Les troubles de la parole S. Borel-Maisonny

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S. Borel-Maisonny
Les troubles de la parole
In: L'année psychologique. 1966 vol. 66, n°1. pp. 167-179.
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Borel-Maisonny S. Les troubles de la parole. In: L'année psychologique. 1966 vol. 66, n°1. pp. 167-179.
doi : 10.3406/psy.1966.27883
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1966_num_66_1_27883
LES
TROUBLES
DE LA PAROLE
par Suzanne Borel-Maisonny
L'acquisition du langage se fait par voie orale : tout autre moyen est
artificiel. Parler suppose la connaissance d'une langue, c'est-à-dire sa com
préhension
et l'aptitude à s'y mouvoir assez facilement pour s'en servir
à son tour. Le discours pourra ensuite s'organiser en fonction de ce
qu'on veut exprimer. Et, alors, ou bien il restera purement mental,
seul témoin d'un langage intérieur, ou bien il s'extériorisera et c'est
la parole, ou, enfin, il s'exprimera par des symboles graphiques et c'est
l'écriture.
Le fait de parler implique une adhésion affective à ce mode d'expres
sion
et répond normalement à un besoin de communication ; il implique
également la possibilité de le faire sur le plan mécanique et sur le plan
sensoriel.
Pour reprendre la terminologie d'Ed. Pichon, le langage dérive de
la fonction appetitive et de ses régulations, de la fonction ordonnatrice
proprement linguistique et de la fonction réalisatrice dont ressortit
l'exécution physique par l'intermédiaire de processus neurophysiol
ogiques.
Il n'est donc pas d'acte plus complexe et où soient plus étroitement
intriqués le psychique et le physique : toute, rupture d'équilibre déter
mine un trouble plus particulièrement orienté dans un sens et pouvant
même n'intervenir que dans un domaine limité, facilement définissable.
Plus fréquemment, le désordre intéresse des domaines divers et les
réactions pathologiques s'additionnent et s'enchaînent.
Cependant, la nécessité d'un classement s'impose. On devra seule
ment se rappeler qu'il introduit, en même temps qu'une indispensable
clarté, des distinctions artificielles et, en tout cas, souvent plus simplistes
que ne le réalise la clinique.
De toute façon, il y aura lieu de considérer si le trouble de parole
s'est manifesté pendant l'installation du langage ou s'il est acquis par
suite d'un processus pathologique secondaire, le sujet ayant déjà l'usage
de la parole et la connaissance de la langue.
168
PATHOLOGIE DE L'INTÉGRATION DE LA PAROLE
ET DU LANGAGE
I. — Troubles mécaniques
Ils affectent massivement ou moyennement la réalisation motrice.
Il s'agit soit d'une pure erreur de mouvement, soit d'une association
de cette erreur à des troubles perceptifs, soit encore de troubles phoné
tiques provoqués par un empêchement organique (malformation orga
nique ou impotence d'ordre neurologique).
Dans le premier cas, on parlera de troubles d'articulation (A) ; dans
le second, de troubles de la parole (B) et, dans le troisième, on se servira
de l'expression troubles phonétiques — et parfois simplement pho
niques
(C) s'il s'agit de difficultés dérivant d'une malformation et de
l'expression, troubles dysarthriques (D), si les défauts dérivent d'un
état neurologique tant périphérique que central.
A) Troubles d'articulation1 ou de prononciation
Ce sont des erreurs mécaniques et constantes dans l'exécution du
mouvement propre à un phonème. Elles se manifestent pour les voyelles
comme pour les consonnes, bien qu'avec une moindre fréquence, leur
exécution, pour le sujet auditivement intact, étant plus aisée que celle
de certaines consonnes. Pour ces dernières, il est exceptionnel que les
labiales p b m soient faussées et les sourdes son tmoins souvent atteintes
que les sonores ; des substitutions d'une occlusive à l'autre se présentent
pour celles dont le mouvement ne se voit pas (Ar t ; g d). Les consonnes
le plus souvent atteintes sont celles de la série constrictive ch s f ; / z v ;
y r (guttural supérieur). On voit aussi des erreurs dans l'exécution de n
et l en position linguo-dorsale au lieu d'être apicale ou linguale antérieure.
