Les francs maçons et la république

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La République, c'est la franc-maçonnerie ou
la République vue par les écrivains antimaçons français
(1880 - 1914)
Bruno Clemenceau
La franc-maçonnerie française entretient, dès le début du XIXe siècle, des relations intimes
avec la République. Si au départ les républicains sont peu nombreux dans les loges où ils
trouvent refuge (tout comme les royalistes) et où ils peuvent s'exprimer plus ou moins
librement. Petit à petit, leur nombre augmente. Ce mouvement finit par faire de la maçonnerie
l'épine dorsale d'abord du mouvement républicain puis de la IIIe République, en tout cas dans
sa partie de 1880 à 1914. En effet, durant toute cette période, la maçonnerie joue un rôle
essentiel pour le régime. Souvent les sujets étudiés dans les loges ou lors des convents sont
éminemment politiques et d'un réel intérêt pour le régime. Il s'agit, par exemple, de questions
portant sur l'enseignement ou la laïcité, durant la période 1880-1900, et sur le problème des
assurances sociales, du maintien de la paix, des réformes administratives et fiscales ou de la
réduction du temps du service militaire durant la période 1900-1914. Sur le plan humain, le
nombre d'hommes politiques républicains francs-maçons est tellement important qu'il ne nous
est guère possible ici d'en donner une liste. En fait, pour Pierre Chevallier1, historien
spécialiste de la franc-maçonnerie française, tout républicain qui souhaite se présenter à des
élections est obligé de tenir compte de la réalité maçonnique. Les hommes politiques maçons
sont d'abord républicains et opportunistes, pour la période 1880-1890, puis radicaux et enfin
de plus en plus socialistes à la veille de la première guerre mondiale. Tous sont très attachés
aux principes de la Révolution française et partisans d'une République globalement modérée.
Enfin, la maçonnerie joue un rôle politique non négligeable au travers de très nombreuses
associations dont les plus connues sont la Ligue des Droits de l'Homme et la Ligue de
l'Enseignement. Alors, faut-il voir dans cette omniprésence le résultat d'un complot ourdi dans
quelques arrières-loges ? Non, la principale raison de celle-ci réside dans le fait que jusqu'à
l'affaire Dreyfus la plupart des pratiques politiques importantes sont axées sur les combats
électoraux et s'inscrivent dans la courte durée. Elles consistent essentiellement dans le choix
de candidats et dans le déroulement de campagnes électorales. Une fois les luttes terminées,
elles perdent toute vitalité. Jusqu'à l'Affaire, la Maçonnerie joue le rôle d'un laboratoire
d'idées inscrit dans une durée plus longue. Après l'affaire Dreyfus, l'attachement de chacun à
1
Chevallier (Pierre), Histoire de la Franc-Maçonnerie française, 3. La Maçonnerie : Église de la République (1877-1944) ;
Paris, Fayard, 1975. page 26
1
tel ou tel système institutionnel (République, Monarchie ...) ne suffit plus. Les républicains
sont de plus en plus divisés. Les socialistes, bien que très divisés aussi, voient leur poids
électoral augmenter régulièrement. Le ralliement des catholiques à la République oblige de
nombreux hommes de gauche à revoir leurs positions. Alors certains prennent conscience de
la nécessité d'une organisation politique permanente. Entre 1901 et 1903, 6 partis politiques
français voient le jour. 3 sont des partis républicains : le Parti républicain radical et radical
socialiste, l'Alliance républicaine démocratique et la Fédération républicaine. La maçonnerie
participe activement à ce mouvement, en particulier à travers la création du Parti radical et
radical socialiste en 1901. Durant toute la période qui nous intéresse, les liens entre
République et maçonnerie sont tellement ténus que certains maçons n'hésitent pas à se
considérer publiquement comme faisant partie de l'élite de la République et à clamer haut et
fort que la maçonnerie est la République.
Mais qu'en pensent les écrivains antimaçons et quelle est leur perception de la République ?
