Le syndrome dysexécutif : de l’Alzheimer à l’enfant

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Médecine
& enfance
Le syndrome dysexécutif :
de l’Alzheimer à l’enfant
POINT PSY
M. Boublil, J. Bianchi, Centre de référence
des troubles des apprentissages (CERTA),
CHU Lenval, Nice
Ayant travaillé pendant vingt ans à la fois en psychiatrie de liaison dans un service évaluant le déclin cognitif des personnes âgées et en pédopsychiatrie, j’ai
été frappé par la similitude du désarroi de seniors n’arrivant plus à réfléchir
efficacement et d’enfants intelligents n’arrivant pas à réussir en classe.
Ils possédaient ces caractéristiques communes : ils ne comprenaient pas ce
qui ne fonctionnait pas ; ils n’arrivaient pas à répondre à des problèmes dont la
solution aurait dû aller de soi ; ils avaient des problèmes de concentration, de
planification, de stratégie. Les neuropsychologues qui les examinaient employaient dans les deux cas le même terme de syndrome dysexécutif. Les difficultés de ces seniors et de ces enfants étaient invisibles, et on attendait donc
d’eux une efficience normale, étant donné leur bon langage et la vivacité de
leur regard. Quand réfléchir ne va pas ou plus de soi au point que votre entourage s’en rend compte, un bilan spécialisé s’impose. Pour les sujets âgés, il
s’agit de consultations mémoire, alors que la mémoire n’est pas l’élément déterminant du déclin cognitif. Pour les enfants, c’est la consultation dans un
centre référent des troubles des apprentissages (CERTA), puisque aujourd’hui
l’échec scolaire est considéré comme une forme de maladie.
« L’adaptation à des situations nouvelles ou
suffisamment complexes nous oblige à établir des comportements régis par la mise en
jeu de stratégies inédites et planifiées, se dégageant des comportements automatiques,
réflexifs et routiniers. La flexibilité mentale,
la résistance aux interférences, le partage
des ressources attentionnelles, la découverte
et l’apprentissage de nouvelles règles, la planification, le raisonnement, les stratégies
pour réactiver les traces mnésiques, la
conceptualisation et l’abstraction sont
quelques-unes des fonctions mentales engagées dans les processus adaptatifs. Elles appartiennent classiquement aux fonctions
exécutives. » R. Lévy [1]
I
Rubrique dirigée par M. Boublil
l a été démontré que, dans la maladie d’Alzheimer, la présence
d’un syndrome dysexécutif (qui
s’écrit aussi dys-exécutif) est un facteur
aggravant retentissant sur le plan fonctionnel et de l’autonomie [2]. Chez le sujet âgé, le syndrome dysexécutif correspond à une perte de capacités, qui est
généralement ressentie puisque le patient est confronté à la perte de quelque
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chose qui existait, alors que, chez l’enfant, il correspond à une non-acquisition, d’où des troubles plus difficiles à
repérer et à diagnostiquer.
Chez le sujet âgé comme chez l’enfant,
c’est un constat qui permet de mettre en
place des mesures et une forme de traitement (remédiation cognitive), qui
sera d’autant plus utile que l’on aura
repéré avec précision ce qui ne va pas.
On voit la souffrance des patients âgés
détériorés qui se désespèrent de ne plus
pouvoir faire ce qu’ils faisaient avant sans
effort. On voit la souffrance des enfants
qui constatent que, dans leur classe, tout
le monde comprend et qu’eux, qui se savent pourtant normalement intelligents
(ils parlent bien, ont une bonne compréhension et une bonne logique de la vie),
sont perdus quand ils doivent se concentrer, mettre en place une organisation,
une stratégie, une planification.
