D O S S I E R Paralysie laryngée unilatérale après chirurgie de la glande thyroïde Unilateral laryngeal nerve paralysis after surgery of the thyroid gland ● O. Laccourreye*, L. El Sharkawy*, S. Hans* Résumé : Cette mise au point aborde les données récentes concernant la physiologie, l’épidémiologie, le diagnostic, le pronostic et le traitement de la paralysie laryngée unilatérale après chirurgie de la glande thyroïde. Mots-clés : Paralysie laryngée unilatérale - Thyroïde. Summary: In this report, the authors analyse and summarize recent reported data documenting the physiology, the epidemiology, the diagnosis, the outcome, and the treatment of unilateral laryngeal nerve paralysis after surgery of the thyroid gland. Keywords: Unilateral laryngeal nerve paralysis - Thyroid gland. PHYSIOLOGIE Diverses théories ont été proposées pour expliquer les différentes conformations laryngées observées en présence d’une paralysie laryngée unilatérale après chirurgie de la glande thyroïde. Il est ainsi classique de lire que l’absence d’atteinte du contingent nerveux véhiculé par le nerf laryngé supérieur, et donc l’intégrité de fonction du muscle crico-thyroïdien conduisent la corde vocale paralysée à adopter une position paramédiane. Les Drs Woodson, Koufman et al. (1, 2) ont cependant récemment démontré qu’il est en réalité impossible de standardiser le positionnement de la corde vocale paralysée en fonction du niveau anatomique (intracérébral, tronc du nerf pneumogastrique, nerf laryngé inférieur) de l’atteinte. Par ailleurs, la classique théorie de Semon est à l’heure actuelle abandonnée au profit de la théorie de la réinnervation aberrante avec syncinésies (3). Selon cette théorie, les facteurs qui influent sur l’aspect morphologique de l’hémilarynx paralysé après chirurgie de la glande thyroïde sont le degré d’innervation résiduelle et le degré d’atrophie de dénervation et de fibrose musculaire, chacun de ces facteurs étant largement influencé par le type d’atteinte (compression, étirement, dévascularisation, section partielle ou totale) que subissent les fibres nerveuses lors du traumatisme initial et par les capacités de régénération nerveuse propres à chaque individu, d’ou : – une grande variabilité dans les conformations anatomiques rencontrées ; * Service ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 12 – une évolution de l’aspect morphologique du larynx paralysé dans le temps. Enfin les syncinésies laryngées observées au niveau de l’hémilarynx paralysé (corde vocale, bande ventriculaire et/ou aryténoïde), qui se définissent comme des “mouvements anormaux survenant dans un groupe musculaire à l’occasion d’un mouvement volontaire ou réflexe d’une autre partie du corps”, témoignent du processus de réinnervation aberrante des muscles abducteurs du larynx par des fibres nerveuses à visée adductrice (et vice versa) et ont pour corollaire une incoordination neuro-musculaire lors du cycle respiratoire (3). ÉPIDÉMIOLOGIE La revue de la littérature, sur ces vingt dernières années, note une modification sensible des étiologies de la paralysie laryngée unilatérale. En effet, si, en 1984, Yamada et al. (4) notaient que les étiologies les plus fréquentes de la paralysie laryngée unilatérale étaient la cause idiopathique et la chirurgie de la glande thyroïde, Benninger et al. (5), en 1994, notaient une augmentation des étiologies en rapport avec un geste chirurgical non thyroïdien et/ou une affection tumorale et une diminution relative des étiologies idiopathiques et postchirurgicales thyroïdiennes. Une étude récente menée dans notre service a confirmé cette tendance (6). En présence d’une paralysie laryngée unilatérale après chirurgie de la glande thyroïde, deux étiologies sont classiquement discutées : l’intubation endotrachéale et le geste chirurgical. La responsabilité de l’intubation trachéale dans la genèse d’une paralysie laryngée unilatérale est une notion qui a été très longtemps La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 299 - juillet-août 2005 controversée. Cette étiologie est extrêmement rare ; en 1985, seulement 36 cas de paralysie laryngée postintubation avaient été colligés dans la littérature (7). Récemment, Friedrich et al. (7), dans une étude sur 210 patients opérés sous anesthésie générale avec intubation trachéale pour un acte chirurgical, sans aucun rapport anatomique avec les nerfs laryngés et/ou pneumogastriques, notaient