Femme_torturée-2

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Exercice de la controverse La femme que le tyran mit à la question à cause de son mari (Sénèque le Père, Controverses 2, 5) : « Une femme mise à la question par un tyran qui voulait lui faire avouer le projet que son mari avait formé de le tuer, nia obstinément. Par la suite, le mari tua le tyran. Il renvoya son épouse sous prétexte de stérilité, parce que, après cinq ans de mariage, elle n’avait pas eu d’enfant. Elle l’accuse d’ingratitude. » Loi 1 : Un homme peut répudier sa femme s’il voit, après cinq ans, qu’elle est stérile. Loi 2 : Un homme ne peut pas quitter sa femme si elle a subi des tortures pour lui. Exorde Ah ! Existe-­‐t-­‐il plus grand malheur pour une femme fidèle en tout point à son mari que de vulgairement se faire répudier par cet ingrat époux ? Rien, il est vrai ! Et c’est pourtant ce qui est arrivé à cette pauvre femme, ici présente, qui n’a jamais demandé autre chose que la présence de son époux à ses côtés. Durant ces prochaines minutes, vous verrez donc, Messieurs les Juges, pourquoi il faut donner justice à cette femme. Narration Ceux d’entre vous qui la connaissaient avant ces derniers évènements, vous ne pouvez être que surpris devant son allure et son aspect effrayants. Cette jeune femme âgée tout juste de vingt ans semble vieillie prématurément. En effet, aujourd’hui, elle se tient le dos vouté, le regard baissé, les doigts tremblants et gonflés par les sévices subis. Ses courts cheveux noirs, rêches comme de la paille font ressortir son teint blafard et amaigri. Vous vous interrogez surement sur les faits qui ont provoqué un tel changement sur cette femme anéantie. Cette histoire avait pourtant tout pour bien commencer ; une jeune femme belle, éduquée et amoureuse, se voit mariée à l’homme de ses pensées. Après un début de mariage exemplaire, durant laquelle cette jeune épouse s’est occupée de manière dévouée de son mari et de son foyer. Jamais à aucun moment la maisonnée, du plus vieil esclave au plus éminent invité n’a eu à se plaindre d’une quelconque manière du comportement moral ou physique de notre pauvre victime. Vous vous demandez certainement pourquoi je parle de victime ? Je vais donc satisfaire votre légitime curiosité. Lors d’un triste jour, notre délicate jeune femme s’est lâchement fait enlever par l’ennemi que tout le monde connaît dans cette ville. Je parle bien du défunt tyran, celui qui a d’une manière ou d’une autre marqué au fer rouge chacune de nos maisons, chacune de nos familles, chacun de nos enfants. Ce tyrannique personnage s’est mis en tête que le mari de notre victime avait formé le projet de l’assassiner. Sans besoin de plus d’arguments, il alla donc prendre ce qu’il pensait être le bien le plus précieux de la maison, à juste titre, et l’enferma durant des temps indescriptibles dans l’une de ses chambres de torture afin qu’elle avoue les méfaits présumés de sa moitié. Quelle souffrance notre frêle jeune femme n’a-­‐t-­‐elle pas subie ? De la torture, sur une femme qui n’était encore qu’une enfant il n’y a pas si longtemps. Peu d’entre nous, hommes forts, valeureux et sages de l’expérience de la vie aurions pu supporter un tel traitement. Cela ne rend cette dame que plus honorable. À aucun moment, elle n’a laissé le moindre son sortir de sa bouche. Avouer le soi-­‐disant projet de son mari dont elle n’avait jamais entendu parler ? Jamais. Mentir pour mettre fin à ses tourments sortis 1 droit des Enfers d’Hadès ? Jamais. Amadouer son tourmenteur pour sauver sa vie ? Jamais. Et cinq ans après avoir vécu toute cette peine pour son homme, alors que le traumatisme continuait de la poursuivre, la jeune femme vit celui-­‐là même pour qui elle avait tant souffert lui annoncer qu’il la quittait. « Encore un drame m’accable ! » Dit-­‐elle « Après lui avoir tout donné : ma virginité, ma confiance, ma vie ; il m’annonce qu’il veut mettre fin