La notion de syndrome dysexécutif, terme issu de la neuropsychologie, sousentend que l’on accepte l’idée que notre
esprit est organisé selon un schéma
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fonctionnel comportant une hiérarchisation des tâches dans notre raisonnement,
avec au sommet de cette hiérarchie le
système exécutif qui commanderait à diverses actions mentales : planification,
contrôle attentionnel et inhibition des
distracteurs, mémoire de travail (celle
qui permet de garder présents les éléments utiles à notre réflexion), flexibilité
cognitive (souplesse d’esprit, capacité de
faire plusieurs choses à la fois). Cette notion sous-entend également que ce système est très vulnérable aux agressions,
périnatales par exemple, ou bien vasculaires, liées au vieillissement cérébral, et
que son altération est responsable des
difficultés scolaires des grands prématurés (28-33 semaines), des enfants
porteurs d’un syndrome d’alcoolisation
fœtale (SAF) ou d’enfants ayant subi
des carences éducatives et/ou psychoaffectives importantes. On le retrouve aussi chez des enfants cérébrolésés, des enfants porteurs de troubles
du spectre autistique (TSA) ou de schizophrénie très précoce (STP). Certains
tableaux que l’on nommait « psychose
infantile » associaient des troubles du
langage oral et un syndrome dysexécutif. Il est à noter que les jeunes collègues pédopsychiatres sont nombreux
à n’avoir jamais abordé la notion de
psychose infantile [3].
On peut trouver que l’association des
éléments atteints n’est pas très spécifique et que de tels tableaux peuvent
être observés dans le cadre du trouble
déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), des dyspraxies ou des déficits intellectuels légers.
Les interrogations sur ce qu’avaient ces
enfants [4] sont restées sans réponse jusqu’aux progrès de la neuropsychologie.
On peut estimer que cette manière mécaniciste de voir le fonctionnement de la
pensée est réductrice, marquée par l’œil
neuropsychologique. Cependant, elle
correspond à ce que l’on observe : des enfants en échec scolaire (surtout lorsque
les exercices se compliquent et demandent une plus grande réflexion, on parle
alors d’épuisement cognitif) qui ont cette
association de distractibilité et de
manque de concentration. Ces enfants
ont le sentiment d’être perdus, et personne, ni eux, ni leur entourage, ne comprend pourquoi ils sont ainsi. C’est un
handicap qui ne se voit pas… L’éducation
nationale française, constatant que le cas
n’est pas rare, a mis en place des cours de
méthodologie [5] ; elle a aussi, dans certaines académies, produit des fiches
utiles aux enseignants. Mais pour ces enfants, cela ne suffit pas, et les parents passent des heures à les faire travailler, sans
grand résultat, une leçon sue la veille ne
permettant pas de réussir le contrôle du
lendemain.
Ces enfants-là sont incompris ; on considère qu’ils sont paresseux, ne voulant
pas faire d’efforts, ne travaillant que
pour ce qu’ils aiment et quand ils aiment le professeur, ce professeur dont
justement la méthode leur convient
mieux. Le bilan neuropsychologique
peut servir d’arbitre, et l’avis du neuropsychologue va nous éclairer.
Toutefois, certaines questions demeurent : existe-t-il des éléments diagnostiques pathognomoniques du syndrome
dysexécutif chez l’enfant ? y a-t-il divers
degrés ? peut-il se résoudre spontanément ou en vieillissant ? quelles sont les
comorbidités ? quels sont les diagnostics différentiels ? ce syndrome est-il
toujours invalidant ? Le problème difficilement soluble est également celui de
savoir si le syndrome dysexécutif est
primaire ou secondaire, d’origine organique, développementale ou psychogène ; les avis sont partagés et les hypothèses nombreuses.
en perpétuelle évolution constitue les
fondements de l’intelligence ? Non pas
l’intelligence cristallisée, celle des données et savoirs que nous accumulons en
mémoire à long terme au fur et à mesure de notre existence… mais cette fluidité cognitive nécessaire à notre propre
évolution.
