CAS CLINIQUE Mots-clés Soins palliatifs - Prescriptions anticipées - Analgésie. Keywords Palliative care - Advance directives - Pain control. Derniers jours de Monsieur X Mr. X’s last days S. Deneuve*, M. Hadoux**, B. de Corbière*** C e patient de 62 ans était bien connu du service d’ORL de l’hôpital de X, où il était en cours de chimiothérapie pour sa troisième localisation ORL. Cet homme marié, père d’un fils de 36 ans et d’une fille de 32 ans, était grand-père de 4 petitsenfants. Compliant et très discret, il s’en remettait totalement aux médecins. Son histoire avait commencé en 2009 par une dysphonie révélant une tumeur de la face laryngée de l’épiglotte, T2N0M0, accessible à une chirurgie partielle laryngée sus-glottique associée à un évidement ganglionnaire bilatéral. La pièce opératoire étant en résection R0 et les ganglions étant sains, aucun traitement complémentaire n'a été proposé. Malheureusement, malgré sa motivation initiale et un suivi en tabacologie, le patient n'a pas réussi à arrêter de fumer (1) : le sevrage forcé lié à l’hospitalisation en chirurgie n'a duré que 1 mois. Pour Monsieur X, cet échec était dû aux soucis familiaux : sa fille était en plein divorce, il s’inquiétait pour ses petits-fils. Par ailleurs Monsieur X, très introverti, exprimait peu ce qu’il ressentait, assurant toujours que tout allait bien. L’année suivante, la surveillance systématique a permis de découvrir une nouvelle localisation amygdalienne droite, traitée par amygdalectomie élargie associée à une radiochimiothérapie sur la tumeur et les aires ganglionnaires. Lors de l’hospitalisation, des conflits avaient éclaté entre l’équipe soignante et la fille de Monsieur X, qui estimait que tout n’avait pas été fait pour éviter ce deuxième cancer. Grâce à l’intervention de la psychologue du service et à un entretien avec l’ORL référent du patient, le Dr A, le climat s’était détendu et une relation de confiance s’était nouée. Une chimiothérapie a été mise en place, mais 1 seul cycle a pu être administré à pleine dose en raison de l’apparition d’une insuffisance rénale. Dix-huit mois après, le Dr A a eu la mauvaise surprise de découvrir des métastases pulmonaires associées à une évolution cervicale. Il a * Chirurgien ORL et CCF, département d’oncologie chirurgicale, centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, Lyon. ** Psychologue clinicienne, service de chirurgie digestive, hôpital de la Pitié-­Salpêtrière, Paris. *** Médecin responsable de l’unité fonctionnelle de médecine palliative, hôpital Bichat, Paris. expliqué à Monsieur X que la bataille engagée contre cette tumeur ne pourrait être gagnée. La chimiothérapie pourrait néanmoins empêcher la maladie de progresser et il s’attacherait désormais à soulager au mieux les symptômes pouvant apparaître. Le Dr A a proposé à Monsieur X de rencontrer ses proches afin de les informer de la situation, mais ce dernier a refusé, ne voulant pas inquiéter ses enfants et sa femme, préférant aviser le temps venu en fonction de l’évolution des choses. Peu de temps après le diagnostic de tumeur métastatique, Monsieur X a commencé à être dysphagique et a rapidement perdu 6 kg. Une tomodensitométrie (TDM) confirmant l’évolution de la maladie, la chimiothérapie a été modifiée. Monsieur X a par ailleurs été hospitalisé dans le service d’ORL pour faire pratiquer une gastrostomie en radiologie interventionelle. Après ce geste, le Dr B, ORL du service responsable du Lit identifié de soins palliatifs (LISP), qui éprouvait des difficultés à équilibrer le traitement antalgique, a demandé l’aide du Dr C, médecin de l’Équipe mobile d’accompagnement et soins palliatifs (EMASP). Celui-ci a rapidement amélioré la symptomatologie en diminuant les morphiniques et en introduisant un antidépresseur tricyclique contre les douleurs neuropathiques (2). Lors de cette hospitalisation, la femme de Monsieur X a manifesté son inquiétude face à l’état de son mari, et ce dernier a enfin donné son accord pour l’informer du pronostic. Malgré les entretiens avec la psychologue (3), le sujet est resté tabou pour le couple qui refusait toujours d’angoisser les enfants. Monsieur X a alors regagné son domicile et repris sa chimiothérapie en hôpital de jour. Il était donc logique pour la famille de Monsieur X, réunie pour un repas de famille, de se diriger vers l’hôpital de X le soir où il a éprouvé une difficulté croissante à respirer. Aux urgences, le patient, tachycarde, présentait un tirage sus-claviculaire et une dyspnée inspiratoire importante, ainsi qu’une agitation anxieuse, partagée par sa femme et ses enfants, très agressifs. Son ORL référent, appelé pour avis, a observé au nasofibroscope une paralysie laryngée bilatérale et décidé de pratiquer en urgence une trachéotomie sous anesthésie locale. Celle-ci réalisée, le patient s’est enfin endormi. Ses enfants ont alors découvert le pronostic de leur père grâce au Dr A et ont laissé éclater leur colère de ne pas avoir été informés auparavant. 