Automesure de la pression artérielle : gadget ou outil d’aide à la prise en charge du patient hypertendu ? Self-measurement of blood pressure at home: is it really useful for the management of arterial hypertension? mise au point m ise au point C. Mounier-Vehier, P. Marboeuf, C. Craeymersch, A. Noel* PoInTs FoRTs L’automesure est désormais recommandée dans : – l’HTA légère à modérée pour valider le diagnostic d’HTA permanente c’est-à-dire si la PA est entre 140-179/90-109 mmHg, en l’absence d’atteinte d’un organe cible, d’antécédents cardio- ou cérébrovasculaires, de diabète et d’insuffisance rénale ; – avant de débuter un traitement chez le sujet âgé, après s’être assuré de la faisabilité ; – et à tout moment de la prise en charge. L’automesure permet d’éviter les erreurs de diagnostic : – par excès = HTA “blouse blanche” ; – par défaut = HTA “masquée” ou “ambulatoire isolée”. L’automesure est mieux corrélée que la mesure clinique aux atteintes organiques, notamment les indices d’hypertrophie ventriculaire gauche. Elle prédit mieux que la mesure clinique de la PA le risque de morbi-mortalité cardiovasculaire, de mortalité globale et d’AVC. Le patient doit utiliser un appareil homologué. Les valeurs de pression artérielle pour le diagnostic d’HTA sont de 130-135 mmHg pour la systolique et de 85 mmHg pour la diastolique. L’automesure est une prescription médicale. L’éducation du patient est indispensable avec des règles simples à enseigner : la règle des 3, à savoir 3 mesures consécutives le matin au réveil et 3 mesures au coucher, 3 jours de suite avec le calcul de la moyenne des 18 mesures. L’automesure n’implique pas autotraitement. L’automesure pour le patient facilite son implication, lui permet de s’approprier sa maladie, renforce l’observance. Les contre-indications de l’automesure doivent être respectées : troubles du rythme, anxiété vis-à-vis de l’appareil, troubles cognitifs. mots-clés : Automesure - Hypertension artérielle - Traitement - Éducation thérapeutique. Keywords: Self-measurement of blood pressure - Hypertension - Treatment. * Service de médecine vasculaire et HTA, CHRU de Lille. La Lettre du Cardiologue - n° 410 - décembre 2007 L a mesure de la pression artérielle (PA) est un acte réalisé couramment par les professionnels de santé. Elle permet de diagnostiquer une hypertension artérielle (HTA), de décider d’un traitement et d’évaluer son efficacité au long cours chez des sujets souvent asymptomatiques. Cependant, la PA est éminemment variable pour un individu donné. Cette notion de variabilité tensionnelle implique qu’une ou plusieurs mesures de consultation ne permettent qu’une évaluation semi-quantitative du niveau réel de la PA d’un sujet. Pour aider à une évaluation plus précise de la PA, les techniques de mesure à domicile ont été développées et ont démontré tout leur intérêt dans la prise en charge de l’HTA. Il s’agit de la mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures et de l’automesure tensionnelle. Depuis la publication en 2005 des recommandations de l’HAS sur la prise en charge de l’HTA, l’évaluation de la PA au domicile par ces techniques ambulatoires a pris une place majeure pour confirmer le diagnostic initial d’une HTA et/ou la résistance à une trithérapie (1, 2). Il s’agit d’une méthode complémentaire des autres méthodes de mesure de la PA, mais ne pouvant se substituer à elles. L’automesure est largement adoptée par le grand public, avec environ 4 millions de tensiomètres en circulation ; 25 % des hypertendus déclarent posséder un appareil (enquête FLASH 2004). L’automesure doit cependant répondre à une démarche qualité compte tenu des répercussions sur la prise en charge de ces patients. déFInITIon La Société française d’HTA définit l’automesure comme la mesure de la PA par le sujet lui-même, conscient et volontaire (3). QuELs APPAREILs uTILIsER ? La plupart des appareils d’automesure utilisent un brassard occlusif placé sur le bras ou le poignet. L’exactitude et la performance dans le temps des appareils utilisés doivent être vérifiées par rapport à d’autres appareils de mesure de la PA, soigneusement validés à l’aide de protocoles standardisés. Dans le cadre du programme national de réduction du risque cardiovasculaire, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a ainsi mis en place en 2003 un 23 mise au point m ise au point contrôle du marché des