Nous regroupons sous le terme de fonctionnement exécutif un ensemble hétérogène de petits « outils cognitifs » permettant à l’être humain de prendre en
compte des données nécessaires pour
établir un raisonnement construit, planifier, hiérarchiser ses pensées, mais
également s’empêcher de produire une
action (motrice, verbale, mentale)
inadaptée au contexte. Fonctions exécutives et capacités attentionnelles sont
étroitement liées. Aussi, lorsque l’on reconnaît leur caractère « global », leur
implication dans chaque action de l’individu au cours de son existence, on
comprend aisément qu’un trouble ciblé
sur ces aptitudes pourra totalement entraver l’adaptation au monde… ce qui
nous renvoie donc directement à la notion de handicap.
Le syndrome dysexécutif peut revêtir
différentes formes cliniques. La pluralité des composantes cognitives impliquées en fait un trouble parfois difficile
à diagnostiquer et pouvant souvent se
confondre avec d’autres problématiques
(cognitives et/ou psychologiques).
L’ÉCLAIRAGE DU
NEUROPSYCHOLOGUE
Cliniquement, le trouble de l’inhibition
se traduit par une impossibilité à inhiber une action, un comportement ou
une réponse, et il peut parfois s’associer
à une forte impulsivité. Les répercussions sur le raisonnement sont bien entendu très importantes : ce trouble entrave totalement les aptitudes d’analyse
et d’abstraction.
Nous observons ainsi des enfants présentant des profils comportant une certaine instabilité attentionnelle (et parfois motrice), qui sont comme « aimantés » par l’environnement proche [6] .
Ces enfants sont attirés par le moindre
LE FONCTIONNEMENT EXÉCUTIF :
L’ADAPTATION EN LIGNE DE MIRE
Qu’y a-t-il de plus valorisant pour l’être
humain que de savoir se sortir seul
d’une situation problématique ? Cela
renforce le sentiment de progression,
l’impression de pouvoir surpasser les
contraintes et développe l’idée d’une
autonomie face à un environnement en
constant changement. Ne pourrait-on
pas penser que l’adaptation à ce monde
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LE TROUBLE DE L’INHIBITION,
PILIER CENTRAL DU SYNDROME
DYSEXÉCUTIF
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stimulus externe : ils ne peuvent s’empêcher de toucher les objets présents
sur la table, ils sont incapables de faire
abstraction des images d’une affiche
collée au mur, etc.
Ce trouble de l’inhibition peut également provoquer de nombreuses « digressions », perceptibles dans, entre
autres, certaines tâches de fluence verbale. Ainsi, quand on demande à l’enfant de dénommer le plus rapidement
possible des mots phonologiquement ou
sémantiquement liés, l’analyse des productions montre une tendance à dévier
du thème principal (ex. les animaux)
pour rapidement s’engouffrer dans une
toute autre catégorie sémantique (ex.
les signes astrologiques) : « girafe… serpent… mouton… lion… Bélier… Capricorne… Balance… ». Cette tendance se
retrouve également dans le discours
lors des échanges avec l’enfant, qui peut
par ailleurs se montrer logorrhéique ou
alors totalement hypospontané.
Sur ce trouble se greffent d’autres problématiques touchant différentes compétences cognitives, comme la mémoire
de travail, les capacités de planification
et de flexibilité mentale, ce qui impacte
parallèlement la qualité de la mobilisation attentionnelle.
La mémoire de travail, véritable pilier
des apprentissages, est fortement entravée dans ce syndrome. Cela pénalise
l’enfant dans la compréhension en lecture, la mémorisation des consignes orales,
la manipulation d’informations en mémoire, le calcul mental, la hiérarchisation des idées et concepts, etc. Lors de
l’activité de prise de notes par exemple,
l’enfant devra distribuer justement ses
ressources attentionnelles et cognitives
entre deux tâches de nature différente. Il
devra basculer de l’écoute du discours à
la récupération des mots correspondant
en mémoire à long terme, tout en
veillant à ne pas détériorer la qualité graphique de son écriture. Voilà comment
une tâche qui nous paraît habituelle et
automatisée peut prendre la forme d’un
véritable parcours du combattant pour
ces enfants dysexécutifs.