trois cas de paralysie laryngée, avec une récupération de la mobilité laryngée en moins de 6 mois dans 75 % des cas. L’étude anatomique ancienne réalisée par Cavo (8) souligne qu’une telle complication lors de l’intubation laryngée est possible. Le mécanisme de survenue de la paralysie laryngée unilatérale serait la compression de la branche antérieure adductrice du nerf laryngé inférieur entre la lame cartilagineuse thyroïdienne et le ballonnet d’intubation. Le point de compression se situerait au niveau de la sous-glotte latérale 6 à 10 mm sous le bord inférieur de la corde vocale à hauteur de son tiers postérieur. Pour éviter cette complication, plusieurs manœuvres ont été proposées en peropératoire : intubation atraumatique, pas de surgonflement des ballonnets gonflés avec les gaz utilisés pour réaliser l’anesthésie, dégonflement régulier des ballonnets, et surtout, absence de mise en hyperextension du rachis cervical (pour éviter toute ascension incontrôlée du ballonnet de la sonde d’intubation) (8). DIAGNOSTIC En présence d’un patient avec une immobilité laryngée unilatérale secondaire à un geste chirurgical (avec un risque potentiel pour la dixième paire crânienne et/ou le nerf laryngé inférieur) réalisé sous intubation (par exemple, chirurgie de la glande thyroïde), l’oto-rhino-laryngologiste se doit de faire la distinction entre ankylose crico-aryténoïdienne et paralysie laryngée unilatérale. Cette distinction est importante sur le plan thérapeutique ; les ankyloses crico-aryténoïdiennes diagnostiquées précocement (au stade d’arthrite) peuvent évoluer favorablement sous traitement associant antibiotiques et anti-inflammatoires. Par ailleurs, les interventions de médialisation ont une efficacité largement supérieure lorsque l’immobilité laryngée est secondaire à une paralysie et non à une ankylose. Les données de l’interrogatoire, de l’examen clinique et du bilan endoscopique peuvent orienter le praticien. Cependant, force est de constater que, bien souvent, une telle distinction est difficile. Pour de nombreux auteurs tels Crumley (9), l’électromyographie laryngée peut aider le laryngologiste. Le processus de dégénérescence que subit le neurone périphérique de tout nerf traumatisé est dénommé “dégénérescence wallérienne”. Lors de la réalisation d’un examen électromyographique, ce processus est visualisé dans le muscle paralysé testé par l’apparition d’un microvoltage (fibrillation voltage pour les Anglo-Saxons). Ce microvoltage, qui apparaît dans un délai variable (de 3 jours à 3 semaines suivant l’intensité du traumatisme), persiste jusqu’à ce qu’une réinnervation ou une importante atrophie musculaire se produise. L’apparition de potentiels d’action di- ou triphasiques de très grande amplitude dans le muscle testé paralysé témoigne de la réinnervation. Ce signe est en rapport avec la réapparition d’unités motrices au sein des fibres musculaires endola- ryngées. Au décours du processus de réinnervation, la forme de ces potentiels d’action tend à se normaliser pour se rapprocher de l’aspect monophasique des potentiels d’action “normaux”. Malheureusement, l’apparition de potentiels de régénération diou triphasiques n’est absolument pas corrélée à la reprise de mobilité de la corde vocale paralysée. Aussi, en présence de potentiels de régénération chez un patient qui présente une immobilité cordale, quatre hypothèses théoriques doivent être évoquées : – une immobilité par ankylose crico-aryténoïdienne, – une insuffisance du nombre d’unités motrices régénérées, – une régénération aberrante des fibres nerveuses qui aboutit à la contraction simultanée de groupes musculaires antagonistes, – une combinaison des trois facteurs suscités. L’ensemble de ces données et le fait que les tracés obtenus lors de l’électromyographie laryngée soient très largement dépendants du type d’électrode utilisé, du positionnement intralaryngé de ces électrodes et de l’expérience de l’opérateur font que, à l’heure actuelle, l’électromyographie laryngée n’est pas considérée comme un examen complémentaire à réaliser systématiquement en présence d’une immobilité laryngée unilatérale après chirurgie de la glande thyroïde. Cette notion a été récemment confirmée par Sataloff et al. (10), qui, en 2004, dans une revue de type evidence-based medicine sur le rôle de l’électromyographie laryngée pour distinguer entre paralysie et ankylose, ont conclu à