La prostate métastatique : de la biologie à la clinique dossier thématique L’acétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes Abiraterone acetate: a new inhibitor of androgen biosynthesis P. Beuzeboc* » L’acétate d’abiratérone, qui bloque CYP17 de façon irréversible, est un Résumé inhibiteur sélectif de la synthèse des androgènes. L’étude de phase III COU-AA-301 ayant montré un bénéfice significatif sur la survie globale, il vient d’être agréé par la Food and Drug Administration (FDA) et par l’Agence européenne des médicaments (EMEA) dans les cancers de la prostate métastatiques résistant à la castration et préalablement traités par 1 ou 2 lignes de chimiothérapie (dont 1 avec le docétaxel). Summary Mots-clés : Cancer de prostate métastatique résistant à la castration – Acétate d’abiratérone – Inhibiteur de CYP17. Abiraterone acetate is a potent and selective inhibitor of CYP 17 activity, an essential step in androgen synthesis. In the COU-AA-301 phase III trial, it prolonged significantly overall survival and has received FDA and EMEA agreements for patients with metastatic castrationresistant prostate cancer who previously received chemotherapy (one with docetaxel). Keywords: Metastatic castration-resistant prostate cancer – Abiraterone acetate – CYP17 inhibitor. L * Département d’oncologie médicale, Institut Curie, Paris. 128 COU-II-NN3-0911.indd 128 es traitements entraînant une déplétion ou un blocage des androgènes constituent depuis 70 ans le standard des traitements médicaux du cancer de la prostate avancé ; mais, inéluctablement, une résistance à la castration survient. Dans cette situation, l’augmentation du PSA indique que la signalisation qui dépend du récepteur reste activée. Sur le plan fondamental, il a été montré que la cellule tumorale s’adaptait à la privation hormonale périphérique en régulant positivement la biosynthèse intratumorale des enzymes de la stéroïdogenèse, ce qui conduit à une augmentation de la concentration des androgènes intratumoraux, qui peut être supérieure aux taux circulants. Les autres altérations de cet axe de signalisation concernent les surexpressions et les mutations du récepteur aux androgènes (RA). L’acétate d’abiratérone, qui bloque CYP17 (cytochrome P450 c17) de façon irréversible (1), est un inhibiteur sélectif de la synthèse des androgènes testiculaires, surrénaliens mais également intratumoraux. De la recherche fondamentale au développement clinique Il a fallu plus d’une quinzaine d’années pour confirmer l’intérêt thérapeutique du blocage de CYP17, qui catalyse 2 réactions importantes impliquant la 17 α-hydroxylase et la C17-20-lyase (figure 1). L’acétate d’abiratérone a été initialement développé au Royaume-Uni à l’Institute of Cancer Research (2). Les premières études d’escalade de dose pour entraîner le maximum de suppression de la synthèse de testostérone chez les patients castrés et non castrés atteints d'un cancer de la prostate ont montré qu’une dose répétée de 800 mg/j pendant 12 jours chez des patients aux fonctions gonadiques intactes permettait de ramener la testostéronémie au taux de castration. Néanmoins, ce niveau de suppression androgénique n’est pas maintenu, en raison d’une hypersécrétion compensatrice de LH (3). L’acétate d’abiratérone n’entraîne pas d’insuffisance surrénalienne. La synthèse de corticostérone, un corticostéroïde plus faible que le cortisol, est préservée. Il en résulte une élévation de l’ACTH avec un syndrome d’hypersécrétion de minéralocorticoïdes caractérisé par une rétention hydrosodée, une hypokaliémie et une hypertension. L’utilisation d’une corticothérapie ou d’antagonistes des minéralocorticoïdes supprime cette élévation de l’ACTH et les signes d’hyperaldostéronisme. Considérant l’implication des androgènes dans le développement et la progression du cancer de la prostate, l’équipe du Royal Marsden (4) et d’autres (5) ont vite Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 28/09/11 15:36 L’acétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes Hypokaliémie Hypertension Surcharge hydrique ACTH Suppression de rénine × 5 Désoxycorticostérone Prégnénolone Corticostérone × 10 Aldostérone × 40 × 1,5 CYP450c17 17α-hydroxylase 17OH-prégnénolone × 2 11-désoxycortisol × 2 CYP450c17 C17,20-lyase DHEA × 3 Androsténédione Cortisol × 2 Testostérone < 1 ng/dl