HDA /2014 /COLLEGE BORIS VIAN / DELAUNAY / EQUIPE DE CARDIFF/ 1913/ 1/3 HISTOIRE DES ARTS Œuvre : Equipe de Cardiff - 3ème représentation - Janvier 1913 Artiste : DELAUNAY Robert (1885- 1941) 1. Artiste ROBERT DELAUNAY est né à Paris le 12 avril 1885. En 1902, il travaille comme apprenti dans un laboratoire de scénographie de Belleville. En 1903, il commence à peindre et parvient à exposer au Salon d’Automne en 1904 puis en 1906, ainsi qu’au Salon des Indépendants de 1904 jusqu’à la Première Guerre Mondiale. Il se lie d’amitiés avec Henri Rousseau et Jean Metzinger puis étudie les théories de la couleur de Michel Eugène Chevreul. Il réalise alors des œuvres néo-impressionnistes et est influencé par Paul Cézanne. Après son service militaire effectué à Laon en 1907-1908, il revient à Paris où il fréquente le milieu du cubisme. Entre 1909- 1910, il peint une série de « Tour Eiffel ». Il rend hommage aussi à l’aviateur Blériot qui traverse la Manche en Juillet 1909. En 1910, il épouse la peintre Sonia Terk, devenue Sonia Delaunay. A partir de 1911, Delaunay est présent en Allemagne où il collabore avec l’avant-garde. Vassili Kandinsky l’invite à la première exposition « Le Cavalier Bleu » à Monaco. Au cours de cette période, il se lie d’amitiés avec Guillaume Apollinaire, et débute sa série de Fenêtres. En 1924, il réalise la série des Coureurs, puis en 1937 participe à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs à Paris. Ses dernières œuvres sont des fresques, de l’art mural, des décorations notamment pour le Salon des Tuileries. Il meurt le 25 Octobre 1941 à Montpellier. 2. Présentation du tableau : L’équipe de Cardiff est la représentation d’un moment sportif du début du XXème d’une équipe de Cardiff, pays de Galles, face au SCUF -Sporting Club Universitaire de France rugby- de Paris. C’est l’un des premiers tournois internationaux de rugby. Delaunay réalise ce tableau en Janvier 1913, c’est une huile sur toile de grandes dimensions, 1,95 m -1,32m, aux couleurs lumineuses. Il est actuellement conservé au Musée d’Art Moderne, le « MaM », à Paris. Robert Delaunay est à la recherche d’une nouvelle inspiration, d’un sujet susceptible de créer l’événement au prochain salon des Indépendants. Il est fasciné par la modernité et souhaite représenter la réalité de la vie contemporaine. Delaunay peint donc à plusieurs reprises une rencontre sportive de rugby alors que ce sujet n’était pas très courant. Plusieurs esquisses, au crayon, à l’encre et au pastel, puis trois versions à l’huile conservées à Munich, Eindhoven et Paris constituent l’ensemble de cette recherche. HDA /2014 /COLLEGE BORIS VIAN / DELAUNAY / EQUIPE DE CARDIFF/ 1913/ 2/3 3. Description de l’œuvre : L’artiste trouve son thème d’inspiration dans deux revues : une photographie parue dans un article du magazine « Vie au grand air » du 18 Janvier 1913, d’une mêlée de l’équipe du SCUF Sporting Club Universitaire de France rugby, face à Toulouse, qui selon un article d’un second magazine «l’Echo des sports » était caractérisée par sa vitalité. Il avait l’habitude de trouver son inspiration dans la modernité de ce début du XXème siècle : quoi de plus moderne donc, de plus mouvementé, de plus aérien que le rugby. Ce sport est né en Angleterre et commence à conquérir la France grâce à la loi de 1901 sur la liberté d’association qui permit l’explosion des clubs sportifs. Delaunay témoigne avec cette œuvre que les loisirs nouveaux connaissent un essor bien que réservés encore à une élite de la société. Le rugby se répand dans toutes les villes en France notamment dans le Sud-ouest, à Bayonne, à Toulouse… Delaunay montre donc son originalité par le sujet sportif abordé en peinture qui reste à cette époque peu courant. Il choisit de mettre en scène une vision combattive, rapide de la vie moderne où le culte de l’action invite au dépassement de soi dans la vitesse en accord avec l’actualité. 4. Analyse plastique de l’œuvre : Robert Delaunay est à l’époque très impliqué dans les mouvements artistiques novateurs du début du XXème siècle. Après être passé de l’impressionnisme au divisionnisme ou pointillisme, avec son épouse, il crée le simultanéisme. Cette technique vise à trouver l’harmonie picturale, grâce à l’agencement simultané des couleurs. Les couleurs paraissent comme dans un état d’excitation dynamique, leur stabilité disparaît et elles semblent vibrer. Delaunay parvient à une véritable poésie picturale qu’Apollinaire qualifie d’orphisme, un langage lumineux. Les couleurs pures Les choix chromatiques du peintre semblent liés à la publication d’un article de Gabriel Mourey sur l’art et le sport mettant en évidence le goût des sportifs pour les couleurs pures. Delaunay a opté pour des couleurs franches, qui juxtaposées, sont complémentaires. Cette œuvre ne peut pas être qualifiée d’abstraite, bien qu’accordant une place majeure aux couleurs, car on reconnaît aisément des formes du quotidien comme la Tour Eiffel, l’aéroplane, la Grande