De façon générale, tous les écrivains antimaçons que nous avons étudiés considèrent aussi que
la maçonnerie et la République sont une seule et même chose. Alors, cela signifie-t-il
qu'antimaçonnisme et antirépublicanisme sont synonymes ? La réalité, sur le plan idéel, est
plus compliquée que cela. L'attitude des antimaçons quant à la maçonnerie dépend
essentiellement de leur position dans le champ idéologique. De façon générale, tous
appartiennent au monde de la contre-Révolution ou, en tout cas, aux droites non
parlementaires, y compris aux milieux révolutionnaires de droite (selon la terminologie Zeev
Sternhell). Nous n'avons rencontré aucun antimaçon de gauche2. La grande fracture qui
semble, d'un point de vue théorique, séparer les antimaçons est leur adhésion à une approche
laïque ou à une approche spirituelle du phénomène maçonnique. En effet, certains antimaçons
considèrent la maçonnerie comme dangereuse pour la société parce que dangereuse pour
l'Église et la religion chrétienne et d'autres la considèrent comme dangereuse pour la société
tout court, ces derniers restant définitivement sur le terrain politique.
L'ensemble des écrivains antimaçons semble en accord avec l'idée que, la République c'est la
maçonnerie. Mais ils ne le disent pas de la même façon, avec les mêmes présupposés. Leur
formulation peut être très simple, pour ne pas dire simpliste, comme relativement complexe.
2
Pour l'antisémite Edouard Drumont dans son ouvrage Nos maîtres ; la tyrannie maçonnique
publié par la Librairie antisémite en 18993 : la Maçonnerie, c'est la République. Le constat est
clair et précis, il ne s'embarrasse d'aucun détail. La maçonnerie a peu à peu accaparé,
confisqué la République, qui est devenue "sa chose, sa vache à lait, sa métairie"4. C'est ce qui
explique que les juifs, maîtres de la maçonnerie, soient par là-même maîtres de la France. En
effet, pour bien comprendre tout le danger de la relation entre République et maçonnerie, il
faut surtout ne pas oublier "que la Franc-Maçonnerie n'est qu'une machine de guerre inventée
par les juifs pour conquérir le monde et réaliser leur vieux rêve d'universelle domination"5.
La maçonnerie dirige la République grâce à tous les élus maçons par le biais des syndicats
Maçonniques tant parlementaires qu'extra-parlementaires (les fraternelles maçonniques).
Toutefois, il faut tout de même remarquer qu'il existe pour le Grand Orient de France deux
types de maçons : les bons maçons, c’est-à-dire les maçons actifs tels Buisson ou Bourgeois et
les mauvais maçons, les maçons tièdes qui n'ont pas la confiance de l'Ordre tels Meline ou
Félix Faure.
Paul Antonini, docteur en droit, ecclésiastique, orientaliste, antimaçon et antioccultiste, dans
son livre Doctrine du Mal - Son Dieu - Ses adeptes6 en arrive à faire au même constat : "La
maçonnerie et la République sont une seule et même chose"7. Mais ce qui chez Drumont
paraît être un préambule est plutôt chez Antonini une conclusion. En effet, c'est après avoir
constaté que "République-cosmopolite et maçonnerie-cosmopolite sont synonymes"8 que cet
auteur finit par conclure que la République et la maçonnerie sont une seule et même chose.
Mais pour cet auteur, la maçonnerie est avant tout d’essence spirituelle. L'existence du Grand
Architecte est la preuve à elle seule de l’existence d’un culte maçonnique. Aussi, le problème
politique n'est pas pour lui le problème essentiel.
Pour Paul Copin-Albancelli9, figure importante de la lutte antimaçonnique, agnostique et
ancien franc-maçon, la République française est entre les mains de la Franc-maçonnerie. Il y a
identité entre maçonnerie et République à cause de cela. La franc-maçonnerie impose ses
2
Toutefois nous savons qu'au sein des milieux anarchistes la maçonnerie n'est pas forcément très appréciée
même si de nombreux grands anarchistes ont été francs-maçons.
3
Drumont (E.), - Nos maîtres - La tyrannie maçonnique ; Paris, ed Librairie antisémite, 1899.
Drumont (E.), Opus cité page 43
5
Drumont (E.), Opus cité pages 13-14
6
Antonini (Paul), Doctrine du Mal - Son Dieu - Ses adeptes ; Paris, Briguet Librairie, 1898
7
Antonini (Paul), Opus cité page 40
8
Antonini (Paul), Opus cité page 40
4
3
désirs à la République par le biais de ses élus, même si ceux-ci affirment ne recevoir aucun
ordre de leur obédience. Les élus francs-maçons sont obligés de respecter la discipline dictée
pas les obédiences. La preuve en est qu'en 1891, la loge la Clémente amitié propose au
Conseil de L'Ordre du Grand Orient de France de demander à certains francs-maçons le motif
de leur vote, de demander à certains francs-maçons le motif de leur absence lors de certains
votes, de dénoncer la conduite de certains frères aux ateliers de toute la France, d'entamer une
action disciplinaire de la franc-maçonnerie contre certains frères pour cause de problèmes
politiques et que toutes ces propositions sont acceptées.
