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Anémie ferriprive récidivante au cours
de la sclérodermie systémique
Recurrent iron deficiency anaemia in systemic sclerosis
● Y. Allanore*
L
a sclérodermie systémique est une connectivite comportant
une atteinte du tractus digestif dans environ 90 % des cas.
Le segment le plus fréquemment atteint est l’œsophage,
mais l’ensemble du tube digestif peut être affecté ; des troubles
de la motilité avec reflux gastro-œsophagien ou pseudo-occlusion
prédominent, mais des lésions plus inhabituelles peuvent être rencontrées.
un traitement local par laser argon a été commencé dès la
première fibroscopie et réitéré lors du contrôle endoscopique
6 semaines plus tard. Parallèlement, le traitement par inhibiteur
de la pompe à protons débuté dès le diagnostic de la maladie a
été augmenté, et une supplémentation en fer associée, ce qui a
permis une disparition de l’asthénie avec normalisation du
taux d’hémoglobine. Toutefois, une récidive un an plus tard a
conduit de nouveau au même traitement avec une efficacité
maintenue depuis 3 ans.
OBSERVATION
Une patiente âgée de 58 ans a consulté pour une asthénie, des paresthésies des mains, un syndrome de Raynaud récent et des arthralgies. À l’examen, on notait une sclérodactylie et une sclérose du
visage, des télangiectasies péribuccales, un syndrome de Raynaud
sévère sans trouble trophique mais touchant les pouces, et un syndrome du canal carpien bilatéral non déficitaire. Le diagnostic de
sclérodermie systémique de forme cutanée limitée était confirmé
par la présence d’anticorps antinoyaux (1/1280) de type anticentromère. La biologie montrait par ailleurs une anémie à 10,8 g/dl,
microcytaire (volume globulaire moyen [VGM] = 74 fl) et arégénérative. Des infiltrations étaient réalisées pour le syndrome du
canal carpien et un traitement associant nicardipine 100 à 150 mg/j
et oméprazole 20 mg/j en raison d’une sensation de reflux était
proposé. L’amélioration a été rapide sur le plan des mains et du syndrome de Raynaud, mais l’asthénie est restée marquée. Six
mois plus tard, la plainte
principale demeurait l’asthénie, et un contrôle biologique a montré une anémie
à 8,2 g/dl, microcytaire à
70 fl, avec une ferritinémie effondrée (5 µg/l). La
fibroscopie gastrique n’a pas
montré de lésions œsophaFigure 1. Quel est votre diagnostic ? giennes, mais cet aspect
gastrique (figure 1).
Quel est votre diagnostic ? Que proposez-vous ?
Cet aspect est celui d’un estomac pastèque avec des travées érythémateuses congestives antrales parallèles correspondant à des
dilatations capillaires. Une transfusion globulaire a été réalisée et
* Service de rhumatologie A, hôpital Cochin, AP-HP, université Paris-V, Paris.
La Lettre du Rhumatologue - n° 320 - mars 2006
DISCUSSION
Les malformations vasculaires du tube digestif sont des structures
aberrantes de l’architecture vasculaire normale qui peuvent toucher
les artères, les veines, les capillaires, voire les lymphatiques (1) ;
l’hémangiome est le plus fréquent. Les lésions peuvent être congénitales (hamartomes), mais aussi acquises, telles les
télangiectasies (tableau). La présentation clinique se fait sous
forme d’hémorragies aiguës ou de syndrome anémique chronique,
voire d’obstruction en cas de formation tumorale.
Les ectasies vasculaires sont rares et l’estomac pastèque touche
exclusivement l’antre (2, 3). Le plus souvent, elles se traduisent par
un saignement à bas bruit responsable d’une anémie ferriprive ;
toutefois, l’anémie est souvent sévère et des transfusions semblent
le plus souvent justifiées, comme dans le cas de notre patiente.
Une série de cas d’estomac pastèque d’étiologie variable a montré que 62 % des patients recevaient en moyenne 10 unités de
culots globulaires sur une période de 12 mois (4), et au cours de
la sclérodermie systémique, en regroupant 16 cas, un recours aux
transfusions a été nécessaire chez 11 malades sur 16 (5).
L’aspect endoscopique est celui de plis de muqueuse gastrique,
parallèles, longitudinaux, qui convergent vers le pylore traversant
l’antre, chacun contenant des colonnes de capillaires dilatés (nombreux spots rouges de vaisseaux ectasiques organisés en stries le
long de l’antre), ce qui donne un aspect caractéristique (figure 1).
Le mécanisme n’est pas établi ; un péristaltisme traumatique dû
au prolapsus de la muqueuse antrale, des perturbations liées à l’hypergastrinémie, à d’autres hormones vasoactives vasodilatatrices
(sérotonine, VIP) ou à l’hypochlorhydrie, sont suspectés (2, 3).