Le caractère hétérogène du syndrome
rend parfois difficile l’analyse neuropsy-
chologique, dans le sens où les épreuves
utilisées dans nos tests sont le plus souvent multidéterminées (c’est-à-dire
qu’elles impliquent simultanément de
nombreux processus cognitifs). Cela
oriente souvent le thérapeute vers des
diagnostics de multi-dys, voire parfois
de déficience intellectuelle (alors que ce
n’est en réalité pas le cas pour ces enfants, même si leur bilan semble parfois
l’indiquer). Seules certaines épreuves
(ex. le subtest « similitudes » du WISC 4)
moins sous-tendues par les fonctions
exécutives nous permettent de toucher
du doigt le potentiel de l’enfant.
Il y a enfin les manifestations psychologiques secondaires à ce syndrome. Elles
peuvent engendrer une forte baisse de
l’estime de soi, une appréhension de la
difficulté ainsi qu’une crainte de l’échec
pouvant évoluer en phobie scolaire
(nombre de phobies scolaires sont liées
à ce syndrome). Cette constellation est
la plupart du temps alimentée par une
incompréhension de la part de la famille, des équipes enseignantes et des enfants eux-mêmes.
VIGNETTE CLINIQUE : LIONEL
En avril 2016, nous recevions en hôpital
de jour le jeune Lionel, âgé de 12 ans et
9 mois, dans le cadre de difficultés scolaires liées à un trouble spécifique du
langage écrit (dyslexie/dysorthographie mixte sévère). Il était en sixième
après avoir redoublé le CM2. Lionel a
été adopté en Lettonie à l’âge de quatre
ans. Aucune information n’a été transmise concernant les premiers développements, si ce n’est l’indication d’une alcoolisation fœtale.
Lionel est en échec depuis toujours
concernant les mathématiques, se
montre en décalage lors du passage à
l’écrit et rencontre des difficultés pour
déchiffrer et comprendre les consignes.
Aucune prise en charge n’a été mise en
place, mais un projet d’aide personnalisé (PAP) permet à l’adolescent de pouvoir utiliser en classe une calculatrice
ainsi qu’une règle scanner.
Evaluation par le WISC 4
L’évaluation intellectuelle par le
WISC 4, datée de mars 2015, laissait enjanvier-février 2017
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trevoir un potentiel intellectuel dans la
norme des enfants de son âge : indice
de compréhension verbale (ICV) à 106.
Les scores intra-domaine, malgré leur
hétérogénéité (7-15), démontraient un
raisonnement abstrait et catégoriel
fonctionnel sur cette sphère. Le profil
de Lionel se démarquait en revanche
par un indice de raisonnement perceptif
(IRP) se situant à un niveau limite : 77.
Ce type de profil laisse généralement
suspecter des difficultés d’ordre visuopraxique ou bien attentionnelles, et nécessite des évaluations complémentaires poussées sur ces domaines pour
savoir s’il existe un syndrome dysexécutif, un TDA ou des troubles praxiques
(parfois associés).
Le subtest « cubes » pouvait laisser entrevoir une problématique visuoconstructive ou visuo-spatiale primaire,
mais, étant donné le rôle prépondérant
des fonctions exécutives dans ces
épreuves constructives, ce résultat ne
permettait pas d’affirmer la présence
d’un tel trouble.
Le subtest « matrices » est une épreuve à
choix multiples et reste donc très sensible à l’impulsivité ou, dans le cas de
notre syndrome, révélateur de persévérations ou de décisions paraissant être
le fait du hasard, l’enfant pouvant même désigner simultanément l’ensemble
des choix mis à sa disposition.
