Le receveur vieillissant Dossier thématique Résultats de la transplantation rénale chez le sujet âgé Outcomes of renal transplantation in elderly patients Yannick Le Meur* en augmentation régulière. Les seniors ont donc bénéficié d’un accès facilité à la greffe ces dernières années. Cette population est préférentiellement greffée avec des reins à critères élargis et au travers de programme d’attribution de type old-for-old. De plus, les patients âgés présentent des risques de morbidité et de mortalité accrus après transplantation. Néanmoins, avec une sélection rigoureuse des donneurs et des receveurs et l’utilisation de protocoles immunosuppresseurs adaptés, la transplantation rénale permet une meilleure survie des patients et une meilleure qualité de vie que la dialyse et doit être recommandée. Summary Résumé »»La prévalence de l’insuffisance rénale chronique du sujet âgé est Mots-clés : Transplantation rénale – Sujet âgé – Donneurs à critères élargis. Highlights: Kidney graft – Elderly patients – Expanded criteria donors. L a définition du sujet âgé n’est pas universelle. Dans la littérature concernant la greffe, on parle, dans bon nombre d’articles, de “sujet âgé” dès 60 ans. Une enquête réalisée en France en 2010 auprès des médecins transplanteurs a montré qu'ils privilégiaient plutôt l’âge de 65 ans. Les classifications de l’Agence de la biomédecine (ABM) se réfèrent également au seuil de 65 ans. L’accès à la liste d’attente de greffe des patients âgés s’est considérablement modifié au cours de ces 20 dernières années. La meilleure prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire ainsi que les progrès réalisés dans le domaine de la transplantation rénale (chirurgie, immunosuppression, prophylaxie anti-infectieuse, etc.) font que de plus en plus de sujets hémodialysés âgés sont maintenant inscrits sur liste d’attente de transplantation rénale. Données démographiques * Service de néphro­ logie, CHRU de la Cavale Blanche, Brest. 96 The older end-stage renal disease population prevalence is growing over time. The elderly have consequently benefited from increased access to renal transplantation in recent years. This population is more likely to receive a graft from expanded criteria donors and through old for old allocation system. Furthermore, elderly people are at greater risk of morbidity and mortality after transplantation. However, with careful donor and recipient selection, with adapted immunosuppressive strategies, kidney transplantation improves patient survival and quality of life compared with dialysis and should be recommended. Vieillissement de la population générale Au cours du siècle dernier, l’espérance de vie dans les pays industrialisés a augmenté de 25 ans. En France, l’espérance de vie est actuellement de 78,4 ans pour les hommes et de 84,8 ans pour les femmes (figure 1). Pour la première fois en 2012, l’espérance de vie semble stagner, alors qu’elle progressait régulièrement de 4 mois par an depuis 10 ans. Cette augmentation de l’espérance de vie est essentiellement due à l’accroissement de la durée de vie aux âges élevés (alors que, auparavant, la diminution de la mortalité infantile en était la principale cause). L’allongement de l’espérance de vie associé à un indice de fécondité faible est responsable d’un profond remaniement démographique, qui a pour conséquence le vieillissement de la population. Actuellement, près de 18 % de la population a plus de 65 ans, et le nombre de patients âgés de plus de 75 ans est en augmentation constante. Vieillissement de la population dialysée En France, l’incidence de l’insuffisance rénale terminale était en 2011 selon le registre du réseau épidémiologie et information en néphrologie (Rein) de 149 par million d’habitants (figure 2). Il semble que l’on assiste actuellement à une stabilisation de cette incidence, qui augmentait auparavant de 5 % par an. La prévalence est de l’ordre de 1 091 par million d’habitants. L’insuffisance rénale terminale (IRCT) est une pathologie du sujet âgé. L’âge médian des patients en France à l’instauration du traitement est de 70,4 ans. L’incidence est 30 fois plus élevée chez les sujets de plus de 75 ans que chez ceux de moins de 20 ans. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Résultats de la transplantation rénale chez le sujet âgé Augmentation du nombre de sujets âgés sur les listes d’attente En 2012, en France, les patients de plus de 65 ans représentaient 12 % de l’ensemble des inscrits et plus de 15 % des greffes réalisées. Ces chiffres passent à près de 30 % si l’on considère les plus de 60 ans et ils sont en augmentation régulière. Sur les 10 dernières années, nous avons multiplié par 3 le nombre de patients inscrits âgés de 60 à 69 ans et par plus de 10 celui des plus de 70 ans. Dans le programme Eurotransplant, on constate une augmentation identique sur la même période : de 3,6 à plus de 20 % des patients sur liste de plus de 65 ans (1). Âge 86 84 82 Femmes Hommes 80 78 76 74 72 1994 Des raisons éthiques À ce jour, en France, compte tenu de la modification de la démographie des donneurs (diminution drastique des accidents de la voie publique et diminution des AVC), la catégorie la plus difficile à greffer est celle des sujets jeunes. En cette période de pénurie d’organes, il n’est pas acceptable d’attribuer des greffons de donneurs jeunes à des receveurs âgés. 1 300 1 200 1 100 1 000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 0 2002 Années 2006 2010 1 077 Hommes Femmes 561 9 55 31 20-44 ans 1 107 444 339 210 0-19 ans 282 115 45-64 ans 65-74 ans 75-84 ans > 85 ans 5 000 Prévalence standardisée (pmh) Des raisons d’efficience Une étude portant sur 1 269 transplantés, s’intéressant à la survie des greffons en fonction de l’âge des donneurs et des receveurs, a montré que, à long terme, la survie du greffon est nettement plus faible chez les receveurs jeunes (< 55 ans) ayant reçu un rein de donneur âgé (> 55 ans) que dans les autres cas de combinaisons donneur-receveur (2). En revanche, les résultats pour les receveurs âgés sont identiques quel que soit l’âge du donneur. Ces résultats ont été confirmés dans le programme Eurotransplant senior avec des donneurs et des receveurs de plus de 65 ans (3). Des résultats identiques 1998 Figure 1. Augmentation de l’espérance de vie en France (INSEE, données de 2012). Incidence standardisée (pmh) Justification des programmes “old-to-old” Le type de donneur influence considérablement les résultats des greffes, et ce d’autant plus chez le receveur âgé. La plupart des systèmes d’allocation à travers le monde se fondent aujourd’hui sur l’adéquation entre l’âge du donneur et celui du receveur. C’est en particulier le cas dans le score français de l’ABM, renforcé parfois régionalement dans les scores locaux. Ainsi, sur une enquête menée en 2011, on estime que les receveurs de plus de 60 ans ont reçu le rein d’un donneur de plus de 60 ans dans 78 % des cas, et ceux de plus de 70 ans, celui d’un donneur de plus de 70 ans dans 74 % des cas (figure 3, p. 98). Plusieurs arguments plaident en faveur de l’attribution aux receveurs âgés de greffons provenant également de donneurs âgés. 4 500 4 235 Hommes Femmes 4 000 3 500 4 307 3 000 2 500 2 122 2 000 1 996 1 500 1 436 832 1 000 500 0 11 5 0-19 ans 212 140 20-44 ans 1 218 510 45-64 ans 65-74 ans 75-84 ans > 85 ans Figure 2. Incidence et prévalence de l’insuffisance rénale terminale traitée par dialyse en 2011 par million d’habitants en France (données du Rapport Rein de 2011). Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 97 Le receveur vieillissant Dossier thématique 90 80 Âge receveur 70 60 50 40 30 + 2003 × 2006 o 2009 20 10 0 00 10 20 30 40 50 Âge donneur 60 70 80 90 Figure 3. Adéquation à l’âge : données de l’ABM de 2010, résultats toutes transplantations confondues incluant les priorités nationales. ont été retrouvés dans le cas de greffes concernant des donneurs de plus de 70 ans et des receveurs de moins de 60 ans, où le risque de décès et de perte de greffon était nettement supérieur (4). Des raisons d’économie La cause la plus fréquente de perte de greffon chez le sujet âgé est le décès du patient avec un greffon fonctionnel (80 %), décès le plus souvent d’origine cardiovasculaire (5). Le but, chez le sujet âgé, compte tenu de l’espérance de vie plus courte, n’est donc pas d’avoir des greffons ayant une survie de 20 ans mais d’assurer le maintien d’une qualité de vie satisfaisante pendant un temps limité. Des raisons métaboliques Les besoins métaboliques diminuant avec l’âge, la greffe d’un rein âgé ayant une capacité fonctionnelle moindre peut correspondre à un appariement physiologique suffisant. Des raisons d’urgence Les sujets âgés sont plus sensibles au développement des lésions dégénératives vasculaires qui s’accélèrent après la mise en hémodialyse. La progression de ces pathologies vasculaires aboutit en quelques mois à contre-indiquer la greffe du fait d’une augmentation considérable des risques anesthésiques et chirurgicaux. Ainsi, la transplantation chez le sujet âgé ne peut se concevoir que dans un intervalle de temps limité qui ne permet pas d’attendre un éventuel donneur optimal. 