (l'union) : la consonne occlusive /d/, tendue dans le verbe, perd sa tension et son trait occlusif dans le nom "tadukli" issu pourtant de la même racine lexicale. La tension lexicale, quand elle n'est pas distinctive, est parfois difficile à percevoir à l'oreille nue. Elle est, de ce fait, souvent source de différenciation orthographique. Plusieurs mêmes mots sont orthographiés avec ou sans tension selon les auteurs et parfois même par le même auteur. Doit-on écrire "afsas" ou "afessas" (léger), "amsas" ou "amessas" (fade) sachant que l'on écrit "fessus" (il est léger) et "messus" (il est fade), mais que le trait de tension, n'étant pas immuable, peut donc facilement disparaitre dans d'autres mots de la même famille ? On écrit "yewwet" ou "iwwet" (il a frappé) parce que la tension est perceptible mais ne disparait-elle pas dans "tewtem" (vous avez frappé) ou encore "ad wten" (ils frapperont) ? On pourrait multiplier les exemples à l'infini. Pour répondre à ce genre de question, il faudrait une analyse phonétique expérimentale avec des instruments de précision tels que le kymographe, pour calculer l'intensité de chaque phonème dans chaque réalisation contextuelle. Sur le plan orthographique, il faudrait fixer les règles de notation de cette tension non pertinente. Doit-on doubler la lettre uniquement quand la tension est perceptible phonétiquement, ou bien la noter dans tout le champ morphologique, dès lors qu'elle est attestée dans un des mots de la même famille ou dans une unité de base ? Dans ce dernier cas, comment noter les consonnes qui, en perdant ou en acquérant ce trait phonétique de tension selon les transformations formelles du mot dans lequel elles sont radicales, changent de point et/ou de mode articulatoire ? 2- L'indice de la 3ème personne. L’indice de la troisième personne du masculin singulier se présente, dans les formes verbales, sous forme de deux allomorphes à moitié libres et à moitié conditionnés, autrement dit, tantôt interchangeables et tantôt exclusives. Il s'agit des préfixes (y----) et (i----) qui se distribuent, selon l’initiale du radical verbal, comme suit : - La variante "y----" se rencontre devant un thème verbal à initiale vocalique. Yufa (ila trouvé), yif (il est mieux), yura (il a écrit), yumes (il est sale), ad yaweḍ (il arrivera), ad yili (il y aura/sera), ad yafeg (il volera), yuli (il est monté), ad yawi (il portera/prendra), yugi (il a refusé), etc. - La variante "i----" se rencontre devant un thème verbal commençant par une seule consonne brève. Iruḥ (il est parti), icuf (il a gonflé), isuḍ (il a soufflé), ibeddel (il a changé), iteddu (il va habituellement), imal (il est penché, incliné), ad iwali (il verra), ad iḍul (il tardera), iḥemmel (il aime), ifuk (il a/est terminé), etc. - Devant un thème verbal commençant par deux consonnes différentes ou identiques (une consonne tendue), on emploie indifféremment les deux variantes. Yezla/izla (il a égorgé), yensa/insa (il a passé la nuit), yenḥa/inḥa (il est jaloux), yekkat/ikkat (il frappe habituellement), yecfa/icfa (il se souvient), yeqqim/iqqim (il est resté, assis), etc. La question centrale qui se pose est de savoir d’où vient cette variation morphologique qui concerne exclusivement l’indice de la troisième personne du verbe. S’agit-il de variantes morphologiques ayant une existence diachronique dans le système des marques personnelles de la langue, ou seulement de formes synchroniques résultant de phénomènes phonétiques divers. Le cas échéant, s’agit-il d’une vocalisation de la semi-consonne /y/ ou bien, au contraire, d’une consonantisation de la voyelle /i/. Cependant, il faut reconnaitre que le premier phénomène est plus fréquent dans la langue, et donc plus plausible que son opposé. Le berbère étant essentiellement une langue orale, on ne dispose pas de traces écrites susceptibles de rendre compte d’un état primitif de la langue. Tout état linguistique antérieur, pouvant être reconstruit diachroniquement, reste hypothétique et passe obligatoirement