A Prévention nutritionnelle des cancers Actualités sur

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Actualités sur
la PRÉVENTION
Prévention nutritionnelle
des cancers
Nutrition and cancer prevention
R. Ancellin*
A
u cours des dernières années, la mise en
place d’une politique nutritionnelle en France
est apparue comme une priorité de santé
publique. Lancé en 2001, le Programme national
nutrition santé (PNNS1 : 2001-2005 ; PNNS2 :
2006-2010, et PNNS3 : 2011-2015) a pour objectif
l’amélioration de l’état de santé de l’ensemble de
la population, en agissant sur l’un de ses principaux déterminants, la nutrition. Le rôle joué par
les facteurs nutritionnels dans l’apparition des
pathologies les plus répandues ou dans la protection contre celles-ci est de mieux en mieux compris.
Les recherches des 40 dernières années ont montré
l’influence de la nutrition sur la survenue de certains
cancers. Source de facteurs de risque et de facteurs
protecteurs, la nutrition, qui englobe à la fois l’alimentation, y compris l’alcool, le statut pondéral et
l’activité physique, fait partie des facteurs comportementaux sur lesquels il est possible d’agir pour
accroître la prévention des cancers. C’est ce que
montre le rapport du World Cancer Research
Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer
Research (AICR) [1], qui est actuellement le rapport
d’expertise collective scientifique de référence à
l’échelle internationale. Depuis 2007, le WCRF/
AICR actualise ses données et publie des rapports
pour chaque type de localisation (2-6). Les données
concernant l’épidémiologie, les mécanismes et le
niveau de preuve a présentées ci-après reposent
sur l’évaluation scientifique établie par le WCRF/
AICR (1-6) [tableau I, p. 196].
Facteurs nutritionnels
augmentant le risque de cancer
Il a été prouvé de façon convaincante ou probable
que le risque de cancer est augmenté par la
consommation de boissons alcoolisées, le surpoids
et l’obésité, l’excès de viande rouge ou de charcuterie, le sel et les aliments salés et les compléments alimentaires contenant du bêta-carotène.
L’Institut national du cancer (INCa) est l’agence ➤ initier et soutenir des projets de
sanitaire et scientifique de l’État chargée de recherche et l’innovation médicale,
coordonner les actions de lutte contre le cancer. technologique et organisationnelle ;
Créé par la loi de santé publique du 9 août ➤ agir sur l’organisation des dépistages, des
2004, il est placé sous la tutelle conjointe du soins et de la recherche ;
ministère des Affaires sociales et de la Santé ➤ produire des expertises sous forme de
et du ministère de l’Éducation nationale, de recommandations nationales, de référentiels,
l’Enseignement supérieur et de la Recherche. de rapports et d’avis ;
L’INCa a pour ambition de jouer un rôle d’accé- ➤ produire, analyser et évaluer des données
lérateur de progrès au service des personnes dans tous les domaines de la cancérologie ;
malades, de leurs proches, des usagers du ➤ favoriser l’appropriation des connaissances
système de santé, de la population générale, des et des bonnes pratiques par les différents
professionnels de la santé, des chercheurs, des publics.
experts et des décideurs. Ses missions sont de :
coordonner les actions de lutte contre le
cancer ;
➤
Retrouvez les publications de l’INCa
sur www.e-cancer.fr
La consommation de boissons alcoolisées (vin,
bière, spiritueux, etc.) augmente le risque de
plusieurs cancers. Le risque s’accroît avec la dose
totale d’alcool consommée. L’augmentation du
risque de cancer pour 1 verre de boisson alcoolisée
consommé par jour est estimée à 10 % pour le
cancer colorectal (3) et à 10 % pour le cancer du
sein (2). Pour le cancer de l’œsophage et celui de
la bouche, du pharynx et du larynx, l’augmentation pour 1 verre de boisson alcoolisée consommé
par semaine est estimée à 4 et à 24 %, respectivement (1).
