GRIO Coordonné par T. Thomas (Saint-Étienne) w w w. gr i o. or g Dysplasie fibreuse et syndrome de McCune-Albright : recommandations de prise en charge P. Orcel*, R. Chapurlat**, C. Rey-Jouvin* * Pôle Appareil locomoteur et Centre de référence Maladies osseuses constitutionnelles, groupe hospitalier universitaire Saint-Louis-LariboisièreFernand-Widal, PRES Paris Sorbonne Cité, Paris ; ** Rhumatologie et pathologie osseuse, Inserm UMR 1033, hôpital Édouard-Herriot, Lyon. L a dysplasie fibreuse des os est une maladie osseuse rare, congénitale mais non héréditaire, caractérisée par une prolifération localisée de tissu fibreux dans la moelle osseuse. Elle est due à une mutation somatique du gène GNAS, codant pour la protéine Gsα ; cette mutation activatrice est responsable d’une prolifération non tumorale des ostéoblastes et d’un défaut de maturation, d’où une production de matrice osseuse immature et mal minéralisée. D’autres cellules utilisent la protéine Gsα pour leur signalisation intracellulaire et peuvent être atteintes, de façon variable ; il en résulte un spectre d’atteintes cliniques d’une grande diversité, regroupées dans le syndrome complet décrit par McCune et Albright (figure 1). Les 3 manifestations emblématiques de ce syndrome sont la dysplasie osseuse, la puberté précoce et les taches cutanées café-au-lait. Pourquoi des recommandations ? Plusieurs raisons se conjuguent. ➤➤ S’agissant d’une maladie rare, touchant en France environ 3 000 à 4 000 sujets, les malades sont souvent perdus pour trouver le “bon docteur” qui connaît la maladie. ➤➤ Une maladie d’origine génétique suscite toujours une crainte de transmission familiale, totalement infondée dans le cas de la dysplasie fibreuse. ➤➤ Le pronostic et l’évolution de la dysplasie Atteinte ophtalmologique Taches café au lait • bords irréguliers, “déchiquetés” • taille souvent > 2 cm Distribution hémimélique Myxome intramusculaire (syndrome de Mazabraud) • douleur d’un membre • tuméfaction Dysplasie fibreuse des os (monoou polyostotique) • douleurs osseuses • fractures • déformations (en crosse, bosse, léontiasis, etc.) • exophtalmie • larmoiement • baisse de l’acuité visuelle Syndrome de McCune-Albright Atteinte craniomaxillofaciale • douleurs (céphalées osseuses) • exophtalmie • tuméfaction craniomaxillomandibulaire • asymétrie faciale • trouble de l’articulé dentaire Atteintes endocriniennes et métaboliques Atteinte ORL • sinus • voies lacrymales • conduit auditif • puberté précoce • acromégalie • hyperthyroïdie multinodulaire non auto-immune • syndrome de Cusching (néonatal ou précoce) • diabète phosphore fibreuse – souvent classée dans les “tumeurs” – comportant un risque de dégénérescence sarcomateuse réel mais extrêmement faible suscitent la crainte. ➤➤ Le polymorphisme en clinique et en imagerie et les stratégies diagnostiques et thérapeutiques mal définies et non standardisées sont source de difficultés et d’erreurs dans la prise en charge. L’objectif de ces recommandations était donc de fournir aux praticiens, non spécialistes et spécialistes, une aide au diagnostic et à la prise en charge, et un guide dans la coordination des soins de ces patients. Comment les recommandations ont-elles été élaborées ? Sous l’égide de la Société française de rhumatologie (SFR) et de 18 autres sociétés savantes, les 3 centres de référence “maladies rares” impliqués dans la prise en charge de ces patients1 ont collaboré dans un groupe de travail incluant également un représentant de l’association de patients2. Le travail a été conduit selon la méthode des “Recommandations pour la pratique clinique” de la Haute Autorité de santé (HAS), avec une analyse exhaustive de la littérature sur les questions de travail posées par le comité d’organisation 1 Centre de référence Dysplasie fibreuse et syndrome de McCune-Albright (Lyon) ; centre de référence Maladies osseuses constitutionnelles (Paris) ; centre de référence Maladies endocriniennes rares de la croissance (Paris). ASSYMCAL : Association des malades du syndrome de McCune-Albright et de dysplasie fibreuse des os, 20 rue Étienne-Milan, 13008 Marseille. Tél. : 04 91 22 88 69. www.assymcal.org 2 Figure 1. Polymorphisme clinique et diversité des symptômes du syndrome de McCune-Albright. 