appareils d’automesure par un groupe de travail spécifique. Une liste exhaustive des appareils validés, régulièrement mise à jour, est consultable sur le site Internet : http://afssaps.sante.fr/htm/5/tensio.htm. Les recommandations sur l’automesure et les appareils à utiliser sont également disponibles sur un site spécifique : www.automesure.com. Plus de 45 tensiomètres dont le brassard s’adapte au bras (modèles huméraux) et autant au poignet (modèles radiaux) figurent actuellement sur le site de l’AFSSAPS. La préférence actuelle revient au tensiomètre avec brassard huméral, car les appareils au poignet peuvent être source de mesures erronées si la position du patient n’est pas correcte (2). De plus, les modèles radiaux sont souvent plus onéreux que les modèles huméraux. Les appareils d’automesure les plus fréquemment utilisés sont les appareils des marques Omron, Microlife et Spengler (figure 1). Les tensiomètres digitaux commercialisés sont contre-indiqués et ne doivent pas être utilisés. Les relevés sur 5 jours peuvent être préférables, notamment lorsque l’acte éducatif vise à améliorer la participation du patient à sa prise en charge. Lorsque les mesures sont effectuées sur 3 jours, la moyenne des 18 mesures est calculée, avec des valeurs seuils de normalité inférieurs à 130-135/85 mmHg. Il faut enseigner au patient ces valeurs seuils et ne pas oublier de lui préciser que les mesures de PA à domicile sont habituellement plus basses que celles relevées au cabinet médical (130-135/85 mmHg au domicile correspond à 140/90 mmHg au cabinet) [1]. Les nouvelles recommandations de la Société européenne d’hypertension proposent des valeurs plus basses, à 130/180 mmHg pour les populations à risque (1). Il n’existe pas encore de valeur seuil établie pour les enfants, les diabétiques et les insuffisants rénaux. Il en existe par contre chez la femme enceinte en fonction du terme de la grossesse (tableau). Il est conseillé au patient d’effectuer son relevé d’automesure une fois par mois avant de revoir son médecin traitant. Toutes les mesures seront consignées soit par écrit, en notant sur une fiche les dates et heures des mesures, soit à l’aide du site www.automesure.com qui rédige automatiquement le rapport des mesures (figure 2). Il peut être utile de remettre au patient un Tableau. Automesure tensionnelle : valeurs seuils de référence chez la femme enceinte. Matin Soir Premier trimestre (mmHg) 101/59 103/60 Deuxième trimestre (mmHg) 100/57 102/58 Troisième trimestre (mmHg) 105/62 106/62 Fiche de suivi de mes tensions Traitement pour l’hypertension : Je prends mes tensions 3 fois en suivant au même bras 3 jours consécutifs. Nom : Prénom : Relevé du .. au .. / .. / .... Date du prêt .. / .. / .... bras gauche _ -bras droit _ Figure 1. Exemples d’appareils validés. 1er jour Tension maximale ou systolique ou 1er chiffre L’automesure doit être pratiquée avec une méthode rigoureuse selon un protocole bien établi par les sociétés savantes (3). Elle sera au mieux enseignée au patient soit au cours d’une consultation individuelle avec une infirmière ou un médecin, soit en ateliers éducatifs avec mise en situation par les patients. L’acquisition de la technique d’automesure par le patient nécessite au minimum deux séances éducatives. L’automesure est réalisée au domicile, en position confortable, au calme, après un repos de 5 mn et en maintenant le bras ou le poignet à hauteur du cœur pendant les mesures. L’HAS recommande la “règle des trois” : à un horaire régulier, le patient prend le matin au réveil 3 mesures successives de sa PA avant la prise des médicaments, et le soir au coucher 3 mesures après la prise des médicaments. La série de mesures dure au minimum 3 jours, avec 2 séances par jour. 24 2e jour MATIN MATIN SOIR 3e jour MATIN SOIR MOYENNE Relevé du .. au .. / .. / .... 