l’absence de données scientifiques valides permettant de répondre à cette question. PRONOSTIC Après chirurgie de la glande thyroïde, le taux de paralysie laryngée unilatérale en postopératoire immédiat (un mois) varie de 0,5 % à 8,3 % dans les séries comportant plus de 500 patients et publiées depuis 1990. Ce risque est considéré comme d’autant plus élevé qu’il s’agit d’une reprise chirurgicale ou d’une exérèse chirurgicale pour goitre, cancer ou maladie de Basedow. Il est aussi classique de lire que le taux de survenue de paralysies laryngées unilatérales définitives est d’autant plus élevé que le tronc du nerf laryngé inférieur n’a pas été repéré préalablement à l’exérèse de la glande thyroïde. Cette dernière affirmation est cependant contredite par Koch et al. (11), qui, dans une étude prospective randomisée portant sur 800 interventions de la glande thyroïde, ont noté que le taux de paralysie laryngée unilatérale ne variait pas, que l’opérateur ait ou non recherché le tronc du nerf laryngé inférieur préalablement à l’exérèse de la glande thyroïde. Par ailleurs, aucune étude à l’heure actuelle n’a pu démontrer que l’utilisation d’un neurostimulateur lors de la chirurgie de la glande thyroïde facilitait le repérage du nerf laryngé inférieur et/ou réduisait le risque de survenue d’une paralysie laryngée unilatérale définitive. L’analyse de l’évolution des patients avec une paralysie laryngée unilatérale secondaire à un acte chirurgical au niveau de la glande thyroïde note une restitution ad integrum dans 43,4 % des cas, une récupération partielle dans 3,7 % des cas, et une absence de récupération dans 52,9 % des cas (12), avec, comme l’ont démontré Kirchner et plus récemment Gacek (13), une absence de survenue d’ankylose au niveau de l’articulation crico- La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 299 - juillet-août 2005 13 D O S S I E aryténoïdienne ipsilatérale au décours de l’évolution d’une paralysie laryngée unilatérale. Enfin, la mise en évidence, lors de l’électromyographie laryngée, de potentiels d’action témoignant d’une réinnervation est considérée par certains comme un élément pronostique favorable quant à la possible récupération de la motricité laryngée (5). TRAITEMENT À l’heure actuelle, la rééducation orthophonique est la méthode non invasive la plus utilisée dans le monde occidental pour pallier les conséquences de la paralysie laryngée unilatérale secondaire à un acte chirurgical au niveau de la glande thyroïde. Cependant, la question de la place, de l’apport et des limites de la rééducation orthophonique est loin d’être close ; aucune donnée dans la littérature médicale ne précise le nombre de séances, la méthodologie à suivre et la durée de rééducation nécessaire. Par ailleurs, Kelchner et al. (14), dans une étude récente bien conduite, ont souligné que la rééducation orthophonique : – était d’autant plus réalisée que la symptomatologie dont se plaignait le patient était faible ; – avait une efficacité réduite, comparativement aux interventions de médialisation, dès lors que la symptomatologie était sévère. Les méthodes chirurgicales sont schématiquement regroupées en deux grandes familles : les techniques de réinnervation laryngée et les techniques de médialisation cordale. Les techniques de réinnervation laryngée La réinnervation laryngée a fait l’objet ces dernières années de nombreux travaux tant expérimentaux que cliniques. Les techniques de réinnervation laryngée se divisent schématiquement en deux groupes : les techniques “neuronales” et les techniques “neuromusculaires”. ● Les techniques neuronales ont pour substratum la réalisation d’une suture nerveuse entre un nerf afférent, soit moteur pour le larynx paralysé (portion proximale du nerf récurrent lésé), soit mis en jeu lors de la phonation (branche cervicale ansa cervicalis, le tronc du pneumogastrique) ou lors de l’inspiration (nerf phrénique), et la portion distale du nerf récurrent lésé ou la branche de division adductrice de celui-ci. ● Les techniques neuromusculaires visent à transférer directement au sein du muscle thyro-aryténoïdien paralysé une greffe neuromusculaire (fragment du muscle omo-hyoïdien pédiculé sur sa branche nerveuse) ou une branche nerveuse (nerf du muscle omo-hyoïdien). L’hétérogénéité des populations (âge, étiologies, degré de régénération, symptomatologie...), le faible nombre de patients étudiés (en général moins d’une