30 | La Lettre du Gynécologue • no 374 septembre 2012 LG 2012-09.indd 30 11/09/12 14:23 GRIO Coordonné par T. Thomas (Saint-Étienne) w w w. gr i o. or g et sous la direction d’un chargé de projet (CRJ). Il a abouti à la rédaction d’un argumentaire long, véritable “état de l’art” des connaissances actuelles sur la maladie et d’un programme national de diagnostic et de soins, assorti d’une “liste des actes et prestations”. Ces 2 documents synthétiques doivent être prochainement validés par la HAS. Ils constituent le guide opérationnel de prise en charge des patients par les professionnels de santé. Les données préliminaires ont été présentées au congrès de la SFR en décembre 2010, à la journée scientifique du GRIO en janvier 2011 et au congrès européen de l’ECTS en mai 2011. Les recommandations en quelques phrases… Il est difficile de résumer un travail qui a conduit à formuler près de 200 items de recommandation pour les différentes facettes de la prise en charge. On peut y distinguer 4 grands volets : ➤➤ Quels signes doivent faire évoquer le diagnostic ? ➤➤ Comment confirmer le diagnostic ? ➤➤ Quelle est la prise en charge thérapeutique ? ➤➤ Comment assurer l’accompagnement et le suivi des patients ? Le diagnostic peut être évoqué devant des douleurs osseuses, des taches café-au-lait (figure 2), leur distribution métamérique (même segment de développement embryonnaire) ou hémimélique (même moitié du corps) étant très évocatrice ; il peut aussi s’agir d’une puberté précoce, d’une déformation avec hypertrophie, le plus souvent asymétrique, de la voûte crânienne (bosse) ou du massif facial (hypertrophie d’un maxillaire, d’une moitié de mandibule) ou encore de la découverte fortuite d’une lésion radiographique, ostéolytique ou condensante, soufflante, d’allure tumorale (figure 3). La présence de l’association syndromique puberté précoce/dysplasie osseuse poly­ ostotique/taches café-au-lait, la scintigraphie osseuse et l’analyse rigoureuse des clichés radiographiques sont d’une grande aide pour établir le diagnostic, le plus souvent sans recours à la biopsie osseuse ou à l’analyse de la mutation. Dans tous les cas, il est important d’adresser le Figure 2. Tache café-au-lait typique, à bords irréguliers, déchiquetés. Matrice : tissulaire (transparente) Clarté homogène Volutes de fumée calcifiée (condensée) Verre dépoli Matrice ossifiée Figure 3. Aspects variables de la matrice osseuse lors de la dysplasie fibreuse. La présence d’une ostéolyse, le caractère soufflant et la minéralisation partielle de la matrice sont des caractéristiques importantes. patient en consultation spécialisée hospitalière (rhumatologue, endocrinologue, généticien) dans un centre de référence ou de compétence pour une prise en charge multidisciplinaire spécialisée en lien avec le médecin généraliste et/ou le pédiatre de proximité. C’est dans ce contexte que le diagnostic sera validé ou confirmé, que sera menée l’évaluation pronostique (osseuse, endocrinienne, métabolique et neurosensorielle), ainsi qu’une évaluation psychologique (proposée systématiquement au patient ainsi qu’à son entourage familial) et que seront discutées les options spécialisées de traitement : traitement à visée osseuse (bisphosphonates), traitement des manifestations endocriniennes, indications chirurgicales. La coordination appropriée de la prise en charge et des soins permet : ➤➤ la prescription adaptée et le suivi des traite- La Lettre du Gynécologue • no 374 septembre 2012 | 31 LG 2012-09.indd 31 11/09/12 14:23 GRIO Coordonné par T. Thomas (Saint-Étienne) w w w. gr i o. or g ments non spécifiques (antalgiques, corticoïdes en cas de complication neurosensorielle) et spécifiques (bisphosphonates, calcium, vitamine D, phosphore en cas de fuite tubulaire) ; ➤➤ le dépistage précoce de complications ou d’associations : torsion de kyste ovarien, baisse d’acuité visuelle, diplopie, troubles fonctionnels ORL, recrudescence douloureuse squelettique faisant suspecter une fracture ou une dégénérescence sarcomateuse, signes