Divers mécanismes ont été identifiés. Certains
sont probablement communs à toutes les localisations de cancer : effet génotoxique de l’acétaldéhyde (principal métabolite de l’éthanol) et/ou
des radicaux libres produits ; déficits nutritionnels,
notamment en folates et autres vitamines. D’autres
mécanismes semblent plus spécifiques de la localisation, comme la modification de la perméabilité
de la muqueuse favorisant l’absorption d’autres
cancérogènes tels que le tabac (bouche, larynx,
pharynx et œsophage). La consommation de boissons alcoolisées est le premier facteur de risque
nutritionnel de cancer et, plus globalement, la
Le présent article est publié par
l’Institut national du cancer, qui en
détient les droits. Sa réutilisation
est possible dès lors qu’elle entre
dans le champ d’application
de la loi n o 78-753 du 17 juillet
1978 et qu’elle en respecte les
conditions (absence d’altération, de
dénaturation de son sens et mention
de la source et de la date de sa
dernière mise à jour éventuelle).
a. La qualification du niveau de
preuve prend en compte différents
types d’études épidémiologiques
(études cas-témoins, cohortes,
essais contrôlés randomisés, etc.),
la quantité, la qualité et la nature des
données, l’absence d’hétérogénéité
et la plausibilité biologique (études
mécanistiques). Les différents
qualificatifs du niveau de preuve
sont les suivants : “convaincant”,
“probable”, “limité mais évocateur”
et “effet substantiel sur le risque peu
probable”. Les relations qualifiées de
“convaincantes” ou “probables” ont
donné lieu à des recommandations de
santé publique à l’échelle mondiale.
* Département de prévention,
Institut national du cancer, BoulogneBillancourt.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 195
Mots-clés
Alimentation
Alcool
Résumé
Certains facteurs nutritionnels sont pertinents pour la prévention des cancers en France. Le surpoids et
l’obésité, les boissons alcoolisées, l’excès de viande rouge ou de charcuterie, le sel et les aliments salés
ainsi que les compléments alimentaires contenant du bêta-carotène augmentent le risque. Les fruits et
légumes, l’activité physique et l’allaitement le diminuent.
Activité physique
Cancer
Prévention
Summary
Some nutritional factors are
relevant for cancer prevention
in France. Overweight and
obesity, alcoholic beverages,
red and processed meat, salt
and salty foods as well as
dietary supplements with betacarotene increase cancer risk.
Fruits and vegetables, physical
activity and breastfeeding
decrease cancer risk.
Tableau I. Principales relations concluantes entre des facteurs alimentaires ou nutritionnels et le risque de cancer mentionnées dans le rapport WCRF/AICR (1-6).
Augmentation du risque de cancer
Facteurs alimentaires
ou nutritionnels
Localisation de cancer
Facteurs alimentaires
ou nutritionnels
Localisation de cancer
Surpoids et obésité
Œsophage
Activité physique
Côlon, rectum
Pancréas
Sein (postménopause)
Côlon, rectum
Endomètre
Sein (postménopause)
Keywords
Diet
Alcohol
Physical activity
Cancer
Prevention
Diminution du risque de cancer
Boissons alcoolisées
Fruits
Bouche
Endomètre
Pharynx
Rein
Larynx
Vésicule biliaire
Œsophage
Bouche
Poumon
Pharynx
Estomac
Larynx
Légumes non féculents
Bouche
Œsophage
Pharynx
Côlon, rectum (hommes)
Larynx
Sein
Œsophage
Foie
Estomac
Côlon, rectum (femmes)
Viande rouge
Côlon, rectum
Charcuterie
Côlon, rectum
Sel
Estomac
Aliments salés
Estomac
Compléments alimentaires
à base de bêta-carotène
Poumon
Aliments contenant
des fibres
Côlon, rectum
Allaitement
Sein
Couleurs foncées : niveau de preuve convaincant ; couleurs claires : niveau de preuve probable.
deuxième cause évitable de décès par cancer, après
le tabac (7). En 2009, elle était responsable de plus
de 15 000 décès par cancer, soit 9,5 % de la mortalité due au cancer (8). Il a été également estimé que,
en France, la consommation quotidienne de boissons alcoolisées concerne 12 % des individus âgés
de 18 à 75 ans (9). Elle est plus fréquente chez les
hommes que chez les femmes et touche essentiellement les plus âgés (plus de 45 ans). En revanche,
196 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014
la consommation des plus jeunes, bien que moins
régulière, est plus excessive.