dizaine, à l’exception d’une série rapportée par Tucker), la multiplicité des méthodes thérapeutiques, l’absence de codification des méthodes d’analyse et des durées de suivi (en général moins de un an) font que les résultats obtenus avec ces diverses techniques de réinnervation laryngée sont très difficiles à apprécier. L’ensemble des auteurs s’accorde pour reconnaître qu’aucune de ces techniques ne permet d’obtenir une récupération de la mobilité cordale et que la preuve formelle de l’utilité de la réinnervation laryngée en pratique clinique reste à faire. Les partisans de ces techniques 14 R soutiennent cependant que la réinnervation laryngée favorise le maintien de la masse musculaire, ainsi qu’un positionnement paramédian de la corde vocale paralysée, et qu’elle évite la dégradation des résultats, ainsi que la malposition du cartilage aryténoïde paralysé ; ils ajoutent qu’aucune de ces techniques, surtout lorsqu’elles sont associées à un repositionnement mécanique de la corde vocale et/ou de l’aryténoïde paralysé (thyroplastie, adduction aryténoïdienne), n’a aggravé la situation phonatoire ou respiratoire des patients traités. Les techniques de médialisation cordale Les interventions de médialisation de la corde vocale paralysée sont séparées en deux grandes familles : les injections intracordales, d’une part, et les abords chirurgicaux transcutanés, aussi dénommés thyroplasties de type I, d’autre part (3, 5). ● Les injections intracordales sont réalisées sous anesthésie générale dans la majorité des cas. Cependant, certains auteurs, japonais et nord-américains en particulier, les effectuent sous anesthésie locale par voie transorale ou par voie transcutanée (intercrico-thyroïdienne ou transcartilagineuse transthyroïdienne ipsilatérale) (3, 5). Lors de ces injections intracordales, divers matériaux plus ou moins résorbables sont mis en place au sein de la corde vocale paralysée. À l’heure actuelle, les matériaux à fort taux de résorption qui sont utilisés sont le Gelfoam®, le collagène et la graisse autologue (3, 5). Le Gelfoam® injecté est une pâte constituée pour un cinquième de poudre de Gelfoam® et pour quatre cinquième de solution saline. Ce matériau est injecté dans le muscle thyro-aryténoïdien mais se résorbe quasi totalement en 4 à 5 semaines. En raison du risque immuno-allergique (principalement aux télopeptides), de l’incertitude actuelle concernant l’utilisation thérapeutique de produits d’origine bovine quant à la transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de la nonreconnaissance de ce produit par la Food and Drug Administration nord-américaine, la majorité des équipes qui utilisaient le collagène d’origine bovine pour pallier les conséquences de la paralysie laryngée unilatérale se sont progressivement orientées vers l’utilisation du collagène autologue. Les travaux de l’équipe du Dr Ford ont souligné que le collagène injecté persistait au moins 6 mois mais qu’il semblait être remplacé progressivement par un collagène synthétisé par le receveur. Cette dernière donnée conduit les auteurs à suggérer que cet implant doit au mieux être placé en de multiples points d’injection dans la lamina propria, qui est extrêmement riche en collagène. La graisse autologue, éventuellement mélangée à du fascia autologue, est un autre matériau résorbable particulièrement intéressant. L’absence de contre-indication à son utilisation, sa disponibilité, son coût, qui est nul, et sa simplicité d’utilisation en font à l’heure actuelle un matériau partiellement résorbable de choix pour pallier les conséquences phonatoires de la paralysie laryngée unilatérale (15). Les matériaux à faible taux de résorption actuellement utilisés sont le Téflon® et le silicone (3, 5). Le Téflon® est constitué d’une pâte stérile composée de 50 % de glycérine et de 50 % de particules de polytétrafluoroéthylène (5 à 95 µm). La résorption de la glycérine conduit à une diminution de 50 % du volume injecté, résorption partiellement compensée par la réaction inflammatoire aiguë puis chronique induite par l’implantation au La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 299 - juillet-août 2005 sein du muscle thyroaryténoïdien de particules de polytétrafluoroéthylène. Les réactions aiguës connues faisant suite à une injection intracordale de Téflon® sont l’érythème et l’œdème de la corde vocale (au moins un cas clinique de décès par asphyxie dans