98 Accès à la liste d’attente et à la transplantation De façon générale, l’accès à la greffe des patients en liste d’attente semble peu influencé par l’âge du receveur. Ainsi, aux États-Unis, en 2011, le pourcentage de patients transplantés était identique quelle que soit la tranche d’âge du receveur : 18-34 ans, 35-49 ans, 50-64 ans ou plus de 65 ans (données SRTR [scientific registry of transplant recipients] 2011). En France, en 2011, les chiffres sont similaires, avec un taux de 30 à 35 % à 1 an et de 65 à 75 % à 3 ans, quelles que soient les catégories d’âge chez l’adulte [Rapport Rein 2011]. À noter que la durée d’attente est également identique. Par contre, l’accès à la liste d’attente est plus problématique : seulement 3,4 % des plus de 60 ans sont inscrits pour une greffe préemptive, contre 11,2 % des moins de 60 ans ; 1 an après le début de la dialyse, 18 % des plus de 60 ans sont inscrits, contre 43 % des moins de 60 ans. Cela est dû à de plus nombreuses contre-indications médicales, mais pas seulement, comme l’attestent les importantes variations régionales de l’accès à la liste d’attente pour les patients âgés (Rapport Rein 2011). Au total, seuls 16,4 % des patients de plus de 60 ans commençant l’hémodialyse seront greffés dans les 3 ans, contre 42 % des moins de 60 ans (Rapport Rein 2011). Résultats de la transplantation chez le sujet âgé L’analyse des résultats de la greffe chez les sujets âgés est compliquée : par essence, cette catégorie de receveurs a un plus grand risque de décès, plus de facteurs de risque cardiovasculaire, un plus grand risque infectieux. De plus, les receveurs âgés reçoivent des reins à critères élargis (en particulier les plus âgés), des reins souvent moins bien appariés et, paradoxalement, les reins dont l’ischémie froide est la plus longue (4). Le groupe contrôle le plus pertinent est donc une population hémodialysée cumulant les mêmes facteurs de risque et inscrite sur liste d’attente. Survie des patients et des greffons Les résultats publiés dans la littérature sont assez concordants et montrent que la survie est moins bonne dans les tranches d'âges supérieures, ce qui est logique, mais que la survie du greffon censurée pour le décès est identique. Mis en évidence dans les données du registre américain (6), ce phénomène a été parfaitement confirmé dans des cohortes européennes assez récentes : écossaise (7), norvégienne (8) et autrichienne (9). Dans le rapport de 2012 de l’ABM, l’étude des courbes de survie retrouve une différence de 7,4 % à 5 ans et de 9,1 % à 10 ans entre sujets jeunes et sujets de plus de 60 ans. Cette différence disparaît Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Résultats de la transplantation rénale chez le sujet âgé après censure des décès avec un greffon fonctionnel. En définitive, les insuffisants rénaux chroniques âgés cumulent des facteurs de risque et des antécédents, en particulier cardiovasculaires, ce qui explique que, après 60 ans, le décès du patient (qui est majoritairement de cause cardiovasculaire) soit la première cause de perte du greffon. Il a été bien montré que les comorbidités mises en évidence au moment du bilan prégreffe (diabète, maladies coronaires, artérite, AVC, bronchopathies chroniques, cancers) augmentaient la mortalité précoce (moins de 90 jours) et plus tardive (12 mois), quel que soit l’âge du patient, mais que l’âge était un facteur supplémentaire multipliant encore par 2 le risque de mortalité à 1 an chez les patients de plus de 60 ans (10). Ainsi, toute la difficulté consiste à apprécier, chez un patient âgé en insuffisance rénale terminale, les risques de mortalité lors de la première année après la greffe. Ces décès sont liés à 3 causes principales : les maladies cardiovasculaires, les infections et les cancers. La connaissance de ces causes a permis d’identifier plusieurs facteurs de risque spécifiques de décès précoce (6) et donc d’améliorer la sélection des receveurs. On estime que le risque de décès précoce après transplantation chez le receveur de plus de 60 ans est multiplié par 5 en cas d’antécédent de cancer solide, par 2,9 en cas d’atteinte vasculaire périphérique et par 7,9 chez le fumeur (6). Une étude canadienne retrouvait, en 2005, l’obésité (RR = 1,34), le temps passé en dialyse (RR = 1,1) et, surtout, le tabac (RR = 2,09) comme facteurs de risque indépendants de mortalité chez le receveur de plus de 60 ans (11). Transplantation versus hémodialyse Plusieurs études ont comparé la survie des patients de plus de 60 ans en hémodialyse et après transplantation rénale. La plus importante est celle de R.A. Wolfe et al. (12), qui portait sur une population de plus de 79 000 patients inscrits sur liste d’attente de transplantation et dont 1/3 avaient été transplantés et 2/3 étaient encore en hémodialyse. Cette étude a montré que, quelle que soit la catégorie d’âge étudiée, la transplantation rénale améliore de manière significative la survie des patients. Dans la sous-population des