L’augmentation du risque de cancer est significative
dès une consommation moyenne de 1 verre par jour,
qu’elle soit quotidienne ou concentrée sur certains
jours de la semaine. En France, il est important d'inciter
la population à réduire sa consommation de boissons
alcoolisées toujours élevée et de prendre en charge
les buveurs dépendants.
Actualités sur
la PRÉVENTION
➤ Le surpoids et l’obésité augmentent le risque
de nombreux cancers. Pour une augmentation de
l’indice de masse corporelle (IMC) b de 5 kg/ m 2,
l’augmentation du risque est estimée à 13 % pour
le cancer du sein en postménopause (2), à 10 % pour
le cancer du pancréas (4), à 10 % pour le cancer
colorectal (3), à 31 % pour le cancer du rein, à 50 %
pour le cancer de l’endomètre et à 55 % pour le
cancer de l’œsophage (1). Les principaux mécanismes mis en jeu sont des dérégulations métaboliques (syndrome métabolique, hyperinsulinémie,
résistance à l’insuline) conduisant à la synthèse
d’IGF-1 ou à des altérations de sa régulation,
ainsi que des perturbations hormonales concernant l’ensemble des cancers hormonodépendants
(augmentation du taux d’hormones sexuelles
actives), ou, spécifiquement, le cancer du sein
(augmentation de l’activité aromatase dans le tissu
adipeux). Il a été estimé que, en France, pour l’année
2000, le surpoids et l’obésité ont été responsables
d’environ 2 300 décès par cancer (7). En 2012, le
surpoids concernait 32 % de la population adulte en
France, et l’obésité, 15 % (10). Le risque de surpoids
ou d’obésité est diminué de manière convaincante
par la pratique d’une activité physique et de manière
probable par la consommation d’aliments de faible
densité énergétiquec (1).
Le risque de cancer est minimal lorsque l’IMC est maintenu entre 18,5 et 25 kg/m2. Étant donné la prévalence
élevée de la surcharge pondérale observée actuellement en France chez les adultes, il est important
de développer la prévention et la prise en charge de
l’obésité.
➤ La consommation excessive de viande rouge
(bœuf, porc, veau, agneau, cheval) et de charcuterie augmente le risque de cancer colorectal. Les
données permettent d’estimer que le risque de
cancer colorectal augmente de 17 % pour chaque
portion de 100 g de viande rouge consommée par
jour et de 18 % pour chaque portion de 50 g de
charcuterie (3). Plusieurs raisons peuvent expliquer
cette augmentation : apports en sels nitrités de
certaines charcuteries ; production de composés
N-nitrosés cancérogènes dans l’estomac et par
les bactéries de la flore intestinale ; production
de radicaux libres et de cytokines pro-inflammatoires liée à un excès de fer héminique ; production
d’amines hétérocycliques lors de la cuisson à forte
température. Un quart de la population (39 % des
hommes et 13 % des femmes) consomme plus de
viande rouge que la quantité maximale recommandée, qui est de moins de 500 g par semaine,
et plus de 1/4 de la population consomme au
moins 50 g de charcuterie par jour (11). Il convient
d’inciter la population à réduire cette forte consommation.
➤ La consommation de sel et d’aliments salés
augmente de manière probable le risque de cancer
de l’estomac. Les principaux mécanismes impliqués sont les altérations de la muqueuse gastrique
(atrophie et métaplasie intestinales) et la synergie
avec des cancérogènes (composés N-nitrosés) et
d’autres facteurs de risque de cancer de l’estomac
(infection par Helicobacter pylori). Les forts consommateurs (apports totaux en sel supérieurs à 12 g/j)
représentent près de 25 % des hommes et 5 % des
femmes (11). Il est important de les inciter à réduire
leur consommation.