Toutes les erreurs concernant les constrictives se nomment des
sigmatismes (à cause de Y s représentatif de cette série). On parlera donc
de sigmatisme interdental (zozotement, zézaiement) ou addental — fait
de prononcer en plaçant la langue soit entre les dents, soit trop près
des incisives. Auditivement, le bruit est faux et acoustiquement le
spectre est privé d'une partie de sa bande la plus aiguë ; le sigmatisme
est dit latéral (schlintement) si le sujet, au lieu de laisser l'air s'écouler
par une gouttière centrale, le laisse sortir bi ou unilatéralement ; le
sigmatisme sera dorsal si la zone de constriction est plus postérieure que
normalement, la langue se relevant en dôme vers le palais dans la région
moyenne (son intermédiaire en un y et un / espagnol). On parlera de
sigmatisme guttural si la constriction se produit au niveau de la glotte
1. La liste que nous en donnons ne tient compte que d'une langue, le
français ; mais, dans toute autre langue, ces erreurs motrices et purement
fonctionnelles peuvent se manifester ; elles seront toujours une exécution
maladroite d'un phonème type de la langue et porteront toujours sur les
mouvements les plus difficiles et les sons les moins aisés à identifier.
S. TSOREL-MAISONNY.
LES TROUBLES DE LA PAROLE
1.G9
avec accompagement d'un mouvement de la base de la langue vers la
paroi postérieure du pharynx inférieur : le son est analogue à celui
du souffle rauque émis pour ces mêmes consonnes par les sujets atteints
d'insuffisance vélaire grave. Le sigmatisme nasal est l'émission d'air
par la voie nasale seule, des consonnes ch s f j z v, sans qu'il y ait insuff
isance vélaire, les autres phonèmes oraux étant exempts de nasalité :
le sujet ferme le canal buccal en appuyant sa langue au palais dans la
position de K, l'air ne peut s'écouler que par le nez. Toutes les constrictives, y compris f et v peuvent être atteintes de ces défauts, car le sujet
les conçoit et les reproduit dans un même système faux ; mais, souvent,
seules sont atteintes ch s j z, dont le mécanisme ne se voit pas.
L'assourdissement. — On nomme ainsi une erreur mécanique qui
se traduit par l'absence de toute sonorité laryngée pendant les occlu
sives b d g, ou pendant les constrictives / z v. Le sujet exagère la tension
musculaire au cours de l'exécution du phonème et empêche ainsi le
délicat équilibre des forces permettant la réalisation mécanique laryngée
adéquate. A savoir, pour les occlusives, vibration réduite dans une
cavité fermée et légèrement surpressée et, pour les constrictives, alter
nance rapide des ouvertures avec émission d'air et des temps de
rapprochement des cordes vocales indispensables à la production du son.
Anomalies de la nasalisation. — En dehors de toute atteinte orga
nique,
il se produit parfois des erreurs de mécanisme en ce domaine ;
la communication oro-nasale ne se produisant pas, il en résulte des
sons qui, pour gn n m, donnent à l'audition une impression de « nez
bouché » (rhinolalie fermée) et les voyelles an on in un prennent un
imbre voisin de la voyelle pure correspondante.
L'attitude inverse — déperdition d'air par le nez — pour les pho
nèmes
oraux, tolerable dans une très faible proportion, s'entend comme
du nasonnement dès que se manifeste une modification du timbre due
à l'adjonction de la cavité nasale. Acoustiquement, la structure du
spectre sonore est modifiée. Cet état ne se produit que si le voile ne peut
fermer le pharynx : il s'associe alors à d'autres manifestations d'insuffi
sance
vélaire et constitue un trouble organique (cf. plus loin).
Les langues ont, vis-à-vis de la nasalité, une tolérance différente,
plus grande dans les idiomes qui ne connaissent pas les voyelles nasales
et n'ont pas besoin, à cet égard, d'une différenciation si précise. Le
nasonnement — aggravation du timbre — ne doit pas être confondu
avec le nasillement, qui se traduit auditivement par un timbre plus
aigu dit nasillard. Physiologiquement, cette émission exige une attitude
exagérément contractée des muscles du pharynx. Acoustiquement, le
spectre sonore devient plus dense, notamment dans les bandes aiguës
et s'étend plus loin.
Anomalies de la voix parlée. —- Les troubles de la voix non chantée
sont inséparables de la parole, qui peut n'être altérée que dans son
timbre ou son émission : il ne faudra pas confondre ces erreurs fonc
tionnelles
avec des fautes d'articulation. La voix peut être rauque
170
NOTES
(raucité vocale des enfants qui crient trop), détimbrée (émise avec un
écartement trop grand des cordes vocales), aggravée ou, au contraire,
émise dans un registre trop aigu pour le sujet.
B) Troubles de la parole
Les altérations n'intéressent plus les phonèmes, tout au moins dans
la syllabe simple. Par exemple, l'enfant saura dire la et pin, mais ne
pourra pas dire lapin, qui deviendra papin, pinpin... C'est la forme du
mot qui ne peut être reproduite exactement.
Les déformations habituelles portent sur :
— l'omission de la consonne finale en syllabe fermée : ta, ro — table, robe ;
— la simplification des syllabes complexes : poè pleure, ro gros ;
— l'omission des consonnes en position peu audible ou malaisée à
articulier : tasi = taxi ; pot = poste ;
— l'abrègement des mots sentis comme trop longs : />api-parapluie ;
bé — tombé.