Pour Émile Janvion10, en 1912, le bon républicain anticlérical "consent à se soumettre à des
simagrées, dont le ridicule et l'odieux offense la dignité de l'homme, à des grimaces rituelles
qui feraient rouler tous les singes du jardin d'acclimatation"11 (autrement dit aux rites
maçonniques) parce qu'il sait qu'en entrant dans les loges, il fait une bonne affaire, d'abord
parce que, s'il est socialiste, il comprendra rapidement l'intérêt électoral de son appartenance
maçonnique ensuite parce que les francs-maçons sont partout dans la fonction publique. Émile
Janvion est, sans aucun doute, l'antimaçon le plus atypique de ceux que nous trouvons ici. À
l'origine, il est anarchiste. Il participe en tant que responsable syndical au congrès d'Amiens
de la CGT et à celui de Marseille. En novembre 1909, il fonde le journal Terre libre dont il est
le rédacteur en chef. Ce journal est à la fois antimaçonnique et anticapitaliste. En effet, une
grande partie de la surface rédactionnelle du journal est régulièrement réservée à la
dénonciation de la franc-maçonnerie comme principal auteur de la corruption syndicaliste et
de l'intoxication des organisations ouvrières par le « gouvernement judéo-bourgeois ». Emile
Janvion finit par se rapprocher, tout en continuant à revendiquer son anarchisme, de l'Action
française.
Pour Maurice Talmeyr, journaliste, écrivain et membres actif de la Ligue française
antimaçonnique de Copin-Albancelli, aussi la République, c'est la franc-maçonnerie.
D'ailleurs, il l'écrit dans son ouvrage antimaçonnique Comment on fabrique l'opinion12.
Toutefois, les chemins qu'il emprunte pour arriver à sa conclusion sont passablement sinueux
et complexes. Pour cet auteur, le grand rénovateur, au XVIIIe siècle, des sociétés secrètes, et
9
Copin Albancelli, Le Drame maçonnique Le pouvoir occulte contre la France ; Paris, la Renaissance française, 1908
(10ème édition)
10
Janvion (Emile), La Franc-Maçonnerie et la classe ouvrière ; Paris, Imprimerie spéciale de "Terre Libre", 1912.
11
Janvion (Emile), Opus cité page 8
12
Talmeyr (Maurice), Comment on fabrique l'opinion ; Paris, librairie académique Perrin, 1905.
4
en particulier de la franc-maçonnerie, est Adam Weishaupt, fondateur des Illuminés de
Bavière, dont les idées portaient essentiellement sur le rôle que devait jouer la presse et
l'éducation pour diriger l'opinion. Il prescrivait aux francs-maçons de dominer les hommes,
grâce à la presse et à l'éducation, sans contraintes dans le but de leur inspirer à tous un même
esprit. Cet esprit devait les amener à lutter contre la religion, puis contre la loi civile, pour
enfin finir à abolir la propriété, le but ultime de la Franc-Maçonnerie. À la fin du XVIIIe
siècle, la maçonnerie, après avoir mis en œuvre les prescriptions des Illuminés de Bavière,
réussit à faire changer les opinions car sans cela la Révolution n'aurait pas été possible. La
maçonnerie de la IIIe République est bien enfant de celle des Illuminés de Bavière. Les
preuves en sont nombreuses. Mais la principale est que les idées destructrices de la
maçonnerie s'insinuent partout et surtout, conformément aux prescriptions de Weishaupt, dans
l'enseignement. Or l'enseignement laïque est comme l'enseignement minerval (l'enseignement
illuminé) : toujours mensonge et imposture. Il s'agit bien là de la preuve que la République est
la franc-maçonnerie.