par la comparaison avec les autres parlers ou langues apparentées. Dans les langues voisines sémitiques, à savoir l’arabe et l’hébreu, l’indice de la troisième personne du masculin singulier a toujours la forme (y----), quand le verbe exprime une action inaccomplie. Il faut rappeler que les langues sémitiques possèdent une conjugaison exclusivement suffixale au prétérit et une marque personnelle sans signifiant à la troisième personne du masculin singulier. C’est d’ailleurs cette forme qui joue le rôle d’infinitif dans ces deux langues précisément. C’est quasiment aussi le cas dans les autres langues de tout le domaine chamitosémitique. Quand la conjugaison nécessite un préfixe à la troisième personne du masculin singulier, c’est toujours (y----) qui assume le signifiant de l’indice personnel. La comparaison interdialectale berbère fait ressortir les mêmes variantes avec, plus ou moins, les mêmes distributions contextuelles énumérées antérieurement, soit (y----) devant une voyelle, (i----) devant une consonne simple et l’un ou l’autre des deux indices partout ailleurs. Dans le corpus que nous avons analysé ainsi que dans notre idiolecte en tant que locuteur natif, le préfixe (y----) peut s’employer quel que soit le contexte phonique, y compris devant une consonne brève. De plus, les formes verbales faisant intervenir le préfixe (i----) sont toujours réalisées avec un /i/ allongé qui se différencie nettement de la même voyelle /i/, en tant qu'initiale de certains noms masculins. Le verbe "irgel" (il a bouché, il est bouché) ne se prononce pas de la même manière que le nom "irgel" (paupière). Il en est de même pour "iger" (champ de blé) et "iger" (il a mis, il a entré), illeḍ (orgelet) et illeḍ (il s'est ratatiné), iẓra (cailloux) et iẓra (il est au courant), islan (les mariés) et islan (ayant entendu), etc. Les "i" des verbes sont toujours prononcés plus longuement, voire plus intensivement, que ceux des noms. La longueur vocalique, témoignant toujours dans plusieurs autres contextes de la disparition d'une consonne, se manifeste dans ce cas précis pour la même raison. La somme de tous ces facteurs nous amène donc à conclure que d'une part, le préfixe (y----) est le véritable indice de la troisième personne du masculin singulier et d'autre part, que ce signifiant déjà semi-vocalique se vocalise complètement et devient (i----) devant les thèmes verbaux à initiale consonantique dans certains usages courants ou régionaux. Aujourd'hui, dans toutes les publications existantes, utilisant une notation usuelle comme les romans, les recueils de textes ou de poèmes et tous les ouvrages littéraires destinés à un large public, les auteurs adoptent, excepté devant les radicaux verbaux à initiale vocalique, indifféremment les préfixes (y----) ou (i----) comme indice personnel dans la conjugaison des verbes à la troisième personne du masculin singulier, et aussi comme initiale de tous les participes de la forme affirmative. Quelquefois, dans un même livre on trouve un même verbe ou un même participe écrit tantôt avec un "i" et tantôt avec un "y". Là encore, en l'absence de norme et de règles orthographiques prescriptives, chaque auteur écrit comme il l'entend, d'une manière intuitive ou selon sa prononciation et celle de son groupe linguistique d'appartenance. Il serait donc primordial de circonscrire ce problème et de le baliser par une règle orthographique décisive, claire et précise quant à la transcription du signifiant de l'indice de la troisième personne du masculin singulier, notamment devant les radicaux commençant par deux consonnes identiques ou différentes qui acceptent très facilement les deux formes du préfixe personnel. Il faudrait trancher cette question et décider quelle forme écrire dans chacun des trois contextes possibles. Cependant, dans un souci d'uniformisation et de cohérence orthographique, mais aussi du paradigme des marques personnelles, il serait peut-être préférable d'opter pour une règle générale, sans exception notable, et noter cet indice de la troisième personne par le préfixe (y---), authentique et plus attesté, dans tous les contextes phoniques. En effet, rien n'interdit d'écrire "ywala" ou "yewala" (il a vu) et dire ensuite "iwala". Une orthographe n'est jamais le reflet exact ou la copie conforme de la prononciation ; il existe toujours, dans toutes les langues du monde, une distanciation entre ce qui est noté et ce qui est effectivement prononcé. De plus, la langue connait déjà ce type de décalage dans les assimilations par exemple. 