1er jour 2e jour 3e jour Pouls mon état émotionnel et physique SOIR LA TECHnIQuE dE L’AuTomEsuRE Tension maximale ou diastolique ou 2e chiffre > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > – + – + – + – + – + – + – + – + – + – + – + – + bras gauche _ -bras droit _ > MATIN > > > SOIR > > > MATIN > > > SOIR > > > MATIN > > > SOIR > > MOYENNE > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > > Figure 2. Fiche de relevé des mesures de PA. La Lettre du Cardiologue - n° 410 - décembre 2007 mise au point m ise au point Figure 3. Fiche éducative destinée à l’accompagnement du patient. document, de lui faire visualiser une cassette vidéo et de lui faire connaître le site www.automesure.com, pour l’accompagner. Des fiches éducatives sont à disposition sur ce site ainsi que sur le site www.sfcardio.fr (rubriques : Groupes et filiales, puis Groupes, puis dans la rubrique Navigation : Vasculaire-Thrombose, puis Outils, puis Nord Pas-de-Calais, puis Fiches éducatives) [figure 3]. Il convient aussi d’informer le patient de ce qu’il ne faut pas faire : prendre sa tension en milieu de journée, ou après un malaise ou une émotion (annexes 1-3). Le professionnel de santé peut demander au patient d’apporter son autotensiomètre en consultation pour lui faire effectuer une mesure et repérer ainsi d’éventuelles mauvaises habitudes (2, 3). Annexe 1. Les 10 règles pour bien pratiquer l’automesure. 1. Patient formé au bon usage de l’autotensiomètre, informé des normes tensionnelles : – pression artérielle au cabinet 140/90 mmHg, 130/80 mmHg chez le diabétique et/ou insuffisant rénal ; – pression artérielle en automesure 135/85 mmHg 2. Appareil huméral (recommandé en première intention) ou radial validé par l’AFSSAPS, pas de tensiomètre digital 3. Patient assis devant une table, bras situé à la hauteur du cœur pendant les mesures successives. La qualité du geste conditionne les résultats de l’automesure 4. Après 5 mn de repos, au calme 5. Mesures à heures régulières : une série le matin avant la prise médicamenteuse et une série le soir, jamais en milieu de journée 6. Attendre 1 mn entre deux mesures successives 7. 3 mesures par série 8. 3 jours de mesure au minimum avant la consultation chez le médecin 9. Noter les résultats sur une fiche de recueil : dates et heures si l’appareil n’est pas équipé d’une imprimante ; calculer la moyenne des 18 mesures 10. Ne pas modifier le traitement sans l’avis du médecin La Lettre du Cardiologue - n° 410 - décembre 2007 Annexe 2. Les règles à enseigner : ce qu’il ne faut pas faire. 1. Mesurer sa PA – au milieu de la journée – lorsque l’on ressent un malaise – après un effort – en étant contrarié ou énervé 2. Réaliser un nombre excessif de mesures 3. Faire des mesures trop rapprochées 4. Sélectionner les mesures 5. Modifier soi-même son traitement Annexe 3. sites internet utiles. – Site de l’automesure : www.automesure.com – Comité de lutte contre l’HTA : www.comitehta.org – Société française de médecine vasculaire : www.angionet.org – Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; appareils d’automesure validés : http://afssaps.sante.fr/htm/5/tensio.htm – Société française de cardiologie : www.sfc.fr – Fédération française de cardiologie : www.fedecardio.com LEs ATouTs mAJEuRs dE L’AuTomEsuRE L’automesure constitue une aide au diagnostic d’HTA et permet une évaluation plus précise du risque cardiovasculaire. Elle permet de corriger les diagnostics par excès (HTA blouse blanche) ou par défaut (HTA masquée, figure 4) [4]. Elle est, de ce fait, recommandée par l’HAS, avant le début d’un traitement antihypertenseur quand la PA de consultation se situe dans la fourchette 140-179 mmHg/90-109 mmHg (en l’absence de maladie vasculaire) et systématiquement chez le sujet âgé (en l’absence de troubles cognitifs) [2, 5]. L’automesure a également une valeur pronostique supérieure à celle de la mesure classique 25 mise au point m ise au point maladie. Pour pallier partiellement ces limites financières, deux solutions existent aujourd’hui : le prêt d’appareils et les réseaux de santé comme HTA Vasc dans le Nord-Pas-de-Calais, avec la mise en place d’ateliers automesure. Pour le patient, trois types de difficultés sont parfois rencontrés : certains patients peuvent développer une anxiété face à l’appareil (même s’ils sont minoritaires, ils existent, et le médecin ne doit pas imposer la méthode si l’anxiété demeure après éducation) ; les appareils automatiques sont désormais de maniement simple, 90 % des personnes savent les utiliser correctement après éducation (étude SHEAF), mais certaines n’y parviennent pas ; enfin, des modifications inappropriées du traitement à l’initiative du patient sont couramment signalées (4). En pratique Figure 4. Les différents types d’HTA. au cabinet. Les valeurs de PA en automesure sont mieux corrélées aux événements cardiovasculaires et à la mortalité que les mesures de consultation. L’automesure permet