➤ Les données actuelles concernant les compléments alimentaires incitent à la prudence, car
leur utilisation peut présenter plus de risques que
de bénéfices. Par exemple, il a été observé, chez
des fumeurs ayant consommé des compléments
alimentaires à base de bêta-carotène à forte dose
(20 à 30 mg/j), un accroissement du risque de
cancer du poumon. Celui-ci peut s’expliquer par
les mécanismes suivants : effet cocancérogène
du bêta-carotène, qui augmente l’activation de
procancérogènes du tabac en molécules cancérogènes via l’activation des enzymes de phase I du
métabolisme des xénobiotiques, effet pro-oxydant
lié à l’activation de ces enzymes, avec production
de radicaux libres. D’après une étude conduite
en France, 25 % des adultes consommaient des
compléments alimentaires en 2012, dont 7 % à
base de bêta-carotène (12).
Facteurs nutritionnels
diminuant le risque de cancer
Parmi les facteurs qui diminuent le risque de cancer
avec un niveau de preuve jugé convaincant ou
probable, il faut retenir l’activité physique, l’allaitement et la consommation de fibres et de fruits
et légumes.
➤ En plus de son implication dans la réduction
du risque de surcharge pondérale (facteur de
risque convaincant de plusieurs cancers), l’activité
physique a une action propre protectrice sur le risque
de développer un cancer. Elle est associée à une diminution du risque de cancer du côlon, du sein après la
ménopause et de l’endomètre. Dans le cas du cancer
du côlon, pour lequel la relation est jugée convaincante, la pratique d’une activité physique réduit
le risque de 8 % pour une augmentation d’activité
b. La corpulence est généralement
estimée par l’IMC calculé par le
rapport du poids (kg) sur la taille
au carré (m2). Le surpoids correspond à un IMC compris entre 25 et
29,9 kg/mg2 ; l’obésité, à un IMC
supérieur à 30 kg/mg2, et un poids
normal, à un IMC compris entre 18,5
et 24,9 kg/mg2. Une augmentation
de l’IMC de 5 kg/m2 correspond ainsi
approximativement à un changement
de catégorie.
c. Les aliments à faible densité énergétique (légumes, la plupart des
fruits, etc.) apportent, à poids égal,
moins de calories que les aliments
à forte densité énergétique (huile,
beurre, aliments gras et sucrés, etc.).
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 197
Actualités sur
la PRÉVENTION
d. L’équivalent métabolique (Metabolic Equivalent of Task [MET]) est le
rapport du coût énergétique d’une
activité donnée sur la dépense énergétique au repos. Le MET est utilisé
comme unité de mesure de l’intensité d’une activité physique : 1 MET
correspond au niveau de dépense
énergétique au repos ; moins de
3 MET, à une activité d’intensité
légère ; 3 à 6 MET, à une activité
d’intensité modérée (métabolisme
3 à 6 fois plus élevé que le métabolisme au repos, ce qui équivaut à la
marche rapide), et plus de 6 MET,
à une activité intense (équivalente
à la course à pied).
e. Les acides gras trans sont des
acides gras insaturés naturellement
présents dans le lait, les produits
laitiers et la viande de ruminants. Ils
sont aussi formés lors de processus
technologiques (par exemple hydrogénation partielle des huiles végétales) et sont retrouvés dans les
margarines, biscuits, viennoiseries,
etc.
f. Le PNNS recommande 3 portions
quotidiennes chez l’adulte.
g. Les apports nutritionnels conseillés
en calcium sont de 900 mg/j chez
l’adulte.
Prévention nutritionnelle des cancers
physique totale de 5 MET-h/sem.d (3). Pour le cancer
du sein en postménopause, la diminution du risque a
été estimée à 3 % pour une augmentation d’activité
physique de 7 MET-h/sem. (2). Les principaux mécanismes qui pourraient expliquer l’effet bénéfique de
l’activité physique sur le risque de cancer seraient
liés à la diminution des taux circulants de divers
facteurs de croissance et hormones (insuline, IGF-1,
etc.). D’autres mécanismes semblent plus spécifiques
de certaines localisations : accélération du transit
intestinal réduisant l’exposition de la muqueuse
digestive aux cancérogènes d’origine alimentaire
pour le cancer du côlon ; diminution de la concentration d’estrogènes et stimulation de l’immunité
pour les cancers du sein en postménopause et de
l’endomètre. Pour l’année 2000, il a été estimé que,
en France, environ 2 200 décès par cancer étaient
attribuables à l’inactivité (7). En France, entre 6 et
8 adultes sur 10 ont un niveau d’activité physique
équivalent à au moins 30 minutes d’activité physique
“modérée” par jour au moins 5 fois par semaine.