patients ayant entre 60 et 74 ans, le gain de vie estimé après une transplantation rénale était de 4 ans, avec une espérance de vie qui passait de 6 ans en hémodialyse à 10 ans après la transplantation. Les résultats de cette étude peuvent être critiqués en raison de la mortalité importante des patients hémodialysés aux États-Unis par rapport à celle constatée en Europe. Cependant, une étude écossaise réalisée sur le même mode retrouve des résultats similaires, avec une espé- rance de vie doublée chez les receveurs de plus de 65 ans (7). En France, une étude menée en Lorraine confirme également l’avantage de la transplantation chez les patients de plus de 60 ans, et cela après ajustement pour les comorbidités, l’IMC et le taux d’albumine sérique (13). Dans une analyse plus récente du SRTR portant sur des patients âgés de plus de 70 ans, on constate un net avantage de la transplantation sur la dialyse : moins de 41 % de risque de décès par rapport à une population en liste d’attente non transplantée (14). Il faut noter que les patients transplantés sont exposés à un surrisque de mortalité initial, et ce n’est que plus de 1 an après une greffe fonctionnelle que le bénéfice en termes de survie apparaît. La même amélioration de survie de 40 % était également notée dans l’expérience norvégienne (8). Résultats en fonction du type de donneur Les résultats globaux de la transplantation rénale du sujet âgé doivent être interprétés en fonction du type de donneur. Si la majorité des greffes se font avec des greffons issus de donneurs âgés répondant pour la plupart aux critères élargis, certains receveurs bénéficient de greffons issus de donneurs standard et, parfois, de donneurs vivants. Type des donneurs (standard, critères élargis, vivants) Les données de l’ABM ont été publiées en 2007 (15). Dans cette étude comprenant 2 498 patients de plus de 60 ans inscrits en liste d’attente entre 1996 et 2004, 65 % ont été greffés. Quatre facteurs liés au donneur et influençant négativement le devenir de la greffe ont été mis en évidence (permettant de définir un donneur à critères élargis quand l’un des 4 facteurs était présent) : âge du donneur supérieur à 60 ans, antécédent d’hypertension, diabète et décès de cause cardiovasculaire. L’information principale est que la survie des patients était moins bonne avec les greffons à critères élargis qu’avec les greffons de donneurs standard mais restait supérieure à celle des patients inscrits sur liste mais non greffés. Dans les données du SRTR de 2005, les patients âgés de plus de 60 ans ayant reçu un greffon à critères élargis ont une surmortalité de 28 % par rapport à ceux ayant reçu un greffon de donneur standard (16). Le recours au donneur vivant et, en particulier, aux donneurs vivants âgés est une solution intéressante. Les données du registre américain montrent que la survie du greffon est similaire en cas de donneur décédé de moins de 55 ans et en cas de donneur vivant de moins de 65 ans (17), et ce quel que soit l’âge du receveur. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 99 Le receveur vieillissant Dossier thématique Dans un article plus récent reprenant les données de l’USRDS (United States Renal Data System) sur plus de 25 000 patients, les auteurs confirment que, quel que soit le type de donneur, la survie des patients à moyen terme est meilleure en transplantation que chez ceux restés en liste d’attente. Par contre, à risque cardiovasculaire identique, lorsque le donneur est décédé (donneurs standard et à critères élargis), le risque de mortalité péri-opératoire et lors de la première année suivant la greffe est plus élevé que lorsque le donneur est vivant et que pour les patients restés en liste d’attente (18). Plus le receveur cumule des facteurs de risque cardiovasculaire, plus le délai après la greffe pour obtenir un bénéfice en termes de suivie est long. Pour les patients les plus à risque sur le plan cardiovasculaire, la survie devient supérieure dans le groupe transplanté après 4 mois pour un donneur vivant, 1 an pour un donneur à critères standard et 18 mois pour un donneur à critères élargis. Il est en revanche bien établi que plus le greffon est âgé, plus les risques de décès, de perte de greffon ou de mauvaise fonction rénale sont importants. C’est ce qu’ont montré les études américaines comparant les donneurs à critères élargis de plus de 70 ans à ceux âgés de 50 à 69 ans (4). Un effort particulier doit être fait dans ces combinaisons “old-to-old” pour réduire autant que possible le temps d’ischémie froide, comme l’a montré avec succès l’expérience d’Eurotransplant (3). Il faut noter que, avec l’avènement et la généralisation de l’utilisation des machines à perfusion pour ces