Des tests permettent de classer ces défauts au moment de l'examen
phonétique.
Ces défauts s'accentuent encore au cours d'une phrase, jusqu'à ne
plus comporter, parfois, que quelques mots significatifs enrobés dans
un ensemble mélodico-rythmique informe quant à la prononciation.
Cet état peut coexister avec des troubles de l'articulation, tels qu'ils
ont été décrits dans le paragraphe A.
9
C) Troubles phonétiques liés à des malformations organiques :
bec-de-lièvre, division palatine, insuffisance çélaire
Si le voile ne peut occlure le pharynx, il en résulte de la nasalité :
déperdition nasale ou fuite d'air permanente par le nez, nasonnement ou
altération générale du timbre de la voix, surtout sensible dans les voyelles.
Si l'insuffisance du voile est très importante, le sujet substitue, aux
mécanismes normaux des consonnes orales, des mécanismes de compens
ation. Grosso modo, les occlusives deviennent des coups de glotte et les
constrictives des souffles gutturaux. L'accolement et le décollement des
cordes vocales donnent une impression auditive d'occlusive brève. Le
resserrement anormal des cordes vocales au moment de l'émission du
souffle réalise des sibilances de remplacement que le sujet arrive parfois
à différencier en sourdes et sonores. Les malformations de l'articulé et
de l'arcade dentaire dans le bec-de-lièvre entraînent des imprécisions
articulatoires parfois inévitables et ne relèvent que de l'orthodontie.
Les autres malformations congénitales entraînant des troubles pho
nétiques
sont très rares (malformations linguales, labiales ou laryngées).
D) Troubles dysarthriques
Ce sont des manifestations motrices déréglées et non systématiques,
résultant d'impotences causées par des états pathologiques du système
nerveux à un étage cérébral ou périphérique quelconque.
S. BOKEL-MAISONNY.
LES TROUBLES DE LA PAROLE
171
Du point de vue fonctionnel, il y a des paralysies ou parésies de deux
types. Dans la paralysie flasque, le mouvement de l'organe intéressé est
impossible. Le territoire touché peut être plus ou moins étendu : lèvreslangue, voile, pharynx et même larynx. Pour ce dernier, la paralysie
en abduction ne permet pas l'émission de la voix ; quant à la paralysie
totale en adduction, elle est incompatible avec la respiration, donc
avec la vie ; elle n'est pas du ressort de cet article.
Dans les paralysies avec attitude hypertonique, les contractures
gênent le mouvement de la phonation et de la parole, entraînent des
dyssynergies, mais n'empêchent pas totalement l'émission de la parole,
dont les gestes demeurent plus ou moins incoordonnés et laborieux.
L'athétose et les tremblements qui peuvent accompagner divers états
neurologiques causent de grandes difficultés arthriques.
Dans les paralysies nerveuses unilatérales intéressant les lèvres, la
langue, le voile ou le larynx, une compensation très importante a lieu
grâce au côté non lésé et la parole demeure intelligible.
Toutes les difficultés d'émission et d'articulation, énumérées en A,
B, C, D, concernant un état physique et les altérations seront donc en
principe purement mécaniques. En fait, dans les troubles de parole
mentionnés (B), interviennent des facteurs autres que la maladresse
ou l'incapacité motrice. Outre l'incapacité de trouver le geste adéquat
au phonème à émettre, il y a des difficultés mnésiques : le souvenir du
mot ou des sons entendus est trop imprécis pour en permettre la repro
duction
; la perception en est parfois faussée et le temps nécessaire
à la saisir de l'ensemble entendu est considérablement augmenté.
La représentation mentale est donc impossible dans les conditions
normales.
Il en résulte que les défauts examinés en A, B, C, D, seront inégale
mentamendables. La rééducation des premiers (A) est toujours pos
sible ; les troubles de parole tendent à une atténuation spontanée et
seront rééduqués à la fois sur le plan mécanique et sur le plan perceptif,
à l'âge où les apprentissages scolaires demandent leur correction.
Les troubles énumérés en C sont passibles d'une rééducation, mais
nécessitent, au premier chef, soit l'intervention du chirurgien, soit celle
du stomatologiste.
Les troubles énumérés en D dépendant d'états organiques peu ou
pas modifiables pourront être diminués par un fonctionnement plus
judicieux — c'est le rôle de la rééducation — mais leur suppression
complète n'est évidemment pas possible.
II. — Troubles psycho-linguistiques
Le désordre est plus profond, car il se situe au niveau du langage ;
il dépend des aptitudes mentales du sujet ou de son psychisme. Les
manifestations linguistiques peuvent apparaître seulement quand la
parole est devenue assez intelligible pour que l'auditeur en analyse les
composantes.