Enfin, Monseigneur Henri Delassus13, ecclésiastique antimoderniste nommé, en 1904, prélat
de la maison du pape puis, plus tard, pronotaire apostolique, fait remonter à la Renaissance la
relation entre l'idée républicaine et la franc-maçonnerie. Pour cet auteur, l'âge d'or de la
société occidentale, c'est-à-dire chrétienne, se situe au XIIIe siècle. La société chrétienne
commence à connaître des problèmes avec Philippe IV qui persécute le pape Boniface VIII et
Clément V qui fait preuve d'une trop grande complaisance à l'égard du même Philippe IV. La
baisse du pouvoir et de l'autonomie du pape entraînent la montée du paganisme et la
Renaissance, païenne et matérialiste. La maçonnerie joue un grand rôle dans la Renaissance.
Plus tard, sur un plan politique, ce qui anime sur un plan religieux la Renaissance, est à
l’origine de la Révolution ; sur le plan économique, cela donne le socialisme. La francmaçonnerie recueille les idées négatives des humanistes qui veulent introduire dans les esprits
une conception païenne de la vie. Le pape Paul II réagit et expulse les "mauvais" esprits du
Collège des abréviateurs de la chancellerie. Cette expulsion provoque des réactions qui
donnent naissance à une société appelée l'Académie romaine. Pour les historiens grégoriens,
cette société est une loge de francs-maçons classique. Elle se cache dans les catacombes pour
berner l'autorité. Cette société est une sorte "d'Eglise en opposition avec l'Eglise
13
Delassus (H. ) ; La conjuration Antichrétienne , Lille, Desclée, de Brouwer et Cie, 1910. (3 vol.)
5
catholique"14. Elle est une religion humaniste et naturaliste. Une des idées de cette société est
l'idée de la République. Puis à la Renaissance s’ajoutent les nouvelles inventions (la poudre,
l’imprimerie, le télescope) et la découverte du nouveau monde. Tout cela provoque un grand
orgueil chez les hommes, “ ... la raison se suffit à elle-même pour gouverner ses affaires dans
la vie sociale et politique. Nous n’avons pas besoin d’une autorité qui soutienne ou redresse
la raison ”15. Ce grand orgueil est à l’origine de la Réforme. Le but des protestants est de
remplacer la Monarchie par une République. Le protestantisme est le trait d'union entre la
Renaissance et la Révolution. La Réforme est le premier pas vers la Révolution car après les
guerres de religion, la France est toujours catholique. À l’époque de la Réforme, l'existence de
la franc-maçonnerie devient plus manifeste. Malgré l'échec du protestantisme, les racines du
mal restent profondes. Les actions principales de la Révolution visent, comme la Réforme, à
installer une République. La maçonnerie est le laboratoire de la Révolution. D'ailleurs, elle
s'en vante et en est fière. Etouffée dans le sang de la Terreur et dans la boue du Directoire, la
franc-maçonnerie ne réussit pas à élever le Temple de l'Humanité sur les ruines de l'Eglise de
France qu'elle pense avoir renversée. Au début du 1er Empire la franc-maçonnerie
recommence son œuvre de destruction. Avec la chute de l'Empire, la France rêve du retour
des Bourbons : la maçonnerie s'en doute et prend contact avec Louis XVIII. Ce que la
maçonnerie veut par un moyen ou un autre, c'est, tout en subissant les nécessités qui
s'imposent, sauver la Révolution, maintenir son esprit et garder le plus possible de ses
conquêtes. Après Waterloo, les francs-maçons ne veulent plus du retour d'un Bourbon sur le
trône. Louis XVIII ne peut revenir que parce que la maçonnerie place auprès de lui des
hommes à elle. Ils réussissent à placer la Constitution de 1814, très favorable à ses intérêts.
Charles X ne peut vaincre le système mis en place par la franc-maçonnerie. En fait, son rêve
pendant toute la Restauration est de mettre sur le trône de France le "fils du régicide", le fils
de l'ex grand Maître de la franc-maçonnerie : Louis-Philippe. Elle y parvient. Le
gouvernement de Juillet favorise le mouvement antisocial et anticatholique né de la révolution
de Juillet en Italie, Espagne, Portugal... Louis-Philippe est entouré de tout un aréopage de
francs-maçons. 1848, la Révolution éclate partout en Europe, simultanéité due au rôle de la
franc-maçonnerie. Sous la seconde République, la franc-maçonnerie tient le gouvernement.