3- Les incidents phonétiques divers. Comme nous l'avions déjà écrit dans la partie sur les assimilations, au sein des mots et aux frontières de monèmes appartenant à un même syntagme, il se produit quelquefois des changements phonétiques dans la continuité sonore de la chaine parlée, suite à certains contacts de phonèmes ou aux influences exercées par les uns sur les autres. Ces différents incidents se manifestent de diverses manières, en rapport avec la nature des phonèmes qui se rencontrent directement dans la séquence phonétique. On enregistre, selon les cas et selon les régions, des modifications pouvant consister en des chutes totales de phonèmes, des changements légers ou profonds dans leurs trais constitutifs, des apparitions de phonèmes non radicaux, etc. Au niveau graphique, la question qui se pose est de savoir si l'on doit tenir compte ou non de toutes ces modifications que subissent certains phonèmes, sous l'influence d'autres avec lesquels ils rentrent en contact direct, dans une notation orthographique usuelle, pratique et courante de la langue. Au niveau du mot, sachant que les radicaux subissent parfois des altérations internes, dans leur structure formelle, qui peuvent se traduire par une disparition pure et simple d'une consonne radicale sans rapport aucun avec un phénomène d'assimilation quelconque, il ne serait nullement dommageable de noter le mot tel qu'il se prononce réellement dans une orthographe d'usage. Le verbe "aker" (voler) perd bien la consonne /ḍ/ existant dans le radical du nom d'action verbale "takerḍa" (vol), et le nom "teγzi" (longueur) perd bien la consonne /f/ faisant partie du radical du verbe "iγzif" (être long) dont il est issu. Tout cela, sans aucune forme d'assimilation que ce soit. C'est un peu comme le verbe "aller" du français qui change de radical selon sa flexion. Il n'y aura donc aucun problème si l'on fait abstraction de ce phénomène d'assimilation et que l'on note chaque mot selon sa prononciation concrète. En revanche, au sein du syntagme, prendre en compte toutes les réalisations orales causées par des assimilations, des neutralisations, des hiatus et par tous les autres accidents qui relèvent purement du domaine de la phonétique, dans une notation usuelle, engendrerait une différenciation et une diversification de l'écriture d'une région à une autre, voire d'un village à un autre, étant donné que les changements ne sont jamais généralisés ou communs à tous les différents usages de la langue. De plus, une notation avec les formes assimilées masquerait les différents éléments grammaticaux agencés dans la structure formelle du syntagme et rendrait leur identification difficile, voire impossible pour tout apprenant en général et allophone plus particulièrement. Le Centre de recherche berbère de l'Inalco, dans ses résolutions de 1996 relatives à la notation usuelle du berbère à base latine, recommande vivement le rétablissement de ces assimilations, ainsi que de tous les autres incidents phonétiques qui se produisent dans la continuité sonore de la chaine syntagmatique, dans leur forme canonique, c'est-à-dire écrire chaque unité selon la morphologie sous laquelle elle se présente en dehors de tout contexte, afin, d'une part, d'uniformiser l'orthographe de tous les usages régionaux et dialectaux, et d'autre part, de permettre et de faciliter la reconnaissance des différentes unités grammaticales de l'énoncé. Dans un cadre purement pédagogique, on pourrait, dans un apprentissage