172
NOTES
II y a trouble du langage quand la structure même de la phrase est
atteinte. Cette atteinte se manifeste de plusieurs manières :
1. Phrase formée par une simple juxtaposition des sémantèmes :
poter maison petit pou (= je voudrais emporter à la maison les
petites boules), c? 5 ans, veut emporter chez lui un boulier aux
perles séduisantes.
2. L'ordre logique de la langue n'est pas respecté : lapin manger
chien = le chien veut manger le lapin.
3. Confusion de l'article et de l'adjectif numéral : un chat, un chat,
un chat = des chats, et procédés incorrects de dénombrement :
bonbon, bonbon-deux.
4. Absence du pronom complément et parfois du pronom sujet :
donne panier (donne-moi le panier) ; veux aller tout seul.
5. Erreurs dans l'expression de la cause : Veux pas pourquoi pas bon
(pourquoi = parce que).
6. Incapacité de motiver verbalement un choix : l'est beau... pakoe
(parce que) l'est beau.
7. L'expression de l'espace est hésitante : confusions sur, sous, dessus,
dessous, devant, derrière.
8. Les mots désignant le temps — hier, aujourd'hui, demain — sont
employés au hasard ; sans doute le temps lui-même est-il mal
apprécié : « II est venu demain, papa. » « Quand c'est hier, maman ? »
9. Les expressions entendues donnent lieu à de nombreux contresens
ou bévues et qui persisteront longtemps : Dieu a envoyé les confetti
( = prophéties), 11 ans ; Saint Thomas d'Aquin devient : un saint
homme taquin, etc.
10. Le discours est parsemé de barbarismes : il prenait le train, il fara
beau (8 ans) ; je m'enr'irai (je m'en irai de nouveau) (7 ans) et de
mots déformés : l'alérée la gopou pa (— l'araignée a beaucoup de
pattes ; Ç 4 ans 1/2, etc.
Les cas de retard de langage sont d'une grande fréquence. Retard
d'apparition ou de développement : on peut considérer qu'il y a une
anomalie quand, entre 2 et 3 ans, l'enfant ne se met pas à parler et si,
à partir de ce début, les progrès ne sont pas rapides et conformes à
l'habitude.
Il faudra alors examiner l'enfant. Il est possible qu'il présente un
retard global de l'intelligence - — on pratiquera un test non verbal1 —
une débilité motrice importante ou une surdité partielle méconnue.
On les décèlera par des examens appropriés.
Le retard mental doit être recherché au moyen de tests. En effet,
une arriération profonde est, en général, décelable à première vue et
si un enfant n'est pas parvenu au langage parce qu'il est idiot, il n'est
pas besoin d'examen prolongé pour s'en rendre compte ; mais un certain
1. S. Borel-Maisonny, Langage oral et écrit, vol. II, Delachaux & Niestlé.
S. BOREL-MAISONNY.
LES TROUBLES DE LA PAROLE
173
degré de retard mental peut très bien passer inaperçu. En revanche,
certains sujets sont desservis par leur physique. Il faut savoir que, si
les troubles de parole sont fréquents chez les sujets mentalement en
retard, ils ne sont absolument pas une preuve d'inintelligence. On doit,
au moyen d'épreuves d'aptitudes variées, rechercher les lacunes
motrices, sensorielles ou mentales qui expliquent l'état du langage.
Les deux facteurs essentiels d'un pronostic favorable sont un niveau
mental normal et une bonne compréhension du langage. S'il y a des
troubles de la compréhension du langage parlé avec un bon quotient
intellectuel (Q.I.), il y a lieu de suspecter l'audition. Si l'audition ellemême est normale, le pronostic devient plus sombre. Quand le trouble
porte totalement ou essentiellement sur l'expression, on parle de retard
simple de la parole ; mais si l'évolution est lente et que l'enfant n'arrive
à s'exprimer que de façon agrammatique et rudimentaire, on parlera
d'audi-mutité idiopathique.
L'étiologie de ces cas graves reste obscure. De toute façon, l'établi
ssement de la parole est profondément compromis par des difficultés
mnésiques, des troubles de perception, un temps d'analyse auditive
anormal et parfois une importante débilité motrice.
Les exemples ci-dessus concernent l'expression. On voit, cependant,
que celle-ci trahit parfois des erreurs de compréhension.
Dans les retards de parole, en effet, il y a un décalage habituel entre
le niveau de compréhension et celui de réalisation.
Le sujet comprend mieux qu'il ne parle, ce qui est d'un bon pronostic
si, par ailleurs, l'intelligence est normale. Mais il arrive que la compréhens
ion
elle-même soit amoindrie — il faut ralentir pour se faire comprendre ;
employer des formes simples ; éviter les mots qui risquent d'introduire
des confusions : une formule agrammatique telle que : petit chienqueue ; gros chien-tête, sera saisie et non la phrase correcte : la queue du
petit chien, la tête du gros chien. Plus tard, arrivés à l'âge scolaire, ces
enfants sont très dysorthographiques, faute de comprendre exactement
le texte dicté1.