Cette proportion est similaire chez les hommes et
chez les femmes. En revanche, pour le niveau d’activité physique “élevé”, le chiffre est de 3 à 5 sur 10,
niveau atteint par un plus grand nombre d’hommes
que de femmes (13). Il est important d’inciter à la
pratique d’une activité physique régulière.
➤ La consommation de fruits et légumes a un
effet protecteur jugé comme probable contre
les cancers des voies aérodigestives supérieures
(cavité buccale, pharynx, larynx et œsophage) et
les cancers de l’estomac et du poumon (pour les
fruits seulement). L’effet protecteur des fruits et
légumes serait dû à leur teneur en divers micronutriments et microconstituants, capables d’agir
sur des mécanismes potentiellement protecteurs :
activités antioxydantes, modulation du métabolisme
des xénobiotiques, stimulation du système immunitaire, activités antiprolifératives, modulation de la
concentration des hormones stéroïdes et du métabolisme hormonal, etc. De plus, faibles en calories,
les fruits et légumes participent au maintien d’un
poids corporel normal et à la prévention du surpoids
et de l’obésité. Une alimentation riche en fibres
(céréales complètes, fruits, légumes, légumineuses)
est associée à un moindre risque de développer un
cancer colorectal (niveau de preuve : convaincant).
La consommation de fruits et légumes des adultes
est actuellement, en moyenne, de 283 g/j (144 g
de fruits et 139 g de légumes) (11). Une proportion
élevée de la population adulte a une consommation
insuffisante de fruits et légumes : 57 % des adultes
consomment moins de 5 fruits et légumes par jour,
198 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014
et 35 % sont de petits consommateurs (moins de
3,5 portions par jour) [13]. Il convient de les encourager à augmenter leur consommation.
➤ L’allaitement a, chez la mère, un effet protecteur
jugé convaincant contre le cancer du sein. Les principaux mécanismes mis en jeu seraient, d’une part, la
diminution des concentrations sanguines d’hormones
sexuelles (estrogènes, androgènes) pendant la période
d’aménorrhée liée à l’allaitement, réduisant, chez les
femmes ayant allaité, l’exposition au cours de la vie à
ces hormones, facteurs de risque connus du cancer du
sein ; d’autre part, l’involution de la glande mammaire
en fin de lactation, contribuant à l’élimination de
cellules porteuses de lésions de l’ADN. En 2012, plus
des 2/3 des nourrissons (69 %) étaient allaités à la
maternité (60 % de façon exclusive). À 1 mois, le taux
d’allaitement était de 54 % (35 % exclusif) [14]. Il est
important de sensibiliser les femmes enceintes et les
jeunes mamans aux bénéfices de l’allaitement.
Quelques facteurs
pour lesquels la relation
est à éclaircir
➤ Concernant la consommation des aliments
préparés par des méthodes de cuisson à haute
température (grillades, barbecue, etc.), en particulier des viandes et des poissons, plusieurs études
indiquent une association positive avec le cancer
de l’estomac. Ces données sont cependant limitées
et ne permettent pas de conclure définitivement.
➤ Certaines études épidémiologiques suggèrent
un rôle protecteur des phytoestrogènes (essentiellement apportés par le soja) contre divers cancers,
mais le niveau de preuve de ces associations est
limité et ne permet pas d’émettre une recommandation. Les données scientifiques concernant le lien
entre la consommation d’acide gras transe et le
risque de cancer sont actuellement peu nombreuses
et ne permettent pas de conclure. La consommation de lait ou de calcium diminue avec un niveau
de preuve probable le risque de cancer colorectal
chez l’homme et chez la femme. Cependant, chez
l’homme, un excès de produits laitiersf et d’aliments
riches en calcium (apports en calcium équivalents
ou supérieurs à 1,5 g/j, ce qui correspond approximativement à 2 fois les apports nutritionnels
conseillésg) augmente avec un niveau de preuve
probable le risque de cancer de la prostate. Un
apport élevé en calcium a donc un effet ambivalent
chez l’homme.
