LA REGULATION DES CRISES FINANCIERES Jacques Le Cacheux Synthèse réalisée à partir de la prise de notes de Nathalie Gineste (Académie d’Aix-Marseille) Cette conférence porte sur le programme de première dans le sens où elle traite des acquis de première nécessaires pour aborder le nouveau programme de terminale ES en consultation actuellement. Mais dans une large mesure, elle traite un point du nouveau programme de terminale. Ce programme intitulé économie approfondie propose dans la partie 1.2 le questionnement suivant : Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? Avec les acquis de première suivants : asymétrie d’information, risque de crédit et bilan. En introduction, Jacques Le Cacheux souligne que dans une perspective longue, conformément aux conclusions de l’ouvrage de REINHART et ROGOFF intitulé « This time is different », le capitalisme financiarisé se caractérise par des crises financières récurrentes décrites par Galbraith dans « Brèves histoires de l’euphorie financière », analysées dans plusieurs chapitres de la théorie Générale (le chapitre 12 en particulier). Un autre auteur, MINSKY met en avant l’accélérateur de crédit et l’hypothèse de l’instabilité du crédit. Enfin, Charles KINDLEBERGER à travers l’histoire de l’instabilité financière montre dans son ouvrage paru initialement en 1978 intitulé « Histoire mondiale de la spéculation financière » et réédité quatre fois (la dernière édition française date de 2004) que la nature des transactions financières implique des déséquilibres et des crises récurrentes. 1. La nature des transactions financières : Les transactions financières comportent une asymétrie d’information, l’un des contractants dispose d’une supériorité informationnelle induisant une rente informationnelle ; dans une opération de crédit bancaire, le créancier est en situation d’infériorité informationnelle par rapport au débiteur dans le crédit, ce qui est à l’origine du risque de crédit. Dans n’importe quelle transaction financière, il y a un contrat entre un agent qui dispose de ressources et l’autre qui s’engage en contrepartie à un paiement futur (les remboursements de crédit par exemple / pour l’action c’est un dividende comme droit au partage de paiement futur ; les américains utilise l’expression IOU –I owe You. De ce constat découle deux caractéristiques : il y a une incertitude et le rôle des anticipations est crucial car les agents réalisent des anticipations de la réalisation de la promesse future. Il faut d’une part distinguer incertitude et risque (P) c’est à dire entre ce qui est probabilisable ou pas, formalisée par KNIGHT et KEYNES. Il est d’autre part également possible de mobiliser l’asymétrie d’information car le débiteur connaît mieux que le créancier ses perspectives de remboursement. a. Le crédit bancaire C’est est une forme institutionnelle où le banquier sélectionne parmi les candidats à l’emprunt ceux qui sont les plus solides pour se faire une idée de la catégorie de risque à laquelle appartient le futur client ; le banquier est un collecteur d’information. La banque détient un information sur ses débiteurs, puis elle fait du monitoring (de la surveillance par l’exigence de domiciliation bancaire par exemple) ; et du côté des marchés financiers, l’information doit être accessible donc être rendu publique et non resté privée comme pour les prêts bancaires. AKERLOF(ex-ante sélection du partenaire) « the market of lemons » : le vendeur connaît les vices cachés de son véhicule et l’acheteur ne les connaît pas, ce qui provoque une anti-sélection : les produits de mauvaises qualités évincent les bons (c’est une forme moderne de la loi de Gresham selon laquelle la mauvaise monnaie chasse la bonne ; les acheteurs, étant donné leur méconnaissance de la réelle qualité des produits n’acceptent pas de payer les prix élevés, mais alors dans ce cas les vendeurs refusent de vendre à ce prix les bonnes voitures, il ne demeure alors sur ce marché que les mauvaises. b. Le marché de l’assurance : Sur le marché de l’assurance, le vendeur a également un problème car seuls les agents courant un risque éprouve le besoin de s’assurer contre ce risque ; ainsi, il en découle pour lui qu’il n’assure que ceux qui courent les risques, ce qui n’est pas rentable pour lui. La première solution peut être de rendre l’assurance obligatoire, comme dans le cas des risques maladie ou vieillesse pour les salariés français, Une autre solution consiste à soumette les candidats à l’assurance à des questionnaires de santé pour les assurances décès. La deuxième conséquence est mise en évidence par STIGLITZ ; c’est l’aléa moral (ex-post) celui qui a la supériorité informationnelle va chercher à en profiter par un comportement opportuniste ; les assureurs développement des techniques, telle la preuve d’avoir mis le verrou ou les franchises, constituant des incitations compatibles pour toutes les parties. 