Dans les cas graves, l'enfant ne comprend pas la phrase, si ce n'est
dans des associations invariables sans cesse répétées et entendues en
« situation favorable ». « Viens manger ; va mettre ton manteau ; dis
bonjour à papa... » On dit qu'ils sont atteints de surdité verbale2. Sous
la forme pure, ces cas sont d'une extrême rareté. Il en existe néanmoins
des exemples incontestables. Mais d'ordinaire, le sujet présente soit du
retard mental, soit une surdité organique, soit des troubles psychiques
qui expliquent également son état et ne permettent pas de le considérer
comme atteint d'une simple agnosie du langage.
Médicalement, il ne semble pas qu'il existe de remède à ces états,
1. S. Borel-Maisonny, Langage oral et écrit, Delachaux, vol. I.
2. J. de Ajuriaguerra, S. Borel-Maisonny, R. Diatkine et M. Stambak,
Psychiatrie de Venfant, vol. I, fasc. 1, « Le groupe des audimutités ».
174
NOTES
mais ils sont susceptibles d'une éducation spéciale qui doit être appro
priée au trouble. Tantôt on fera des exercices d'articulation, tantôt on
prendra soin de les éviter en faisant porter Pefïort sur la compréhension
du langage ; d'autres fois, sur des exercices de mémorisation des sons
et des mots ; d'autres fois encore, on se servira des facilitations que
peuvent apporter la mélodie et le rythme. Il faudra, en tout cas, toujours
éviter de laisser s'établir une attitude d'anxiété et d'effort excessif,
tant chez les parents que chez les enfants. Ceux-ci, en effet, sont très
sensibles à leur état, dont ils prennent vite conscience et qui les infé
riorise
vis-à-vis des enfants de leur âge. Bien que, pour le retard simple
de la parole, l'évolution spontanée soit favorable, il vaut presque tou
jours
mieux rééduquer, mais au bon moment. Quant aux cas dans
lesquels interviennent d'autres causes, il faut absolument les soumettre
à une éducation appropriée, qui sera parfois longue et toujours complexe.
Un seul facteur est rédhibitoire : un niveau mental trop bas.
III. — Troubles d'acquisition de la parole
LIÉS A DES FACTEURS PSYCHIQUES
Quand un enfant ne parle pas, les parents ont tendance à incriminer
sa paresse ou son non-vouloir, surtout s'il est évident qu'il comprend la
parole. En fait, les refus de parler sont rares et, quand ils se produisent,
ils sont toujours liés à un comportement psychique anormal en d'autres
points : l'enfant normal cherche à communiquer avec autrui et, s'il ne le
fait pas, c'est qu'il ne peut pas ; il se sert alors de moyens accessoires
notamment de la mimique et de l'intonation pour se faire comprendre
et se met en colère quand il n'y parvient pas (cf. attitude psychique
des enfants sourds) ; puis, si l'effort s'avère trop grand et trop long, il
renonce.
Mais dans d'autres cas, il apparaît que le petit enfant n'est pas
désireux de parler ; on ne peut même pas parvenir à savoir de façon
certaine s'il comprend la parole et même s'il entend. Par ailleurs, son
comportement est bizarre. Il est indifférent à ses parents, ne s'intéresspas aux êtres vivants, mais seulement à certains objets — de préférence
aux formes géométriques ; il semble retrait en lui-même et cette forte
composante autistique peut faire craindre une schizophrénie ultérieure.
Dans d'autres cas, l'enfant semble être psychiquement normal et
ne se refuse qu'à la parole, quelquefois totalement, d'autres fois seule
ment devant témoin : il s'agit d'un mutisme qui peut résulter d'un
choc affectif grave — par exemple, désintérêt maternel vis-à-vis de
l'enfant ou quelque autre événement ayant psychiquement marqué
un être trop fragile.
Opposée à cette attitude, est celle de l'enfant pathologiquement
bavard, toujours en état de surexcitation psychique et qui parle sans
pouvoir s'arrêter. Il s'agit là d'un processus bénin si l'enfant reste bien
en contact avec le réel et est capable de se taire pour écouter. En
S. BOREL-MAISONNY. — LES TROUBLES DE LA PAROLE
175
revanche, l'incapacité de freiner les images auditives qui se déroulent
comme dans un film, s'enchaînent inexorablement et reproduisent, tel
un enregistrement, des scènes vécues ou imaginaires, est un état de
logorrhée véritablement grave. Dans ces cas, d'ailleurs, il est fréquent
que le sujet se projette dans son discours, comme un personnage étranger,
parlant de lui-même à la troisième personne, puis exprimant sans
transition le discours de son interlocuteur fictif ou autrefois réel. Il ne
s'agit plus là, à la vérité, de troubles de la parole et du langage, ceux-ci
servant de véhicule et d'exutoire à des états mentaux nettement patho
logiques.