Mais la Révolution de 1848 est prématurée et la franc-maçonnerie comprend que la mise en
place en France de la République n'est pas encore possible. Elle se résoud donc à substituer à
la République une dictature et choisit pour en être titulaire un homme lié à elle par de terribles
14
Delassus (H. ) ; Opus cité page 106
6
serments qu'elle a soin plus tard de lui faire rappeler : le carbonaro Louis Napoléon
Bonaparte. Napoléon III pousse la France à la chute, il continue l’œuvre de la Révolution.
Toute la politique extérieure de Napoléon III est dictée par son appartenance au carbonarisme.
Son but est de faire de l'Italie une République. Pour cela tous les moyens sont bons, même
oublier les intérêts de la France. Après la guerre de 1870 et la Commune de Paris,
l’Allemagne est contre la royauté traditionnelle : elle donne la République à la France pour
faire son malheur. Il s'agit bien sur d'une République maçonnique dont le seul but est d'écraser
l'Eglise catholique et la société traditionnelle. Voici en quelques mots quelles sont les
relations, pour monseigneur Henri Delassus, entre maçonnerie et République.
En fait, cet auteur crée une véritable historiosophie, "c'est-à-dire un complexe discursif qui
fonctionne comme principe explicatif unique jalonnant des horizons du passé, du présent et de
l'avenir, « schématisant » le tout de l'évolution humaine et débouchant quelque part sur une
doctrine d'action"16. Marc Angenot considère l'historiosophie, en raison de son caractère
englobant et de son omnivalence, comme le stade suprême de l'idéologie. La relation qui unit
maçonnerie et République se situe dans un mouvement qui dépasse très largement les deux
institutions. Pour Henri Delassus, l'histoire n'est que le résultat de l'affrontement du Bien et du
Mal. D'un côté se trouve le Bien, avec le christianisme et plus particulièrement le
catholicisme, rigoriste et omniprésent, de l'autre le Mal, qui essaie de prendre la place du
Bien. Le Mal, le Diable, est constitué de tout ce qui peut porter atteinte au christianisme et à
l’Eglise ou ce qui peut sembler comme tel. Il s'agit d'un ensemble de doctrines politiques ou
religieuses, d'institutions et d'événements dont la seule raison d'être est de détruire le Bien.
Dans cette constellation, on peut trouver le paganisme, la Renaissance, la Réforme, la
Révolution, toutes les révolutions, le protestantisme, le judaïsme, le modernisme, le
libéralisme, l'encyclopédisme, l'humanisme ... Nous pourrions ajouter bien des choses à cette
liste mais nous allons l'arrêter là, non sans y avoir ajouté la République et la francmaçonnerie, deux pièces essentielles du Complot.
Toutefois si l'ensemble des écrivains antimaçons est d'accord pour constater la relation
extrêmement étroite, pour ne pas dire l'identité, qui existe entre la République et la
maçonnerie, cela n'a pas l'air d'induire une attitude commune face à la République. Il semble
que cela soit la qualité de cette relation qui induise la position politique face à la République.
15
Delassus (H. ) ; Opus cité page 33
7
D'un côté il est des écrivains pour qui la relation entre la franc-maçonnerie et la République
est ontologique. La relation n'est pas historique mais essentielle. Ainsi, pour Maurice Talmeyr
le but de la République et de la franc-maçonnerie sont exactement les mêmes, c'est-à-dire
embrigader, par le biais de la presse et l'éducation, l'opinion publique afin qu'elle se retourne
contre l’Eglise catholique et qu'elle en provoque la destruction. Toutes deux vont utiliser pour
cela le mensonge et la duperie. À ce niveau-là, la tromperie n'est pas une pratique mais un
Principe de fonctionnement. Cette relation essentielle est également celle que décrit
monseigneur Delassus. Maçonnerie et République occupent chacune une place de choix dans
la grande Conjuration qui, si elle veut conquérir le monde, doit d'abord détruire le
christianisme, et plus particulièrement le catholicisme. Ces deux écrivains sont profondément
opposés à la République, mais elle n'est à leurs yeux qu'une des pièces d'un complot qui la
dépasse largement. Leur combat est celui du Bien contre le Mal. La seule idée qui semble
guider leur action est ce combat. En fait, en soit la République n'a guère d'importance, ce qui
compte c'est la victoire du Bien et la défaite définitive du Mal. Leur vision de l'histoire a
quelque chose de profondément pessimiste. Les puissances en jeu sont tellement importantes
qu'il ne peut y avoir demi-victoire, ni demi défaite. La victoire du Bien sur la Mal n'étant pas
complète, alors, c'est la défaite.