greffons de qualité limite, les résultats vont immanquablement s’améliorer. Bigreffe Une autre possibilité est représentée par la bigreffe. La masse néphronique des reins âgés est réduite, à cause du vieillissement physiologique (diminution de 50 % de la filtration glomérulaire à la fin de la sixième décade) [19] et des différents antécédents des patients. Afin d’assurer la greffe d’une masse néphronique suffisante et d’utiliser des reins qui n’auraient pas été sélectionnés par ailleurs, certaines équipes réalisent la transplantation chez le même receveur des 2 reins d’un même donneur. Les greffons sont implantés soit au niveau de 2 sites opératoires distincts (fosses iliaques droite et gauche), soit sur des axes vasculaires homolatéraux, en bloc. Les résultats de ce type de transplantation sont encourageants. Ainsi, A. Andres et al. rapportent une survie actuarielle des greffons à 1 an de 95 % (20), et K.H. Dietl et al. rapportent une survie actuarielle des greffons de 92 % à 2 ans avec une créatinine moyenne de 1,9 ± 0,6 mg/dl (21). À plus long terme, ces bons résultats se confirment avec une survie des greffons à 5 ans de 69 % dans le groupe bigreffe 100 avec donneur de plus de 50 ans contre 61 % dans un groupe témoin ayant reçu un greffon de donneur âgé de 35 à 49 ans (22). Un programme bigreffe a débuté en France sous le nom de BIGRE en 2002. La sélection des greffons repose sur un âge du donneur supérieur à 65 ans, l’existence de facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, diabète ou décès par AVC), une clairance de la créatinine du donneur comprise entre 30 et 60 ml/­mn et, dans tous les cas, une ischémie froide inférieure à 24 heures. Ce protocole est réservé aux receveurs de plus de 65 ans. Les résultats de l’expérience de l’équipe de Necker montrent une survie des patients de 88 % à 3 ans et une survie du greffon de 88 %, résultats comparables à ceux de patients de même âge (> de 65 ans) et ayant reçu un seul greffon à critères étendus (23). Sélection des donneurs Afin de sélectionner au mieux les greffons considérés comme “marginaux” et d’éliminer certains greffons à risque d’échec trop élevé, 2 approches, qui peuvent être complémentaires, ont été proposées. La première repose sur l’analyse de facteurs cliniques par l'établissement d’un score chez le donneur. Ce score prend en compte : l’âge du donneur (0-25 points) et les antécédents d’HTA (0-4 points), la clairance de la créatinine (0-4 points), la cause de la mort (0-3 points) et les incompatibilités HLA (0-3 points). Un score supérieur à 20 indique un greffon à risque de mauvais résultats (24). La fonction rénale du donneur au moment du prélèvement semble être l’élément prépondérant. Une clairance calculée de la créatinine supérieure à 60 ml/mn est le seuil généralement fixé (25), c’est celui qui sert de référence à l’ABM en France. D’autres équipes ont réalisé des biopsies avant la transplantation afin d’avoir une évaluation histologique des greffons potentiels. Les résultats de ces études sont assez discordants. Pour certaines, le degré de fibrose interstitielle est l’élément le plus important pour accepter ou rejeter un greffon (26), tandis que, pour d’autres, un pourcentage de glomérulosclérose supérieur à 20 % est le facteur limitant (27, 28). L’équipe de G. Remuzzi a utilisé avec succès un score histologique associant glomérulosclérose, fibrose interstitielle, atrophie tubulaire et lésion vasculaire (29). Enfin, d’autres équipes n’ont pas retrouvé de corrélation entre les données de la biopsie de déclampage et l’évolution clinique (30, 31). L’avantage principal de ce type de biopsies est d’avoir une référence histologique utile pour juger de l’évolution ultérieure de la transplantation. La sélection des greffons dans les programmes de bigreffe est un enjeu majeur : faut il greffer 1 ou 2 reins, Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Résultats de la transplantation rénale chez le sujet âgé sur quels critères éliminer des greffons ? Les scores cliniques et histologiques préalablement présentés peuvent ici avoir leur place. Des résultats récents ont ainsi confirmé le score histologique élaboré par G. Remuzzi permettant de sélectionner les greffons pour une simple greffe, une bigreffe ou l’élimination : survie des patients identique en cas de greffe simple et en cas de bigreffe, et survie des greffons satisfaisante [32]. Dans l’expérience française de l’équipe de Necker, des biopsies préimplantatoires étaient également réalisées ; l’analyse rétrospective du score de Remuzzi a montré que le choix de pratiquer une greffe simple ou double reposant sur la fonction rénale (de 30 à 60 ml/mn) est aussi efficace (et moins compliqué) que l’utilisation du