Histologiquement, les lésions touchent la muqueuse gastrique
antrale avec hyperplasie fibromusculaire superficielle, ectasies
capillaires, thrombose microvasculaire de la lamina propria ; il n’y
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Tableau. Classification des anomalies vasculaires du tube digestif (1).
Malformation artério-veineuse :
– angiodysplasie ; le plus fréquent, atteinte du cæcum,
souvent multiple, découverte chez les sujets âgés
– ectasie vasculaire
Phlébectasies multiples (touche principalement le jéjunum)
Télangiectasies :
– Rendu-Osler : télangiectasies cutanées et muqueuses,
atteinte digestive dans 10 à 20 % des cas
– connectivites : sclérodermie systémique au premier plan.
Elles peuvent se situer sur tout le tube digestif et engendrer
des saignements aigus parfois massifs
– syndrome de Turner
Hémangiomes : caractère tumoral, sexe masculin,
responsable de saignements, de douleurs et d’occlusions
– caverneux
– capillaires
– mixtes
– syndrome de Klippel-Trenaunay : varices, hémangiomes,
hypertrophies osseuses
Maladies du tissu conjonctif :
– pseudo-xanthome
– syndrome d’Ehlers-Danlos
a pas de réaction inflammatoire associée, mais souvent une métaplasie intestinale focale. L’hypervascularisation de l’antre semble
liée à de très nombreux capillaires modérément dilatés et à
quelques-uns extrêmement larges ; la plupart des capillaires
sièges de télangiectasies sont occlus par des microthrombus fibrineux.
Les étiologies sont dysimmunitaires, hépatiques et rénales. Il y a tout
d’abord des maladies dysimmunitaires, avec, au premier plan, la sclérodermie systémique. Dans une série de 110 patients, tous traités par
inhibiteurs de la pompe à protons au long cours et évalués de façon
prospective par endoscopie, 2 cas sur 110 d’estomac pastèque ont été
identifiés (6) ; dans une autre série française, 3 cas sur 22 ont été diagnostiqués (7). Dans la série de 45 cas de Gostout (4), 8 patients sur
45 (18 %) avaient une sclérodermie systémique. Des localisations
au rectum parfois concomitantes de celle de l’estomac ont été rapportées, ce qui suggère un processus vasculaire global (8). La cirrhose biliaire primitive, l’hypothyroïdie, voire le syndrome de Gougerot-Sjögren (9), le lupus systémique (10, 11) ou l’anémie de Bermer
semblent des étiologies possibles. Il existe également des causes non
dysimmunitaires, avec principalement les atteintes hépatiques telles
la cirrhose hépatique, l’hypertension portale (parfois difficile à
distinguer d’une gastropathie hypertensive) et l’hyperplasie nodulaire régénérative ou sans maladie hépatique. L’insuffisance rénale
chronique peut être en cause (12) ; des cas plus rares ont été rapportés au cours du diabète, du lymphome, du cancer gastrique ou
de la sténose aortique (2, 3). Des cas sont rapportés après les transplantations hématopoïétiques (13) ; un estomac pastèque a été
trouvé chez 2,2 % des cas d’une série de 230 transplantations allogéniques ; un conditionnement par busulfan était présent dans tous
les cas, ainsi que la survenue d’une microangiopathie thrombotique ; un traitement par bêtabloquant aurait apporté un bénéfice.
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Le traitement doit comporter
une supplémentation ferrique,
mais l’objectif est le nonbesoin de transfusions. Les traitements sont endoscopiques,
pharmacologiques et chirurgicaux (14, 15).
L’endoscopie est toutefois la
base du traitement et doit toujours être proposée en première Figure 2. Aspect de l’estomac pasintention ; elle permettrait un tèque après électrocoagulation.
contrôle satisfaisant chez 70 % des malades (14, 15). Le traitement par lui-même repose sur le laser YAG, avec des séances répétées chaque semaine, mais un risque de rechute à long terme et
des complications telles que des polypes hyperplasiques ou des
contractures rigides, voire des cancérisations, sont décrits. L’électrocoagulation au plasma argon avec séances répétitives est également proposée (14). Le traitement endoscopique est illustré sur
la figure 2.
Quelques cas cliniques rapportent l’utilisation d’estrogènes associés à la progestérone, et l’octréotide a été proposée par certains
(16) ; elle pourrait représenter une alternative en cas d’impossibilité de geste local. L’interféron α a été proposé, sans succès.
