CAS CLINIQUE Mots-clés Épithèse faciale – Anaplastologie. Keywords Facial prosthesis – Anaplastology. Réhabilitation par épithèse faciale A rehabilitation case: facial prosthesis A.M. Riedinger*, P. Hémar** M onsieur C, né en 1931, est suivi par le service ORL de Strasbourg depuis 2000. Il a été amputé de la pyramide nasale à la suite d'un carcinome baso­cellulaire. Une épithèse nasale à ancrage osseux (3 fixtures) a été réalisée (1). La lente évolution de la tumeur a progressivement entraîné la perte des implants, puis d’une partie du maxillaire supérieur, et enfin de l’œil gauche. La réhabilitation par épithèse faciale pour ce patient a dû à chaque fois être adaptée aux configurations existantes. Observation En 2000, 3 fixtures ont été insérées pour une réhabilitation par épithèse à ancrage osseux (2). À la suite d'une récidive, 2 années plus tard, les implants ont été repositionnés plus favorablement (3) et une nouvelle épithèse nasale à ancrage osseux a été réalisée (figure 1). En 2005, une nouvelle tumeur a été traitée par radiothérapie mais a entraîné la perte des implants. Une épithèse nasale collée a alors été confectionnée. Contraignante pour le patient, elle a été remplacée par une épithèse sur lunettes. Mais l’ensemble, plus lourd, permettait un mouvement de bas en haut. Afin d’alléger le poids de l’épithèse sur lunettes, une épithèse très fine sur montures à fixation aimantée a alors été réalisée. Elle assurait un maintien sûr, était très fonctionnelle puisqu’elle permettait au patient de respirer normalement et était facile d’usage et d’entretien (figure 2). Progressivement, le carcinome a eu raison de la partie centrale du maxillaire supérieur (en 2007), puis de la plus grande partie de la lèvre supérieure. Une attention particulière a été portée à la conservation d’une bride labiale afin d’assurer au patient un contact naturel des lèvres. Une épithèse fixée à l’obturateur a alors été une solution acceptable pour le patient, bien que la prothèse dentaire mobile n’ait pas permis la stabilité de l’épithèse, qui est mobile de haut en bas lorsque le patient mange ou parle. Plus récemment, l’œil gauche a été atteint et le patient a dû être énucléé, ce qui a laissé une cavité orbitaire très peu profonde. ◀ Figure 1. Patient en 2000, ancrage osseux sur 2 fixtures. ▼ Figure 2. Épithèse nasale fixée aux lunettes par des aimants (2005). * Centre d'épithèses faciales, Strasbourg. ** ORL, CHU de Strasbourg. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 | 13 CAS CLINIQUE Quelle réhabilitation est encore possible pour ce patient ? L’étendue de la cavité comprend à présent la lèvre supérieure, le nez et l’orbite (figure 3). Il existe une très large communication entre la cavité buccale et la cavité nasale, également élargie vers les joues et partiellement comblée par une prothèse dentaire mal ajustée, mobile et complétée d’un obturateur. L’ensemble bouge quand le patient mange ou parle. Il reste en effet très peu de maxillaire supérieur, sans beaucoup de reliefs, et les muqueuses très fragiles de ces cavités ont tendance à saigner facilement et n’ont de ce fait pas permis un maintien stable de la prothèse dentaire. On se retrouve ainsi avec une base dentaire mobile, une lèvre supérieure très fine (quelques millimètres de hauteur seulement) et une cavité orbitaire peu profonde. Les solutions habituelles de maintien d’une prothèse sont évoquées (4) : ancrage osseux, maintien sur la prothèse dentaire, sur les montures de lunettes, dans les rebords de la cavité ou par adhésif biologique. Étant donné l’évolution lente et progressive des lésions, la mise en place d’implants pour une épithèse à ancrage osseux n’est plus envisageable. Par ailleurs, la mobilité de la prothèse dentaire et l’étendue du defect ne permettront pas une fixation collée. Enfin, la rétention dans les rebords des cavités est également exclue du fait de la sensibilité et de la tendance aux saignements des muqueuses. De plus, le maintien sur les lunettes est aléatoire à cause de l’étendue de la mutilation et de la mobilité de l’ensemble. L’épithèse serait assez lourde et reposerait horizontalement sur les oreilles alors que, verticalement, la stabilité ne serait pas assurée. Une solution mixte a de ce fait été retenue, et l’épithèse médiofaciale a été divisée en 2 parties. La première partie prolonge la lèvre supérieure, elle est fixée par 2 aimants sur l’obturateur et placée de façon frontale. Cette lèvre est très légère et permet de fermer la partie inférieure de la cavité en épousant le filet de lèvre supérieure existant sans gêner le patient. La seconde est l’épithèse naso-orbitaire. Une résine a été ajustée dans la cavité afin de bloquer le mouvement vers le haut et un gros aimant a été fixé horizontalement sur le