V U Enter o c a b u l a i r e

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V ocabulaire
Enter
ne longue histoire pour ce verbe enter,
non pas en chirurgie, certes, mais chez
U
les agronomes. Le passage du mot grec
emphuton au latin populaire imputos, d’où le
verbe imputare, avec les sens de “greffe” et
“greffer”, a dû se faire avec les colonies
grecques de Méditerranée, dont la plus
célèbre était Phocée, future Marseille.
Emphuton, “la greffe”, où l’on reconnaît le
mot de la végétation, phuton (phyto- et phyte dans la plupart des langues européennes aujourd’hui), n’était pas le seul
terme employé pour cette pratique. Le latin
disait aussi insertare, “insérer”, et, en français du XVe siècle, insertion voulait dire
“greffe”, ou “greffage”.
Quand greffer s’est généralisé dans notre
langue, enter s’est spécialisé et est devenu
moins courant. On l’emploie, cependant, à
propos des pruniers destinés à fournir les
fruits qui deviendront des pruneaux, et qu’on appelle prunes d’ente (quand j’entendais l’expression, étant fort jeune, je croyais que c’était un hommage à l’auteur de
la Divine Comédie). En outre, enter et son dérivé enture sont passés de l’arboriculture à la menuiserie à partir du XVIIe siècle, lorsqu’il s’agit d’assembler deux pièces
de bois à bout : enter est plus qu’abouter. On parle aussi d’enture en joaillerie.
Mot de la civilisation agricole méditerranéenne, enter a donc acquis des lettres de
noblesse artisanale et une précision plus grande que greffer, le verbe le plus employé
et le plus général dans ce contexte.
L’entrée des mots de la culture dans le domaine chirurgical correspond au transfert de l’intervention sur la vie végétale à celle que la chirurgie effectue sur les organismes humains, ce qui souligne à la fois la continuité des pratiques biologiques
et la référence à des artisanats séculaires portant sur l’amélioration des espèces
cultivées.
À la différence de greffer, le verbe enter est peu employé aujourd’hui au figuré ; il
n’a rien à voir avec enteros, “l’intestin” – qu’on retrouve dans entérite –, encore qu’un
tel organe, très allongé, se prête à l’enture. Enfin, il suggère le calembour : “lorsque
le chirurgien ente un organe, il ne fait pas du corps du patient un château hanté”.
Alain Rey,
directeur de rédaction du Robert, Paris
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Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 3 - juillet-août-sept. 2003
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