Actualités sur
la PRÉVENTION
Recommandations
nutritionnelles
pour la prévention primaire
des cancers
Seuls les niveaux de preuve convaincant et probable
sont concluants pour la prévention des cancers et
conduisent à des recommandations de santé publique.
Les recommandations émises dans une perspective mondiale par le WCRF et l’AICR, adaptées au
contexte nutritionnel français, ont fait l’objet d’un
travail d’expertise collective en 2008, qui a produit
des recommandations qui ont été intégrées à celles
du PNNS (tableau II) [15]. Il est important de souligner que les recommandations nutritionnelles pour la
prévention primaire des cancers reposent sur l’expertise
collective et l’analyse de l’ensemble de la littérature
scientifique disponible. Il faut donc faire preuve d’esprit
critique à l’égard de recommandations ou de conseils
qui ne seraient fondés que sur une étude scientifique
unique ou sur une opinion personnelle. Par ailleurs, le
terme “anticancer”, souvent utilisé dans les ouvrages
et par les médias, est un raccourci abusif et trompeur.
Il peut laisser supposer que la consommation d’un
aliment particulier va guérir les personnes atteintes
d’un cancer, ce qui est scientifiquement et cliniquement infondé. Il peut aussi laisser penser que manger
un aliment donné va protéger du cancer. Le cancer est
une pathologie multifactorielle (facteurs environnementaux, comportementaux et génétiques). Si une
alimentation équilibrée peut contribuer à réduire le
risque de certains cancers, aucun aliment à lui seul ne
peut s’opposer au développement de cette pathologie.
Nutrition et prévention tertiaire
des cancers
Le surpoids et l’obésité, l’insuffisance d’activité
physique, la consommation d’alcool peuvent
majorer, chez les patients atteints de cancer, les
risques de récidive et de second cancer et la mortalité
globale ou due au cancer (16). Renforcer l’adhésion
de ces patients à la prévention, afin qu’ils suivent les
recommandations de prévention primaire, est donc
important pour réduire la morbimortalité.
Tableau II. Recommandations pour la prévention primaire des cancers.
Activité physique
▸ Limiter les activités sédentaires (ordinateur, télévision, etc.).
▸ Chez l’adulte, pratiquer au moins 5 jours par semaine au moins 30 minutes d’activité physique
d’intensité modérée (comparable à la marche rapide) ou pratiquer 3 jours par semaine 20 minutes
d’activité physique d’intensité élevée (comparable au jogging).
▸ Chez l’enfant et l’adolescent, pratiquer un minimum de 60 minutes par jour d’activité physique
d’intensité modérée à élevée, sous forme de jeux, d’activités de la vie quotidienne ou de sport.
Fruits et légumes
▸ Consommer chaque jour au moins 5 fruits et légumes variés (quelle que soit la forme : crus, cuits,
frais, en conserve ou surgelés) pour atteindre au minimum 400 g/j.
▸ Consommer aussi chaque jour d’autres aliments contenant des fibres tels que les aliments céréaliers
peu transformés et les légumes secs.
▸ Satisfaire les besoins nutritionnels par une alimentation équilibrée et diversifiée sans recourir aux
compléments alimentaires.
Allaitement
▸ Pour le bénéfice de la mère et de l’enfant, allaiter son enfant.
▸ Allaiter si possible de façon exclusive et, idéalement, jusqu’à l’âge de 6 mois.
Boissons alcoolisées
▸ La consommation d’alcool est déconseillée, quel que soit le type de boisson (vin, bière, spiritueux, etc.).
▸ Ne pas inciter les personnes abstinentes à une consommation d’alcool régulière, même modérée,
car toute consommation d’alcool régulière présente un risque.
▸ En cas de consommation d’alcool, afin de réduire le risque de cancer, limiter la consommation autant
que possible, tant en termes de quantités consommées que de fréquence de consommation. En cas
de difficulté, envisager un accompagnement et éventuellement une prise en charge.