les 48 heures suivant une injection intracordale de Téflon® a été documenté dans la littérature, et le pourcentage de trachéotomies postinjection est estimé à 0,5 %), les douleurs cervicales, l’odynophagie, la toux et l’apparition d’adénopathies cervicales. À ce jour, aucune réaction de type allergique et aucune cancérisation n’a été documentée après injection intracordale de Téflon®. La principale complication rencontrée après la réalisation d’une injection intracordale de Téflon® pour pallier les conséquences d’une paralysie laryngée unilatérale est la survenue d’un granulome. La réaction chronique au Téflon® consiste en un granulome à corps étranger avec cellules géantes. La formation d’un tel granulome témoigne d’une réaction à corps étranger intracordale et a pour conséquence une altération importante de la vibration muqueuse du bord libre de la corde vocale qui conduit à un mauvais résultat phonatoire. Pour Gardner et al. (16), cette complication est notée dans 36 % des cas et apparaît d’autant plus fréquemment que le délai qui fait suite à l’injection est important. Le silicone a été largement utilisé au Japon en raison de l’impossibilité pour les oto-rhino-laryngologistes japonais de se procurer le Téflon® lors de l’apparition de ce matériau (15, 16). Selon Iwatake et al. (17), le volume de silicone à injecter varie de 0,5 à 2 ml (valeur médiane : 0,8 ml). Le silicone injecté ne doit pas être placé près du bord libre de la corde vocale mais, comme le Téflon®, au sein du muscle thyro-aryténoïdien. La thyroplastie de type I est une intervention qui consiste en la mise en place d’un implant rigide au travers de l’aile cartilagineuse thyroïdienne ipsilatérale au décours d’une cervicotomie (3, 5). Le très grand avantage de cette méthode est sa réalisation sous anesthésie locale, permettant ainsi au patient et au chirurgien d’évaluer en temps réel le résultat phonatoire. Les troubles de la coagulation sont la seule contre-indication relative à la réalisation d’une thyroplastie, en raison du risque de survenue d’un hématome intralaryngé. À l’heure actuelle, divers matériaux non résorbables (silastic, silicone, hydroxylapatite, Gore-tex®, Vitallium®, titane) sont utilisés pour médialiser la corde vocale paralysée lors de la réalisation d’une thyroplastie et ont très avantageusement remplacé le cartilage autologue initialement employé. Plusieurs études récentes soulignent la qualité et la stabilité du résultat phonatoire après thyroplastie (3, 5). Le résultat “définitif” est obtenu dès la fin du premier mois postopératoire, une fois que l’inflammation induite par l’abord chirurgical et la mise en place de l’implant phonatoire a régressé. La réalisation d’une thyroplastie se heurte cependant à deux situations difficiles : le positionnement incorrect du cartilage aryténoïde, qui conduit à une mauvaise fermeture de la glotte postérieure en phonation, et le défaut de fonctionnement du muscle crico-thyroïdien ipsilatéral (présent lors de l’atteinte simultanée des nerfs laryngés supérieur et inférieur), qui entraîne une flaccidité et un raccourcissement de la corde vocale paralysée limitant l’étendue du timbre. Pour pallier ces limitations, plusieurs techniques peuvent être associées à la thyroplastie. Le défaut de fermeture de la glotte postérieure peut être traité par la réalisa- tion d’une adduction aryténoïdienne ou par la mise en place d’un implant dont la conformation agit sur le cartilage aryténoïde ipsilatéral paralysé, tel l’implant mis au point par le Dr Montgomery. L’atteinte du muscle crico-thyroïdien peut aussi être compensée par la réalisation d’une subluxation crico-thyroïdienne ipsilatérale. Enfin, en présence d’une atteinte isolée du nerf laryngé supérieur lors de la chirurgie thyroïdienne (en particulier chirurgie des goitres thyroïdiens) responsable d’une altération de la sensibilité pharyngo-laryngée (favorisant la survenue de fausses routes à la déglutition, en particulier des liquides) et d’une paralysie du muscle crico-thyroïdien ipsilatéral (objectivée par l’impossibilité pour le patient de réaliser une montée dans les aigus et par une rotation du larynx du côté non paralysé), un travail récent de la Mayo Clinic aux États-Unis suggère que la combinaison d’une thyroplastie de type IV (suture antérieure du cricoïde au thyroïde) et de la mise en place d’un implant phonatoire (thyroplastie de type I) permettrait d’améliorer