16 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 CAS CLINIQUE ▲ Figure. Évolution cervicale d’un carcinome épidermoïde en terrain irradié, inopérable. Tableau I. Indice de Karnofsky, ou performance status (4). Situation clinique Cotation Le patient ne présente aucun signe ou symptôme de maladie 100 % Le patient est capable de réaliser les activités normales de la vie quotidienne ; symptômes ou signes mineurs de la maladie 90 % Le patient est capable de réaliser les activités normales de la vie quotidienne avec effort ; quelques symptômes ou signes mineurs 80 % Le patient est capable de se prendre en charge, mais est incapable de mener une vie normale ou de travailler 70 % Le patient nécessite une aide occasionnelle, mais peut prendre en charge la plupart des soins personnels 60 % Le patient nécessite une aide suivie et des soins médicaux fréquents 50 % Le patient est handicapé et nécessite une aide et des soins particuliers 40 % Le patient est sévèrement handicapé 30 % Le patient, très malade, nécessite un traitement de soutien actif 20 % Le patient est moribond, le processus fatal progressant rapidement 10 % Tableau II. Facteurs pronostiques selon Barbot et al. (5) : l’association de 3 critères pathologiques, ou de 2 critères, dont l’indice de Karnofsky, serait pronostique d’une espérance de vie de moins de 1 mois. Facteur pronostique Favorable Défavorable Albuminémie (N = 35-50 g/dl) ≥ 24 g/dl < 24 g/dl Taux de LDH* (N = 190-400 UI/l) ≤ 600 UI/l > 600 UI/l <2 ≥2 > 30 % ≤ 30 % Nombre de sites métastatiques Indice de Karnofsky * LDH : lactates déshydrogénases. Le lendemain, une TDM cervico-thoracique a mis en évidence une évolution cervicale majeure expliquant la paralysie laryngée bilatérale (figure). Des analyses comprenant l’albuminémie et les lactates déshydrogénases ont complété le bilan. Associés à l’évaluation de l’autonomie (indice de Karnofsky = 30 %) [tableau I] (4), ces résultats ont permis d’estimer que le pronostic vital était désormais engagé à moyen, voire à court terme (tableau II) [5]. Devant cette évolution explosive de la maladie sous chimiothérapie et la dégradation majeure de l’état général, la décision de ne pas reprendre de traitement cytotoxique s’est imposée d’elle-même aux ORL. Le Dr C, qui connaissait déjà le patient, a été appelé pour aider au mieux à la prise en charge. Le premier entretien avec le patient a mis en lumière sa crainte de partir en souffrant et en s’étouffant, comme son meilleur ami décédé 5 ans plus tôt d’un cancer pulmonaire. L’entretien a aussi permis de comprendre que la modification de l’image corporelle, aggravée au fur et à mesure de l’avancée de la maladie, avait confiné Monsieur X dans un isolement dont il n’arrivait pas à sortir (6). Il a accepté la proposition de rencontrer le psychomotricien de l’EMASP afin de travailler cette problématique. Quelques jours après, un entretien a réuni le Dr A, le Dr C, la psychologue et la famille de Monsieur X. L’équipe a répondu aux questions de cette dernière, notamment sur la prise en charge de la douleur qui les préoccupait beaucoup, car eux aussi avaient été marqués par l’agonie de l’ami de Monsieur X. Le Dr A en a profité pour les informer du risque d’hémorragie cataclysmique et de ce qui serait fait si elle survenait. La famille a insisté pour que Monsieur X reste dans le service jusqu’à la fin, car un lien de confiance s’était établi ; son fils a exprimé avec beaucoup d’émotion qu’il désirait que son père ne soit pas entouré d’inconnus dans un mouroir. Le Dr C leur a donc expliqué la prise en charge palliative dans le cadre du LISP (7) et les modalités qui y étaient associées, en particulier les conditions de visites assouplies. Cette solution a été retenue, en accord avec Monsieur X. La prise en charge conjointe EMASP-ORL a permis un contrôle satisfaisant des symptômes, notamment l’angoisse, et Monsieur X a ainsi plus facilement accepté la présence de ses proches. Un projet de visite des petits-enfants a été élaboré. Dans les jours qui ont suivi, un encombrement pulmonaire s’est installé. Pour réduire cet inconfort majeur, l’alimentation a dû être stoppée. Monsieur X, n’ayant plus d’appétit (8), a très bien supporté cet arrêt, dont il a rapidement perçu les bénéfices avec l’assèchement de l’encombrement. Mais sa famille ne comprenait pas. Un nouvel entretien avec l’équipe mobile a été nécessaire pour expliquer aux proches que ce traitement était devenu inapproprié, car il n’apportait plus de bénéfices mais uniquement des effets indésirables pénibles (9) : la survenue d’une pneumopathie serait fatale sur cet état général