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Cas clinique
L’ exception
Érythème noueux lépreux…
Erythema nodosum leprosum
N. Ortonne1, I. Missotte2, V. Rouleau3
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( Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil ; Service de dermatologie, centre
hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie, Nouméa ; 3 Service d’anatomie et de cytologie
pathologiques, centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie, hôpital de Magenta, Nouméa)
Lèpre • Réaction de type 2
• Érythème noueux lépreux.
Leprosy • Type 2 reaction
• Erythema nodosum.
Observation
Une jeune fille de 12 ans, originaire de Lifou en Nouvelle-Calédonie, avec comme antécédents un retard de croissance intra-utérin en rapport avec une infection maternofœtale à Escherichia coli et un asthme du nourrisson, est hospitalisée pour une éruption
évoluant depuis 5 jours, associée à une rhinite et à un fébricule. Un de ses frères a
présenté plusieurs années auparavant une lèpre lépromateuse. Les lésions sont diffuses
sur le tronc et les membres, et forment des plaques maculo-papuleuses de plusieurs
centimètres, rouge brun, avec un centre plus clair (figure 1). L’examen clinique montrait
par ailleurs des adénopathies inguinales et latéro-cervicales. Les examens biologiques
montraient une élévation de la vitesse de sédimentation (35 mm), sans élévation de la
CRP (protéine C-réactive), une lymphopénie (700 lymphocytes/mm3), une hyponatrémie,
avec un bilan hépatocellulaire normal. Les différentes sérologies effectuées étaient
négatives (VIH, hépatite C) ou témoignaient d’infections anciennes (virus Epstein-Barr
[EBV] et cytomégalovirus [CMV]). Il n’y avait pas d’anticorps anti-nucléaires ni antiADN natif. Les hémocultures et l’examen bactériologique urinaire étaient stériles et la
recherche de bacilles de Koch dans l’expectoration était négative. Les examens d’imagerie (radiographie thoracique, échographie cervicale et abdominale, échocardiographie) n’ont trouvé qu’une adénopathie sous-maxillaire gauche suppurée. Une première
biopsie cutanée a été réalisée et a montré un aspect de lèpre borderline vraie (BB), mais
avec des lésions de panniculite septale associées à de minimes lésions de vascularite,
suggérant un début d’érythème noueux lépreux. Les investigations complémentaires
ont révélé une neuropathie sensitivo-motrice atteignant les 4 membres.
Le traitement initial par antibiothérapie (amoxicilline + acide clavulanique) a alors
été remplacé par un traitement spécifique, avec dapsone, clofazimine et rifampicine,
associé à une corticothérapie (prednisone à 40 mg/j), en raison d’une suspicion de
réaction de réversion. L’évolution initiale a été marquée par une majoration des lésions
cutanées des bras, devenant plus nodulaires, et une altération de l’état général, avec
majoration de l’hyperthermie, réalisant des pics fébriles, arthralgies diffuses avec
céphalées. Le bilan biologique montrait un syndrome inflammatoire plus marqué et
une cytolyse hépatique. Une anémie hémolytique était également notée, attribuée à
la dapsone, ultérieurement arrêtée. Un début de syndrome d’activation macrophagique était également détecté, avec élévation de la ferritinémie. Une nouvelle biopsie
cutanée a alors été réalisée.
Histopathologie
La biopsie montrait un épiderme parakératosique avec des remaniements inflammatoires lichénoïdes, et, sur toute la hauteur du derme, un infiltrat lympho-histiocytaire sans cellule géante ni granulome (figure 2). Les histiocytes ont souvent un
aspect spumeux, évoquant des cellules de Virchow (figure 3). La coloration de Ziehl
mettait en évidence de façon assez diffuse des amas de bacilles le plus souvent
rassemblés en petits “globi” (figure 4). Il existait également des zones de nécrose
avec débris nucléaires, associés à des lésions de vascularite (figure 5). Ces lésions
étaient retrouvées jusque dans l’hypoderme. L’ensemble de ces éléments a permis
de retenir le diagnostic de lèpre de type BL (borderline lépromateuse), avec réaction
à type d’érythème noueux lépreux (réaction de type II).
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Légendes
Figure 1. Multiples lésions cutanées maculopapuleuses formant des plaques à centre
plus clair.
Figure 2. Sous un épiderme parakératosique, légèrement inflammatoire et associé
à des lésions d’interface lichénoïdes, il existe
un infiltrat diffus et périvasculaire, associé
à des débris nucléaires (hématéine-éosinesafran, × 100).
Figure 3. L’infiltrat associe des histiocytes
clairs et des débris nucléaires, avec de rares
polynucléaires neutrophiles intacts, sur un
fond de nécrose (hématéine-éosine-safran,
× 200).