Estradiol < 8 pg/dl < 2 ng/dl Figure 1. L’acétate d’abiratérone inhibe CYP17, qui catalyse 2 réactions importantes impliquant la 17 α-hydroxylase et la C17-20-lyase. compris l’intérêt clinique potentiel de l’abiratérone dans le traitement du cancer de la prostate, et des essais de phase I/II ont été lancés sous l’égide de Cougar Biotechnology (6). Parallèlement, les concepts fondamentaux concernant la résistance à l’hormonothérapie évoluaient (7). Ils insistent sur le fait que la prolifération tumorale restait dépendante de la signalisation par le RA. Les cellules du cancer de la prostate développent une résistance à la castration par l’acquisition de modifications biologiques incluant une surexpression du RA et une surexpression des enzymes impliquées dans la synthèse des androgènes (8). ✓ L’émergence de phénotypes hypersensibles par amplification, surexpression ou modulation de RA par d’autres voies de signalisation rend ces cellules excessivement sensibles à des taux très bas d’androgènes exogènes. De plus, les anti-androgènes classiques ont des effets agonistes en cas de surexpression ou de mutations du RA. ✓ Les cancers de la prostate métastatiques sont également capables de maintenir, chez des patients castrés, des taux d’androgènes intratumoraux pouvant activer les gènes cibles du RA (comme le prouve l’augmentation du PSA). Cette stéroïdogenèse intracrine, à partir des androgènes surrénaliens mais aussi du cholestérol, permet de contourner les niveaux faibles d’androgènes circulants. R.B. Montgomery et al. (9) ont montré que les niveaux de testostérone et les transcripts d’enzymes de la stéroïdogenèse étaient plus élevés dans les métastases de patients castrés que dans les cancers de la prostate primaires de patients non castrés. Études de phase I Les résultats cliniques observés dès les essais précoces avec l’acétate d’abiratérone ont très vite confirmé les espoirs suscités par cette nouvelle approche thérapeutique (10, 11). La première étude de phase I (12), qui a inclus 21 patients résistants à de multiples hormonothérapies et chimionaïfs, a permis de fixer la dose de 1 000 mg/j pour les essais thérapeutiques. Les principales toxicités, liées à un hyperaldostéronisme, ont été contrôlées par l’éplérénone, un antagoniste du récepteur minéralocorticoïde (la spironolactone Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 COU-II-NN3-0911.indd 129 129 28/09/11 15:36 La prostate métastatique : de la biologie à la clinique dossier thématique ne doit pas être utilisée, car elle peut activer le RA). Des baisses du PSA de 30 %, 50 % et 90 % ont été observées dans 66 %, 57 % et 29 % des cas pour une durée allant de 69 à 578 jours. Des améliorations cliniques (notamment des douleurs), biologiques (PAL, LDH) et des réponses RECIST ont également été constatées. Dans la deuxième étude de phase I (13), les patients pouvaient avoir reçu préalablement du kétoconazole. Le kétoconazole est un inhibiteur faible de CYP17. Il n’a pas non plus été observé de toxicité limitante. Une baisse du PSA d’au moins 50 % a été observée chez 47 % des patients traités préalablement par kétoconazole, contre 64 % chez les sujets n’en ayant pas reçu. 1 158 patients avec un cancer de la prostate métastatique R hormonorésistant en échec après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie (dont au moins 1 avec docétaxel) Groupe A Acétate d’abiratérone : 1 000 mg/j Prednisone : 5 mg × 2/j 2:1 Groupe B Placebo : 4 comprimés/j Prednisone : 5 mg x 2/j Survie globale (%) Figure 2. Schéma de l’étude de phase III après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie. 100 HR = 0,646 (IC95 : 0,54-0,77) p < 0,0001 80 Acétate d’abiratérone + prednisone 14,8 mois (IC95 : 14,1-15,4) 60 40 Placebo + prednisone 10,9 mois (IC95 : 10,2-12,0) 20 SG après 1 seule ligne de chimiothérapie : 15,4 mois (AA) versus 11,5 mois (placebo) 0 0 100 200 300 400 500 Jours après la randomisation Acétate d’abiratérone 797 Placebo 398 736 355 657 306 520 210 282 105 68 30 600 700 2 3 (D’après de Bono, N Engl J Med 2011;364[21]:1995-2005.) Figure 3. Survie globale de l’étude de phase III après 1 ou 2 lignes de chimiothérapie. 