score (27). Rejet Les données de la littérature concernant le risque de rejet chez les receveurs âgés sont contradictoires. En 2004, les données de l’UNOS (United Network for Organ Sharing) semblent montrer une réduction du risque de rejet avec l’âge (33). En 2008, cependant, des résultats opposés ont été rapportés, mais chez des patients âgés ayant reçu des greffons à critères élargis (4), et dans le programme Eurotransplant (3). À noter cependant que, dans ce dernier article, la priorité à l’ischémie froide courte conduit à un moins bon appariement HLA et à l’absence de crossmatch. Finalement, un âge élevé du donneur semble augmenter le risque de rejet aigu cellulaire (34). Ces résultats contradictoires peuvent être expliqués par 2 notions superposées qui se contredisent : les receveurs âgés ont probablement une forme d’immunodéficience, et les greffons âgés sont probablement plus immunogènes. Le sujet âgé a un déficit immunitaire caractérisé par une diminution des réponses contre les nouveaux pathogènes et des réponses vaccinales ainsi qu’une plus grande fréquence de cancers. Les anomalies touchent modérément l’immunité innée (cellules dendritiques, macrophages, cellules NK), mais de manière beaucoup plus profonde l’immunité adaptatrice et tout particulièrement les lymphocytes. Des études anciennes avaient montré que, chez le sujet âgé, la réponse du système immunitaire est altérée (35, 36). Les lymphocytes T CD4+ prolifèrent moins avec l’âge et ils activent moins d’effecteurs, probablement du fait d’une diminution de la production d’interleukine 2 (37). Par ailleurs, les sujets âgés ont un déficit de la production d’anticorps de haute affinité du fait de perturbations touchant les mécanismes d’hypermutation des gènes codant pour les immunoglobulines (38). Ces anomalies sont responsables d’un certain degré de déficience immunitaire cellulaire et humorale. L’ensemble de ces notions ont été reprises dans le concept d’immunosénescence, qui a donné lieu à une littérature abondante ces dernières années. Plusieurs éléments soustendent ce concept : l’involution thymique liée à l’âge, avec la baisse de la production de cellules T naïves (39) ; la baisse des CD4, avec des anomalies fonctionnelles ; la baisse des CD8, avec diminution de la diversité du répertoire du TCR et expansion clonale (liée par exemple à des infections virales persistantes comme l’infection par le cytomégalovirus [CMV]), l’augmentation du nombre de cellules T régulatrices et l’orientation Th17 (40). L’effet du rejet aigu dans cette population de receveur âgé est très négatif. Non seulement ces reins fragiles récupèrent moins bien des lésions histologiques dues au rejet, mais les traitements du rejet sont responsables d’une surmortalité, surtout infectieuse (surmortalité de 74 % après un épisode de rejet aigu) [41]. Ainsi, la survenue d’un épisode de rejet aigu est un des événements majeurs influençant le devenir du patient et du greffon dans cette population. Complications infectieuses et cancéreuses Si la mortalité de cause infectieuse n’est que de 0,3 % dans la tranche d’âge 18-29 ans, elle augmente jusqu’à 1,7 % au-delà de 65 ans (42). Ainsi, les infections sont la deuxième cause de décès après transplantation rénale chez les sujets de plus de 60 ans, à l’origine de 30 % environ de l’ensemble des décès (42-44). Les progrès de la prophylaxie actuelle (CMV, Pneumocystis, pneumocoque, etc.) ainsi que l’allègement des traitements immunosuppresseurs ont permis néanmoins de réduire considérablement cette mortalité infectieuse dans la population générale : de 0,8 à 0,2 % par an sur les 30 dernières années selon le registre australien (45) ; néanmoins, la population âgée reste la plus exposée. L’âge est un facteur de risque important de cancer après une transplantation. Les données américaines de l’UNOS montrent que, sur près de 120 000 patients greffés tous organes confondus, 3,39 % vont développer un cancer. En analyse multivariée, les sujets greffés âgés de 60 à 69 ans ont un risque relatif (RR) de 8,92 de développer un cancer, contre 11,6 pour les sujets de 20 à 29 ans et ceux de plus de 70 ans (46). Une attention toute particulière doit donc être portée au dépistage prégreffe, en particulier chez les patients présentant des facteurs de risque, et à la surveillance après la greffe. Qualité de vie De nombreuses études ont porté sur l’amélioration de la qualité de vie après une transplantation rénale (47-50). Toutes ont retrouvé un effet bénéfique, quelle que soit la classe d’âge étudiée. Les raisons de cet effet bénéfique Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 101 Le receveur vieillissant Dossier thématique sont multiples. Tout d’abord, outre la disparition de la