À l’extrême, une antrectomie peut être proposée, mais le pronostic
semble sombre, avec de nombreuses complications à court et à
long terme (mortalité de l’ordre de 7 %) ; elle est parfois discutée dans les cas rebelles et en dehors des cas de cirrhose.
CONCLUSION
L’estomac pastèque ou ectasie vasculaire antrale fait partie des malformations vasculaires du tube digestif. C’est une complication rare
des connectivites et surtout de la sclérodermie systémique. Son mode
de révélation est principalement un syndrome anémique souvent marqué, avec un besoin transfusionnel, et le traitement est endoscopique,
■
par laser YAG ou par électrocoagulation au plasma argon.
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D E L’ I N D U S T R I E P H A R M AC E U T I Q U E
Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations organisés par l’industrie pharmaceutique
Protelos®, une innovation Servier dans
l’ostéoporose
Protelos® 2 g (ranélate de strontium), issu
de la recherche Servier, est disponible
depuis le mois de janvier “dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique”. Ce
médicament dont l’AMM précise qu’il “réduit
le risque de fractures vertébrales et de la
hanche” a été récompensé par le prix Gallien
2005 de la recherche pharmaceutique, dans la
catégorie “médicaments utilisés en médecine
de ville”. Il se caractérise par son mécanisme
d’action original qui permet à la fois de freiner la perte osseuse et de former de l’os nouveau, rééquilibrant ainsi le métabolisme
osseux en faveur de la formation. Deux vastes
études de phase III randomisées, menées en
double aveugle contre placebo chez près de
8 000 femmes ménopausées ostéoporotiques,
ont validé son efficacité antifracturaire. Sur le
plan rachidien, quel que soit le stade de l’ostéoporose, il permet de réduire le risque de première fracture comme des récidives et des fractures cliniques avec respectivement, dès la
première année, une réduction de 49 % et de
52 %, et, sur 3 ans, une réduction de 41 % et de
38 %. Du point de vue périphérique, il entraîne
une réduction sur 3 ans de 36 % du risque de
fracture de hanche chez les patientes à risque
(74 ans avec un T-score fémoral bas-3DS), et
La Lettre du Rhumatologue - n° 320 - mars 2006
cela quel que soit l’âge des patientes ostéoporotiques, de la ménopause à 80 ans et plus. La
posologie est de un sachet de 2 g, le soir au coucher. La tolérance globale évaluée sur l’ensemble des patientes des cohortes SOTI et TROPOS est bonne et comparable à celle observée
sous placebo. Il n’y a pas de contre-indication
spécifique. Une attention particulière est toutefois portée chez les patientes qui présentent un
risque thromboembolique, en raison de l’augmentation des événements veineux thromboemboliques observée dans les études de
phase III. Protelos® est remboursé à 65 % dans
le traitement de l’ostéoporose avérée avec au
moins une fracture ostéoporotique. Il est conditionné en boîte de 28 sachets au prix public de
44,44 euros.
C.B.
Bonviva® : une prise par mois contre
l’ostéoporose
Près de deux tiers des patientes abandonnent leur traitement contre l’ostéoporose au bout de moins d’un an. Une
étude menée par P. Fardellone (CHU
d’Amiens) sur la base de données Thalès portant sur 1 200 médecins généralistes montre
que l’espacement des doses change les comportements. La prise hebdomadaire de bis-
phosphonates améliore de manière significative, mais modeste, l’observance à un an et
augmente de 10 % la persistance du traitement
à deux ans. Elle demeure cependant insuffisante, car moins d’une femme sur deux poursuit son traitement à deux ans. La mise à disposition prochaine d’une forme à prise
mensuelle d’un aminobisphosphonate, l’ibandronate (Bonviva® des laboratoires Roche et
GlaxoSmithKline) devrait encore améliorer
l’observance du traitement de l’ostéoporose.
Les résultats de l’étude MOBILE qui a comparé différentes doses orales mensuelles
d’ibandronate à une dose quotidienne
(2,5 mg/j) montrent que l’efficacité du traitement n’est pas réduite par la prise mensuelle
du bisphosphonate. Elle est au moins comparable en termes de gain de densité osseuse à
la forme quotidienne, voire supérieure pour la
dose de 150 mg/mois en ce qui concerne la
densité minérale osseuse (DMO) lombaire. À
3 ans, le gain de DMO est respectivement de
6,6 % au rachis et de 4,2 % pour la hanche
totale à cette posologie. Par extrapolation,
l’efficacité antifracturaire de l’ibandronate à
prise mensuelle (150 mg/mois) devrait être
comparable à celle observée dans l’étude
BONE qui montre à 3 ans une réduction des
fractures vertébrales de 62 % avec une prise
quotidienne d’ibandronate (2,5 mg/j).
C.B.
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