la symptomatologie (18). Les complications après thyroplastie de type I sont rares. Weinman et al. (19), dans une série de 332 patients, ont souligné que le pourcentage de trachéotomies était nul après thyroplastie de type I isolée, mais atteignait 3,5 % lorsqu’une thyroplastie de type I était associée à une adduction aryténoïdienne ipsilatérale. Dans tous les cas, le problème respiratoire survenait dans les 24 premières heures postopératoires. Ces données leur ont fait conclure que la thyroplastie de type I isolée pouvait être réalisée sans crainte en hôpital de jour alors que la combinaison thyroplastie de type I et adduction aryténoïdienne nécessitait une hospitalisation de 24 heures (19). Quelle stratégie chirurgicale faut-il adopter ? La multiplicité des techniques disponibles à l’heure actuelle rend difficile la systématisation de la stratégie chirurgicale à adopter pour pallier les conséquences phonatoires d’une paralysie laryngée unilatérale survenant après chirurgie de la glande thyroïde. De nombreux facteurs (âge, profession, comorbidité, type de traumatisme initial, position du larynx paralysé, présence de syncinésies, troubles de la déglutition associés, évolutivité de l’affection responsable de la paralysie laryngée, délai par rapport au traumatisme initial) ainsi que l’état psychologique du patient et l’expérience des opérateurs doivent être pris en compte. Quelle que soit la méthode employée, le praticien doit : – faire comprendre aux patients que l’amélioration symptomatique postopératoire portera avant tout sur la réduction de l’essoufflement et de la fatigue vocale et seulement parfois sur les troubles de la déglutition ; – souligner que la rééducation orthophonique reste une solution non invasive alternative ; – évoquer les risques exceptionnels (en particulier les risques de trachéotomie et d’infection) ainsi que les risques inhérents à la réalisation d’une anesthésie, qu’elle soit locale ou générale. Schématiquement, la réalisation d’une injection intracordale d’un matériau plus ou moins résorbable sous anesthésie générale semble tout à fait indiquée chez le grand enfant (le petit enfant et le nourrisson doivent être mis à part ; les risques d’obstruction respiratoire sont au premier plan et il résulte de ce risque que même les matériaux à faible taux de résorption ne sont pas indi- La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 299 - juillet-août 2005 15 D O S S I E R qués) et l’adulte si une récupération de la mobilité cordale est envisageable, et ce d’autant qu’il existe des troubles de la déglutition, mais non pas de contre-indications ou de risque majeur à la réalisation d’une anesthésie générale, et que le délai par rapport au traumatisme initial est court. À l’opposé, chez l’adulte, lorsque la paralysie est secondaire à une section ou à une résection, que la dysphonie est sévère et/ou que la profession nécessite la meilleure qualité vocale possible, que l’anesthésie générale est contre-indiquée et que la paralysie est ancienne, la réalisation d’une thyroplastie semble la meilleure option thérapeutique (15, 20). Il convient enfin de préciser qu’en présence de syncinésies défavorables qui génèrent une importante diminution de la surface glottique lors de l’inspiration (secondaire à un déplacement médial aberrant de l’aryténoïde et de la corde vocale du côté paralysé), le traitement ne repose pas sur la réalisation d’une médialisation de la corde vocale paralysée mais fait appel aux techniques visant à paralyser les muscles adducteurs (par exemple en réalisant des injections de toxine botulique de type A au sein des muscles adducteurs ou en sectionnant la branche adductrice du nerf laryngé inférieur et en suturant son extrémité proximale à l’extrémité distale de la branche abductrice afin de favoriser une régénération neuromusculaire favorisant le muscle crico-aryténoïdien postérieur). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Woodson GE. Configuration of the glottis in laryngeal paralysis. I – Clinical study. Laryngoscope 1993;103:1227-34. 2. Koufman JA, Walker FO, Joharji GM. 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Les articles publiés dans “La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © janvier 1985 - EDIMARK SAS - Imprimé en France - DIFFERDANGE - 95100 Sannois - Dépôt légal : à parution. 16 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 299 - juillet-août 2005