contrainte de l’hémodialyse, la correction de l’anémie est à l’origine d’une amélioration des fonctions cognitives (51). Par ailleurs, la transplantation corrige les symptômes liés à l’urémie chronique tels que les troubles du sommeil et de l’appétit. Enfin, les patients ne sont plus soumis à des modifications brutales de la volémie ou d’électrolytes, responsables dans cette population fragile de dialysés âgés de troubles du rythme ou d’épisodes d'hypotension. Traitement immunosuppresseur chez le receveur âgé Il n’y a pas de traitement immunosuppresseur spécifique pour la population des receveurs âgés, pas de protocole clairement établi. La problématique est connue : ces populations ont un risque de rejet plus faible (cependant, si le rejet survient, il est délétère), mais un risque d’infections et de cancers plus élevé. Par ailleurs, puisqu’elles reçoivent des reins à critères élargis et, surtout, des reins âgés – donc susceptibles de présenter des lésions vasculaires –, l’utilisation des anticalcineurines chez elles doit être précautionneuse. Induction La question de l’intérêt et du type de l’induction chez le sujet âgé n’est pas tranchée. L’utilisation de sérum antilymphocytaire a des inconvénients. Il est à l’origine d’une lymphopénie prolongée (52) avec persistance d’une déplétion en lymphocytes CD4+ 5 ans après la transplantation. Cette déplétion est plus sévère et prolongée chez les sujets âgés. L’équipe de Besançon a montré que la lymphopénie CD4 est un facteur de risque de complications infectieuses et même de complications tumorales (53). Il faut signaler cependant que la durée de l’administration du sérum antilymphocytaire et la dose ont beaucoup diminué ces dernières années et que, dans ce contexte, la tolérance est certainement meilleure. Un traitement d’induction utilisant un anticorps monoclonal anti-récepteur de l’interleukine 2 (anti-RIL2) semble en revanche bénéfique chez les patients âgés, car il permet de retarder l’introduction des inhibiteurs de la calcineurine et probablement de réduire leur dose. Finalement, le recours au sérum antilymphocytaire pourrait se justifier lorsque les anticalcineurines ne sont pas prescrits. L’utilisation combinée de thymoglobulines et d’un inhibiteur de la mTOR permet en effet de compenser le risque de rejet lié à l’absence d’anticalcineurine et, en théorie, d’obtenir une amélioration de la fonction rénale. C’est cette hypothèse qui est actuellement testée dans le protocole national EVEROLD. 102 Corticoïdes La corticothérapie a longtemps occupé un rôle central dans les protocoles d’immunosuppression, exposant les patients transplantés rénaux à ses nombreux effets indésirables, en particulier infectieux, osseux, cardiovasculaires et métaboliques. Chez les patients âgés, souvent porteurs de comorbidités cardiovasculaires, dont le risque de décompensation diabétique, de dénutrition, de complication infectieuse est supérieur à la normale, des programmes d’épargne en corticoïdes sont recommandés (54). En particulier, le risque diabétogène est au premier plan : il augmente de 30 % par tranche d'âge de 10 ans (données du registre américain UNOS) [55]. La question de l’innocuité du sevrage des corticoïdes sur l’incidence du rejet aigu et la survie du greffon à long terme reste incomplètement résolue. Il apparaît cependant que le risque semble minime avec les nouveaux traitements immunosuppresseurs dans des populations adultes, caucasiennes, à faible risque immunologique et ayant bénéficié d’une première transplantation rénale. Il est d’autre part démontré que le bénéfice est optimal lorsque le sevrage est précoce, dans les 6 voire les 3 premiers mois après la greffe (56). Les anticalcineurines L’utilisation de reins de donneurs âgés expose au risque de lésions vasculaires sur le greffon susceptibles d’entraîner une mauvaise tolérance des anticalcineurines, en particulier en raison de leurs propriétés vasoconstrictrices. Quel que soit l’âge du donneur, on sait que les lésions dues à la toxicité des anticalcineurines apparaissent précocement et de façon presque constante sur les biopsies systématiques (57). Le vieillissement s’accompagne de modifications structurales et fonctionnelles des reins (réduction de la quantité de néphrons et diminution du débit de filtration glomérulaire approximativement de 1 ml/mn par an entre 40 et 80 ans). Ces modifications rendent les greffons âgés plus sensibles aux agressions et aux complications initiales de la transplantation (ischémie-reperfusion, variations hémodynamiques, retard de fonction du greffon, rejet aigu). La néphrotoxicité des immunosuppresseurs de la classe des inhibiteurs de la calcineurine constitue un facteur d’agression supplémentaire du parenchyme