haut de l’obturateur afin de retenir le mouvement vers le bas. La prothèse oculaire a ensuite été positionnée dans l’orbite, ajustée sur le patient, et le modelage du nez et des paupières a été réalisé en respectant le regard naturel du patient. La maquette a été ajustée sur le patient, le modelage a été finalisé et les bords de l’épithèse ont été adaptés aux contours de la cavité. L’ensemble est stable (figure 4). Deux moules ont ensuite été conçus et réalisés (5). Les parties mobiles ont été placées dans les moules (résines et aimants, prothèse oculaire). Deux types de silicones ont été sélectionnés : un silicone très résistant pour respecter les fines couches externes et un silicone plus souple pour les sous-bases. Ils ont été soigneusement mélangés avec les pigments naturels et avec des floquages afin de respecter les teintes et la plus ou moins grande transparence de la peau des différentes régions, puis ils ont été appliqués dans les moules selon chaque teinte ▲ Figure 3. Patient en 2013 après éviscération de l’œil gauche. ▼ Figure 4. Modelage de la maquette naso-orbitaire. ▼ Figure 5. Application de silicones colorés dans le moule. 14 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 CAS CLINIQUE ◀ Figure 6. Épithèses lèvre supérieure et nasoorbitaire. et en fines couches successives qui révéleront la texture de la peau (figure 5). Les moules ont ensuite été cuits au four à 70 °C pendant 3 heures. Après le refroidissement, ils ont été ouverts et les épithèses soigneusement découpées, essayées et ajustées (figure 6). Le patient teste l’épithèse de lèvre supérieure, et l’épithèse naso-orbitaire est positionnée par-dessus. Un léger mouvement est possible entre les 2 épithèses qui glissent légèrement l’une sur l’autre de façon très naturelle. Tout point sensible est identifié et soigneusement évidé sur la partie arrière de l’épithèse. La prothèse dentaire est bloquée par l’aimant qui fixe l’épithèse naso-orbitaire. Des montures complètent l’ensemble afin d’assurer une sécurité complémentaire au patient (figures 7 et 8), bien que la stabilité de l’ensemble soit atteinte sans les lunettes. Le patient gère facilement la mise en place des épithèses en 2 clics et les trouve confortables. Veuf depuis 2 ans, il se sent revivre une fois de plus et a laissé entendre qu’il souhaitait repartir au bled et éventuellement se remarier. Conclusion Figure 7. ▶ Patient portant les épithèses faciales. ▼ Figure 8. Patient portant les épithèses faciales et les lunettes. La réhabilitation de chaque patient est unique selon ses lésions et se fait sur mesure (6). Dans un cas de carcinome évolutif, l’adaptation à toute nouvelle situation et la créativité sont primordiales. De plus, une excellente collaboration chirurgien/ épithésiste et un constant dialogue avec le patient sont capitaux dans le processus de réhabilitation pour des situations complexes (7, 8). La réhabilitation est réussie si le patient porte son épithèse, s’il a repris confiance en lui et mène une vie sociale normale, s’il passe inaperçu en public et si l’épithèse lui assure un maintien sûr, est facile à mettre en place et à entretenir. Ainsi, grâce à son épithèse, le patient doit pouvoir retrouver une vie sociale aussi normale que possible. ■ A.M. Riedinger déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Disant F. Place de l’épithèse dans les réhabilitations des pertes de substances de la face. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 1997;118(2):109-12. 2. Charpiot A, Chambres O, Herve JF et al. Implants cranio-faciaux ostéo-intégrés, à propos de 49 patients. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 2006;127(4):217-22. 3. Hémar P, Riedinger AM. Optimal surgical procedures following tumor resection for successful prosthetic rehabilitation by means of osseointegrated craniofacial implants. Int J Anaplastology 2009;3:8. 4. Brånemark PI, Ferraz De Oliveira M. Craniofacial prostheses - Anaplastology and osseointegration. Göthenbourg, (Sweden) : Quintessence Publishing Co, 1997. 5. Thomas KF. The art of clinical anaplastology. Londres : S. Thomas, 2006:58-77. 6. Tjellström A, Jansson K, Brånemark PI. Craniofacial defects. In: Worthington P, Brånemark PI. Advanced osseointegration surgery, applications in the maxillofacial region. Chicago (USA) : Quintessence Publishing Co, 1992:293-312. 7. Tjellström A, Portmann D. Implants ostéo-intégrés pour les prothèses faciales et auditives. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 1992;113(5):439-45. 8. Wolfaardt J, Wilkes GH, Granström G et al. Craniofacial reconstructions. In: Brånemark PI. The osseointegration book. From calvarium to calcaneus. Chicago (USA) : Quintessence Publishing Co, 2007:387-418. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 | 15