d’hyperthyroïdie ou d’acromégalie ; ➤➤ l’évaluation du mode de vie et de l’état psychologique du patient et de son entourage, et du soutien psychologique qui leur est adapté ; ➤➤ l’information sur l’existence d’une association de patients ; ➤➤ la participation à la coordination de la prise en charge et du suivi en lien avec un centre de référence ou de compétence. Comment traiter la dysplasie osseuse ? Compte tenu du niveau de preuve d’efficacité des bisphosphonates, leur utilisation est recommandée devant toute douleur osseuse en rapport avec une lésion de dysplasie fibreuse non compliquée résistant aux traitements symptomatiques habituels. En l’absence de douleur osseuse, les bisphosphonates peuvent être prescrits en cas de lésions fragilisantes à risque de fracture, sans indication chirurgicale, et associées à une élévation des marqueurs du remodelage osseux. En première intention, les experts recommandent d’utiliser le pamidronate intraveineux avec lequel l’essentiel des données ont été obtenues : chez l’adulte, 180 mg répartis sur 2 ou 3 jours tous les 6 mois ; chez l’enfant, 1 mg/ kg/j pendant 3 jours tous les 6 mois. Tout traitement par bisphosphonate doit être associé à une évaluation préalable de l’état buccodentaire pour la prévention de l’ostéo­nécrose de la mâchoire, à la mise en place d’une contraception chez les femmes en âge de procréer, à une évaluation et une éventuelle correction d’une insuffisance ou d’une carence en calcium et en vitamine D. La correction d’une éventuelle fuite tubulaire de phosphate doit être envisagée. ■ HOMMAGE Hommage au Pr Albert Netter C’ est avec une profonde tristesse que nous avons appris la disparition de notre maître Albert Netter. Il a été incontestablement, en France, le fondateur et l’animateur infatigable, tout au long de sa vie, de la gynécologie médicale et, plus particulièrement, de la gynécologie endocrinienne. D’un esprit extrêmement cultivé, toujours à la recherche des derniers travaux et des réussites dans son domaine, il abordait toujours les problèmes avec finesse et intuition, volontiers de façon latérale et non de front, pour mieux les pénétrer ensuite. Successivement chef de service à l’hôpital Lariboisière, à l’hôpital Necker et, enfin, accueilli à l’Hôtel-Dieu par le Pr René Musset avec lequel il avait tissé des liens étroits, tant sur les plans scientifique que personnel, il a dominé, bien au-delà de sa retraite, toute la gynécologie. Fondateur et président de nombreuses sociétés savantes, lecteur insatiable de la littérature médicale, il savait reconnaître toute découverte ou innovation, non seulement en gynécologie endocrinienne, mais aussi en médecine interne. C’est ce qui lui permettra d’organiser ses remarquables Journées de Gynécologie, dont sont sorties les Actualités Gynécologiques – tant appréciées – en faisant appel à des Orateurs hors du commun. Ses publications ont été si abondantes qu’on ne saurait les énumérer. Il s’est intéressé et consacré aussi bien aux troubles des règles, aux aménorrhées, aux anomalies et ambiguïtés sexuelles, à la stérilité, notamment d’origine endocrinienne, au syndrome des ovaires polykystiques, à la contraception, à la ménopause, à la cancérologie gynécologique et mammaire. Les réunions du mardi soir, avec le Pr Musset, entouré de toute son école et de ses amis, créaient des moments de discussions inoubliables. Secondé par sa femme, Alice NetterLambert, elle-même gynécologue de grande qualité, ils avaient formé un couple incomparable. Il laisse en deuil de nombreux élèves, qui lui doivent beaucoup dans leur formation et leur culture gynécologique. Grand humaniste, son accueil était chaleureux avec ceux qu’il appréciait, avec des rapports simples, étroits et affectueux dans l’intimité. Son équipe lui était très proche. Nous sommes fiers d’en avoir fait partie. Les contacts et entretiens étaient très enrichissants. C’est l’un des derniers grands patrons qui vient de nous quitter. Jean Belaïsch, André Gorins, Jacqueline Kahn-Nathan, Henri Rozenbaum, Claudine Sraer-Soussen... 32 | La Lettre du Gynécologue • no 374 septembre 2012 LG 2012-09.indd 32 11/09/12 14:23