Les capacités en mémoire de travail et
en vitesse de traitement étaient quant à
elles déficitaires (indice de mémoire de
travail (IMT) : 62 ; indice de vitesse de
traitement (IVT) : 50), ce qui pouvait
corroborer l’hypothèse d’un TDA ou
d’une dyspraxie dont le type serait à
spécifier. N’oublions pas que l’IVT est
très sensible aux déficits visuo-spatiaux,
aux troubles de la sélectivité visuelle ou
même à l’impulsivité. Les subtests
« codes » et « symboles » mettent également en jeu la mémoire de travail visuelle et visuo-spatiale (déficitaire chez
Lionel), ce qui n’est pas le cas du subtest
« barrage » (normalisé dans son cas).
Bilan complémentaire en hôpital de jour
Après analyse des données anamnestiques et neuropsychologiques, nous
nous sommes rapidement orientés vers
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une hypothèse de TDA/H et/ou d’un
trouble exécutif primaire ou associé.
L’ensemble des évaluations complémentaires nous a tout d’abord permis d’écarter la présence d’un trouble visuo-spatial/constructif primaire, qui aurait pu
être à l’origine de l’hétérogénéité du
profil intellectuel. Par contre, le test de
la figure de Rey a objectivé un défaut de
planification primaire entravant totalement les capacités d’assemblage et donnant à l’étape de copie un aspect grandement déstructuré. Ce qui nous a permis
ici d’éliminer la présence d’un trouble visuo-spatial/constructif sous-jacent, c’est
bien la normalisation de la performance
à « l’étape de planification »*.
Quant aux épreuves exécutives, elles
pointèrent la présence d’un important
trouble de l’inhibition engendrant de régulières digressions, que ce soit dans le
discours ou dans les performances.
Le subtest « inhibition » de la NEPSY 2
mit en avant des scores pathologiques
sur les étapes mettant en jeu les aptitudes d’inhibition et de flexibilité mentale, un important coût cognitif s’y associant. Lionel se montra très concentré
face à la tâche, mais les pertes de
consignes étaient récurrentes (sensibilité à l’interférence secondaire au trouble
de la mémoire de travail), ce qui lui faisait commettre de nombreuses erreurs.
Les difficultés de flexibilité mentale ont
été une nouvelle fois révélées par le
subtest « catégorisation » de la NEPSY 2.
Sur cette épreuve, Lionel s’est montré
très concentré et volontaire. Il a réalisé
d’emblée une catégorie « incohérente »,
ne prenant appui sur aucun indice visuel. Nous n’avons relevé aucune stratégie d’extraction des données, l’adolescent procédant la plupart du temps par
tâtonnement. Ne trouvant plus aucun
critère, il finit par s’écarter de la consigne initiale pour réaliser un cercle
avec les cartes mises à sa disposition.
Lionel s’est montré également très distractible par son environnement
proche, sans que cela semble rendre
compte d’un trouble attentionnel primaire. Durant la consultation, il est resté constamment attiré par les affiches
murales et ne parvenait pas à s’empê-
cher de toucher les divers objets à proximité. Son attitude nous a semblé paradoxale : une attention à la fois totalement mobilisable sur les tâches en cours
et grandement friable lors des temps
sans activité. D’autre part, les parents
adoptifs de Lionel, au travers d’un questionnaire préalablement rempli, avaient
pointé que les difficultés attentionnelles
ne concernaient que la sphère scolaire,
ce qui appuyait l’hypothèse d’une manifestation secondaire.
Conclusion du bilan
En conclusion, nous évoquons la présence d’un trouble dysexécutif primaire,
certainement impliqué dans les aptitudes de déchiffrage et de compréhension en lecture. En revanche, nous ne
concluons pas à la présence d’un TDA,
même si l’ensemble des difficultés liées
au trouble exécutif de Lionel ne permettent pas une mobilisation optimale de
ses ressources au niveau écologique.
Le bilan permet donc de différencier un
TDA, que Lionel n’a pas, d’un syndrome
dysexécutif, ce qui est important pour la
stratégie thérapeutique.
LE TRAITEMENT : UNE
RÉHABILITATION POUR UNE
RÉADAPTATION AU MONDE
La prise en charge de ces enfants est
d’autant plus nécessaire que l’impact
de ce syndrome ne se limite pas à la
sphère scolaire : c’est toute la vie de
l’adulte en devenir, avec tout ce que
cela comprend, qui est en jeu (autonomie, relations sociales, vie professionnelle et familiale).