130 COU-II-NN3-0911.indd 130 Études de phase II Deux études de phase II ont été réalisées pour évaluer l’efficacité après docétaxel. Dans l’étude anglaise, rapportée par A.H. Reid et al. (14), 47 patients ont été traités par 1 000 mg/j d’acétate d’abiratérone. Des baisses de PSA d’au moins 30 %, 50 % et 90 % ont été observées respectivement chez 68 %, 51 % et 15 % des patients. Le temps moyen jusqu’à progression biologique était de 169 jours (IC95 : 113-281). Sur les 27 patients qui avaient plus de 5 cellules tumorales circulantes (CTC), 11 (41 %) ont présenté une baisse de leur CTC. Dans la deuxième étude (15), 58 patients ont également été traités par 1 000 mg/j d'acétate d'abiratérone associés à 5 mg × 2/j de prednisone (47 % avaient reçu du kétoconazole). Une baisse du PSA d’au moins 50 % a été confirmée chez 36 % des patients (26 % pour ceux traités par kétoconazole et 45 % pour les autres). Le temps médian jusqu’à progression biologique était de 169 jours (IC95 : 82-200). Des baisses de CTC ont aussi été constatées dans 34 % des cas (10 patients sur 29). En conclusion de ces études de phase II (16), 3 points importants sont à retenir : ✓ le fait que l'acétate d'abiratérone soit efficace après kétoconazole laisse penser qu’il existe un effet sur la synthèse intracrine d’androgènes au niveau des cellules tumorales et pas seulement au niveau surrénalien ; ✓ l’addition de prednisone réduit l’incidence des toxicités liées aux effets minéralocorticoïdes et augmente l’efficacité (pour les patients en progression, ajouter une corticothérapie entraîne des réponses) ; ✓ le schéma utilisé pour les études de phase III versus placebo associe acétate d’abiratérone 1 000 mg/j (4 capsules en une seule prise à distance du repas) et prednisone 5 mg × 2/j. Étude de phase III Les résultats de la première étude randomisée (2:1) de phase III (COU-AA-301) comparant acétate d’abiratérone (n = 797) et placebo (n = 398) après une chimiothérapie (1 ou 2 lignes dont 1 à base de docétaxel) viennent d’être publiés dans le New England Journal of Medicine (figures 2 et 3) [17]. Un avantage significatif (HR = 0,65 ; IC95 : 0,54-0,77 [p < 0,0001]) en survie globale (SG) de l’acétate d’abiratérone a été observé : 14,8 mois (IC95 : 14,1-15,4) versus 10,9 mois (IC95 : 10,2 -12,0). La durée médiane de traitement a été de 8 mois dans le bras acétate d'abiratérone et de 4 mois dans le bras témoin. L’analyse en sousgroupes a montré que le bénéfice concernait tous les sous-groupes. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 3 - juillet-août-septembre 2011 28/09/11 16:00 L’acétate d’abiratérone : un nouvel inhibiteur de la biosynthèse des androgènes Tous les critères de jugement secondaires de l’étude ont été significativement améliorés, qu'il s'agisse : ✓ du temps jusqu’à progression : 10,2 mois versus 6,6 mois (HR = 0,58 ; IC95 : 0,46-0,73 [p < 0,0001]) ; ✓ de la survie sans progression : 5,6 mois versus 3,6 mois (HR = 0,67 ; IC95 : 0,59-0,78 [p < 0,0001]) ; ✓ du taux de réponse biologique (PSA) : 29 % versus 6 % (p < 0,001). La tolérance a été acceptable, avec de rares toxicités de grade 3 ou 4 : rétention hydrique (2,3 %), hypokaliémie (3,8 %), anomalies de la fraction ventriculaire gauche (3,5 %), hypertension (1,3 %), désordres cardiaques (4,1 %). Ces résultats étaient assez comparables à ceux du bras placebo, ainsi que l’incidence d’effets indésirables conduisant à des modifications de dose ou à l’interruption du traitement. Conclusion L’acétate d’abiratérone vient d’être agréé par la FDA et par l’EMEA. Il est disponible en France sous forme d’ATU (plus de 1 000 patients ont d’ores et déjà été traités). Il apparaît comme un tournant dans la prise en charge Cancer de la prostate résistant à la castration : patients, avant chimiothérapie Acétate d’abiratérone : 1 000 mg/j Prednisone : 10 mg/j (n = 780) 1:1 Placebo quotidien Prednisone : 10 mg/j (n = 390) Critère de jugement principal : SG (20 % d’amélioration : 20 à 27 mois) (D’après Scher HI et al., co-PI.) Figure 4. Étude de phase III avant chimiothérapie. des cancers de la prostate résistants à la castration après docétaxel, avec un rapport bénéfice/risque très favorable. Il faudra attendre les données de la deuxième étude de phase III chez des patients métastatiques résistants à la castration chimionaïfs (le recrutement est clos) pour envisager une utilisation à un stade plus précoce (figure 4). ■ Références 1. Barrie SE, Potter GA, Goddard PM et al. 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