ÉDITORIAL Entérobactéries productrices de carbapénèmases : état d’urgence ! Carbapenemase-producing Enterobacteriaceae: state of emergency! D epuis les années 2000, nous assistons à une diffusion très rapide des souches d’entérobactéries exprimant des β-lactamases à spectre élargi de type CTX-M dont l’origine communautaire n’est plus discutée. Cette épidémie est de diffusion mondiale. Bien que de nombreux facteurs, notamment de pression de sélection antibiotique, puissent en être à l’origine, rien ne semble pouvoir arrêter cette dissémination, tout particulièrement celle des souches de Escherichia coli CTX-M de circulation communautaire. Dans ce contexte déjà extrêmement tendu de multirésistance aux antibiotiques, la diffusion de souches d’entérobactéries exprimant une carbapénèmase est un phénomène particulièrement inquiétant. En effet, bien qu’il existe une certaine diversité de souches productrices et de gènes de carbapénèmases avec des enzymes de spectre de substrats variés (KPC, OXA-48, IMP, VIM, NDM), ces souches sont très souvent multirésistantes à la plupart des antibiotiques les plus importants en médecine humaine : β-lactamines, aminosides et fluoroquinolones. Cette multirésistance est le plus souvent d’origine plasmidique et transférable (comme les gènes de carbapénèmases), à laquelle s’ajoutent des résistances d’origine chromosomique. Les recommandations du ministère de la Santé proposent d’identifier tout particulièrement les porteurs de ces souches exprimant des carbapénèmases, parce qu’elles sont, en quelque sorte, l’un des marqueurs de cette multirésistance. Ces souches appartiennent essentiellement à 2 grandes espèces d’entérobactéries : Klebsiella pneumoniae et E. coli. Les carbapénèmases de types KPC, IMP, VIM sont essentiellement observées chez K. pneumoniae, ce qui indique une origine nosocomiale, alors que les carbapénèmases de type NDM et OXA-48 sont observées chez K. pneumoniae mais aussi chez E. coli, indiquant leur diffusion nosocomiale mais également communautaire. Dans ce contexte, la circulaire du ministère a pour but essentiel de prévenir autant que possible la dissémination de ces souches d’entérobactéries productrices sur le territoire national. Cette démarche est totalement justifiée : 200 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 6 - novembre-décembre 2011 ➤➤les entérobactéries sont en clinique humaine la famille à l’origine des infections les plus fréquentes et dont la mortalité est la plus élevée ; ➤➤le nombre de souches exprimant de telles carbapénèmases est encore très limité en France (probablement quelques centaines), rendant encore possible la prévention de leur dissémination ; ➤➤les possibilités thérapeutiques en cas d’infection sont limitées ; ➤➤ces souches ont un pouvoir épidémiogène important, par parallélisme à l’explosion des épidémies à K. pneumoniae BLSE en milieu hospitalier au cours des 20 dernières années. Dans la mesure où le réservoir de telles souches est surtout constitué de patients hospitalisés, en général les plus vulnérables (immunodépression, etc.), tout particulièrement dans des unités à risque (unités de greffe, chirurgie, réanimation, etc.), il est légitime que le dépistage s’intéresse tout d’abord aux patients hospitalisés à l’étranger et transférés dans nos structures hospitalières (ainsi qu’à certains patients à risque hospitalisés dans l’année précédente dans un système hospitalier étranger). La nature des carbapénèmases varie en fonction des pays d’origine : OXA-48 a été identifiée essentiellement dans les pays du pourtour méditerranéen sud et est (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Turquie) ; on trouve KPC, surtout en Grèce, Italie, Chypre, Crète, États-Unis, Israël et Amérique du Sud ; et en ce qui concerne les carbapénèmases de type NDM, les pays les plus touchés sont l’Inde, le Pakistan, les pays des Balkans, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Cette liste n’est pas limitative, et de nombreux exemples récents nous indiquent l’identification d’épidémies hospitalières dans d’autres pays (avec des souches KPC et NDM en GrandeBretagne ou avec OXA-48 par exemple aux Pays-Bas). Il est légitime de dépister désormais tous les patients transférés de n’importe quel hôpital étranger, le jour même de leur arrivée dans le système hospitalier, et de les garder en isolement tant que le résultat négatif de ce dépistage n’a pas été obtenu. ÉDITORIAL Ce n’est qu’en suivant rigoureusement ces recommandations que nous pouvons espérer éviter en France, en tout cas pour un temps, le développement d’épidémies liées à ces bactéries multirésistantes. Il faut garder en mémoire que l’un des devoirs du personnel soignant est d’éviter que le patient admis à l’hôpital ne soit infecté par une bactérie multirésistante portée par son voisin. Compte tenu de ces recommandations, il faut sensibiliser les administrations hospitalières (conséquences financières des épidémies de bactéries multirésistantes !) pour qu’elles s’impliquent dans l’application de cette directive émanant du ministère, et qu’elles fassent preuve d’efficacité en mettant au point très rapidement un système de signalement des transferts de patients venus de l’étranger, afin que ceux-ci ne soient pas découverts fortuitement, comme c’est encore trop souvent le cas. Grâce à un effort de partenaires variés, il est possible de faire en sorte que la France reste encore à l’écart d’épidémies à entérobactéries productrices de carbapénèmases (comme c’est le cas pour les entérocoques résistant aux glycopeptides). Il faut éviter les situations très largement épidémiques à entérobactéries productrices de carbapénèmases qui sont déjà marquées dans plusieurs pays occidentaux (Grèce, Italie, Royaume-Uni ou est des États-Unis). P. Nordmann Chef du service de microbiologie, CHU de Bicêtre, directeur de l’unité Inserm U914, Le Kremlin-Bicêtre Références bibliographiques 1. Nordmann P, Naas T, Poirel L. Global spread of carbapenemase-producing Enterobacteriaceae. Emerg Infect Dis 2011;17:1791-8. 2. Lepelletier D, Andremont A, Grandbastien B, the National Working Group. Risk of highly resistant bacteria importation from repatriates and travelers hospitalized in foreign countries: about the french recommendations to limit their spread. J Travel Med 2011;18:344-51. 3. Zahar JR, Lortholary O, Martin C, Potel G, Plesiat P, Nordmann P. Addressing the challenge of extended-spectrum β-lactamases. Curr Opin Investig 2009;10:172-80. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - n° 6 - novembre-décembre 2011 | 201