Figure 4. Ces vacuoles contiennent des
amas de bacilles acido-alcoolo-résistants
(pointes de flèches), témoignant de la
présence du bacille de Hansen en grande
quantité, formant ici des globi (coloration
de Ziehl, × 400).
Figure 5. Les capillaires dermiques ne
sont plus visibles, siège d’une nécrose dans
laquelle on retrouve des hématies. Des
vacuoles claires sont visibles dans certains
histiocytes (flèches) [hématéine-éosinesafran, × 400].
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Évolution
Le traitement a été modifié avec remplacement de la dapsone par l’ofloxacine, en
raison de l’anémie hémolytique. L’évolution sous ce traitement a été favorable,
conduisant à la régression des lésions cutanées et à la récupération de l’état général.
Commentaires
La lèpre est une maladie infectieuse, transmissible, due à Mycobacterium leprae
(M. leprae) ou bacille de Hansen (1873). Elle atteint préférentiellement la peau, les
muqueuses, le système nerveux périphérique et les yeux. La lèpre est une maladie
infectieuse endémique dans certaines régions du monde, en particulier au Brésil, en
Inde, en Indonésie, au Népal, et dans certaines régions d’Afrique (République démocratique du Congo, Nigéria, Tanzanie). En France, les cas de lèpre se rencontrent dans
les populations migrantes ou dans certains départements des DOM-TOM (Polynésie
française, Mayotte, Guyane et Nouvelle-Calédonie).
La présentation de la maladie est très variable et dépend de l’immunité cellulaire
du sujet infecté. La forme lépromateuse est une forme bacillaire riche en histiocytes, avec classiquement les histiocytes clairs de Virchow, contenant des bacilles
de Hansen, formant parfois des amas (globi). La forme tuberculoïde est pauvre en
bacilles et se caractérise par des granulomes épithélioïdes. De l’un à l’autre de ces
2 pôles, la classification de Ridley et Jopling reconnaît 6 formes : LL (lépromateuse),
BL (borderline lépromateuse), BB (borderline vraie), BT (borderline tuberculoïde), TT
(tuberculoïde) et indéterminée.
Deux types de réaction peuvent survenir au cours de la lèpre. La réaction de réversion
ou inversion (réaction de type 1) témoigne de modifications de l’immunité, entraînant
le passage d’une forme BL ou LL vers une forme plus tuberculoïde. La réaction de
type 2, ou érythème noueux lépreux, que présentait cette enfant, est secondaire à la
formation de complexes immuns qui se déposent dans les capillaires responsables de
l’activation d’une cascade cytokinique faisant intervenir en particulier le TNFα, l’IL-2
et les cytokines Th17. Elle se voit généralement chez des malades ayant des lèpres
à fort index bacillaire (LL, plus rarement BL), le plus souvent après mise en route du
traitement (­2/­3 des cas) [1]. L’atteinte cutanée est constante, comportant la formation
de nodules dermo-hypodermiques. Elle est parfois isolée dans des formes a minima.
Habituellement, le tableau clinique comporte une altération de l’état général, avec
fièvre, asthénie et arthromyalgie. Plusieurs organes peuvent être atteints (œil, articulations, ganglions, testicules, reins). Cette réaction peut conduire à une insuffisance
rénale et engager le pronostic vital.
L’étude histopathologique est un élément important du diagnostic et du type de lèpre,
conjointement à l’aspect clinique et aux données bactériologiques. L’analyse histologique permet de caractériser les granulomes épithélioïdes, la présence de bacille
dans les infiltrats histiocytaires, grâce à la coloration de Ziehl-Neelsen, permettant
d’apprécier l’importance de la charge bacillaire, et les lésions de vascularite témoignant d’une réaction de type 2. Les signes histologiques les plus fréquents au cours
des réactions de type 2 sont l’infiltrat de neutrophiles associé aux granulomes, la leuco­
cyto­clasie, l’œdème du derme papillaire et les lésions de panniculite neutrophilique (2).
Certaines formes sont très difficiles à diagnostiquer ; c’est le cas des formes histioïdes,
qui ressemblent à une histiocytose. Dans les formes tuberculoïdes, l’­absence du bacille
fait que le diagnostic différentiel avec les autres dermatoses granulomateuses est
parfois impossible, notamment avec la tuberculose et la sarcoïdose.
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Références bibliographiques
1. Morand JJ, Badiane C, Bobin P. Update on erythema nodosum leprosum. Med Trop (Mars) 2004;64:423-30.
2. Adhe V, Dongre A, Khopkar U. A retrospective analysis of histopathology of 64 cases of lepra reactions.
Indian J Dermatol 2012;57:114-7.
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