Roue… Une vision aérienne Le décor est volontairement urbain, c’est le milieu où se multiplient les innovations les créations édifices urbains, symboles de la modernité et de l’ère industrielle. La ville est la vitrine de la modernité. La Tour Eiffel se télescope avec la Grande Roue, deux monuments qui marquent une rupture dans le paysage urbain de la capitale et prennent de la hauteur avec l’usage de l’acier dans les constructions. L’hommage à l’exploit de l’aviateur Blériot est rendu en point d’orgue dans le bleu du ciel. Une œuvre de juxtaposition Cette œuvre est conçue à la manière d’un collage bien qu’elle ne recoure pas à ce procédé. Des aplats de couleurs se juxtaposent, des formes géométriques variées, des triangles, des trapèzes, des parallèpipèdes, sont juxtaposés et donnent naissance à des figures bien identifiables. Delaunay a juxtaposé des joueurs en pleine action, la Grande roue, la Tour Eiffel, et un aéroplane : tous des symboles de ces nouveautés qui seront décisives pour ce XX ème siècle débutant et qui s’annonce trépident. De même, la présence de grands placards publicitaires, vantant les mérites de marques Dufayel, Astra, ajoutés à une vue de l’intérieur du Parc des Princes, annonce la place majeure de la publicité dans la société et dans le HDA /2014 /COLLEGE BORIS VIAN / DELAUNAY / EQUIPE DE CARDIFF/ 1913/ 3/3 « sponsoring » des événements sportifs majeurs jusqu’à aujourd’hui. Le tableau se structure, s’ordonne, autour d’une courbe centrale sinusoïdale (= en S), qui traverse la toile des pieds des rugbymen en extension en passant au sommet de la Roue et aboutissant à l’aéroplane. Cette courbe permet le glissement « architectonique », c'est-à-dire la perte de fondations de la nouvelle architecture. En effet, les trois structures issues de la Révolution industrielle, ultra-modernes, semblent arrachées aux lois de la pesanteur. Cette toile a donc en quelque sorte l’aspect d’un collage cubiste, mais monte un vrai retour à la figuration dans l’évolution des tableaux de l’artiste. Cette juxtaposition permet donc la simultanéité, toutes les couleurs vibrent, s’illuminent en même temps. Les contrastes sont complémentaires, et poursuivent en quelque sorte les découvertes faites par Seurat dès 1880. Le peintre de la vie moderne En utilisant « Cardiff » dans le titre, « New-York-Paris-Berlin » sur un panneau, Delaynay témoigne ainsi que les artistes, les sportifs doivent désormais voyager pour réaliser l’aboutissement de leurs actions. Ce tableau révèle les débuts, les prémices d’une mondialisation moderne des relations sportives et artistiques. La présence des noms des trois capitales artistiques de l’époque montre l’essor du marché de l’art et l’importance des expositions d’art à l’échelle mondiale. Avec la réclame, la publicité, Delaunay participe aussi au débat sur la place de la publicité dans la société occidentale et se place aux côtés de Blaise Cendras qui considère que « la publicité est la fleur de la vie contemporaine », ou d’Apollinaire qui considère que « dans une ville moderne, l’inscription, l’enseigne, la publicité joue un rôle artistique très important ». L’affiche est l’emblème d’une esthétique du mouvement, de l’instant choc, elle introduit des taches de couleur dans un tissu urbain constitué de grisaille. La ville se caractérise en ce début de XX ème par la montée en puissance de la réclame, des panneaux ou véritables placards publicitaires, dont les proportions sont exagérées par l’artiste. Ces affiches publicitaires sont le reflet de la société de consommation naissante. Avec ces grandes dimensions, ce tableau pourrait être considéré comme une affiche optique : il s’agit de couleur, uniquement de couleur. La couleur parle d’elle-même, frappe, impressionne. Le monde de l’artiste est donc bouleversé : le mode de vie de ses contemporains est en phase de transformations irréversibles avec toutes ces innovations rapides qui se succèdent et qui laissent présager un avenir optimiste, fait de croissance, d’exponentialités. Mais nous sommes à la vieille du premier Conflit Mondial avec son lot d’extravagances meurtrières et dévastatrices générées aussi par … l’ère industrielle. Conclusion : L’artiste exprime ainsi sa vision du monde moderne dans lequel la vitesse, la mobilité géographique des sportifs, des artistes, et les moyens de transport aérien deviennent des éléments majeurs. Son ami Guillaume Apollinaire pourra décréter « c’est la toile la plus moderne du Salon ». L’Equipe de Cardiff est donc un tableau essentiel dans l’évolution du travail de Delaunay. Ce tableau-affiche permet de comprendre le travail sur les couleurs basé sur les complémentarités simultanées qui donnent un rythme à son travail. Il s’est beaucoup intéressé à la « vibration des couleurs ». Il a trouvé les lois des contrastes complémentaires. L’équipe de Cardiff pourrait ainsi pour conclure avoir pour slogan publicitaire : « C’est l’expression d’un art pur, un art du mouvement de la couleur ».