une évaluation précise de l’efficacité du traitement antihypertenseur. Elle accompagne l’éducation thérapeutique du patient hypertendu, permettant de le rendre acteur de ses soins. L’automesure apparaît ainsi comme un véritable outil d’observance au long cours (4-6). L’AuTomEsuRE EsT unE PREsCRIPTIon médICALE Le médecin peut disposer d’un parc de quelques appareils qu’il peut prêter à son patient, comme cela est le cas avec le réseau régional HTA Vasc du Nord-Pas-de-Calais. Une ordonnance peut être libellée de la façon suivante : “Avant la prochaine consultation, mesurez votre pression artérielle 3 fois le matin et 3 fois le soir en position assise, au calme, pendant 3 jours consécutifs. Notez tous vos résultats et calculez ensuite la moyenne de vos 18 mesures.” L’interprétation des résultats doit être réalisée par le médecin. L’automesure ne remplace pas la consultation médicale. Elle ne doit pas conduire à une autosurveillance ni à une automédication. LEs LImITEs dE LA TECHnIQuE L’automesure de la PA rencontre néanmoins quelques limites. Elle n’est utilisable que chez environ 70 % des patients hypertendus. Elle ne permet pas d’obtenir de mesures nocturnes ni en période d’activité professionnelle. Il n’y a pas encore de valeurs de référence proposées chez l’enfant, chez le sujet très âgé et chez le diabétique. L’automesure est à proscrire chez le patient anxieux, qui multiplie les mesures de façon obsessionnelle. Les patients ayant des troubles cognitifs ne sont pas non plus de bons candidats, quoiqu’il soit possible de s’appuyer sur l’entourage. Les arythmies cardiaques peuvent être source de mesures erronées. Les appareils d’automesure et la consultation éducative ne sont pas remboursés par les caisses d’assurance 26 L’automesure n’est surtout pas un gadget mais un véritable outil d’aide à la prise en charge médico-éducative du patient hypertendu. L’automesure est souvent indispensable avant de débuter un traitement et s’avère très utile chez un hypertendu traité mais non contrôlé en consultation. Elle permet de corriger deux types d’erreurs diagnostiques en consultation : les erreurs par excès (HTA blouse blanche, un quart des patients en consultation ne relevant pas d’un traitement antihypertenseur ou d’une modification du traitement pour les patients traités) ; les erreurs par défaut (HTA masquée, chiffres de PA contrôlés en consultation mais non contrôlés à domicile et nécessitant une adaptation thérapeutique, soit un quart des HTA traitées en trithérapie). Toutefois, l’automesure ne doit pas être systématique ni généralisée. Les informations apportées par ces méthodes complètent celles obtenues par les méthodes conventionnelles mais ne les remplacent pas encore totalement. L’automesure est à proscrire chez certains patients anxieux. Bien que les appareils ne nécessitent généralement qu’une participation minime du patient, il est important pour un geste de qualité de respecter un certain nombre de règles, qui sont à enseigner au patient et aux professionnels de santé. L’automesure reste un acte médical ; elle ne doit pas se substituer au médecin ni conduire à une autosurveillance ou à une automédication, même si elle permet de responsabiliser le patient. ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. The task force for the management of arterial hypertension of the European Society of hypertension (ESH) and the European Society of Cardiology (ESC). 2007 Guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2007;25:1105-87. 2. Haute Autorité de Santé. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle essentielle. http://www.anaes.fr 3. Postel-Vinay N, Bobrie G, Ruelland A, Ménard J. Automesure tensionnelle : 5 messages à enseigner. La Revue du Praticien 2003;632:1531-4. 4. Bobrie G, Chatelier G, Genes N et al. Cardiovascular prognosis of “masked hypertension” detected by blood pressure self-measurement in elderly treated hypertensive patients. JAMA 2004;291:1342-9. 5. O’Brien E, Asmar R, Beilin L et al. Practice guidelines of the European Society of Hypertension for clinic, ambulatory and self blood pressure measurement. J Hypertens 2005;23:697-701. 6. Hanon O, Mourad JJ, Mounier-Vehier C, Girerd X. La possession d’un appareil d’automesure tensionnelle contribue à améliorer l’éducation des patients hypertendus. Arch Mal Cœur 2001;4:879-83. La Lettre du Cardiologue - n° 410 - décembre 2007