Des séances régulières auprès d’un neuropsychologue (idéalement 2 fois par
semaine) sont nécessaires dans ce
cadre, afin de donner à l’enfant des stratégies de contournement et de tenter de
renforcer certaines composantes (ex.
mémoire de travail). Un suivi psychothérapeutique peut y être associé, selon
l’impact psychologique manifesté, ainsi
que d’autres prises en charge (orthophonique, ergothérapeutique, etc.) s’il
existe des comorbidités.
La dimension psychoaffective de ce
trouble est complexe à déterminer : on
peut imaginer qu’un enfant préoccupé,
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soucieux, anxieux, dépressif, pris par
des conflits entre ses parents, va
perdre ses moyens, avoir la tête pleine
de soucis, n’arrivera pas à se concentrer, et que si la situation dure parce
qu’il est instrumentalisé, les troubles finiront par s’installer et le mettre en
échec scolaire. Un tel tableau ressemble beaucoup à un syndrome dysexécutif : la vignette clinique suivante
en est un exemple.
VIGNETTE CLINIQUE : ALEXANDRA
Alexandra est une jeune fille de treize
ans. Elle vient toujours accompagnée de
sa mère. Elle ne peut pas la quitter un
instant, se tournant vers elle quand je
lui pose une question. Elle n’a pas
d’amis, est très angoissée par le collège,
passe sa vie, soirées et week-ends compris, à travailler pour des résultats médiocres, voire très mauvais en mathématiques. Je suis très prudent car elle a
déjà vu plusieurs psys avec qui elle a
rompu quand ils ont voulu la voir seule.
La mère me dit qu’Alexandra a subi, petite, des attouchements de la part d’un
ami de la famille, ce dont elle n’a parlé
que récemment.
En outre, son père est depuis plusieurs
années à l’étranger en situation difficile,
à la limite de la légalité. Il lui écrit à son
anniversaire et communique avec elle
par Skype, mais elle en souffre car il a
l’air amaigri et semble avoir beaucoup
vieilli.
J’apprends également qu’elle est née
prématurée à 34 semaines d’aménorrhée (poids de naissance : 2,1 kg, périmètre crânien : 32 cm, taille : 47 cm,
Apgar : 10-10). Elle a parlé tard (sans
précision) et, en CP, a débuté une rééducation orthophonique, qui se poursuit davantage comme une aide à la
compréhension des textes et un soutien
psychologique qu’autre chose. Elle a
passé petite une WPPSI 3 avec la
conclusion qu’elle était déficiente (sans
plus de détails).
* Epreuve extraite du Projet FEE (fonctions exécutives chez
l’enfant), étude nationale multicentrique sous la coordination
d’Arnaud Roy, laboratoires de psychologie des universités
d’Angers et de Chambéry.
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& enfance
Alexandra est en classe de quatrième,
en échec total en maths et à un moindre
degré dans toutes les autres matières.
La mère dit qu’elle ne comprend pas
pourquoi sa fille ne comprend pas,
qu’elle n’a pas de logique, pas de mémoire, qu’elle travaille des heures avec
elle pour un résultat minime : les leçons
sont toujours à réapprendre et les notions à revoir en permanence, comme si
Alexandra « n’imprimait pas ». Un bilan
cognitif plus fin montre au WISC 4 une
dissociation ICV/IRP (103/69). Le suivi
est compliqué, car la jeune fille a déjà
essayé des séances de remédiation cognitive, mais elle n’a confiance qu’en sa
mère et n’a pas adhéré aux conseils et
exercices du neuropsychologue.
Nos entretiens, toujours avec sa mère
comme interprète des mouvements de
tête et des regards, tourne autour de ses
difficultés scolaires, et elle s’impatiente
quand nous évoquons ses relations
(inexistantes) avec ses camarades ou la
situation de son père. Malgré tout, elle
vient volontiers, et la mère me dit que
ça l’aide à mieux comprendre sa fille.