D'un autre côté, il existe des écrivains antimaçons pour qui la relation entre maçonnerie et
République est purement historique et conjoncturelle. Cette relation est instrumentale, voire
accidentelle. Les francs-maçons se sont emparés de la République afin de mener à bien leurs
projets néfastes de domination et de destruction de la France. Pour Paul Copin-Albancelli,
sous l'Ancien Régime, la franc-maçonnerie est monarchiste. Sous l'Empire, elle est
Bonapartiste et, sous la République, elle est républicaine. Pourtant, après la révolution de
1848, sous le gouvernement provisoire, la maçonnerie, voyant qu'elle ne pouvait parvenir à
ses fins, n'hésite pas se lier avec Louis-Napoléon contre la République. Les francs-maçons
soutiennent « l'homme de décembre » tant qu'ils croient pouvoir compter sur son obéissance.
Mais après le désastre de 1870 et la Commune de Paris, la franc-maçonnerie sait profiter de la
division politique des Français et gagne sa République. Grâce au fait qu'elle est une société
secrète, elle parvient à s'emparer de tous les rouages de la IIIe République. Elle fait croire aux
Français que la France est une République démocratique, cela est faux. La République
16
Marc Angenot, La propagande socialiste, six essais d'analyse du discours ; Montréal, les éditions Balzac, 1997 pp 15-16
8
maçonnique est gouvernée par une assemblée où règne un secret : toutes les lois sont prévues
dans les loges et les députés et ministres francs-maçons s'entendent pour qu'elles soient
appliquées. Mais pour Paul Copin-Albancelli, il est possible de vaincre l'action maçonnique et
son désir le plus cher est de porter la question maçonnique devant l’opinion afin de faire
naître dans les esprits le sentiment de la nécessité de la défense nationale et républicaine
contre les francs-maçons. Il considère que les catholiques qui voient derrière la francmaçonnerie Satan, se trompent. Il pense que si la question maçonnique est abordée avec une
certaine rationalité, il doit être possible de découvrir les points faibles de la société secrète et
de la vaincre. Edouard Drumont développe une vision similaire. Pour lui, la maçonnerie est un
instrument entre les mains de quelques politiciens sans scrupule qui se servent des naïfs pour
arriver à satisfaire leurs convoitises. Ceux-ci, maçons et juifs, usurpent la République pour
arriver à leurs fins. Ainsi, "la nation française, si renommée jadis par la clarté de son
intelligence et pour son impatience de tout joug, se laisse mener comme un troupeau par une
association secrète, internationale, illégale, qui ne comprend pas vingt-cinq-mille membres et
dont le personnel dirigeant - celui que nous connaissons tout au moins - est d'une médiocrité
universellement reconnue"17. Mais tout n’est pas perdu pour plusieurs raisons. D’abord il
existe au sein de la maçonnerie des maçons antisémites ardents et convaincus et Drumont
n’hésite pas à reconnaître qu’il compte parmi ses amis des francs-maçons. Ensuite parce que
si les Français prennent conscience du danger maçonnique et acceptent de faire interdire cette
société secrète alors la France sera sauvée.
En conclusion, pour un écrivain antimaçon comme Mgr Delassus, le combat qui oppose les
forces du Bien (l’Eglise catholique) aux forces du Mal (la franc-maçonnerie, la République...)
est titanesque et il touche toute la société en profondeur. On retrouve cette vision des choses,
avec des nuances, chez la plupart des écrivains antimaçons dont la démarche est d'essence
spirituelle. Les écrivains antimaçons aux démarches plus politiques que religieuses
considèrent qu’il est possible de sauver la France. En fait, ils comptent sur le nationalisme
pour réaliser cet exploit. Ils ne se disent pas forcément contre la République, mais
complètement opposés à une République colonisée, pillée et asservie par la maçonnerie et les
autres ennemis de la France. Ils se disent favorables à une vraie République et la plupart
d'entre eux prônent l'interdiction de la maçonnerie afin de permettre la venue de cette vraie
République. Toutefois, si nous avons mis en exergue, dans les quelques lignes qui viennent
17
Drumont (E.), Opus cité page 56
9
de précéder, des différences significatives dans les démarches des écrivains antimaçons
celles-ci dans le combat quotidien antimaçonnique semblent perdre toute valeur excepté lors
de l’apparition de quelques retentissantes polémiques.
10
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