▸ Les enfants et les femmes enceintes ne doivent pas consommer de boissons alcoolisées.
Surpoids et obésité
▸ Maintenir un poids normal (IMC entre 18,5 et 25 kg/m2).
▸ Pour prévenir le surpoids et l’obésité :
– pratiquer au moins 5 jours par semaine au moins 30 minutes d’activité physique d’intensité
modérée (comparable à la marche rapide) ou pratiquer 3 jours par semaine 20 minutes d’activité
physique d’intensité élevée (comparable au jogging), et limiter les activités sédentaires (ordinateur,
télévision, etc.) ;
– consommer peu d’aliments à forte densité énergétique et privilégier les aliments à faible densité
énergétique tels que les fruits et légumes.
▸ Surveiller le poids de façon régulière (1 fois par mois).
▸ Pour les sujets présentant un surpoids (IMC > 25 kg/m2), une obésité (IMC > 30 kg/m2) ou une prise
de poids rapide et importante à l’âge adulte, un accompagnement et, éventuellement, une prise en
charge sont à envisager.
Viande rouge et charcuterie
▸ Limiter la consommation de viande rouge à moins de 500 g par semaine. Pour compléter les apports en
protéines, il est conseillé d’alterner avec de la viande blanche, du poisson, des œufs et des légumineuses.
▸ Limiter la consommation de charcuterie, en particulier celle des charcuteries très grasses ou très salées.
▸ En cas de consommation de charcuterie, afin de diminuer le risque de cancer, réduire autant que
possible la taille des portions et la fréquence de consommation.
Sel et aliments salés
▸ Limiter la consommation de sel en réduisant la consommation d’aliments transformés salés (charcuterie,
fromage, etc.) et l’ajout de sel pendant la cuisson comme dans l’assiette.
Compléments alimentaires à base de bêta-carotène
Conclusion
L’analyse systématique et exhaustive des résultats
des études épidémiologiques, cliniques et expéri-
▸ Ne pas consommer de compléments alimentaires à base de bêta-carotène.
▸ Sauf cas particuliers de déficiences et sous le contrôle d’un médecin, la consommation de compléments
alimentaires n’est pas recommandée. Il est conseillé de satisfaire les besoins nutritionnels par une
alimentation équilibrée et diversifiée sans recourir aux compléments alimentaires.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XXIII - n° 6 - juin 2014 | 199
Actualités sur
la PRÉVENTION
Les auteurs déclarent
ne pas avoir de liens d’intérêts.
Prévention nutritionnelle des cancers
mentales met en évidence l’existence de facteurs
alimentaires, nutritionnels ou relevant du mode
de vie qui influencent le risque de divers cancers.
Le consensus scientifique actuel et le niveau de
preuve dont on dispose permettent de traduire
ces connaissances en recommandations pour la
population générale. Aussi est-il possible et nécessaire de promouvoir les facteurs de protection et
de sensibiliser aux facteurs de risque nutritionnels
afin de contribuer à la prévention des cancers. Les
recommandations présentées proposent des repères
qu’il serait souhaitable d’atteindre tout en conciliant plaisir et santé. S’il est recommandé de limiter
la prise de certains aliments, il n’est pas question
d’en interdire la consommation. Pour la population
générale, mais également pour les patients atteints
de cancer, les principaux objectifs de la prévention
nutritionnelle des cancers sont une alimentation
équilibrée et diversifiée (riche en fruits et légumes
et en produits complets, sans excès de viande ni de
charcuterie et limitée en sel), une activité physique
régulière, le maintien d’un poids corporel normal
et la réduction de la consommation de boissons
alcoolisées. La diminution du nombre de cancers
liés aux facteurs nutritionnels est un objectif du Plan
cancer 2014-2019. D’après les estimations récentes
réalisées dans des pays développés (États-Unis et
Royaume-Uni), la mise en œuvre de telles recommandations pourrait permettre d’éviter 1/3 des
cancers les plus communs (17).
■
Références bibliographiques
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Cancer Research. Food, nutrition, physical activity, and the
prevention of cancer: a global perspective. Washington
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for Cancer Research. Continuous update project report
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