2. La diffusion de l’information bancaire et financière est cruciale : Dans le domaine des crises financières, depuis le XVIIIème siècle où le métier de la banque n’est plus du face à face mais exerçait par une banque industrielle anonyme, l’information bancaire et financière joue un rôle central. Les analyses des archives du Crédit Lyonnais permettent de mettre à jour la naissance des techniques de collectes d’informations de débiteurs potentiels ; la première mondialisation développe ces techniques, ce stock d’informations a une valeur, ce qui explique les rachats de banques même très endettées comme celui de Barings (plus vieille banque d’Angleterre) en 1996 par ING. Il existe des autorités publiques qui imposent des modes de divulgation de l’information, les normes comptables sont des conventions, elles ont l’effet du langage pour diffuser l’information, pour interpréter ces informations ; il existe des autorités sur les marchés financiers telles l’AMF ou la SEC qui imposent la publicité de certaines informations, des obligations légales ; de ce fait, cela explique que certaines entreprises restent des entreprises familiales et ne lèvent pas de fonds sur les marchés financiers pour conserver le secret de certaines informations. Le rôle des analystes financiers est de décrypter les informations, ils vendent leurs services. Les audits certifient les comptes ; mais ont parfois des conflits d’intérêts car celui qu’ils auditent et aussi celui qui les rémunère (ENRON par exemple). Les agences de notation font de l’analyse financière mais elles labellisent les produits en synthétisant les informations par une note ; qui a en retour un effet sur la demande ; mais ces catégories hiérarchisent la qualité des titres, donc des risques. 3. Des déséquilibres et des crises récurrentes : a. La crise des subprimes : La crise provient de catégories d’actifs titrisés (la titrisation naît lors du plan Baker et se développe lors du plan Brady qui propose la titrisation des actifs d’Amérique Latine lors de la crise mexicaine) structurés (prime = excellente qualité / subprime = emprunteur de moins bonne qualité). Pourquoi prêter aux ménages modestes ? Les prêts hypothécaires qu’ils contractent sont gagés sur la valeur du bien acheté ; même s’il y a un défaut de paiement, il se paye sur la saisie et la revente du bien. ; mais il faut que cette hausse soit indéfinie. Puis ces prêts sont titrisés, c'est-à-dire que les banques par la titrisation rendent négociables ce qui ne l’est pas au départ, et passent d’un actif non liquide à un actif liquide , tout en le structurant avec des actifs de qualité différencié en le labellisant par une agence qui en connaît le détail mais le synthétise par une seule note. Cette titrisation s’explique par le fait que la réglementation impose des ratios (Bale II), qui incitent à se débarrasser des actifs les plus risqués. Trois agences de notation ont 90% du marché : Moody’s, Standard & Poors puis Fitch (cette dernière est française) ; elles se retranchent derrières le premier amendement de la constitution américaine (liberté d’expression) afin de ne pas rendre des comptes sur les erreurs d’évaluation du risque des crédit subprimes lors de la crise. La notation des dettes souveraines sont aussi soumises à de nombreuses critiques ; elles ne tiennent pas compte par exemple de la démographie - exemple de l’écart entre la France et l’Allemagne-, car leur horizon est trop court. L’escroquerie montée par le financier Maddoff montre qu’il est impossible de résister à une escroquerie sur les marchés financiers (on ne peut pas résister au fait d’attirer par des rendements exorbitants des clients, même si ces rendements paraissent impossible, si un acteur du marché le dénonce ; il s’exclut lui-même du marché car s’il refuse de proposer ce deal à ses clients, ceux-ci vont vers la concurrence). Il n’y a aucune incitation à dénoncer les escroqueries, à part la morale. b. Les marchés de produits dérivés : Des produits dérivés se sont développés ces dernières années, ces produits assurent les détenteurs d’actifs contre certains risques que présentent ces actifs ; si on achète des actifs en dollars, pour se prémunir des risques de change et des taux d’intérêt, des swaps, des CDS permettent de garantir le niveau des taux de change et d’intérêt, de couvrir le risque ; car il existe un agent qui prend le risque à votre place, le risque ne disparaît pas mais il est partagé différemment, c’est un métier d’assurance , comme AIG par exemple ; mais concentre les risques dans certains portefeuilles, d’autre part, ils sont Over The Counter (OTC) ; ce ne sont pas des produits standardisés mais des produits de gré à gré donc leur valeur pose problème, ils ne font pas l’objet d’une bourse avec une offre et une demande ; d’où un problème d’évaluation de la valeur : la « fair value » par « mark to market » est impossible car il n’y a pas de marché, donc la valeur de ces produits est estimée « mark to model » c'est-à-dire à partir d’hypothèses permettant la construction d’un modèle. On estime des matrices de corrélations de rendements des actifs en observant les valeurs des co-variances, dans la diversification de portefeuille, on réunit des produits non corrélés mais en cas de crise toutes les variables sont corrélées, donc les informations deviennent fausses. Les modèles d’évaluation de ces produits ne résistent pas aux épreuves des crises.