à notre union. Les tortures que j’ai subies pour lui me reviennent sans cesse… je me revois enlevée à ma demeure par ces esclaves violents… jetée dans une chambre sombre et piteuse… n’ayant devant les yeux que le sang des pauvres gens qui m’ont précédé. Tellement de sang… Et il me semble entendre continuellement les cris du tyran voulant connaître les plans assassins de mon époux. Je ressens encore la douleur… si forte… si insoutenable… J’ai tant de fois été à bout, tant de fois si proche de la fin. Je n’en pouvais plus, j’étais prête à dire tout ce que mon agresseur voulait pour en finir avec cet enfer. Mais, quand cette pensée indigne me venait, je repensais à mon devoir envers mon époux. Alors j’espérais même mourir sous les coups… seulement pour arrêter de souffrir. Pourtant j’ai survécu. Aujourd’hui, je ne reconnais plus mon corps qui fut autrefois si attrayant, mais cela me convenait puisque j’avais encore mon mari. Et maintenant je dois le perdre lui aussi ? Après avoir tant souffert : privée de sommeil par les cauchemars incessants, défigurée par les coups, je dois me retrouver sans rien ? Laissée comme la pire des ordures ? N’y a-­‐t-­‐il pas de justice ? Suis-­‐je condamnée à passer le reste de mes jours à regretter cette union qui ne m’aura apporté que du malheur ? Telle Médée qui fut abandonnée sans aucune pitié, après avoir tout entrepris pour son doux Jason. Devrai-­‐je suivre la destinée des laissés-­‐pour-­‐compte ? N’y a-­‐t-­‐il vraiment aucune justice ? » Vous pouvez penser que, par rapport à la loi, un homme devrait pouvoir avoir une descendance, mais qui nous dit que c’est vraiment la faute de la femme ? Peut-­‐être avait-­‐
il aussi une part de responsabilité ? Et, s’il s’avère qu’elle ne peut pas tomber enceinte, peut-­‐être même que c’est à cause des tortures qu’elle a subi pour son mari. Devrait-­‐elle donc être punie si injustement ? Cette femme qui n’est que pureté et vertu ? Vous pouvez aussi penser que c’est le devoir d’une femme de défendre son mari, même sous la torture, mais il existe une loi qui reconnaît la piété d’une femme qui, même sous la plus atroce torture, défend son mari. Donc vous, hommes sages qui avez élaboré cette loi vous devriez être d’accord avec nous. Car, n’est-­‐il pas ingrat, de la part d’un mari, de répudier sa femme après qu’elle a subi les pires tortures pour sa survie ? C’est donc bien le devoir de l’homme de garder une femme qui a souffert pour lui. De plus, c’est bien grâce à elle si cet affreux tyran est mort ! En effet, l’honneur obligeait le mari de défendre sa femme après qu’elle a subi des tortures. Certains pourraient dire que l’homme a le beau rôle, car il a tué le tyran. Mais il ne faut pas se laisser tromper ! En effet, il n’est que l’instrument du destin qui l’a obligé à prendre revanche sur ce tyran pour protéger l’honneur bafoué de sa maison ! N’oublions pas que c’est bien elle qui a subi le pire. Seule face à un homme qui lui faisait subir des horreurs inimaginables à moult reprises. Des souffrances à la hauteur de celle que subit Prométhée durant son éternelle damnation ! Péroraison 2 Vous hommes sages assis devant nous aujourd’hui, face à cette femme bafouée et victimisée à son insu, face à moi humble défenseur d’une cause juste, je vous prie de prendre en compte la loi, émise dans ce tribunal : Un homme ne peut pas quitter sa femme si elle a subi des tortures pour lui. Pourquoi lui infligeriez-­‐vous un malheur supplémentaire ? Quelle serait l’image de notre société, si cet honnête tribunal jugeait une femme pour sa supposée stérilité qui ne dépendrait pas de sa volonté ? En effet, pensez-­‐vous qu’une simple femme puisse décider de la naissance d’une descendance ? Ce sont les dieux là-­‐haut entre deux disputes qui prennent de la décision. Qui sommes-­‐
nous, hommes mortels, pour nous prononcer sur le choix pris par les dieux ? 3 
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