précaire. Ces explications, données en présence du patient, mettant en avant confort et qualité de vie, ont été entendues par la famille qui s’est apaisée. Plusieurs entretiens se sont succédé entre la psychologue et les enfants de Monsieur X. Ces derniers ont prévenu le reste de la La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013 | 17 CAS CLINIQUE famille et des amis afin qu’ils puissent venir le voir et soutenir leur mère, y compris dans des préoccupations du quotidien (courses, trajets, démarches administratives). Madame X a rencontré l’assistante sociale du service pour faire le point sur sa situation et juguler ses angoisses sur l’après, son mari s’occupant jusqu’à présent seul des papiers (10). Le plus âgé des petits-fils de Monsieur X lui a rendu visite, ce qui lui a particulièrement fait plaisir. Il a commencé à lâcher prise dans les jours suivants. Une phase de préagonie, marquée par une fluctuation de sa vigilance, s’est installée, se prolongeant quelques jours. Seuls les traitements strictement utiles à son confort ont été poursuivis, administrés par voie sous-cutanée. La phase agonique a débuté en présence de sa femme qui a décidé de rester dormir sur place. Les soignants du service étaient à proximité pour intervenir, au cas où elle leur signalerait un inconfort dans ce moment particulier, grâce aux prescriptions anticipées prévues en cas de symptôme paroxystique (11). Finalement, le décès est survenu le lendemain avec l’équipe du matin. ■ S. Deneuve déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. AFSSAPS. Les stratégies thérapeutiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac. In : Recommandation de bonne pratique, mai 2003. 2. Finnerup NB, Otto M, McQuay HJ, Jensen TS, Sindrup SH. Algorithm for neuropathic pain treatment: an evidence based proposal. Pain 2005;118(3):289-305. 3. Le Jamtel C. Polyvalence et ambivalence du psychologue en soins palliatifs. Médecine Palliative 2008;7(4):203-6. 4. Karnofsky DA, Burchenal JH. (1949). The clinical evaluation of chemotherapeutic agents in cancer.” In: MacLeod CM (Ed), Evaluation of chemotherapeutic agents. New York : Columbia Univ Press, 1949:196. 5. Barbot AC, Mussault P, Ingrand P, Tourani JM. Assessing 2-month clinical prognosis in hospitalized patients with advanced solid tumors. J Clin Oncol 2008;26(15):2538-43. 6. Callahan C. Facial disfigurement and sense of self in head and neck cancer. Soc Work Health Care 2004;40(2):73-87. 7. Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs. Guide pour l’élaboration du dossier de demande de lits identifiés en soins palliatifs. http://www.sante.gouv. fr/IMG/pdf/Guide_pour_l_elaboration_du_dossier_de_ demande_de_lits_identifies_en_soins_palliatifs.pdf. 8. Elliott JR, Haydon DA, Hendry BM. Anaesthetic action of esters and ketones: evidence for an interaction with the sodium channel protein in squid axons. J Physiol 1984;354:407-18. 9. McCann RM, Hall WJ, Groth-Juncker A. Comfort care for terminally ill patients. The appropriate use of nutrition and hydration. JAMA 1994;272(16):1263-6. 10. Amar S. L’accompagnement en soins palliatifs Approche psychanalytique. Paris : Dunod, 2012:320. 11. Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Recommandations sur la sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques singulières et complexes. http://www.sfmu.org/documents/consensus/reco_sedation_terminale_SFAP.pdf Campagne d’information sur les cancers des voies aérodigestives supérieures Du 23 au 27 septembre 2013, la European Head and Neck Society organisera dans toute l’Europe une campagne d’information des patients sur les cancers des voies aérodigestives supérieures. Cette campagne, Makesense, a pour but d’améliorer la communication et l’information des patients, et notamment d’inciter les patients alcoolo-tabagiques à consulter plus tôt en les alertant sur les symptômes à risque. Dans le cadre de cette campagne, la Société française de carcinologie cervico-faciale (SFCCF) propose aux professionnels (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes, paramédicaux) qui prennent en charge des VADS de participer à cette semaine d’information par le biais de communications auprès des médias et des associations de patients, d’expositions dans les hôpitaux et d’une journée portes ouvertes le mercredi 25 septembre. Il est important de diffuser l’information dans toutes les régions. Les professionnels désirant participer à la campagne peuvent contacter la SFCCF qui leur transmettra les documents et les directives. Contact Béatrix Barry, présidente de la SFCCF E-mail : [email protected] - Tél. secrétariat : 01 40 25 77 51 Olivier Malard : [email protected] Site : www.makesensecampaign.eu 18 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 334 - juillet-août-septembre 2013