Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation CAS CLINIQUE Paralysie flasque liée à un surdosage de baclofène per os Flaccid paralysis due to chronic baclofen overdosage A. Yelnik* Le baclofène a récemment acquis une grande notoriété par son efficacité dans le sevrage de la dépendance à l’alcool. Une autorisation temporaire d’utilisation vient d’être délivrée par l’Agence nationale pour la sécurité du médicament (ANSM) dans cette indication. Son efficacité y est attestée par de nombreuses publications (1) mais elle nécessite des doses élevées, allant de 150 à 300 mg/j, parfois même au-delà. * Service de médecine physique et de réadaptation, GH Saint-LouisLariboisière-F Widal, Université Paris-Diderot, UMR 8257 ParisDescartes, Paris. 28 Parallèlement, l’usage du baclofène per os dans le traitement de la spasticité s’est réduit progressivement en raison de son efficacité très insuffisante, de ses effets indésirables et de l’émergence des traitements locaux par toxine botulique. En effet, aux doses recommandées – d’un maximum de 80 mg/j –, le baclofène n’a qu’une efficacité très relative, contrairement à son efficacité spectaculaire lorsqu’il est délivré en intrathécal, directement au contact médullaire, siège de son action. Les évaluations cliniques et instrumentales peinent à objectiver son effet. Celui-ci est toutefois souvent décrit par le patient comme une sensation de moindre tension musculaire, ce qui justifie la poursuite de certaines prescriptions. Les études scientifiques sont anciennes, menées avec une méthodologie qui serait aujourd’hui considérée comme très insuffisante, mais le marché relativement restreint dans cette indication n’a pas permis de nouvelles études. Aux effets indésirables bien connus que sont la somnolence, la dépression voire l’épilepsie (toutefois bien rare à ces doses), s’ajoute l’effet inhibiteur que l’on peut craindre sur la plasticité cérébrale par un effet GABA-ergique, expliquant que son usage dans la phase précoce suivant une lésion cérébrale aiguë soit déconseillé (2, 3). Son utilisation auprès des patients présentant une hyperactivité musculaire gênante est réservée aux déficiences chroniques, quelle qu’en soit l’origine (paraplégie traumatique, sclérose en plaques, accidents vasculaires cérébraux, etc.), lorsque l’effet, au moins sur le confort du patient, paraît suffisant. Le nouvel usage de fortes doses dans le domaine de l’addiction à l’alcool peut amener à constater une efficacité spectaculaire sur la spasticité, jamais observée avec les doses habituelles, chez un patient présentant par ailleurs une parésie spastique. C’est le cas de l’observation que nous avons rapportée d’un patient chez qui de fortes doses de baclofène per os avaient entraîné, parallèlement à l’effet sur l’intempérance, une disparition complète de la spasticité au sein d’effets indésirables majeurs (4). Observation Il s’agissait d’un patient de 58 ans présentant une parésie spastique du membre inférieur gauche en Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 02 - Avril - mai - juin 2014 rapport avec un méningiome parasagittal médian qui avait été opéré douze ans auparavant. Il persistait une parésie spastique du membre inférieur gauche, sans trouble sensitif. Une dystonie spastique en varus avec griffe des orteils faisait l’objet de traitements réguliers par injections de toxine botulique 2 fois par an ; la marche était aidée par une orthèse de releveur de pied. Parallèlement, en raison d’une forte addiction à l’alcool, un traitement par baclofène per os avait été instauré en juillet 2012, à doses croissantes de 10 mg/sem. jusqu’à 200 mg/j, avec une efficacité complète sur la consommation d’alcool. Lorsque nous l’avions revu en consultation le 10 octobre 2012, un mois après une pleine dose de 200 mg/j, le patient présentait un tableau inquiétant, associant, à des éléments de confusion mentale, une paraparésie interdisant la station debout et la marche. Il y avait en effet une très nette aggravation du contrôle moteur du membre inférieur gauche, mais aussi une légère atteinte du côté droit, qui n’était pas connue habituellement ; les réflexes ostéotendineux étaient absents aux 2 membres inférieurs et faiblement retrouvés aux membres supérieurs ; il existait, en outre, une incontinence urinaire. Ce patient avait alors été hospitalisé en urgence pour un bilan diagnostique suite à cette aggravation neurologique spectaculaire. L’imagerie cérébrale ne révélait que la cicatrice de l’ablation du méningiome parasagittal ; l’imagerie de l’ensemble de la moelle épinière et queue de cheval ne révélait qu’un canal lombaire modérément rétréci ; l’électromyographie des membres inférieurs révélait une neuropathie axonale explicable par l’intoxication alcoolique ; les potentiels évoqués somesthésiques corticaux ne montraient pas d’anomalie sur les voies sensitives centrales. La diminution progressive du baclofène de 10 mg tous les 2 jours a été entreprise. Six semaines après, tous les réflexes ostéotendineux étaient présents, et les réflexes du membre inférieur gauche avaient retrouvé leur vivacité excessive ; le contrôle moteur des 2 membres inférieurs avait retrouvé le niveau antérieur et la dystonie spastique en varus et griffe d’orteils était modérément mais nettement réapparue. La marche était à nouveau possible, le contrôle urinaire était normal et les tests neuropsychologiques révélaient quelques éléments dysexécutifs sans trouble de mémoire. Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation Discussion Ainsi, l’absence d’autres causes neurologiques à cette aggravation avec apparition d’une paralysie flasque et le retour à l’état antérieur après diminution du baclofène plaidaient en faveur de la responsabilité directe des fortes doses du médicament sur l’état clinique. On ne retrouve pas dans la littérature d’observation de paralysie flasque au cours de la prise de baclofène, sauf en cas de très fortes doses allant de 450 à 1 250 mg dans le cadre d’intoxication volontaire, voire dans certains usages “récréationnels”. Chez notre patient, il est possible que l’association à une neuropathie alcoolique ait pu influencer un tel effet spectaculaire du baclofène per os sur l’activité réflexe. Conclusion Compte tenu de l’utilisation plus répandue du baclofène per os à fortes doses dans des indications non neurologiques, il convient d’alerter les prescripteurs sur les effets indésirables potentiels chez des patients présentant par ailleurs des troubles neurologiques. Références bibliographiques 1. Rigal L, Alexandre-Dubroeucq C, De Beaurepaire R, Le Jeunne C, Jaury P. Abstinence and “low-risk” consumption 1 year after the initiation of high doses of baclofen: a retrospective study among “high-risk” drinkers. Alcohol Alcohol 2012;47(4):439-42. 2. Afssaps. Traitements médicamenteux de la spasticité, recommandations de bonne pratique, 14 juin 2009. 3. Yelnik AP, Simon O, Bensmail D et al. Drug treatments for spasticity. Ann Phys Rehabil Med 2009;52(10):746-56. 4. Yelnik AP, Sportouch P, Questel F. Flaccid paralysis due to chronic baclofen overdosage. Alcohol Alcohol 2013;48(3):375. Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 02 - Avril - mai - juin 2014 29