Dans ces états d'étiologie complexe, nous classerons également les
dissociations qui aboutissent à isoler l'expression mélodico-rythmique
de l'expression articulée et parlée, l'enfant ne gardant de la parole que
l'intonation et le rythme. Cet état s'oppose à certaines amélodies et
arythmies qu'on observe dans des états d'encéphalite ayant touché
profondément le mentalisme du sujet.
Le bégaiement. — C'est à dessein que nous lui donnons une place
à part. L'étiologie de ce trouble demeure controversée.
Grosso modo, l'examen des causes possibles donnera lieu à des prises
de position diverses qu'on pourra exprimer comme suit :
— Le bégaiement, conséquence d'un état neurologique anormal.
On citera particulièrement Seeman, qui le fait dériver d'anomalies de
la zone strio-pallidée. L'étiologie neurologique a été récemment discutée
au cours d'un rapport et considérée comme irrecevable (M. Cl. Launay).
— Le bégaiement d'origine purement psychogène. En faveur de
cette thèse, souvent soutenue, se trouve l'apparition brusque et tar
dive (10 à 15 ans) de ce trouble chez des sujets indemnes de toute ano
malie
de parole jusqu'à ce moment. Mais ces cas constituent une infime
minorité et un interrogatoire attentif révèle souvent l'existence de
troubles discrets depuis la petite enfance, un incident récent n'ayant
servi que de facteur déclenchant et aggravant.
— Le bégaiement découlerait d'un trouble auditif. Selon cette
thèse récente, le bégaiement se manifesterait par suite d'une anomalie
auditive : les deux oreilles n'entendant pas également bien, il en résul
terait un décalage des sensations acoustiques dans le temps. Mais les
théories audiogènes n'expliquent pas l'intermittence du trouble qui ne
se manifeste quasi jamais quand le sujet parle sans témoin et n'expli
quent pas davantage les troubles linguistiques plus ou moins discrets
qui l'accompagnent.
— Le bégaiement serait lié à un trouble endocrinien. Les anomalies
des sécrétions hypophysaires, notamment, joueraient un rôle décisif
dans sa genèse. Cette théorie est assez rarement soutenue.
—■ Le bégaiement dériverait d'anomalies du système neuro-végétatif
ou encore d'un dérèglement du sympathique ou du parasympathique.
Des troubles de cet ordre accompagnent très souvent le bégaiement,
mais il est difficile de prouver qu'ils en sont la cause.
176
NOTES
— Le bégaiement résulterait essentiellement d'un trouble du lan
gage.
En faveur de cette thèse, il y a plusieurs arguments :
1) II apparaît dans une très forte proportion chez des sujets ayant
eu du retard de parole. Plus de 60 % des enfants ayant parlé tard ou mal
présentant de façon plus ou moins persistante un bégaiement évolutif.
2) Même chez les sujets qui n'ont eu, en apparence, aucun trouble
de parole — on cite en effet des cas d'apparition du bégaiement chez
des enfants ayant été linguistiquement précoces — il est facile de
déceler des signes d'un trouble expressif. Celui-ci se manifeste par des
lapsus, des liaisons fausses, des structurations phrastiques artificielles.
Les difficultés paraissent se situer dans le temps qui s'écoule entre
l'aperception de l'idée et le jaillissement de l'expression. Le bègue manque
d'immédiatité linguistique (Pichon). Sa pensée a une forme plus « sensuactorielle » que « lingui-spéculative ».
L'absence de bégaiement, quand le sujet est seul, n'improuve pas
cette manière de voir. En effet, quand il n'est pas ému ou inquiet, le
sujet est en possession de tous ses moyens qui diminuent dans le cas
contraire et ne lui permettent pas de garder une aisance expressive
suffisante.
— Le bégaiement dériverait d'une dominance hémisphérique mal
établie. Cette affirmation concerne également les retards de parole.
Les tenants de cette théorie font remarquer que les troubles de parole
apparaissent électivement chez les sujets gauchers. On affirme, d'autre
part, que ce sont surtout les individus ayant une dominance croisée
(gaucher du pied, droitier de la main, etc.), qui sont atteints de bégaie
mentet les ambidextres plus que les gauchers francs. Mais cette étiologie peut difficilement être retenue, car il y a un pourcentage important
de bégaiements graves chez des sujets absolument droitiers.
On trouve encore des théories respiratoires, des théories motrices, etc.