rénal déjà en situation de souffrance et peut ainsi concourir à la dégradation de la fonction du greffon à moyen terme. En conséquence, une des approches thérapeutiques utilisées par la plupart des équipes associe une introduction retardée et des doses ou des expositions réduites d’anticalcineurines. Cette approche a été testée dans l’étude SENIOR utilisant du tacrolimus et une courte corticothérapie d’une semaine chez des patients âgés de plus de 60 ans (58). Le Courrier de la Transplantation - Vol. XIII - n° 3 - juillet-août-septembre 2013 Résultats de la transplantation rénale chez le sujet âgé Quelques équipes ont testé la non-utilisation d’anticalcineurines chez les sujets âgés. Il s’agit d’études pilotes comprenant une induction par sérum antilymphocytaire et un traitement de maintien par une bithérapie associant mycophénolate mofétil et corticoïdes. Elles ont montré des survies des patients et des greffons acceptables mais des taux de rejets importants (59). Inhibiteurs de la mTOR Ces molécules cumulent plusieurs avantages théoriques pour leur utilisation dans la population âgée. Ces drogues sont non néphrotoxiques, elles ont montré des propriétés complémentaires intéressantes avec une réduction du risque de cancer après transplantation (60) et une incidence réduite d’infection virale, en particulier à CMV (61). En revanche, on sait que l’utilisation des inhibiteurs de la mTOR est associée à un profil d’effets indésirables spécifiques souvent responsables d’un arrêt du traitement (62). Deux problèmes apparaissant après la greffe doivent notamment être pris en compte pour une utilisation de novo des inhibiteurs de la mTOR : la prolongation du retard de fonction des greffons rénaux (63) et les complications de paroi (retard de la cicatrisation et lymphocèles) [64, 65]. Cette stratégie n’a jusqu’à présent été évaluée que dans de petites études pilotes ou non contrôlées, sur des populations hétérogènes de donneurs “marginaux” (66, 67). Une étude plus récente (Marginal Kidney) a montré l’infériorité du sirolimus par rapport à la ciclosporine dans les reins marginaux, mais, de nouveau, les donneurs constituaient un groupe hétérogène à risque (âge, immunisation, conditions de décès et de prélèvement, temps d’ischémie froide) [68]. L’autre stratégie consiste à remplacer les anticalcineurines par les mTOR à distance de la greffe. Ces stratégies ont été évaluées chez des receveurs de tout âge bénéficiant d’un greffon standard et ont montré un gain maintenu dans le temps en termes de fonction rénale (essais CONCEPT, Spare-the-Nephron et ZEUS [69-71]). Elles n’ont pas été spécifiquement étudiées dans la configuration “old-to-old”. Le bélatacept Le bélatacept est une autre alternative aux anticalcineurines. Les résultats de l’étude BENEFIT-EXT s’adressant à des donneurs à critères élargis apportent des données encourageantes en termes de fonction rénale à 3 ans : 11 ml/mn de différence par rapport à la ciclosporine (72), avec des survies des patients et des greffons identiques. Par ailleurs, le profil de tolérance cardiovasculaire de ce produit – moins de diabète induit, moins d’hypertension, moins de troubles lipidiques – plaide pour son utilisation chez les receveurs âgés (73). Plus de données sont cependant nécessaires aujourd’hui dans la combinaison “old-to-old”. Conclusion La transplantation rénale chez le sujet âgé est devenue aujourd’hui le quotidien des centres de transplantation. Cette population spécifique bénéficie de la greffe avec une amélioration de la survie et de la qualité de vie par rapport à la dialyse. C’est cependant une population fragile nécessitant une évaluation précise avant la greffe de l’état cardiovasculaire et du risque néoplasique. Le recours aux donneurs à critères élargis, en particulier âgés, est justifié, et les résultats devraient être encore améliorés par la généralisation des machines de perfusion rénale. La stratégie immunosuppressive doit prendre en compte les risques d'infection et de cancer de cette population et n’est pas à ce jour clairement définie. ■ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. De Fijter JW. An old virtue to improve senior programs. clinical outcome in the elderly renal transplant recipient. Kidney Int 2000;57(5):2144-50. 2. Waiser J, Schreiber M, Budde K et al. Age-matching in renal 7. Oniscu GC, Brown H, Forsythe JL. How old is old for trans- transplantation. Nephrol Dial Transplant 2000;15(5):696-700. plantation? Am J Transplant 2004;4(12):2067-74. tality in all patients on dialysis, patients on dialysis awaiting transplantation, and recipients of a first cadaveric transplant. N Engl J Med 1999;341(23):1725-30. 3. 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