élémentaire, signaler ces distorsions par des signes divers, comme la flèche courbée que l'on utilise pour faire remarquer les enchainements consonantiques ou les liaisons en français. En plus du rapprochement aux formes effectivement attestées dans d'autres parlers et de l'unification de la transcription, cette option de notation de la forme canonique permettrait une meilleure visibilité des différents composants morphosyntaxiques. Encore une fois, on ne peut arguer de la distanciation engendrée entre les formes écrite et parlée pour appuyer l'idée d'utilisation des formes assimilées dans la notation. Aucune écriture usuelle du monde ne rend exactement ce qui est réellement prononcé par l'ensemble des locuteurs de la langue ainsi écrite. Il y a toujours une distanciation, ne serait-ce que légère, entre la langue orale et la langue écrite. 4- La préposition "n". La préposition "n", correspondant à la préposition "de" du français, sert à relier des nominaux et à marquer des rapports assez divers entre eux : l'origine, l'appartenance, la provenance, la nature, la quantité, la description, la composition, etc. Comme la plupart des autres prépositions de la langue, elle introduit des nominaux qui prennent obligatoirement la marque d’annexion, sauf quand ces derniers connaissent une neutralisation ou un syncrétisme de l'opposition d'état, qui les rend manifestement non annexables. Rappelons aussi que la consonne occlusive dentale nasale /n/, constituant le signifiant de cette préposition, est facilement assimilable. Elle est dominée, dans le cadre du monème ou du syntagme, par presque toutes les autres consonnes du système. On distingue des assimilations obligatoires et des assimilations facultatives, des assimilations totales et des assimilations partielles. Quand le nom subséquent commence par l’un des phonèmes /l/, /t/, /r/, /f/, /b/, /m/, /w/, /y/, le son /n/ de la préposition est toujours assimilé par ces phonèmes qui enregistrent alors une forte intensité articulatoire dans leur production et deviennent tendus. Pour les deux derniers phonèmes, les semi-voyelles /w/ et /y/, leur tension aboutit respectivement aux consonnes /B/ et /G/. Le signifiant de la préposition "n" présente également une autre particularité qui consiste à s'annuler complètement dans certains contextes en engendrant comme conséquence, la non expression de la préposition "n". en effet, la préposition n'est jamais exprimée oralement devant les noms non annexables et ceux dont l'annexion se réalise par l'alternance vocalique a/u. (Cf. le chapitre sur l'état d'annexion du nom). - Axxam n jeddi (la maison de mon grand-père) : cet énoncé se réalise toujours tel quel, sans aucun changement phonétique notable. - Axxam n xali (la maison de mon oncle) : cet énoncé peut se réaliser comme "axxamt xxali", soit avec une assimilation facultative. - Axxam n yesli (la maison du marié) : cet énoncé se réalise toujours comme "axxam ggesli", soit avec une assimilation obligatoire. - Axxam n wesγar (une maison en bois) : cet énoncé se réalise toujours comme "axxam bbesγar", soit avec une assimilation obligatoire. - Axxam n uγanim (une maison en roseau) : cet énoncé se réalise toujours "axxam uγanim, soit avec une disparition totale de la préposition "n". - Axxam n igellil (la maison du pauvre) : cet énoncé se réalise toujours "axxam igellil, soit avec une disparition totale de la préposition "n". Dans ces deux derniers exemples, la préposition "n" n'a aucune existence phonique. La fonction assurée ou le rapport exprimé entre les deux noms est présent car on sait très bien que les deux éléments ne sont pas uniquement juxtaposés, mais l'unité devant représenter ce rapport ou cette fonction est totalement absente dans la chaine parlée. Le signe linguistique ou l'unité significative que représente la préposition "n" est, dans ces deux cas, constituée d'un signifié qui est le rapport ou la fonction exprimée, la nature ou la composition dans le premier exemple et l'appartenance dans le