Il semble qu'on puisse conclure que le bégaiement est un trouble
complexe où la participation psychique est certaine, mais s'est concré
tiséesous cette forme précisément parce qu'il y a une fragilité et une
maladresse linguistique préexistantes. Le retard moteur joue souvent
un rôle à l'âge où l'élément gestuel de la parole est prédominant. A noter
qu'un très grand nombre d'enfants bègues est atteint de défauts d'art
iculation
— ce qui est la preuve incontestable d'une maladresse motrice
des organes phonateurs.
D'autre part, on n'oubliera pas que l'enfance est l'âge des condi
tionnements
et qu'une habitude créée peut être très difficile à dissoudre.
Il n'est pas indifférent d'adhérer à une théorie pathogénique ou à
une autre, puisque la thérapeutique en découlera. Le fait que le bégaie
ment a une composante psychique importante est cause que toutes
sortes de traitements peuvent agir, au moins temporairement et partiell
ement.
Un traitement causal est d'ailleurs rarement possible chez un
adulte, surtout si on considère l'aspect purement linguistique. On se
borne à donner au sujet les moyens de composer avec ses difficultés et
S. BOREL-MAISONNY.
LES TROUBLES DE LA PAROLE
177
on lui fournit une technique rationnelle de parole : ponctuer, ne pas
attaquer de façon trop intense, marquer l'accent tonique, procéder par
rhèses, s'aider du rythme, etc. Chez l'enfant, en revanche, la rééducation
pourra ne pas être seulement symptomatique et, en agissant au moment
favorable, il est fréquent de voir le désordre disparaître définitivement.
Dans certains cas, les facteurs psychiques sont tellement prépondér
ants
qu'un traitement psychiatrique s'impose. Médicalement, il n'y a
guère que des tranquillisants qui agissent comme adjuvants soit de la
cure psychiatrique, soit de la rééducation.
Il y a donc intérêt, la plupart du temps, en présence de ce trouble,
à agir avant que ne se soient installés des conditionnements rigides.
Mais la participation du sujet est requise plus que pour toute autre
rééducation ; il s'ensuit qu'elle ne peut être pratiquée chez un sujet prêt
à s'y opposer. Le pronostic de guérison n'est donc pas si assuré que pour
les autres troubles de la parole.
On considérera, en outre, que le bégaiement a été classé ici dans les
troubles <T acquisition de la parole et du langage, puisque, le plus souvent,
il s'installe dès les premières phrases constituées, de façon d'abord
discrète et intermittente, pour se fixer enfin après deux ou trois ans
d'évolution. Parfois, il y a régression spontanée, ce qui est cause du
conseil trop souvent donné : attendez, ça s'arrangera. L'âge habituel
de l'aggravation est l'adolescence ; cet état est souvent suivi d'une
amélioration spontanée. Néanmoins, il est des adultes chez qui le trouble
demeure massif, entraînant avec lui de graves conséquences psychiques
et sociales.
Cependant, il y a des cas où, après une période de parole au moins
subnormale, le bégaiement s'installe brutalement. On ne saurait parler
alors de désintégration de la parole ou du langage. C'est uniquement
sous l'empire de facteurs psychiques que l'état s'aggrave ou s'amélicre.
EXPOSÉ SOMMAIRE DE DIVERSES FORMES
DE DÉSINTÉGRATION DE LA PAROLE
Nous avons considéré jusqu'ici les troubles de parole apparaissant
au cours de son établissement. Nous examinerons ensuite les désordres
qui se manifestent dans la détérioration acquise du langage.
On peut les classer sous plusieurs rubriques :
1) Troubles liés à une destruction sensorielle (surdité) ;
2) Troubles liés à une destruction organique (lésions neurologiques) ;
3) Troubles liés à une désintégration mentale.
1) Dans les surdités précoces
Les traitements à la streptomycine ont évité la mort à un grand
nombre d'enfants atteints de méningite ou méningo-encéphalite, notam
ment tuberculeuse, mais en laissant très souvent pour séquelles une
A. PSYCIIOL. 66
12
178
NOTES
surdité bilatérale pratiquement totale. Or, suivant l'âge du sujet et le
temps depuis lequel il parlait, on a assisté à des destructions de la parole
et du langage dans des conditions quasi expérimentales. Jusqu'à un
âge avancé, 12 ans, 15 ans, 18 ans chez l'un des sujets, la surdité cause,
au bout de quelque temps, des altérations diverses dans la manière de
parler : l'intonation devient moins expressive, l'articulation floue,
surtout dans les constrictives ; et les voyelles tendent à s'uniformiser
(imprécision de o oe u ou et des nasales, notamment). Mais le langage
ne subit aucun dommage.
En revanche, si la surdité frappe un sujet qui ne parle couramment
que depuis deux ou trois ans, le langage subit des détériorations mas
sives allant jusqu'à un oubli complet. Pratiquement, si un enfant de
moins de six ans devient sourd et qu'il ne soit pas essayé, aussitôt que
faire se peut, de maintenir et développer à tout prix les acquisitions
linguistiques, le jeune sourd devient inexorablement un sourd-muet.
