“ V Sauver la “sécu” en généralisant

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ÉDITORIAL
Sauver la “sécu” en généralisant
la prise en charge à 100 % !
Save social security by extending the 100% repayment!
“
V
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, Paris.
oilà une proposition à première vue paradoxale alors que
les recettes de la Sécurité sociale liées à l’emploi (pour un peu
plus de 50 %) reculent parallèlement à la montée du chômage,
et que les dépenses de l’Assurance maladie continuent d’augmenter en raison
du vieillissement de la population et du progrès médical. Notre système
de santé − hérité du compromis historique de 1945 − est un système mixte
comportant un coût de gestion exorbitant et un défaut congénital
de régulation. En effet, contrairement à ce qu’on entend souvent dire,
ce système, de soins plus que de santé, n’est pas l’application du programme
du Conseil national de la Résistance mais le résultat d’un double
compromis entre l’État et les syndicats de la médecine libérale, et entre
la Sécurité sociale et les mutuelles. On a concédé à la Mutualité,
pour la rallier à la cause de la Sécurité sociale, le ticket modérateur de 20 %
qui par définition n’a jamais rien “modéré” puisqu’il est remboursé.
Ainsi, pour chaque patient, pour chaque acte ou prescription médicale,
il y a 2 cofinanceurs et donc 2 dossiers et 2 procédures de remboursement,
avec 400 assurances privées, mutualistes ou non. Si l’on ajoute le coût
des 18 agences sanitaires employant 24 000 personnes (2,5 milliards
par an), on comprend pourquoi nous dépensons pour la gestion
du système de santé, selon les chiffres sous-évalués de l’OCDE,
7 % du budget de la santé soit plus de 16 milliards par an.
Le double de la moyenne des pays de l’OCDE ! La polémique actuelle sur
la question du tiers payant a ainsi 2 dimensions. D’abord, une dimension
idéologique, puisque selon le credo libéral, le fait que le client n’ait plus à
avancer l’argent (qui lui est remboursé secondairement), induit inévitablement des abus. Ensuite, une dimension simplement pragmatique,
le médecin ne voulant pas avoir à gérer lors de ses consultations les liens
des malades avec leurs assureurs. Quoi qu’il en soit, ce système mixte non
régulé a donné satisfaction à tout le monde pendant les Trente Glorieuses,
mais à l’heure de la réduction des dépenses publiques, chaque groupe
professionnel pense que les autres devraient faire un effort. Le plus simple
pour un gouvernement est de privatiser les dépenses. En effet, à y regarder
de plus près, les États-Unis, l’Angleterre et la France ont la même dépense
publique de santé, soit environ 9 % du PIB auxquels il faut ajouter
la dépense privée, soit 9 % du PIB pour les États-Unis, moins de 1 %
pour l’Angleterre, et 3 % pour la France. La dépense totale est donc de 18 %
pour les États-Unis, de moins de 10 % pour l’Angleterre et de 12 % pour
la France. Choisir le transfert des dépenses publiques vers les dépenses
La Lettre du Neurologue • Vol. XIX - no 3 - mars 2015 |
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A. Grimaldi n’a pas précisé
ses éventuels liens d’intérêts.
privées, comme semble vouloir le faire le gouvernement qui a rendu
obligatoire l’assurance complémentaire pour les salariés
(en la subventionnant), c’est faire le choix d’accroître les inégalités sociales
de santé, mais c’est aussi accepter d’augmenter le coût global
pour la société, en transformant la prime d’assurance “complémentaire”
en une sorte d’impôt privé. Privé et injuste. Plus grave, ce choix fait peser
à terme une menace sur la solidarité. Les personnes bien portantes
appartenant aux classes moyennes en auront bientôt assez de payer 2 fois
pour la santé : une fois la “sécu” au titre de la solidarité avec les personnes
les plus pauvres et avec les patients ayant les maladies les plus graves,
et une autre fois leur assurance complémentaire pour eux-mêmes
et pour leur famille. D’autant que la dite “complémentaire” sera devenue
en réalité pour eux l’assurance principale et que ses primes ne cesseront
d’augmenter. Il faudrait pouvoir choisir : plus de sécu ou plus d’assurances
privées ? Hélas, notre système suit sa plus grande pente, sans débat.
L’autre solution serait de définir un panier de soins solidaire de qualité,
remboursé à 100 % par l’Assurance maladie obligatoire, en transformant
les “complémentaires” en assurances “supplémentaires”. Ainsi les cures
thermales (150 millions par an) ne seraient plus remboursées
par la Sécurité sociale mais par les “supplémentaires”, même chose
pour l’homéopathie (250 millions) et ainsi pour toutes les prestations
et les actes non inclus dans le panier de soins solidaire. Lorsqu’il existe
des médicaments génériques, le surcoût du princeps serait à la charge
de l’assurance supplémentaire, le médecin n’aurait pas à inscrire
sur l’ordonnance à la demande du patient-client “non substituable” et
la Sécurité sociale n’aurait plus à verser 1 milliard par an aux pharmaciens
d’officine pour qu’ils exercent leur “droit de substitution”. Et pour en finir
avec la tyrannie productiviste de la T2A et du paiement à l’acte qui
contraint les professionnels au toujours plus, il faudrait, pour la prise en
charge des patients atteints de maladies chroniques, revenir à l’hôpital
à la dotation globale modulée par l’activité et passer en ville au paiement
à la capitation. Les patients garderaient le droit de changer de médecin traitant
mais seulement tous les ans. Cela permettrait aux médecins d’appliquer
le principe éthique du “juste soin pour le patient au moindre coût pour
la collectivité”. Reste une question essentielle : quelles seraient les modalités
de définition du panier de soins solidaire de qualité ? Les représentants
des patients et des usagers, les professionnels de santé et les autorités
de santé devraient faire des propositions à la représentation nationale.
La démocratie sanitaire pourrait alors être autre chose qu’un slogan.
Ainsi, la santé resterait un bien commun financé par la solidarité
et les riches seraient soignés aussi bien que les pauvres. Utopie certes,
mais utopie réaliste !
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