Alexandra a tous les symptômes d’un
syndrome dysexécutif et en est terriblement gênée dans ses apprentissages.
Ses échecs ont entraîné une mauvaise
Références
[1] LÉVY R. : « Syndrome dysexécutif cognitif : un déficit de l’administrateur de la mémoire de travail ? », Rev. Neuropsychol.,
2009 ; 1 : 34-41.
[2] FRYER-MORAND M., DELSOL R., NGUYEN D.B., RABUS M.T. :
« Le syndrome dysexécutif dans la maladie d’Alzheimer : à propos
estime d’elle-même, un retrait et un
isolement majoré par son histoire, laquelle ne peut expliquer à elle seule ses
problèmes cognitifs. Les troubles relationnels, l’angoisse, la dépression et
l’isolement social demeurent malgré
tout au premier plan, ainsi que le lien
fusionnel à la mère. On pourrait parfaitement évoquer un tableau purement
psychiatrique [7].
Que ce soit chez le patient atteint de
maladie d’Alzheimer ou chez l’enfant,
c’est toujours ce mélange et cette articulation entre éléments cognitifs et
psycho-affectifs qui font la difficulté et
la richesse de notre travail, le problème étant d’essayer de comprendre
comment se mêlent et s’articulent les
symptômes.
POUR CONCLURE
Le syndrome dysexécutif chez l’enfant
est paradoxal, puisqu’il touche de plein
fouet les fondations de l’intelligence
chez des jeunes par ailleurs intelligents
mais sur un mode atypique. Beaucoup
moins médiatisé que les autres troubles
faisant partie de la constellation dys, il
n’en demeure pas moins handicapant.
Il est parfois difficilement identifiable,
de 95 cas », Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie, 2008 ; 8 : 23-9.
[3] BOUBLIL M. : « Que reste-t-il de la psychose infantile ? », Pédiatrie pratique, 2004 ; 159 : 7-10.
[4] GIBELLO B. : L’enfant à l’intelligence troublée, Dunod, Paris,
2009.
[5] A titre d’exemple, ce cours aux enseignants du collège pour
promouvoir des méthodes pédagogiques pour les syndromes
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malgré l’évaluation neuropsychologique et l’analyse clinique, et constitue
pour le thérapeute en charge de la rééducation un enjeu de taille de par le
caractère multiple de la plainte. Pour
un médecin, ce qui est à retenir, c’est
qu’un enfant qui semble tout à fait intelligent mais se trouve en échec scolaire n’est pas un paresseux mais un enfant qui souffre peut-être d’un trouble
qu’il est intéressant de reconnaître pour
l’aider. Un bilan de niveau (type WPPSI 4 ou WISC 4 et bientôt 5) peut déjà
montrer une différence entre un ICV
normal ou élevé et un IRP déficitaire,
ce qui est une piste (comme une hyperleucocytose l’est pour une infection
bactérienne), le reste nécessitant une
synthèse d’équipe multidisciplinaire
pour un diagnostic précis.
L’existence d’une grande prématurité,
d’un SAF, de carences précoces (longs
placements en pouponnière), d'une cérébro-lésion ou d'un trouble psychiatrique peut orienter, mais ce diagnostic
demeure difficile à faire et à expliquer
aux parents comme aux enseignants,
qui sont souvent excédés par cet enfant
첸
« intelligent qui est en échec » !
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
dysexécutifs dans l’académie de Limoges : www.clg-eymoutiers.
ac-limoges.fr/sites/www.clg-eymoutiers.ac-limoges.fr/IMG/
pdf/Methodologie.pdf.
[6] MORET A., MAZEAU M. : Le syndrome dys-exécutif chez l’enfant et l’adolescent, Elsevier Masson, Paris, 2013.
[7] BOIMARE S. : Ces enfants empêchés de penser, Dunod, Paris, 2016 (2e édition).
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