Plus on s'éloigne de l'âge où la parole constitue un éblouissant mais
fragile acquis, et moins les détériorations sont graves.
Il y a un ordre temporel dans les détériorations, tant phonétiques
que linguistiques. Disparaissent d'abord, en ce domaine, les mots de
rapport, puis les articles et, enfin, la phrase devient agrammatique.
Il faut, pour sauver la parole, rendre conscients les mécanismes d'arti
culation,
enseigner la lecture et développer l'observation mimique et
gestuelle de la parole (labio-lecture).
2) Dans les lésions neurologiques
Nous n'en parlerons que succinctement, ce problème demandant
des développements particuliers.
A) Les aphasies
Suivant la zone cérébrale lésée, les détériorations sont caractérisées
par une atteinte motrice ; le sujet bredouille, il est dysarthrique et
apraxique ; ou bien il ne comprend plus la parole — perte partielle ou
totale, les mots isolés étant, en général, plus oubliés que les phrases
simples — et d'ailleurs inégalement « perdus » suivant leur catégorie :
c'est la surdité verbale. Si le sujet ne peut plus comprendre la lecture,
on parlera d'alexie et s'il ne sait plus écrire d'agraphie, ces dernières
incapacités étant parfoisn ettement séparées, mais faisant toutes partie
du tableau de l'aphasie chez l'adulte.
Chez l'enfant jeune, au rebours de ce qui se passe pour la surdité,
la perte du langage qui suit une hémiplégie traumatique ou infectieuse
est généralement transitoire : l'enfant peut même rester hémiplégique
et retrouver totalement l'usage de la parole. Les, détériorations, s'il y
en a, semblent porter plutôt sur le caractère et le comportement. Il
semble que l'âge de 7 ans constitue la limite au-delà de laquelle on a de
moins en moins de chance d'échapper à des destructions linguistiques
durables ou définitives et rappelant celles de l'adulte.
S. BOBEL-MAISONNY.
LES TROUBLES DE LA PAROLE
179
B) Les chorées et autres troubles
Les autres formes de détériorations liées à des états neurologiques
se voient dans les chorées, les troubles parkinsoniens, les lésions bulbaires
et pseudo-bulbaires, les lésions cérébelleuses. Suivant l'âge du sujet, la
gravité et le siège des lésions, la parole sera atteinte de façon typique.
Ces lésions ayant d'ailleurs un aspect évolutif et les destructions atte
ignant parfois l'intelligence même du sujet (paralysie générale), il s'en
suit que leur étude systématique a moins d'intérêt. Grosso modo, elles
se manifestent par des incapacités physiques (athétose, tremblement,
lenteur), difficulté ou incapacité des mouvements nécessaires à la
phonation ou leur incoordination. Sur le plan psycho-intellectuel, sui
vant la diffusion des lésions, il peut y avoir ou n'y avoir pas de troubles
généraux se traduisant dans le langage. Celui-ci risque d'ailleurs long
temps de faire illusion, grâce aux automatismes conservés.
3) Dans les états mentaux
La parole est si intimement liée à la personnalité qu'une altération
profonde de celle-ci va rarement sans une atteinte verbale.
Dans certaines démences, la voix devient monotone, la mélodie
stéréotypée, l'aliénation se trahit par une sorte de dépersonnalisation.
Dans la schizophrénie chez l'enfant, l'intonation est parfois un des
facteurs caractéristiques du diagnostic, le sujet parlant comme à la
cantonade, sans que rien n'indique qu'il s'adresse à une personne déter
minée dont il attendrait réponse ou réaction.
L'excitation mentale de caractère pathologique se traduit par une
accélération du débit et une parole hypertonique ; mais il n'y a pas là
altération du langage proprement dit ou du moins, quand elle se manif
este, c'est à titre de composante d'un trouble plus profond et plus
complexe.
En résumé l'ensemble des troubles de la parole et du langage se
manifestant au cours de leur installation ou de leur désagrégation se
répartissent en catégories bien différentes dont l'essai de classement
ci-dessus donne un aperçu. Mais cliniquement, il se présente de nom
breux cas où ces formes s'associent, notamment les troubles de prononc
iation et les retards de parole qui constituent un des syndromes les
plus courants des anomalies de l'installation du langage. Les désorga
nisations de la parole et du langage, par suite de surdité ou de troubles
psychiques, ne sont que secondairement un trouble du langage.
BIBLIOGRAPHIE
Ajuriaguerra (.1. de), Borel-Maisonny (S.), Diatkine (R.), Stambak (M.).
— Le groupe des audimutités, Psychiatrie de Venfant, I, 1958, 1-58.
Borel-Maisonny (S.). — Langage oral el écril, 2 vol., Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, I960.
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