second, et d'un signifiant nul. Le trait prosodique apparaissant dans la chaine parlée et se manifestant par l'intensité et l'allongement de la voyelle initiale du second nominal dans le dernier exemple, bien qu'inexistant quand les deux noms sont juste juxtaposés ou coordonnés, ne peut pas être considéré comme le signifiant de la fonction assurée par la préposition "n" ,car primo, ce trait n'apparait pas uniquement quand il y a la préposition "n" mais plutôt dans tous les contextes syntaxiques qui demandent à ce que le nom soit annexé et secundo, le même trait prosodique n'apparait pas dans l'avant-dernier exemple où l'on enregistre pourtant bel et bien la fonction de la même préposition. - Axxam d igellil (la maison et le pauvre) : la voyelle initiale /i/ du second nom est réalisée allongée. - Axxam igellil (la maison du pauvre) : la voyelle initiale /i/ du second nom est réalisée allongée. - Iruḥ igellil (il est parti, le pauvre) : la même voyelle initiale du même nom est réalisée allongée. - Axxam uγanim (une maison en roseau) : la voyelle initiale /u/ du second nom est réalisée normalement. L'allongement vocalique qui caractérise la voyelle initiale du nom "igellil" dans le dernier exemple de la liste précédente ne joue donc pas le rôle de signifiant de la préposition "n" dans ce contexte, et ne constitue pas, non plus, un indice de sa disparition. Ce trait prosodique témoigne plutôt de la neutralisation de la marque d'annexion. On constate parfaitement la différence de longueur vocalique de l'initiale /i/ du nom en le faisant opposer à son état libre. Les segments d'énoncés "d igellil" (c'est un pauvre) et "d igellil" (et/avec un pauvre) ne se réalisent pas avec une même intensité sur le /i/ initial du nom "igellil". La voyelle /i/ est plus longue dans le second exemple car le nom est dans une position qui nécessite une marque d'annexion. Dans un énoncé comme "yewwet igellil", le nom "igellil" peut être complément d'objet ou complément référentiel. L'énoncé peut être interprété alors soit comme "il a frappé un/le pauvre", soit comme "un/le pauvre a frappé". Dans le second contexte, un autre nom, comme "argaz" par exemple, aurait pris la marque d'annexion, mais comme le nom "igellil" n'est pas annexable, on allonge sa voyelle initiale pour compenser cette neutralisation de l'opposition d'état, lever l'ambiguïté sémantique et distinguer les deux acceptions possibles de l'énoncé. Dans l'avant-dernier exemple de la liste où le nom est normalement annexé (aγanim → uγanim), il n'y a aucun allongement ou intensité vocalique décelable. Par ailleurs, on ne peut pas considérer, non plus, cette disparition du signifiant de la préposition "n" dans ces deux exemples comme des cas d'assimilation, car une telle reconnaissance reviendrait à affirmer que les voyelles peuvent assimiler les consonnes. Ce qui est fort improbable et contraire même à la définition du phénomène d'assimilation en tant que tel, étant donné que ces deux types de phonèmes, les voyelles et les consonnes, n'ont pas de traits communs à se transmettre. De plus, dans l'assimilation la plus totale qui soit, on retrouve toujours un vestige de la consonne assimilée, un trait articulatoire quelconque dans le phonème assimilant. Or, dans ces exemples, on ne trouve rien de tel dans les voyelles restantes qui ne perdent ou ne gagnent aucun train qu'elles n'ont pas par ailleurs, contrairement aux autres exemples où il y a réellement une assimilation de la consonne /n/, représentant l'image acoustique de la préposition, par les phonèmes initiaux des noms subséquents. Lesquels sons deviennent tendus et/ou changent leur point et/ou mode d'articulation. En définitive, tous ces paramètres réunis nous amène à conclure qu'il s'agit bel bien de signifiant zéro de la préposition "n" dans ces contextes précis et à se poser la question de savoir si l'on doit noter ou non cette préposition sous-entendue, mais sans forme physique apparente, dans une notation usuelle, courante et quotidienne de la langue.